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CHAPITRE 5 QUEL TERRAIN POUR UNE ETUDE SUR LA COMPARAISON DES LANGUES?

5.2 Les Calandretas : des écoles « occitanes »

5.2.1 Données historiques

L’existence des écoles Calandretas est intimement liée aux politiques linguistiques éducatives menées depuis des siècles envers ce qu’on appelle aujourd’hui communément les « langues régionales » ou « langues de France » selon la définition qu’en donne la DGLFLF49 : « Les langues de France sont les langues parlées traditionnellement par des citoyens sur le territoire de la République, et qui ne sont langue officielle d’aucun Etat ». Un court rappel historique permettra de resituer quelques faits essentiels.

L’occitan, le breton, le basque, le catalan, le corse, l’alsacien…toutes ces langues ont en commun le fait d’avoir été mises en péril par la perte massive de locuteurs et l’anéantissement de la transmission familiale de la langue en quelques décennies, et d’avoir connu des situations de diglossie avec le français au cours des siècles. Cette histoire s’est jouée, entre autres, sur les bancs de l’école. Rappelons, ainsi, l’abbé Grégoire déclarant en 1794 dans son Rapport sur les moyens et les nécessités d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française: « Les ennemis de la République parlent bas-breton, les défenseurs de la

monarchie et de l’autel parlent basque, ceux qui ont juré la perte de la Révolution parlent occitan ». Les intérêts des révolutionnaires, confrontés à la difficulté de diffuser leurs idées auprès de tous les Français, les amènent à placer le seul français au cœur de leur projet éducatif. Comme le font remarquer Kirsch, Kremnitz et Schlieben-Lange, (2002, p.27) :

« La révolution apporte ainsi deux nouveaux éléments dans le conflit linguistique latent jusqu’alors : 1) à l’avenir, la totalité de la population doit pouvoir utiliser le français 2) l’alphabétisation en français dans le cadre d’une école obligatoire apparaît comme le vecteur approprié de la substitution linguistique ».

A la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, une véritable guerre est menée aux « patois », sur fond d’anti-cléricalisme étatique. Comme pendant la Révolution, c’est à l’école que se joue en priorité cette lutte. Les lois Ferry de 1881 en faveur de l’instruction obligatoire déclarent elles aussi le français comme seule langue d’enseignement et langue enseignée, et interdisent à l’école l’usage de toute langue locale. Les répressions menées envers les élèves coupables d’employer leur langue maternelle (châtiments corporels notamment) sont aujourd’hui bien connues. Cette situation est le fait de politiques linguistiques élaborées afin d’implanter le français comme seule langue véhiculaire sur le territoire, mais également, chez les locuteurs comme chez les non- locuteurs, de l’intégration progressive de représentations négatives à leur égard, représentations bien sûr alimentées par lesdites politiques.

La présence voulue et planifiée de la langue occitane dans l’enseignement est très récente (un demi-siècle). La loi Deixonne, votée en 1951 à l’Assemblée, autorise l’enseignement facultatif de certaines langues régionales : basque, breton, catalan, occitan. Les années 1980 sont des années cruciales dans l’histoire de l’enseignement des langues régionales avec, en ce qui concerne l’occitan, l’ouverture des premiers sites immersifs à Pau, Béziers et Toulouse. Ces créations d’écoles immersives en langue régionale ont joué un rôle décisif pour la suite. Dans la foulée de ces ouvertures, les Circulaires Savary (1982-1983) confèrent aux langues régionales le statut de matières spécifiques qui les autorisent, comme les autres

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disciplines, à disposer, « de la maternelle à l’université, d’un cadre horaire, de programmes, d’épreuves d’examen, de personnels formés et de programmes de recherche pédagogique et scientifique. »50 Les années 1990 voient quant à elle la création du CAPES de langue régionale, sous le ministère de Lionel Jospin, ainsi que la possibilité pour les Calandretas d’obtenir le statut d’écoles privées sous contrat. En 2013, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école stipule que « les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. L'enseignement facultatif de langue et culture régionales est proposé dans l'une des deux formes suivantes : 1° Un enseignement de la langue et de la culture régionales ; 2° Un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale51 ».

5.2.2 Enseignement de la langue régionale, enseignement en langue régionale

C’est donc au terme d’un long parcours que les langues régionales sont parvenues à trouver une place au sein de l’institution scolaire. L’enseignement de l’occitan et des autres langues régionales métropolitaines, peut, aujourd’hui, se faire de deux façons : soit la langue est abordée dans le cursus en tant que matière, soit elle est utilisée dans le cadre de l’enseignement dit bilingue, auquel cas elle est langue d’enseignement de tout ou partie des disciplines scolaires (DNL, Disciplines Non Linguistiques).

