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CHAPITRE 2 UN ENJEU CENTRAL DE LA COMPARAISON DES LANGUES : LES COMPETENCES

2.2 La comparaison des langues : un travail métalinguistique et pluriel sur les langues

2.2.3 Un travail métalinguistique, des corpus multilingues

Nous avons défini la comparaison des langues comme une démarche d’observation comparée du fonctionnement des langues portant sur des langues connues ou inconnues des élèves. Dans la mesure où notre étude du foisonnement terminologique a démontré l’importance accordée par les différents auteurs aux dimensions « métalinguistique » et « réflexive » de cette démarche, il pourra sembler étonnant que nous ne reprenions pas ces qualificatifs dans notre propre définition. Pourquoi cette absence ? Nous souhaitons montrer ici que la dimension métalinguistique ou réflexive du travail comparatif est impliquée, de façon intrinsèque, par le fait que l’on compare les langues. Parler de « démarche métalinguistique comparée du fonctionnement des langues » ou de « démarche réflexive comparée du fonctionnement des langues » relève, selon nous, du pléonasme. En effet, la dimension métalinguistique est, d’après nous, impliquée dès lors qu’une comparaison entre les langues se met en place. Nous dirons, plus précisément, que la dimension comparative est :

- requise par le type d’opérations sur la langue qui est demandé

- facilitée parce que ces opérations sont effectuées sur des corpus multilingues (au moins deux langues).

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En ce qui concerne les opérations menées sur l’objet langue, Dabène, à propos des activités proposées dans le cadre de Language Awareness, évoque « des activités d'observation et de manipulation s'exerçant sur les processus communicatifs et langagiers de façon à mettre en lumière les traits spécifiques qui constituent des objets de réflexion » (Dabène, 1992, p.17). L’observation de la langue suppose une prise de distance avec celle-ci, détachée du sens, comme on l’a expliqué plus haut, tandis que la manipulation sur la langue consiste en une action sur les éléments formels de celle-ci : ses constituants (phonèmes, graphèmes, mots, groupes de mot etc) peuvent faire l’objet de segmentation, de tri, de classement. Garcia-Debanc et al. (2004, p.81-82) évoquent la possibilité d’un « relevé » et d’un « classement de faits pertinents », ainsi que la « formulation de régularités effectives ».

Malgré les difficultés qu’il représente souvent pour les élèves, tout travail métalinguistique peut, en soi, être réalisé dans un contexte monolingue et c’est, d’ailleurs, ce qui a toujours été traditionnellement proposé dans l’étude de la grammaire d’une langue, jusqu’aux évolutions récentes que nous avons décrites précédemment. L’intérêt de proposer plusieurs langues à l’étude en même temps (à travers ce qu’on l’on appellera désormais un corpus multilingue, comportant au minimum deux langues, par opposition à corpus monolingue) représente, de façon immédiate, le meilleur moyen de surmonter l’obstacle de la prévalence du sens que nous avons décrit en 3.1.4. Ces corpus permettent d’aider l’élève à « décoller du sens » (Ulma, 2009, p.114) pour mieux appréhender la forme, précisément parce que face à des langues inconnues, ou tout du moins n’étant pas la langue maternelle des élèves, le problème du sens véhiculé par le message ne se pose pas, ou beaucoup moins. En court-circuitant celui-ci, on facilite chez l’élève la posture métalinguistique (utile à la fois en L1 et en L2) et, de ce fait, l’analyse de la langue / des langues observées. En effet, comme l’explique Moore (2014, p.3), « la capacité de décentration est essentielle pour déplacer l’attention du contenu du message aux propriétés du langage ». Castellotti (2002, p. 19) rappelant les travaux de Cain et Briane (1996) à ce sujet, indique que l’appui sur des conduites comparatives est « de nature à favoriser les distanciations nécessaires et la relativisation de la position du système maternel vis-à-vis du système étranger ». Moore (2014, p. 5) va dans le même sens en explicitant, quant à elle, le fait que « la réflexion et l’analyse consciente des fonctionnements d’autres systèmes, comparés à ceux de la langue maternelle, vont favoriser la distanciation par rapport au code ». Les corpus de langues sont définis, en amont des activités de comparaison, par les objectifs assignés à celles-ci. Comme on l’a vu en 3.2.1, la comparaison des langues entre elles n’a pas les mêmes enjeux selon qu’on se situe dans le cadre de la mise en relation de la L1 avec la L2, de la L2 avec la L1 ou dans le cadre d’une matière spécifique centrée sur l’éducation aux langues et au langage (Language Awareness). En termes de compétences métalinguistiques, Kervran (2008, p.84) établit un lien entre le développement des capacités métalinguistiques et le degré de diversification des corpus: « le développement des capacités métalinguistiques (…) sera d’autant plus important que seront diversifiés les systèmes linguistiques comparés ».

