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CHAPITRE 7 ANALYSE DES PRATIQUES DECLAREES DANS L’ENQUETE EN LIGNE

7.3 Résultats pour les représentations

7.3.1 La comparaison des langues, de quoi s’agit-il ?

Cette question, (Q13 : « A votre avis, en quoi consiste une activité de comparaison des langues ? ») par laquelle nous choisissons de commencer pour l’analyse des représentations, apparait tardivement dans le questionnaire. Cela était volontaire : nous ne souhaitions pas la poser trop tôt afin ne pas « enfermer » d’emblée les enseignants dans une définition, fût-elle la leur, avant d’avoir pu les interroger sur leurs pratiques. Il s’agit d’une question importante, à laquelle nous consacrerons un large développement. Telle que formulée, la question incitait les enseignants à décrire librement ce que signifie pour eux comparer les langues avec les élèves. Nous avons délibérément choisi d’aborder la question en termes d’ « activité », afin de les inciter à décrire les tâches effectuées. En d’autres termes, la question était « que fait-on dans une activité de comparaison des langues ? »

Il apparait qu’une partie seulement des réponses est en relation directe avec la question posée, et prend en compte le verbe de la question : « en quoi consiste une activité de

comparaison des langues ? ». Un premier tri parmi les réponses a donc dû être opéré, afin

de distinguer celles répondant à la question posée (réponses « conformes ») et celles n’y répondant pas (réponses « non conformes », ne décrivant pas ce que l’on fait dans une activité de comparaison des langues).

- exemple de réponse conforme : « voir les similitudes de construction et les différences, les observer et les remarquer afin de structurer mieux chaque langue » (répondant n°1)

- exemple de réponse non conforme : « une langue nous aide à mieux comprendre l'autre » (répondant n°25)

La distinction entre ces deux types de réponses repose sur une analyse interprétative et personnelle de leur contenu, faite au regard de ce que nous estimons être la conformité dans le contexte précis de cette question (décrire ce qu’est une activité de comparaison des langues). Ce travail de tri s’est avéré compliqué du fait que de très nombreuses réponses sont composées à la fois d’éléments « conformes » et « non conformes ». Nous inspirant des travaux du CARAP, (élaboration de leur référentiel de ressources autour de savoirs, savoir-être et savoir-faire), nous avons choisi de traiter le contenu des réponses comme un ensemble de descripteurs, composés de « prédicats » et d’« objets » :

« Nous considérons que nos descripteurs (…) peuvent être décomposés en

- un « prédicat » (nominal ou verbal), qui relève des savoirs (connaitre, savoir que…), des savoir-être (ouverture, respecter, attitude critique, avoir confiance…) ou des savoir-faire (savoir identifier, savoir comparer, maîtriser, savoir tirer profit…)

151 - un « objet » sur lequel s’applique le contenu du prédicat : la composition de quelques familles de langues, les langues peu valorisées, les emprunts, la diversité, un mot semblable à celui d’une langue qu’on connait, les réalités étrangères, les préjugés, les rapports phonie-graphie… » (CARAP, 2010, p.26)

Nous ferons nôtres, également, les précautions prises par les auteurs du CARAP :

« Il ne s’agit pas ici pour nous de proposer une analyse logico-sémantique exhaustive et précise des descripteurs, mais de fournir une base approximative (…). Nous sommes conscients de l’existence d’autres éléments, tels que ceux qui précisent les modalités du savoir-faire et dont l’appartenance au « prédicat » ou à « l’objet » devrait être explicitée ou discutée (dans différentes situations, selon les situations, entre langues différentes, à bon escient…) ainsi que de celles de descripteurs dans lesquels « l’objet » n’est pas exprimé » (CARAP, 2010, p.26)

Le contenu informatif fourni par les descripteurs des 31 réponses (prédicats et objets) nous a permis de dégager cinq catégories thématiques, qui représentent ce sur quoi les enseignants se sont exprimés en répondant à la question. Une catégorie « autre » englobe les éléments de réponse inclassables dans l’une ou l’autre thématique mais ne justifiant pas l’existence de catégories supplémentaires (une seule réponse est concernée).

Catégorie Nombre de descripteurs

identifiés 1 Ce que l’on fait dans une activité de comparaison des langues 15

2 Ce que permet la comparaison des langues (finalité) 19

3 Démarche adoptée en comparaison des langues 6

4 Supports pour la comparaison des langues 3

Tableau 39 Répartition des descripteurs dans les catégories

15 réponses sur 31 sont composées d’éléments pertinents pour l’analyse, autrement dit de descripteurs que nous avons jugés conformes à la question posée : il s’agit des réponses situées dans la catégorie 1. Ces 15 réponses relèvent soit exclusivement de cette catégorie (5 réponses au total), soit partiellement (10 réponses au total : réponses dont les descripteurs concernent également les thématiques 2, 3 et 4). Enfin, 16 réponses, composées exclusivement d’éléments non conformes, ne rentrent pas dans la catégorie 1. Ce premier tri permet de mettre en évidence plusieurs choses. D’une part, la difficulté qu’ont rencontrée les enseignants à répondre à la question que nous leur avons posée. Il est probable que cela tient en partie à la formulation que nous avons adoptée. Une autre façon de poser la question comme « A votre avis, que fait-on dans une activité de comparaison des langues ? » aurait sans doute été mieux comprise. D’autre part, il nous parait remarquable qu’un nombre élevé d’enseignants (19) aient interprété le verbe « consiste » en termes de finalité et se soient projetés dans une perspective permettant de justifier le fait même de comparer les langues.

