• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 5 QUEL TERRAIN POUR UNE ETUDE SUR LA COMPARAISON DES LANGUES?

5.3 Les langues à Calandreta

5.3.1 Eléments définitoires

Nous étudierons ici la place et les rôles respectifs joués par les différentes langues employées/et ou étudiées à Calandreta. La charte des Calandretas stipule que « dans chaque

établissement Calandreta, l’occitan est langue enseignante et langue enseignée57, tant à l’oral qu’à l’écrit ». (Article 3.1).

Nous proposons de mettre cette terminologie en perspective avec celle utilisée par la Plateforme de Ressources et de Références pour l’éducation plurilingue et interculturelle.

Figure 5 Statuts des langues de l’école selon la Plateforme de Ressources et de Références pour l’éducation plurilingue et interculturelle58

Les auteurs de la Plateforme font de la langue ou des langues de scolarisation le cœur du schéma et confèrent à celle-ci une acception très large qui recouvre la notion de langue enseignée : « Les langues enseignées sont premières ou secondes/étrangères pour les apprenants ; elles sont étudiées en tant que matière spécifique ou servent à l'apprentissage d'autres matières ».

A la lumière des notions telles que « langues comme matière », « langue comme discipline » abordées dans le chapitre 3, nous proposons le tableau suivant pour déterminer le statut des langues à Calandreta, contrasté avec ce que propose le schéma de la Plateforme.

56 Enseignants-tuteurs

57 C’est nous qui soulignons.

110 Mention dans la charte des Calandretas Plateforme de ressources et de références

« Langue(s) enseignée(s) » / « Langue(s) de scolarisation «Occitan Langue enseignée » « Langue comme matière » « Occitan Langue enseignante « Langue des autres matières »

Tableau 17 Statut déclaré des langues à Calandreta et Plateforme de Ressources et de Références pour l’éducation plurilingue et interculturelle : mise en perspective

5.3.2 Place de l’occitan

Les écoles proposent un enseignement en immersion en occitan dès l’entrée en petite section de maternelle. La charte énonce plusieurs principes à ce sujet :

« L’objectif de Calandreta est de transmettre la langue et la culture occitanes aux enfants en assurant leur scolarisation en occitan dès la maternelle. L’occitan enseigné dans une Calandreta est celui de sa zone dialectale. Chaque établissement Calandreta tient compte de la réalité de la pratique de la langue dans son environnement proche et participe aux actions en faveur de son épanouissement et de sa reconnaissance. ». (Article 1.1)

« (…) Calandreta emploie la méthode de l’immersion précoce dès la maternelle59 (…) ». (Article 3.1).

Pour la plupart des enfants, l’occitan est une langue inconnue qui va désormais devenir la langue de tous leurs apprentissages. Sur le modèle de FLSco (Français Langue de Scolarisation), nous parlerons en ce qui la concerne d’Occitan Langue de Scolarisation (OLSco). Elle est la langue d’enseignement des disciplines dites non linguistiques (DNL), mais également langue enseignée (langue comme matière) puisque des heures sont dédiées d’abord à son apprentissage en lecture et écriture puis, à partir du CP, sous différentes appellations selon les écoles : en général, « occitan » ou « estudí de la lenga » (étude de la langue). Les écoles bénéficient d’une grande liberté en matière d’insertion curriculaire (du point de vue de l’appellation). A notre connaissance, APRENE ne prescrit pas de directives précises à ce sujet.

Le principe de l’immersion n’exclut pas la présence d’autres langues enseignées. Ainsi, à la fin de l’article 3.4 de la Charte, il est question de mener une « éducation bilingue60 en immersion précoce ». Cela n’est pas sans nous interpeler. Que faut-il entendre par éducation bilingue dans le cadre d’un modèle immersif ? Nous souhaitons nous arrêter sur cette question afin d’appréhender au mieux la réalité de notre terrain et, pour ce faire, nous intéresser à la place des autres langues à Calandreta.

