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CHAPITRE 3 COMPARAISON DES LANGUES ET APPROCHES PLURIELLES

3.3 Enseignement bilingue et approches plurielles

3.3.1 Définir l’enseignement bilingue

Elaborer un développement synthétique concernant l’enseignement bilingue n’est pas chose facile, au vu de la somme de travaux qui lui sont consacrés. Pour y parvenir, nous limiterons les considérations d’ordre historique et nous resterons dans la dynamique des réflexions centrées sur le plurilinguisme, qui s’intéresse, tout particulièrement, à la place et au rôle des langues dans ce type de dispositif. L’enjeu est de pouvoir circonscrire ce que l’on appelle, aujourd’hui « enseignement bilingue » dans le contexte qui nous intéresse, celui de la France métropolitaine.

Pour définir l’enseignement bilingue, on partira de la définition de Candelier et Castellotti (2013, p.194) :

« On entend généralement par «enseignement bilingue » des modes de scolarisation dans lesquels tout ou partie des contenus disciplinaires sont dispensés dans au moins deux langues. Il ne s’agit donc pas seulement d’enseigner plusieurs langues, mais d’enseigner dans plusieurs langues (…) ».

Le paramètre de la langue d’enseignement est à l’origine de la grande diversité des situations que recouvre l’enseignement bilingue, comme le montrent les quelques exemples fournis par Candelier et Castellotti (2013, p.194-195)

« (…) c’est le cas par exemple des classes bilingues francophones dans un certain nombre de pays, des classes européennes en France, des classes bilingues à horaire partagé en langues régionales, de l’enseignement interculturel bilingue en Amérique latine, etc. et de ce qu’on nomme plus généralement EMILE dans l’espace francophone et CLIL dans l’espace anglophone (…) »

Le paramètre de la répartition du temps consacré à ces langues intervient également avec beaucoup de poids dans la description des différentes formes possibles d’enseignement bilingue. Nous y reviendrons.

La détermination des langues impliquées dans l’enseignement bilingue dépend profondément des politiques linguistiques nationales, elles-mêmes influencées par les contextes sociolinguistiques. Ó Riagáin et Lüdi (2003), auteurs du document « Eléments pour une politique de l’éducation bilingue », édité par le Conseil de l’Europe, rappellent

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l’importance de ces paramètres dans la constitution des finalités de chaque dispositif d’enseignement bilingue. Selon eux, « toutes les formes d’enseignement bilingue ne sont

pas forcément adaptées à tous les objectifs possibles, ou à tous les contextes sociaux. Pour faire le choix d’une politique précise, les responsables politiques devront peser les avantages et les inconvénients de l’enseignement bilingue en regard de leurs objectifs propres. Le tableau ci-après illustre certains de ces choix » :

Forme d’ensei-gnement Objectif Unilingue L1 en tant que langue d’enseignement L2 en tant que matière Immersion partielle L1 et L2 en tant que langues d’enseignement Immersion totale L2 en tant que langue d’en-seignement L1 en tant que matière Submersion L2 en tant que langue d’enseignement Aucun statut pour la L1

Transitoire Non adapté Meilleur moyen

d’allier l’acquisition d’une L2

dominante et le renforcement de la L1, en tant que soutien aux élèves les plus jeunes

Bon moyen, pour des élèves PLUS AGES, d’acquérir une L2

dominante mais sur la base d’une vision unilingue de la société. Non adapté au niveau précoce / primaire Non adapté

Maintien Efficace pour le

maintien de la L1, mais fondé sur une vision unilingue de la société – donc incompatible avec les normes du Conseil de l’Europe Meilleur moyen d’associer le maintien d’une L1 moins enseignée et l’apprentissage de langues vivantes dans le cadre scolaire

Non adapté Non adapté

Enrichissement Pas très efficace Meilleur moyen d’étudier des langues vivantes dans le cadre scolaire Bonne expérience lorsque la L1 (sous sa forme courante et écrite) jouit d’une forte présence dans le contexte social

Non adapté

Tableau 3 Quatre formes d’enseignement par objectifs (Ó Riagáin et Lüdi, 2003)

Si l’on croise ces catégories avec la définition de l’enseignement bilingue que nous avons utilisée comme point de départ (« mode de scolarisation dans lequel tout ou partie des contenus disciplinaires sont dispensés dans au moins deux langues », Candelier et Castellotti, 2013), on voit que seule l’immersion partielle peut être considérée comme un type d’enseignement bilingue. Les catégories proposées par Ó Riagáin et Lüdi serviront

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comme point de départ à notre réflexion, avec pour objectif la définition de ce que nous entendrons par enseignement bilingue dans le cadre de notre étude.

Ces catégories sont utiles, pour, dans un premier temps, mettre en avant le fait que l’enseignement bilingue et l’immersion entretiennent des rapports étroits. L’historique de l’enseignement immersif est fortement lié au contexte canadien, avec le développement de cursus scolaires en français (voir par exemple Calvé 1991). Nous retenons la définition de Pellerin (2008, p.307), qui le définit comme « une approche pédagogique de L2n33 qui préconise avant tout l’apprentissage d’une langue cible dans un contexte qui ressemble le plus à un apprentissage naturel ». Dans la mesure où l’on vise la reproduction des conditions d’acquisition « naturelles », le démarrage de la L2 a lieu en général tôt dans la scolarité (on parle d’immersion précoce).