152 7.3.1. 2 Traitement des données pour les éléments conformes

Pour l’heure, dans le cadre précis de l’analyse de la question Q13, nous porterons notre attention sur les 15 descripteurs composant la première catégorie : « ce que l’on fait dans une activité de comparaison des langues », en analysant le contenu informatif fourni par les prédicats et les objets qui composent les réponses. Nous avons obtenu une liste de 21 prédicats (tous verbaux, sauf un) et de 17 objets. Les éléments cités au moins deux fois sont notés en gras.

Ce que l’on fait dans une activité de comparaison des langues PREDICATS

(21 items fournis) Thématique « contraster » OBJETS D’ETUDE

(8 items fournis) Thématique « analyser » (9 items fournis) Attirer l’attention (1)

Chercher (1) Comprendre (3) Détecter (1)

Ecouter (des langues) (1) Elaborer (1)

Faire la correspondance (1) Faire ressortir (1)

Marche (comment ça marche) (1)

Mettre en évidence (1) Mettre en exergue (1) Mettre en relief (1) Observer (1) Parler (des langues) Recherche (1) Remarquer (2)

S’appuyer (sur les deux langues) (1) Structurer (1) Travailler en parallèle (1) Trouver/trouvant (2) Voir (2) Différence(s) (9) Dissemblances (1) Equivalences (1) Points communs (3) Ressemblance(s) (1) Semblances (1) Spécificités (2) Similitudes (6) Exception (1) Construction (3) Mécanisme (1) Organisation (1) Passerelles (1) Notion (1) Structure (syntaxique et grammaticale) (1) Règle(s) (2) Régularité (1)

Tableau 40 Liste des descripteurs pour Q13 (prédicats et objets)

On constate le grand nombre de descripteurs mobilisés par les enseignants, tant du côté des prédicats que des objets.

Prédicats

Les enseignants ont utilisé un grand nombre de verbes différents. Nous n’avons pas jugé bon de classer les prédicats dans les mêmes sous-ensembles que les objets dans la mesure où le sens de chaque prédicat est dépendant de l’objet auquel il est rattaché et peut varier selon celui-ci. Par exemple, le prédicat « faire ressortir», dans la réponse dont il est issu, est rattaché à l’objet « similitude», mais, dans l’absolu, rien ne l’empêche d’être associé à un objet relevant du fonctionnement de la langue comme « règle » ou « exception ».

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L’autonomie des prédicats par rapport aux objets nous semble trop limitée pour pouvoir créer des sous-ensembles basé sur le contenu sémantique du seul prédicat. Il s’agit là d’une situation décrite par les auteurs du CARAP lors de l’élaboration de leur référentiel de ressources, organisé autour de listes de prédicats verbaux :

« On attend d’une liste de catégories que les éléments qui la composent soient mutuellement exclusifs les uns des autres : chaque catégorie qui la compose devrait être clairement distincte des autres catégories (…). L’idéal de l’exclusivité mutuelle semble bien irréalisable pour les prédicats dont nous traitons, dans la mesure où les opérations, modes de connaissance et manières d’être / attitudes auxquels ces prédicats renvoient (observer, analyser, savoir, savoir que, respecter, être disposé à…, etc.) ont une autonomie très relative les unes par rapport aux autres » (CARAP, 2010, p. 27)

Par ailleurs, comme pour les auteurs du CARAP, la question de l’exclusion / inclusion mutuelle de ces prédicats entre eux s’est posée pour nous. Les prédicats utilisés présentent pour la plupart des liens de synonymie : « attirer l’attention »/ « faire ressortir »/ « mettre en évidence »/ « mettre en exergue »/ « mettre en relief » ou encore « remarquer »/ « observer » mais également des liens d’inclusion, qui, finalement, rendent difficile la description des opérations impliquées dans une activité de comparaison des langues. En effet, pour faire ressortir ou mettre en exergue quelque chose, ne faut-il pas, dans un premier temps, l’avoir remarqué? Or, c’est bien ce que les auteurs du CARAP illustrent à

propos de deux descripteurs particulièrement pertinents pour notre propos : « identifier » et « comparer » :

« A première vue, ces opérations semblent bien distinctes. Cependant, si l’on considère (…) qu’identifier un objet revient à constater :

- soit qu’un objet et un autre objet sont le même objet

- soit qu’un objet appartient à une classe d’objets ayant une caractéristique commune, on constate qu’il y a toujours une opération de comparaison sous-jacente à une opération d’identification » (CARAP, 2010, p. 28).

