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CHAPITRE 1 DES POLITIQUES LINGUISTIQUES EDUCATIVES AU DECLOISONNEMENT

1.3 Des orientations d’ordre didactique

1.3.1 Une perspective psycholinguistique sous-jacente

La conceptualisation de la notion d’éducation plurilingue a des incidences sur le plan didactique, ce que n’ignorent pas les auteurs du Guide, qui mettent en évidence les conséquences de la mise en œuvre, dans le domaine de l’enseignement des langues, d’une telle éducation. C’est l’objet de la troisième partie du Guide, intitulée « Forme

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d’organisation des enseignements et des apprentissages plurilingues », qui consacre deux chapitres à cette question.

En amont de cela, il existe un arrière-plan d’ordre psycholinguistique, qui provient de la définition qui est donnée du plurilinguisme comme compétence et que nous souhaitons mettre en évidence.

« Une autre conception du plurilinguisme le considère comme une compétence non exceptionnelle mais commune à tout locuteur. Cette compétence plurilingue peut demeurer à l'état de potentialité ou n'être développée que pour des variétés très proches de la langue première. Un des rôles des politiques linguistiques éducatives est alors de faire émerger cette potentialité à la conscience des locuteurs, de la valoriser comme telle et de l'étendre à d'autres variétés ». (Conseil de l’Europe, 2007a, p.39)

Ce qu’il faut prendre en compte, ce sont les caractéristiques de la compétence plurilingue et pluriculturelle. Comme on l’a vu, dans le CECRL, cette compétence est décrite comme « unique, complexe et composite » (Conseil de l’Europe, 2001, p.129). Les auteurs du Guide, lorsqu’ils interprètent le plurilinguisme en tant que compétence, (Conseil de l’Europe, 2007a p. 40) en font, quant à eux :

- une compétence d'acquisition : tout locuteur est potentiellement plurilingue en ce qu’il

est capable d'acquérir la maîtrise, à des degrés divers, de plusieurs variétés linguistiques, à la suite ou non d'un enseignement,

- un répertoire non nécessairement homogène : être plurilingue ne signifie pas maîtriser à un

haut degré un nombre impressionnant de langues, mais s'être créé une compétence d'utilisation de plus d'une variété linguistique, à des degrés de maîtrise non nécessairement identiques et pour des utilisations diverses,

- un répertoire évolutif : le degré de maîtrise des variétés du répertoire peut évoluer dans

le temps, de même que la composition de celui-ci,

- un répertoire de ressources communicatives dont le locuteur joue selon ses besoins propres,

- une compétence transversale aux langues maîtrisées.

Les notions de compétence plurilingue et de répertoire linguistique renvoient à une thématique acquisitionnelle qui n’est pas développée dans le Guide. Il n’empêche que les considérations d’ordre psycholinguistique sont bel et bien là : on les retrouve, en particulier, dans la façon, non cloisonnante, dont est envisagée la gestion du répertoire linguistique : on part du principe que « les variétés qui le composent ne demeurent pas abordées de manière isolée ». (Conseil de l’Europe, 2007a p.73). Candelier (2008, p.69) relève que « cette conception va dans le sens des modèles de l’acquisition des langues développés actuellement par la recherche psycholinguistique sur le plurilinguisme ». Nous leur consacrerons, dans le chapitre 2, le développement nécessaire à la poursuite de l’étude. Ainsi décrites, les caractéristiques du plurilinguisme justifient les orientations didactiques telles que les définit le Guide et que nous allons présenter. Ces orientations peuvent être résumées par rapport à la composante transversale de la compétence plurilingue, dont « on retiendra le caractère pédagogique qui invite à articuler les enseignements de langues les uns aux autres, en ce qu’ils sont susceptibles de mettre en jeu des compétences communes. (Conseil de l’Europe, 2007a p.40). L’articulation des enseignements entre eux permet de rendre les apprentissages linguistiques plus efficaces grâce à l’activation de la compétence plurilingue (ou, pour prendre les choses par l’autre bout, que la compétence plurilingue, à

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condition d’être activée par une articulation des enseignements entre eux, améliore les apprentissages).

1.3.2 Articuler les enseignements de langues

La notion d’articulation des enseignements de langues se constitue progressivement dans le Guide sous la forme d’un principe didactique qui se justifie par la nature de la compétence plurilingue.

