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CHAPITRE 3 COMPARAISON DES LANGUES ET APPROCHES PLURIELLES

3.3 Enseignement bilingue et approches plurielles

3.3.4 Enseignement bi-plurilingue et comparaison des langues : quelles mises en œuvre ?

3.3.4.1 L’enseignement bilingue : didactique intégrée ou approche plurielle à part entière ?

On a établi que l’enseignement bilingue pouvait être considéré comme une approche au sens large du terme, en tant que façon de considérer les langues et d’agir sur elles. Cette approche, dans la mesure où elle favorise la mise en relation des langues entre elles, peut être qualifiée de plurielle. Une fois cela résolu, la question que nous souhaitons considérer est la suivante : s’il est pluriel, l’enseignement bilingue constitue-t-il une approche plurielle à

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part entière ou bien fait-il partie d’une approche plurielle déjà existante ? Cette question est importante à régler pour pouvoir appréhender la façon dont la comparaison des langues peut être mises en œuvre dans l’enseignement bilingue.

La plupart des auteurs semble converger vers un rattachement de l’enseignement bilingue à la didactique intégrée des langues. De toute évidence, si la L1 et la L2 sont mises en relation, il y a bien articulation des langues du curriculum entre elles. Ainsi, les auteurs du CARAP (2010, p.6) affirment qu’on retrouve la didactique intégrée « (…) dans certaines modalités d’éducation bilingue (ou plurilingue) qui ont le souci d’optimiser les relations entre les langues utilisées (et leur apprentissage pour construire une véritable compétence plurilingue ». Affirmation réitérée en 2012 dans le document « compétences et ressources » du CARAP « (…) certaines approches de l’enseignement bilingue (…) peuvent relever de la didactique intégrée ». De Pietro (2014, p.232) va au-delà en stipulant que « les formes d’enseignement bilingue (…) s’approchent encore plus d’une maîtrise actionnelle dans la langue-culture cible » que les autres types de didactique intégrée.

Mais certains éléments viennent, selon nous, contrebalancer cette unanimité. On rappelle, en effet, que la didactique intégrée consiste à rapprocher les langues selon le principe de prendre appui sur le connu (la L1) pour aborder l’inconnu (les LE). Dans la mesure où, dans certaines formes d’enseignement bilingue, le démarrage de la L2 se fait le plus tôt possible (en général dès le début de la scolarisation, et dans des conditions d’acquisition les plus naturelles possibles : voir plus haut, 3.3.1.2), ce principe n’a pas toujours lieu d’être. On s’en remettra, pour conclure sur cette question, à Candelier et Shröder-Sura (2015, p.13) :

« Que ce soit comme variété de didactique intégrée ou comme approche plurielle spécifique, l’éducation bilingue mettant les langues en contact a toute sa place, avec ses spécificités, au sein des approches plurielles. C’est cela l’essentiel ».

3.3.4.2 Rôle de la didactique intégrées, de l’intercompréhension et de l’éveil aux langues

Dans la mesure où, on l’a vu, les trois approches plurielles « de référence » ne s’excluent pas mutuellement, peuvent-elles intervenir dans un dispositif bilingue? Si oui, comment ? D’autres approches telles que la didactique du détour ou la traduction peuvent-elles y être également pratiquées ?

Nous synthétisons ici ce que nous avons développé précédemment. 1) Si l’enseignement bilingue est pluriel, c’est parce qu’il met la L1 et la L2 en relation à travers leur comparaison. 2) Ce principe, s’il est appliqué, fait que l’on peut considérer l’enseignement bilingue comme un enseignement pluriel, voire comme une forme de didactique intégrée des langues. Mais : cela ne nous dit rien des moyens de cette mise en relation. Nous considérons que ces moyens ne sont autres que l’éveil aux langues, l’intercompréhension, la didactique du détour et la traduction : ces approches constituent les mises en œuvre concrètes du rapprochement entre les langues qui font que l’enseignement bilingue peut être qualifié de pluriel. Le tableau ci-dessous récapitule les possibilités d’insertion des approches plurielles évoquées dans ce chapitre au sein d’un enseignement bi-plurilingue.