Actuellement, dans le premier cas de figure (enseignement de la langue régionale), l’enseignement de la langue est prévu « dans le cadre général des horaires de l’école » une heure à une heure trente par semaine, avec fonction de « sensibilisation » et d’« initiation »52.

En ce qui concerne le second cas de figure (enseignement en langue régionale), c’est aux dispositifs pratiquant l’immersion que l’on doit les premières tentatives historiques de rétablir les langues régionales comme langues d’enseignement. 1969 est ainsi l’année d’ouverture de la première Ikastola au sein du réseau Seaska au Pays Basque. La décennie suivante voit ouvrir, successivement, la première Bressola (1976) en Catalogne du nord, la première école Diwan (1977) en Bretagne et la première Calandreta (1979) à Pau. La croissance importante de ces écoles en termes d’ouvertures de sites et de fréquentation d’élèves depuis leur ouverture témoigne de leur succès, et, par là-même, de l’intérêt que porte une partie de la population française à la transmission des langues régionales.

Dans le cas de l’enseignement en occitan, on notera qu’il existe aujourd’hui 62 écoles primaires Calandreta et 3 collèges, répartis dans 18 départements dans les régions Aquitaine, Auvergne, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côtes d’Azur. 213 professeurs des écoles y enseignent, pour un total de 3614 enfants scolarisés53 en 2016.

50 Direction générale de l’enseignement scolaire, 2006

51 Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République (1)

52 Programme de référence pour le développement de l’enseignement de la langue et de la culture occitane (2009-2015) de l’Académie de Toulouse

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A la suite de la création des écoles immersive et des circulaires Savary, les premières classes bilingues publiques voient le jour au début des années 1980 : classes bilingues breton-français (1982), classes bilingues basque-breton-français (1983) et classes bilingues occitan-breton-français en 1989. L’enseignement bilingue français/langue régionale est strictement encadré par nombre de textes, notamment en ce qui concerne la répartition horaire (nécessité de respecter strictement le principe de parité horaire entre les deux langues : 50% des enseignements en français, 50% dans la langue régionale)54. Depuis les circulaires Savary, plusieurs académies de l’Éducation nationale ont mis sur pied des systèmes d’enseignement bilingue français langue régionale qui sont maintenant également en plein essor. Cette forme d’enseignement est la limite des possibles voulus par l’Etat dans le domaine scolaire, l’immersion n’étant toujours pas reconnue. Les écoles Seaska, Bressola, Diwan et Calandreta et ABCM Sweisprachigkeit schule, parce qu’elles en font le choix, doivent se constituer en association pour exister. Elles peuvent, sous certaines conditions, passer sous contrat avec l’Etat, au bout de cinq ans d’existence. Elles bénéficient, en France, de l’appui de l’ISLRF (Institut Supérieur des Langues de la République Française), centre de recherche et de ressource sur l’enseignement immersif, qui coordonne la formation des enseignants au sein des cinq réseaux d’écoles immersives en France.

5.2.3 Calandreta : contexte institutionnel et choix pédagogiques

Les Calandretas sont des écoles associatives gérées par les parents d’élèves et les enseignants. Elles se définissent comme « un service public d’enseignement en occitan dans des établissements laïques où l’enseignement est gratuit (…) indépendant des organisations politiques, syndicales et religieuses. Pour mettre en œuvre son projet et pour le développer, Calandreta construit une collaboration effective entre les collectivités territoriales, les enseignants et les parents. » (Charte des Calandretas, article 2.2, consultable en annexe I). L’objectif des écoles est « de transmettre la langue et la culture occitane aux enfants en assurant leur scolarisation en occitan dès la maternelle (…) » (Charte des Calandretas, Article 1.1). Les conditions de cette transmission sont celles de l’ « immersion totale » (Article 1.3). Nous y reviendrons dans la section 5.3.

Chaque établissement, administré par sa propre association gestionnaire (constituée des parents d’élèves) est encadré par les Fédérations départementale et régionale des Calandretas qui œuvrent à la pérennité de chaque école tout en soutenant la création de nouvelles structures. Au niveau national, la Confédération des Calandretas garantit l’identité des écoles grâce à l’agrément qu’elle leur accorde, et exige le respect de sa Charte, qui définit notamment le projet pédagogique et linguistique des écoles. La Confédération est un organe de décision qui représente les écoles et les Fédérations auprès de l’Etat : c’est elle, en particulier, qui mène les négociations pour l’obtention de postes d’enseignants auprès du Ministère de l’Education Nationale pour les Calandretas ayant obtenu leur contractualisation. Qu’elles soient sous contrat d’association avec l’Etat ou non, les écoles appliquent les programmes scolaires en vigueur.