5.3.3 Place du français

La charte des Calandretas définit ainsi les modalités de l’enseignement du français :

« Les apprentissages se font en occitan d’abord, ensuite le français entre en classe après l’acquisition de la lecture en occitan, progressivement, pendant le cycle 2, de façon individualisée. Les heures de

59 Dans la charte, un appel de note fait, sur ce point, référence aux travaux de Lambert & Taylor et de Jean Petit

111 français en primaire à Calandreta sont planifiées ainsi chaque semaine : CE1 = 3 heures, CE2 = 4 heures, CM1 = 5 heures, CM2 = 6 heures. (…) » (Article 3.2)

Les écoles assurent la formation en français des élèves pour les amener, en fin de primaire, au niveau de compétences requis par les programmes nationaux en vigueur (socle commun de connaissances et de compétences pour la maîtrise de la langue française61). L’enseignement du français est pris en charge différemment selon les écoles, en fonction des possibilités de recrutement. Deux configurations sont possibles : soit l’enseignant responsable de la classe assure lui-même les heures de français, soit l’enseignement est pris en charge par un professeur dédié à cette matière. Cet enseignant peut alors être occitanophone, ou non. Ceci a son importance pour la suite de notre étude : en effet, d’un point de vue curriculaire, la prise en charge par deux professeurs différents de l’enseignement du français et de l’occitan (1 personne = 1 langue) n’est, a priori, pas un

contexte propice à la mise en relation des deux langues, plus encore si l’enseignant de français n’est pas occitanophone.

Les auteurs de la charte, dans l’article 1.4, parlent d’éducation bilingue au sujet des établissements Calandretas :

« Calandreta construit les conditions d’un bilinguisme véritable dès l’école maternelle, en immersion totale, pour donner à chaque enfant l’opportunité de bâtir de bonnes constructions cognitives. En élémentaire les calandrons62 apprennent à lire d’abord en occitan ».(Article 1.3)

« Une mission des établissements secondaires Calandreta est de valoriser le bilinguisme des enfants qui viennent du primaire (…) ». (Article 1.5)

La charte ne dit pas que les langues de ce bilinguisme sont l’occitan et le français. Implicitement, nous le savons, mais le français n’est nommé qu’une seule fois dans l’ensemble de la charte, en ce qui concerne le nombre d’heures assignées à son enseignement (cf. article 3.2), et non en tant que langue du bilinguisme de l’élève. Tout est donc question d’interprétation. Dans ces conditions, définir le français comme langue du bilinguisme des élèves (associée à l’occitan) est nécessairement lié à des présupposés, qui tiennent :

- au statut du français dans les programmes scolaires : langue officielle de scolarisation en France, dont un niveau de maîtrise est défini chaque année dans les programmes officiels nationaux

- au statut du français dans la biographie langagière des élèves : il est supposé que les enfants entrent à Calandreta en étant locuteurs du français.

Nous retiendrons que, quelle que soit l’appellation qu’on choisit de leur donner (langue de scolarisation, langue d’enseignement, langue enseignée, langue comme matière, langue des autres matières), l’occitan et le français sont les langues communes des élèves tout au long de leur scolarité à Calandreta.

61 Bulletin officiel spécial n°11 du 26 novembre 2015

112 5.3.4 Place des autres langues (LE)

La charte aborde cette question à plusieurs reprises.

« Ils [les enfants] cheminent vers les langues et les cultures romanes et toutes les autres, en s’appuyant sur l’occitan comme langue vertébrale (Article 1.4)

La notion d’une langue occitane « vertébrale » est propre à Calandreta, et profondément ancrée dans les représentations de ses acteurs. Elle repose sur l’idée que la connaissance d’une langue permet l’intercompréhension avec les autres langues de la même famille (dans le cas de l’occitan : espagnol, italien, portugais, etc.). En ce qui concerne les autres langues (« toutes les autres »), l’idée sous-jacente ici est d’un autre ordre : ce qui est ici implicitement abordé, est, semble-t-il, le fait que le bilinguisme des enfants soit une voie d’accès privilégiée à l’apprentissage d’autres langues.

Bien que n’ayant pas l’obligation d’enseigner une LE, du fait que les élèves apprennent déjà l’occitan, la charte des Calandreta est cependant favorable à cet enseignement : « L’apprentissage d’une troisième langue peut commencer à partir de la fin du cycle 2 du primaire » (Article 3.3)

Le plurilinguisme des élèves n’est, cependant, considéré comme « acquis » qu’en fin de secondaire :

« Une mission des établissements secondaires calandreta est de valoriser le bilinguisme des enfants qui viennent du primaire. Ce bilinguisme doit permettre d’arriver à un plurilinguisme en fin de 3ème

et de réussir le brevet spécial en occitan ». (Article 1.5)

Bien que sensibilisés à l’existence des autres langues romanes, et même s’ils suivent l’enseignement d’une LE, la caractéristique première des enfants du primaire reste, dans la charte, le bilinguisme, qui se construit dans la prise de conscience des différentes formes dialectales de l’occitan.

