• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 COMPARAISON DES LANGUES ET APPROCHES PLURIELLES

3.2 Une typologie pour les approches plurielles

3.2.1 Considérations préliminaires

Cette typologie n’a qu’une modeste ambition : celle de fournir une synthèse de tout ce que nous venons de décrire au sujet des approches plurielles dans leur « réalité didactique ». On aurait pu s’en tenir aux trois approches plurielles que nous venons de décrire, qui sont, dirons-nous, des approches « labellisées ». Or, on sait que la question du nombre d’approches plurielles fait l’objet d’interrogation chez les chercheurs, à l’instar de de Pietro (2014), qui pose la question de la prise en compte de la traduction comme approche plurielle. A son propos, Candelier et Shröder-Sura (2015, p.13) estiment que, « pour rejoindre, en tant que démarche didactique, la famille des approches plurielles, il faudrait cependant – et il suffirait - qu’elle31 soit constituée en moyen d’apprentissage (bien sûr non exclusif, il ne s’agit pas de retourner aux méthodologies de la fin du 19ème siècle!), qui tirerait parti de façon systématique de la mise en regard entre les langues ».

Ceci étant posé, que faire de la didactique du détour, mentionnée dans le chapitre 2 à propos de l’acquisition de compétences en L1 ? Celle-ci consiste, dans le cadre de l’étude de L1, à faire émerger des savoirs à partir de corpus multilingues étendus, dans la tradition de l’éveil aux langues. La didactique du détour (Balsiger et al., 2014, p.195) nait dans le constat des limites de celui-ci concernant la langue de l’école (Candelier, 2003, p. 133) et repense les priorités de la comparaison des langues sur celle-ci, en reprenant comme argumentaire théorique ce qui est le cœur des approches comparatives, que nous avons développé dans le chapitre 2. Ainsi, Balsiger et al. (2014, p.195) affirment que « Le détour par l’observation et la comparaison en synchronie avec d’autres langues permettrait d’aider les élèves à aborder des phénomènes linguistiques difficiles à voir en langue 1. Les élèves développeraient ainsi une capacité à de distanciation, de relativisation et de conceptualisation ». Ce principe du « détour » est également à l’œuvre, on l’a vu, dans l’éveil aux langues. Nous avons fait le choix d’intégrer la didactique du détour dans la typologie en tant qu’approche plurielle, car elle répond à la définition des approches plurielles telle que nous l’avons exposée en 3.1.1. Bien entendu, cette question recoupe le questionnement sur le caractère unitaire du champ, posé par Candelier (2008), que nous avons abordé dans le chapitre précédent. Il s’agit là d’une réflexion que nous reprendrons dans la section suivante à propos de l’enseignement bilingue.

3.2.2 Présentation de la typologie

Nous avons élaboré cette typologie en croisant les caractéristiques propres aux approches plurielles que nous avons souhaité rendre visibles. C’est donc une typologie qui permet de faire la synthèse des travaux relatifs aux approches plurielles. Tout d’abord, en termes de contenus, nous prenons en considération :

- les langues impliquées dans l’approche plurielle

68

- les contenus linguistiques visés : reprenant les niveaux d’analyse de la langue de Gombert, on cherche à savoir si certaines approches se distinguent, ou pas, en fonction des niveaux d’analyse potentiellement travaillés. Par « potentiellement travaillés », on veut dire que l’approche plurielle ne vise pas un travail privilégié sur quelques niveaux d’analyse au détriment des autres.

- les enjeux de l’étude : nous mettons en avant ce que vise chaque approche plurielle en ce qui concerne la maîtrise des langues : une langue est –elle ciblée en particulier, ou non ?

En marge de ces critères, nous avons réparti les approches en fonction de ce que nous identifions comme étant « le sens du mouvement » dans la prise d’appui sur les langues : s’agit-il de prendre appui sur le connu pour aborder l’inconnu, ou bien l’inverse ? Autrement dit, les langues jouant les rôles de miroir sont-elles des langues connues ou des langues inconnues ?

Langues impliquées Contenus

linguistiques Maîtrise d’une langue en particulier

Connu vers inconnu TYPE 1 Didactique intégrée des langues Langues du curriculum, par ordre

d’apprentissage Tous niveaux d’analyse (L2, L3…) Oui TYPE 2 Intercompré-hension

Langues parentes Tous niveaux d’analyse Oui (Compréhension en langues voisines) Inconnu vers connu TYPE 3 Eveil aux langues

Diversité linguistique Tous niveaux d’analyse Non TYPE 4 Didactique du détour L1+

Diversité linguistique Tous niveaux d’analyse (L1) Oui

Tableau 2 Proposition pour une typologie des approches plurielles

Le tableau fait apparaitre quatre types, correspondant chacun à une approche plurielle. Les types 1 et 2 se situent dans le mouvement qui consiste à prendre appui sur le connu pour aller vers l’inconnu, tandis que les types 3 et 4 font le chemin inverse.