Cette « approche pédagogique » ne détermine pas, en soi, la place et le rôle accordés à la L1, d’où les différentes possibilités inventoriées par Ó Riagáin et Lüdi. Dans certains cas, l’immersion peut conduire « à une séparation stricte entre les langues » (Aymonod et al., 2006, p.33), voire à la submersion lorsque la L1 est privée de statut (voir tableau ci-dessus). Duverger (2007, p.82) estime pour sa part qu’ « un dispositif bi-plurilingue n’est pas un dispositif d’immersion, il ne consiste pas à conduire des cours entièrement en L2 ».

La citation de Duverger nous amène à devoir établir une distinction claire entre les considérations portant sur les langues en tant qu’objets d’apprentissage et celles qui les appréhendent en tant que moyens d’enseignement de ce qu’on appelle les DNL (« disciplines non linguistiques » comme l’histoire, etc.). Indépendamment de toute politique de mise en relation entre les langues, l’enseignement bilingue se caractérise, d’abord, par les choix qu’il fait concernant sa façon de prendre en charge l’enseignement de la L1 et de la L2 et l’enseignement en L1 et en L2. Ces choix sont déterminants pour la formation linguistique des élèves, susceptible de varier énormément d’un enseignement bilingue à l’autre.

On ne peut faire l’économie de s’interroger sur ce que recouvre, dans le contexte de l’enseignement bilingue, les notions de L1 et de L2. Y répondre implique de prendre en compte le fait que les choix linguistiques opérés pour définir des formes scolaires sont toujours en lien avec des questions relevant des politiques linguistiques. Ainsi, si l’on s’en tient au contexte français, qui nous intéresse, l’opposition tracée entre le modèle « unilingue » (L1 en tant que langue d’enseignement et L2 comme matière) et le modèle de la submersion (L2 en tant que langue d’enseignement et pas de statut pour la L1) ne peut se comprendre qu’à travers la prise en compte d’éléments d’ordre socio-historique. Le modèle de la submersion correspond à ce qu’a vécu, sous la 3ème République et jusqu’au milieu du 20ème siècle, des générations d’enfants locuteurs du breton, de l’occitan, du basque, etc. ayant dû renoncer, sur les bancs de l’école, à l’usage de leur L1 au profit du français. Ces langues (le breton, l’occitan…) sont, aujourd’hui, réintroduites dans l’enseignement en tant que « langues régionales » (cf. 1.1.4) selon différentes modalités que nous exposerons dans le chapitre 5. En prenant en considération le statut de ces langues dans la société et leur place dans l’institution scolaire d’aujourd’hui, on fera remarquer, pour la France hexagonale, que :

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- le modèle unilingue a remplacé celui de la submersion puisque le français, langue nationale, est à présent établi officiellement comme langue d’enseignement sur la totalité des matières34.

- le modèle de l’immersion partielle organise l’enseignement à la fois dans la langue nationale et dans des langues jadis exclues par le modèle fondé sur la submersion (c’est le cas cursus bilingues publics à parité horaire occitan ou français-breton par exemple)

- le modèle de l’immersion totale organise quant à lui la totalité de l’enseignement dans l’une de ces langues (écoles Diwan pour le breton, Calandreta pour l’occitan, Ikastola pour le basque…)

Dans ces conditions, on pourra se demander en quoi le modèle de l’immersion totale est-il différent du modèle unilingue. Dans la mesure où ces dispositifs organisent la totalité de l’enseignement dans une seule langue, est-il utile de les différencier, et si oui, sur quels critères ? Peuvent-ils être qualifiés de « bilingues » ?

En ce qui nous concerne, nous estimons, premièrement, que le modèle unilingue (aujourd’hui le plus répandu en France), et le modèle de l’immersion totale (beaucoup plus rare) ne peuvent être confondus. Conformément à l’importance que nous accordons à la prise en compte du contexte socio-politique, nous considérons que le dispositif organisant la totalité de l’enseignement dans une langue minorisée ne peut être qualifié d’unilingue dans la mesure où sa finalité est de permettre aux enfants d’acquérir, dès leur plus jeune âge, un second code. On qualifiera cet enseignement de bilingue, non pas en vertu d’une répartition des enseignements dans au moins deux langues, mais au regard du bilinguisme auquel il forme les élèves. Cette définition converge avec la proposition de Gajo (2011, p.56) qui voit en l’enseignement bilingue l’« enseignement complet ou partiel d’une ou de diverses disciplines non linguistiques (DNL) dans une langue seconde d’enseignement ». En France, l’enseignement bilingue se présente, donc, sous deux modalités : l’immersion partielle et l’immersion totale. Pour résumer ici ce qui sera abordé plus amplement dans le chapitre consacré à la description de notre terrain de recherche, nous dirons que la configuration de l’immersion partielle est mise en œuvre dans les écoles publiques dispensant un enseignement en langue régionale à parité horaire avec le français, tandis que la seconde est organisé au sein d’écoles associatives, dans lesquelles l’enseignement se fait entièrement dans la L2, qui est la langue régionale « locale ». En France métropolitaine, le « tout en L2 » n’existe que dans le cas de l’immersion en langue régionale, qui concerne l’alsacien, le basque, le breton, le catalan et l’occitan. Le français y bénéficie d’un enseignement spécifique, en tant que matière.