78 Enjeu d’accès au sens Langues comme matière Langues comme moyens

d’enseignement des DNL

Oui Intercompréhension

Traduction Intercompréhension Traduction

Non Eveil aux langues

Didactique du détour

Tableau 4 Intégration des approches plurielles dans l’enseignement bilingue

Nous souhaitons montrer ici que toutes les approches plurielles classées dans notre typologie des approches plurielles (hors traduction) trouvent leur place dans l’enseignement bilingue, en particulier dans le cadre des cours de langue où elles peuvent toutes être mobilisées, que ce soit pour travailler spécifiquement les compétences en L1 et en L2 (didactique du détour), ou pour initier les élèves au fonctionnement d’autres langues, sans enjeu d’accès au sens, et avec l’appui de la diversité linguistique (éveil aux langues et didactique du détour). Ce tableau met par ailleurs en évidence le fait que l’intercompréhension peut intervenir également dans le cadre d’un cours de DNL, où l’enseignant peut être amené à mobiliser des concepts dans d’autres langues que celle du cours, et ceci même si dans le cas de l’immersion totale, où seule la L2 est, a priori, utilisée

comme moyen d’enseignement. En effet, on ne peut jamais exclure que, dans le cadre du cours, la L1 soit mobilisée afin d’expliciter le sens d’un terme donné en L2, réfléchir sur une étymologie commune, etc.

Comment, dans le contexte français (métropolitain), ces approches plurielles peuvent être intégrées dans l’enseignement bilingue ? Nous avons exposé en 3.3.1 que celui-ci se présente sous deux modalités : l’immersion partielle et l’immersion totale.

Il nous semble que ce qui est susceptible d’orienter les choix institutionnels vers telle ou telle approche plurielle tient beaucoup aux langues elles-mêmes. Lorsque la L1 et la L2 sont proches (par exemple, l’occitan et le français), l’enseignement bilingue se révèle un terrain particulièrement propice au développement de compétences en intercompréhension, dans le cadre de ce que Fonseca (2012, p.4) appelle un cursus bilingue en langues proches. Un tel travail participe de toute évidence pleinement à l’éducation plurilingue, par sa contribution à la formation plurilingue des élèves (voir le chapitre 1).

L’éducation au plurilinguisme, autre composante de l’éducation plurilingue, est un défi que l’enseignement bilingue a toutes les chances de pouvoir relever, d’abord, par la nature même du duo formé par la L1 (le français) et la L2 (langue régionale). Cette dernière n’est pas n’importe quelle langue : sa présence même au sein d’un enseignement bilingue, officiel, reconnu, voire administré par l’état est, en soi, une histoire dans l’histoire, qui s’écrit aujourd’hui sous des auspices bien plus heureux que ceux connus jusqu’alors (voir à ce sujet, entre autres Puren et Cortier, 2008). Ainsi en est-il de l’expérience du groupe INRP de l’IUFM de Toulouse « Maîtrise du français et familiarisation avec d’autres langues ». Reposant sur l’hypothèse selon laquelle « une situation scolaire bi-lingue, voire pluri-lingue est de nature à favoriser la construction de savoirs métalinguistiques » (Charmeux, 1992, p.155), la recherche montre comment la découverte des langues de la diversité s’est ancrée dans la mise en œuvre, au préalable, de « conduites comparatives » (Charmeux, 1992, p.156) centrées sur l’occitan et le français. L’expérience, conduite dans une Calandreta Toulousaine, rend compte de l’intérêt de mener des projets de découverte

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des langues pouvant aboutir à un travail approfondi de comparaison des fonctionnements linguistiques, en partant des langues du bilinguisme des élèves, héritières d’un long passé diglossique mais qui, mises en relation dans une perspective comparative, s’avèrent fécondes en termes de construction de « savoirs métalinguistiques plus précoces et plus profonds » et permettent de « transformer les situations diglossiques (…) en bi- ou pluri-linguisme positif (..) ». (Charmeux, 1992, p.171).

Ensuite, l’éducation au plurilinguisme peut être prolongée par l’introduction d’une approche plurielle comme l’éveil aux langues, par les possibilités qu’elle offre en termes de réflexions sur le statut des langues, de valorisation la compétence plurilingue quelles que soient les langues qui la composent, etc.

L’enseignement bilingue est concerné, au même titre que l’enseignement monolingue, par les projets visant à articuler les approches plurielles avec le reste des enseignements, comme l’indiquent les auteurs du CARAP (2012, p.735): « (…) on peut combiner enseignement de disciplines non linguistiques avec une approche de type éveil aux langues ou une approche relevant de l’intercompréhension entre langues parentes ». Ces approches sont susceptibles de trouver en l’enseignement bilingue ce que Castellotti et Moore (2005, p.130) appellent un « contexte favorisant », dans lequel « les bi-/plurilingues (…) usent de savoirs d’appui dans la découverte et la manipulation des faits langagiers dont la plus grande disponibilité favorise à la fois la stimulation d’hypothèses sur les fonctionnements linguistiques, et leur mise en oeuvre dans des environnements diversifiés »