Cette question apparait tout d’abord ponctuellement dans la première partie. Conformément au principe de prise en compte de la diversité linguistique, les auteurs du Guide considèrent que la mise en œuvre du plurilinguisme implique « le rapprochement,

comme base commune du développement des compétences en langues, des enseignements des langues nationales, régionales ou minoritaires, étrangères, des langues des signes et des langues classiques (…) ». (Conseil de l’Europe, 2007a, p. 42). On peut lire également :

« (…). Il convient d'assurer, de surcroît, une prise de conscience collective que le plurilinguisme constitue une valeur sociale et personnelle, de manière à passer à un plurilinguisme conçu comme forme de relation aux autres. Cela implique d'embrasser les enseignements de toutes les langues dans un même dessein éducatif et, entre autres, de ne plus considérer comme étanches les enseignements de la langue nationale et ceux des langues régionales, minoritaires ou des communautés de nouveaux arrivants (ibid, 2007a, p. 39).

La question de l’articulation des enseignements de langues est ensuite plus spécifiquement traitée dans la troisième partie du Guide(chapitre 6 : « Organiser l’éducation plurilingue », section 6.4 « Décloisonner les enseignements de langue »). Les recommandations se font plus prescriptives et abordent la question de l’organisation des enseignements de langues sous l’angle de l’innovation pédagogique. La question des curricula émerge alors clairement :

« Le projet plurilingue demande aussi la création de nouvelles formes d’organisation des enseignements. L'éducation plurilingue déborde en effet des cadres habituels du découpage scolaire des disciplines, de celui de rythmes scolaires, des cycles d’enseignement, de l’Ecole même. Sa mise en œuvre progressive requiert de la créativité collective, dans le domaine administratif, dans celui de la détermination des produits d’enseignement (définition des curriculums et des programmes), dans celui des « manières d'enseigner » à proprement parler ». (ibid, 2007a, p. 92)

Le « Guide pour le développement et la mise en œuvre de curriculums pour une éducation plurilingue et interculturelle » (désormais : Guide pour les curriculums), destiné aux personnes

ayant des responsabilités en matière de curriculum, est quant à lui entièrement consacré à la question des aménagements curriculaires à mettre en place dans le cadre de l’éducation plurilingue et interculturelle. Historiquement, on doit la rédaction de ce texte à la tenue du Forum de politique linguistique de 2007, dans lequel a été mise en évidence l’insuffisante prise en compte de l’éducation plurilingue et interculturelle dans les utilisations du Cadre Européen Commun de Référence pour les langues, dans lequel elle tient pourtant une grande place. Le Guide pour les curriculums s’articule avec le projet « Langues dans l’éducation - langues pour l’éducation » et a pour objectif « d’aider à une meilleure mise en œuvre des valeurs et principes de l’éducation plurilingue et interculturelle dans l’ensemble des enseignements de langue, qu’elles soient langues étrangères, régionales ou minoritaires, langues classiques ou langue(s) de scolarisation ». (Conseil de l’Europe, 2010, p. 7). Un

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élément clé de cette meilleure mise en œuvre repose sur des aménagements curriculaires spécifiques, que le document se propose de décrire. Ces aménagements sont envisagés dans la perspective de « l’économie curriculaire » :

« (…) le concept d’économie curriculaire gagne en importance. En décloisonnant différentes matières,

en les regroupant en aires disciplinaires, en coordonnant la progression des compétences à travers les différents enseignements et en formulant des compétences transversales dans le curriculum, on cherche à favoriser la cohérence entre les apprentissages, voire à entraîner les élèves de façon systématique aux transferts utiles de compétences d’une discipline à l’autre. Ces mesures de rationalisation concernent à la fois les articulations entre les langues en tant que disciplines (langues

étrangères20 vivantes et classiques, mais aussi langue(s) de scolarisation, langues minoritaires et de la migration), ainsi qu’entre les disciplines linguistiques et les autres ». (ibid, 2010 p. 15)

La notion de décloisonnement est à rapprocher de celle de transversalité, mais également de la notion d’« intégration » (des disciplines, des enseignements). Ces trois termes semblent la plupart du temps être utilisés de manière indifférenciée. Ils renvoient à une vision holistique de l’enseignement des langues, qui n’est plus seulement envisagé comme destiné à faire acquérir des compétences linguistiques dans la langue et pour la langue, mais considéré comme devant être ouvert sur d’autres disciplines, linguistiques ou non. On retrouve cette perspective dans le projet PlurCur (2012-2015), mené par le CELV dans le cadre de son soutien aux états membres dans la mise en œuvre de l’éducation plurilingue et interculturelle :