La formation des enseignants est assurée par APRENE, établissement d’enseignement supérieur occitan, situé à Béziers et fondé par la Confédération occitane des Calandretas en 1995, et par l’ISLRF (Institut supérieur des langues de la république française), auquel

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APRENE est affilié, fondé en 1997 par les cinq réseaux d’écoles en langue régionale (Calandreta, Seaska, Diwan, Bressola et ABCM Zweisprachigkeit Schule55). La formation initiale des professeurs de Calandreta dure trois ans, et alterne enseignements théoriques et stages pratiques. Elle est associée à une formation de Master Métiers de l’éducation et de la formation, encadrée par l’ISLRF, et conventionné avec une ESPE

Cette formation initiale se prolonge par des actions de formation continue.

Les enseignants travaillent dans leurs classes, à partir de la méthode Freinet (ou « techniques » Freinet), du nom de l’enseignant et pédagogue français (1896-1966) et de la pédagogie institutionnelle développée par Fernand Oury dans les années 1960.

Les techniques Freinet s’inscrivent dans le courant de l’Education Nouvelle, lui-même fondé sur les principes des méthodes actives, qui choisissent de rendre l’élève acteur de ses apprentissages, en partant de ses centres d’intérêts et en suscitant chez lui esprit de coopération et d’exploration. L’idée fondamentale de cette approche est que l’apprenant doit pouvoir se former non pas dans la perspective d’une accumulation de connaissances mais dans la réalisation de soi-même, de partir de ce qui fait du sens pour lui et afin de susciter l’envie d’apprendre. De façon concrète, l’enseignant favorise la découverte, l’expérimentation et suscite l’esprit de coopération. Il attache de l’importance à tous les domaines éducatifs (arts, sport…) et place l’apprentissage de la vie sociale au cœur de son projet pédagogique. Une classe Freinet est une classe dans laquelle les clivages entre les apprentissages faits en dehors de l’école et ceux du milieu scolaire sont restreints, et dans laquelle on privilégie la « manière naturelle » d’apprendre. C’est une classe atelier propice à l’expérimentation et à la mise en œuvre de projets comme le journal scolaire, la coopérative scolaire etc. Les enseignants mettent également souvent en place des correspondances en occitan avec d’autres écoles ou bien avec d’autres pays, pour permettre notamment l’exercice de l’intercompréhension entre langues romanes. On a là, bien sûr, un terrain propice à la découverte de réalités linguistiques nouvelles.

La pédagogie institutionnelle (théorisée par Fernand Oury, 1920-1997) est une pédagogie active très imprégnée des apports des sciences humaines de l’après Seconde Guerre Mondiale, et fortement marquée par les découvertes autour de l’inconscient et par les techniques Freinet. Elle s’oppose au modèle de « l’école assise » et constitue un ensemble de techniques, d’organisations, et de méthodes de travail nées de la praxis de classes actives. La P.I (pédagogie institutionnelle) réfute la structure verticale et autoritaire des relations maître-élèves, dont Oury dénonce la dualité et le caractère binaire : être supérieur à/inférieur à ; savoir/ne pas savoir, etc. Elle ambitionne de faire élaborer et respecter par les élèves les règles de vie de l'école tout en rendant celui-ci acteur de son apprentissage et citoyen de l’école. Le fonctionnement de classe repose donc sur une idée originale, celle qui place des « institutions » au cœur de la vie de groupe. Celles-ci structurent la vie de classe, rythment les apprentissages et régulent les échanges. Elles doivent fonder les apprentissages sur le désir d’apprendre et d’être élève. A titre d’exemple, parmi ces institutions tirées de la pédagogie institutionnelle, on trouve à Calandreta des rituels d’expression orale qui signalent la place laissée à la subjectivité de l’élève comme le « cossí vas ? » (« comment vas-tu ? »), le « qué de nòu ? (« quoi de neuf ? »), des techniques d’évaluation originales : las

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cintas (les ceintures, de comportement et d’apprentissage) ou encore des moments de régulation autogérés propres à la classe coopérative : lo conselh (le Conseil). De nombreux mémoires de Master, réalisés par des enseignants « Paissèls-ajudaires »56 de Calandreta et encadrés par APRENE, décrivent ces pédagogies et la façon dont elles sont pratiquées dans les classes (liste donnée en bibliographie). A l’occasion des 30 ans de la première Calandreta, un ouvrage conséquent sur la mise en œuvre de l’immersion en occitan a également été publié en 2010. L’ensemble de ces publications constitue un arrière-plan descriptif intéressant pour appréhender à la fois la réalité quotidienne des classes et l’historique du mouvement Calandreta.