Indépendamment du nombre de langues impliquées dans la comparaison (deux voire trois dans le cadre de la didactique intégrée, plus dans le cadre de la « matière-pont » et de l’éveil aux langues), des critères qualitatifs peuvent intervenir dans la nature des corpus multilingues : ainsi en est-il des corpus centrés sur la proximité linguistique par famille de

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langue constitués dans le cadre de l’intercompréhension, par exemple (nous y reviendrons dans le chapitre suivant). On retiendra, pour le moment, que quelle que soit la nature de ces corpus, leur rôle est de créer, chez l’élève, ce que Moore (2014, p.5) nomme « un état d’alerte à la langue ».

Les opérations effectuées sur la langue se font dans la perspective d’une analyse du fonctionnement de celle-ci, puisqu’il s’agit « de construire non seulement des savoirs opératoires sur le fonctionnement linguistique, en menant des activités réflexives à tous les niveaux (de l’énonciation) : sur la langue (métalinguistique), les textes (métatextuelles), les discours (métadiscursifs), les conditions de production (métapragmatique) (Moore, 1995, p.33). Ces opérations interviennent aux niveaux définis par Gombert (1990), reprenant les niveaux d’analyse linguistique, au regard des activités (au sens cognitif du terme) engagées par l’apprenant. Ces activités sont les suivantes (Kervran, 2008, p.68, reprenant les travaux de Gombert) :

- les activités métaphonologiques, correspondant à la « capacité d’identifier les composants

phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler de façon délibérée » (1990, p. 29) - les activités métasyntaxiques, qui renvoient « à la possibilité par le sujet de raisonner

consciemment sur des aspects syntaxiques du langage et de contrôler délibérément l’usage des règles de grammaire » (ibid. : 59) ;

- les activités métasémantiques, qui concernent « la capacité de reconnaître le système de la

langue comme un code conventionnel et arbitraire » (ibid. : 87) ;

- les activités métapragmatiques, qui se réfèrent à « la capacité de représenter, d’organiser et de

réguler les emplois même du discours. » (ibid. : 123).

C’est bien parce qu’on distingue plusieurs niveaux d’analyse métalinguistique qu’on peut postuler qu’à chacun d’entre eux correspond une compétence spécifique, potentiellement mise en œuvre par les élèves, et évaluable en tant que compétence distincte des autres : la compétence métasyntaxique (ou capacité à analyser la langue au niveau syntaxique), etc. Ces compétences peuvent, chez un même élèves, être inégalement développées (la compétence métaphonologique peut être plus développée que la compétence métasémantique, etc…) et elles peuvent peut-être entraînées seules, indépendamment les unes des autres : ainsi, une activité de comparaison des langues pourra porter sur un niveau d’analyse linguistique, et pas sur un autre.

Suivant James et Garret (1991) pour qui les termes « Language Awareness » impliquent que l’élève, non seulement réfléchisse sur le langage, la langue ou les langues, mais apprenne également à en parler, on considérera que des traces de la réflexion comparative peuvent se retrouver dans le discours des élèves, pour peu qu’ils soient encouragés par l’enseignant à verbaliser leurs réflexions. En effet, au sein du cadre didactique réflexif décrit par Gajo (2001), l’enseignant a un rôle à jouer dans le processus de conceptualisation sur la langue, qu’il accompagne en encourageant l’explicitation par les élèves de leur raisonnement. Comme le dit Launay (2004, p.198) à propos des traitements cognitifs, « l’opposition implicite-explicite traduit le fait que les premiers ne sont pas exprimables par le langage alors que les seconds peuvent être transcrits verbalement. On suppose ainsi que la prise de

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conscience, à une étape quelconque du traitement, implique une représentation symbolique de nature langagière ». S’intéresser aux discours produits par les élèves lors de l’analyse métalinguistique est intéressant pour appréhender la réflexion des élèves, comprendre leur raisonnement, faire émerger leurs stratégies, appréhender leurs connaissances sur les langues, etc… Ces raisonnements sont saisissables à travers les verbalisations métalinguistiques des élèves, définies ainsi par Dabène et Degache (1998, p. 376) : « toutes les verbalisations qui ont pour objet un fait de langue, même si les termes employés par le sujet n’appartiennent pas à une métalangue déterminée ». Celles-ci constituent donc des données précieuses à recueillir et à analyser. C’est, précisément, ce que nous allons faire dans le cadre de cette étude.

Le travail comparatif est donc, intrinsèquement, métalinguistique. S’exerçant sur des corpus multilingues, il est également pluriel. Par l’adjectif « pluriel », nous nous référons à ce que recouvre cet adjectif dans le cadre des approches plurielles, dont nous approfondissons la définition par rapport à ce que nous avons dit en 3.2.1 : « Par définition, on appellera « approche plurielle toute approche mettant en œuvre des activités impliquant à la fois

plusieurs variétés linguistiques et culturelles. En tant que telle, une approche plurielle se distingue d’une approche singulière, dans laquelle le seul objet d’attention est une langue ou

une culture particulière, prise isolément » (2008, p.68). Nous nous autorisons à reprendre l’adjectif « pluriel » pour qualifier le travail de comparaison des langues dans la mesure où il porte sur plusieurs langues (au moins deux, dans le cadre de la mise en relation L1/L2).

2.3. La comparaison des langues : un principe fondateur pour la