« L’élaboration d’approches scolaires holistiques à l’enseignement linguistique est un facteur important de la promotion de l’éducation plurilingue; susciter des synergies entre l’enseignement et l’apprentissage de la langue nationale/ régionale, les différentes langues étrangères et les autres langues présentes à l’école (…) ». 21

L’adjectif « holistique », qui réfère au fait de considérer quelque chose comme un tout, renvoie à la notion d’intégration : la perception élargie d’un objet d’étude, prenant en compte ses interactions avec son environnement, nécessite d’assimiler des éléments nouveaux qui permettent une reconfiguration de cet objet à partir de ce qui le constitue déjà. Mais ce n’est pas tout : l’approche holistique implique que tous ces éléments interagissent entre eux : sans les « synergies » dont il est question plus haut, l’adjectif holistique perdrait tout son sens.

C’est là tout l’enjeu de la mise en place de curriculums intégrés, seuls à même de permettre ces interactions. Ainsi, le Guide pour les curriculums estime que « (…) les objectifs lors de l’élaboration de curriculums doivent être à la fois spécifiques à l’enseignement d’une langue et de ses cultures et transversaux à différents enseignements » (Conseil de l’Europe, 2010 p. 8).

A l’échelle des enseignements de langue, on part du principe que « le cœur de l’éducation plurilingue et interculturelle réside dans les transversalités à établir entre les « langues comme matières scolaires » (Conseil de l’Europe, 2010 p. 9). Il est, ainsi, recommandé :

- de favoriser la coordination entre les enseignements dispensés pour permettre une meilleure cohérence et synergie entre les apprentissages linguistiques, que ce soit dans les

21 http://www.ecml.at/Thematicareas/PlurilingualEducation/Projects/tabid/1675/language/fr-FR/Default.aspx

24 langues étrangères, régionales, minoritaires ou classiques, dans la ou les langues de scolarisation ou encore dans les dimensions langagières de toutes les disciplines ; (…) - de développer la place accordée à la réflexion par les apprenants sur les composantes de

leur répertoire plurilingue, sur leurs compétences interculturelles, sur le fonctionnement des langues et des cultures et sur les moyens les plus efficaces de tirer profit de leurs expériences personnelles ou collectives d’utilisation et d’apprentissage des langues. (ibid, 2010 p. 21)

L’invitation faite par le Guide d’articuler les enseignements de langues les uns aux autres correspond, comme l’indiquent eux-mêmes les auteurs du Guide pour les curriculums, à des tendances actuelles dans les systèmes éducatifs qui, en s’orientant vers une plus forte intégration des disciplines littéraires ou scientifiques, « montrent la voie » (ibid, 2010, p. 21). Il ne faudrait pas croire, en effet, que les concepts utilisés dans les documents que nous avons présentés ont émergé en dehors de toute référence à un arrière-plan scientifique établi. Ainsi, à propos de la compétence plurilingue et pluriculturelle, « si le Conseil de l’Europe a été moteur dans le développement de cette orientation, celle-ci s’est construite et conceptualisée grâce à un certain nombre de travaux antérieurs qui ont, en quelque sorte, préparé le terrain de son émergence ». (Candelier et Castellotti, 2013, p. 300):

Avant de poursuivre, nous sollicitons l’attention du lecteur sur le schéma de la figure 3, qui résume l’ensemble de ce que nous avons développé depuis le début du chapitre

Figure 3 L’intégration comme principe des politiques linguistiques éducatives en Europe

Le principe d’intégration sur lequel se fondent les politiques linguistiques éducatives en Europe est à rattacher aux notions de plurilinguisme et d’éducation plurilingue. Au premier niveau, l’intégration répond à la prise en compte du multilinguisme et à l’objectif de préservation de la diversité linguistique, qui implique de considérer toutes les langues à égalité en termes de droits et en termes d’objets d’apprentissage/d’enseignement. Au second niveau, l’intégration est composée d’une dimension cognitive (on considère le plurilinguisme comme une compétence d’acquisition commune aux locuteurs, transversale

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à toutes les compétences linguistiques et englobant toutes les langues du répertoire) et d’une dimension curriculaire (l’éducation prend en compte toutes les langues de la diversité et organise leur enseignement de façon décloisonnée, à la fois entre elles et avec les disciplines non linguistiques). Ces deux dimensions sont liées, puisque c’est au nom du développement de la compétence plurilingue que l’on justifie l’intégration curriculaire. La possibilité d’une relation à double sens est ici à considérer, puisque, comme nous l’avons dit en 1.3.2, on peut s’interroger sur le fait que l’intégration curriculaire agisse sur l’intégration cognitive.