Sur l’axe horizontal, la distinction par le sens du mouvement fait apparaitre deux sous-groupes, l’un regroupant la didactique intégrée et l’intercompréhension d’un côté, l’autre rassemblant l’éveil aux langues et la didactique du détour. Mais, dès l’application du critère « langues impliquées », la typologie fait apparaitre, pour chaque approche plurielle, une sorte de « carte de visite », qui met en évidence le fait que chacune d’entre elle possède son identité propre. Tout en ayant parfois des points communs, les approches plurielles n’en demeurent pas moins, de toute évidence, irréductibles les unes aux autres. On peut poser ici la question de leur possible articulation : dans quelle mesure chacune de ces approches peuvent-elles être proposées au même groupe-classe ?

69

Sur l’axe vertical, on constate que l’instanciation du critère « langues impliquées » est celui qui fait émerger les informations les plus diversifiées mais que seule la présence de la L1 permet de distinguer l’éveil aux langues et la didactique du détour. A propos des langues, on fera remarquer que le fait de travailler sur la diversité linguistique à une grande échelle peut, potentiellement, recouper l’intercompréhension dans le cas où la constitution du corpus multilingue impliquerait des langues de la même famille. En termes de contenus linguistiques, toutes les approches peuvent, potentiellement, travailler sur tous les niveaux d’analyse de la langue, qu’ils soient phonologique, sémantique, morphologique, etc. L’accès au sens dans les langues inconnues n’est quant à lui visé qu’en intercompréhension, et, en ce qui concerne la question de la maîtrise d’une langue en particulier, seul l’éveil aux langues n’en fait pas un enjeu.

En termes de comparaison des langues, cette typologie met en évidence que l’éveil aux langues et la didactique du détour, par l’ampleur des corpus multilingues travaillés et par l’importance que ces deux approches accordent au développement de compétences métalinguistiques, possèdent, d’après nous, une dimension plus comparative que les autres. L’intérêt de la typologie est de pouvoir, ultérieurement, situer des démarches de comparaison des langues repérées dans les pratiques d’enseignement en fonction des critères que nous avons mis en évidence. Par exemple, considérant que certains contextes éducatifs, comme l’enseignement bilingue, constituent des terrains propices à la mise en regard systématisée entre les langues (voir plus haut Candelier et Schröder-Sura, 2015), il n’est pas exclu que la traduction puisse être mobilisée en tant que moyen, parmi d’autres, de cette mise en regard. Bien que ne constituant pas une approche plurielle à elle seule, elle pourra être rapprochée du type 1 (didactique intégrée des langues), sans pour autant se confondre avec elle.

3.2.3 Limite de la typologie et questions en suspens

Cette typologie comporte des limites, qui sont celles de ses ambitions : dans la mesure où nous n’avons pas répertorié de façon exhaustive l’ensemble des expérimentations menées en didactique des langues et pouvant être qualifiées de « plurielles », la typologie ne rend compte que d’approches plus générales dans lesquelles ces expérimentations peuvent être intégrées. Il est probable que la prise en compte minutieuse des expériences menées çà et là en milieu scolaire (pourvu qu’elles impliquent d’une façon ou d’une autre, des activités de comparaison des langues) viendrait enrichir, sinon remettre en question cette typologie. Comme l’explique Candelier (2008, p.82) :

« […] sans cesse, dans cet énoncé de principes, nous avons été amenés à constater que l’approche qui convenait au cas de figure choisi ou à l’étape concernée relevait certes de telle approche plurielle, mais aussi un peu de telle autre, avec cependant telle différence par rapport à sa définition habituelle… Autant se rendre à l’évidence : cet exercice a fait fondre les frontières rassurantes [qui avaient pu être tracées entre les approches plurielles] »

Que faire par exemple de l’expérience menée par Auger (2007) « Comparons nos langues, un outil d’empowerment pour ne pas oublier son plurilinguisme » ? (cf. chapitre 2), menée en classe d’accueil pour enfants nouvellement arrivés 32, dans laquelle on fait réfléchir les élèves au fonctionnement du français (langue inconnue d’eux) à partir des langues de la

70

classe, les langues de comparaison changeant donc en fonction de l’origine des élèves ? Ni didactique intégrée (les langues impliquées ne sont pas celles du curriculum), ni éveil aux langues (l’enjeu est la maîtrise d’une langue en particulier), ni didactique du détour (la langue visée n’est pas la L1 des enfants), elle partage cependant des points communs avec chacune d’entre elles, visibles à travers la typologie : la langue visée est une langue du curriculum, abordée par le biais de la diversité linguistique.