Tout ceci doit être mis en perspective avec ce qui se passe sur le terrain. A travers la charte, les responsables de Calandreta affirment des principes que les établissements doivent mettre en œuvre, accompagnés en cela par des responsables pédagogiques (APRENE). Concernant l’enseignement d’une LE, le principe énoncé dans la charte reste, on le voit, imprécis (3.3) : « l’apprentissage d’une troisième langue peut commencer à partir de la fin du

cycle 2 de primaire ». Chaque école s’organise comme elle le souhaite, et comme elle le peut : il n’existe pas, à Calandreta, de poste d’enseignant de langue, et aucune langue n’est imposée. Dans les faits, diverses situations se produisent :

- prise en charge de l’enseignement de la LE par l’enseignant responsable de la classe - prise en charge de l’enseignement de la LE par un intervenant extérieur

(professionnel ou bénévole) - pas d’enseignement de LE

Le choix de la langue ne fait pas non plus l’objet de prescription officielle. Il revient aux écoles de définir la langue qui sera enseignée, et ses modalités (durée, fréquence). APRENE, en revanche, recommande la mise en place dans l’emploi du temps des élèves d’un moment consacré à Familhas de lengas (nous y reviendrons en 5.4.3)

113 5.3.5 Evaluation des compétences en langues

En occitan, en français et en LE, quelles compétences linguistiques sont attendues chez les Calandrons de cycle 3 ?

Pour l’occitan, nous ne disposons pas d’information concernant les compétences attendues en production, en compréhension, à l’écrit et à l’oral. La charte ne définit pas le niveau de maîtrise à atteindre dans cette langue, et le bilinguisme n’est pas non plus défini, ni dans son acception la plus large (connaitre une deuxième langue, même partiellement) ni dans son acception la plus restreinte (maîtriser la deuxième langue aussi bien que la première). Seule la faculté en tant que telle est mentionnée. L’évaluation des élèves (en fin de CM2) est confiée au CFPO (Centre de Formation Professionnelle en occitan), qui pratique une évaluation de type sommative issue de la formation pour adultes. Les élèves sont évalués sur la base des compétences en langues requises pour un niveau A2 (CECRL, niveau dit de « survie »). La question qui se pose ici est celle de l’évaluation des compétences linguistiques des élèves issus des enseignements bilingues ou immersifs. En l’absence de référentiels en langue spécifiques, toute évaluation reste difficile. Dans le cas d’élèves ayant suivi toute leur scolarité dans une langue apprise par immersion, c’est le principe même d’évaluation par la certification (délivrance de diplômes en langues étrangères) qui peut être interrogé.

Pour le français, l’évaluation des acquis dans la langue se fait au regard des programmes officiels, par les enseignants.

Pour les langues étrangères, nous disposons de peu d’éléments. Lorsqu’une LE est enseignée, l’est-elle en référence aux programmes en vigueur ? (domaine 1 du socle commun : « Les langages pour penser et communiquer », partie langues vivantes63). Il s’agit d’une question à laquelle nous ne sommes pas en mesure de répondre, mais qu’il est important de se poser malgré tout.

En guise de synthèse de ces informations, nous proposons de reprendre le tableau précédent, qui instancie chaque statut établi en 5.3.1 par la /les langues concernées à Calandreta.

Statut Langue

Langue enseignée (langue comme matière) Occitan Français

Anglais, Espagnol Langue enseignante (langue des autres

matières/ DNL) Occitan

Tableau 18 Les langues à Calandreta

Les éléments présentés dans ce tableau seraient incomplets si l’on ne précisait pas que les écoles ont pour habitude de prendre en compte le plurilinguisme du terrain, notamment les biographies langagières des enfants et de leur familles, et les compétences diverses en langue des acteurs éducatifs. Ainsi, d’autres langues que celles figurant dans le tableau sont susceptibles d’être mobilisées par les enseignants.

114