Bien qu’ayant renoncé à classer les prédicats de nos réponses, il ne nous a pas échappé qu’ils ne se situaient pas tous sur le même plan. En effet, en termes d’opérations, « détecter » n’est pas « élaborer », qui n’est pas « mettre en relief », qui n’est pas « parler », etc. Suivant, encore une fois, les auteurs du CARAP, nous nous référerons à D’Hainaut (1977), pour qui les opérations comme analyser, synthétiser, comparer...relèvent d’une « démarche intellectuelle ». Nous dirons qu’à quelques exceptions près (« écouter »), l’ensemble des opérations citées par les enseignants à la question 13 pour définir ce qu’est une activité de comparaison des langues se situent précisément dans cette perspective. Dans l’ensemble, émerge l’idée d’une recherche contrastive opérée à partir d’éléments formels qu’il s’agit de corréler au fonctionnement des langues, à des fins de compréhension de celle-ci. La démarche d’analyse recouvre tout ce processus, de la prise d’indice à l’exploration des langues en tant que système.

Que ce soit pour les objets comme pour les prédicats, nous conclurons en disant que les réponses fournies par les enseignants convergent avec la description des démarches de comparaison proposée par le CARAP pour le savoir-faire « savoir comparer » :

154 « Savoir établir des mises en relation de ressemblance et de différence entre °les langues / les cultures° à partir de °l’observation / l’analyse / l’identification / le repérage° de certains de leurs éléments » (CARAP, 2010, p.98.

Objets

Les objets du premier sous-ensemble sont liés par un double rapport, à la fois de synonymie et d’antonymie. On peut, en effet, identifier des groupes de mots comme : « équivalences » / « points communs » / « ressemblances » / « semblances »72 d’une part et « similitudes » et « différences », « dissemblances » d’autre part, dont les éléments sont synonymes entre eux tout en étant antonymes des éléments de l’autre groupe (« ressemblance » / « différence »). On voit clairement la prédominance des termes « différences » (cité 9 fois) et « similitudes » (cité 6 fois). Considérés dans leur globalité, ces descripteurs s’intègrent dans le premier sous-ensemble « contraster ». On y perçoit, de façon sous-jacente, le fait qu’un travail de prise d’indices sur les aspects formels de la langue s’y opère : observation et description de ressemblances morphologiques, graphiques, sonores…

Les objets du deuxième sous-ensemble ne présentent pas de liens sémantiques de type synonymie ou antonymie aussi marqués que dans le premier groupe. S’y perçoit, de manière implicite, l’idée de procéder à une analyse grammaticale des langues en présence, sans que le mot « grammaire » soit néanmoins utilisé. Dans ce sous-ensemble, on relèvera la particularité du terme « passerelle », qui relève d’une terminologie propre aux enseignants de Calandreta, et fait référence au fichier Palancas: Les passerelles sont les correspondances

orthographiques de passage d’une langue à l’autre à faire découvrir aux enfants (exemple : batèl [oc] /bateau [fr] ; mantèl [oc] /manteau [fr]). Une occurrence équivalente

sémantiquement à « passerelle » est le prédicat « Faire la correspondance ». Ces deux termes illustrent la complémentarité des deux sous-ensembles, à savoir le fait que la réflexion sur le fonctionnement des langues dont on vise la comparaison repose, au préalable, sur la prise d’indices formels. Dans l’exemple batèl [oc] /bateau [fr] ; mantèl [oc] /manteau [fr], c’est

l’observation des différences de terminaisons entre les deux langues et, à l’intérieur de chaque langue, de la régularité de transcription de la même terminaison qui permet aux élèves de construire la règle d’équivalence orthographique (-èl = - eau). Cette démarche est

synthétisée dans l’exemple suivant qui décrit ce qu’est une activité de comparaison des langues : « c'est un moment actif (souvent oral) de recherche de ressemblance et de différence qui met en exergue une notion, une régularité de construction » (répondant 36). En effet, dans le cadre d’une démarche comparative plurilingue et réflexive telle que nous l’avons décrite dans le cadre théorique, l’enjeu de la prise d’indices et de l’état des lieux de surface est de permettre d’accéder à la compréhension de la langue en tant que système. Ces deux sous-ensembles sont donc une illustration concrète de ce que nous avons développé dans le cadre théorique, à savoir qu’il y a au moins deux niveaux dans le fait de comparer les langues : un niveau « de surface » (prise d’indices) et un niveau d’exploration grammaticale qui permet d’expliquer l’existence des éléments formels. La présence de descripteurs dans les deux catégories témoigne chez les enseignants qui ont répondu d’un

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intérêt à la fois pour la recherche de contrastes et l’explicitation du fonctionnement des langues à travers l’identification de ceux-ci.