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Production de l'espace urbain dans la ville coloniale

3. Du centre de colonisation à la ville coloniale

3.4. Une production immobilière exclusivement publique

Toute interrogation sur la production du logement implique l'identification des acteurs qui interviennent dans le processus de la production immobilière. Dans l'Algérie coloniale, la production du logement était jusqu’aux années trente abandonnée à l’initiative privée. Les premières opérations de promotion immobilière étaient réalisées sous l’impulsion des sociétés H.B.M consécutivement aux lois d’accession à la propriété. Sous l’influence du catholicisme sociale, une prise de conscience du droit de chacun à un logement sain, même des plus défavorisé s’effectuait en Algérie. C’est le mouvement des habitations ouvrières ou habitation à bon marché. Les premières lois imposant ces constructions à l’Etat et aux collectivités locales furent promulguées en 1894. Cette tache était confiée d'abord à des sociétés semi-privées aidées par les pouvoirs publics (les sociétés H.B.M). Ensuite de nouvelles lois suscitèrent la création des Offices communaux et départementaux. Toutes ces mesures furent responsables de la construction d’immeubles collectifs uniformes. À Saïda, trois opérations immobilières d'accession à la propriété sont réalisées (1930). Ce sont les pavillons situés sur la route de Mascara et les pavillons de la gare réalisés par la société H.B.M en faveur d’une coopérative de travailleurs du chemin de fer.

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Tableau n° 7 : Programmes de logement publics réalisés entre 1950-1962

Site Nbre. log Année Promoteur Typologie

Cité H.B.M 40 1930 Société H.BM pavillon

Clairs logis 28 1950 coopérative pavillon

Cité heureuse 80 1950 C.I.M Immeuble

Cité sidi gacem 30 1950 H.L.M Immeuble

Bâtiment E.G.A 40 1950 H.L.M Immeuble

Cité Boudia 60 1950 H.L.M Immeuble

Bordj Ex SAS 45 1954 Commune individuel

Cité des fonctionnaires 86 1958 C.I.A Immeuble

Cité sidi Cheikh 220 1960-71 H.L.M Immeuble

Cité les castors 200 1960-71 H.L.M Immeuble

Cité policière préfabriqué 81 1960 H.L.M Individuel

Total 692

Source : O.P.G.I. de Saïda.

La troisième opération est réalisée par la même société au profit d'une coopérative de fonctionnaires de l'administration publique. Ce sont les pavillons de la cité Clairs logis situés sur la route de Béchar. Ces programmes de logements étaient destinés à l’accession de la propriété. Les H.B.M sont des villas avec jardinet et garage. Dés les années quarante, une crise de logement commençait à se dessiner déjà en Algérie. La société H.L.M n’est intervenue à Saïda qu’à partir de 1950. Elle a réalisé différents programmes de logements collectifs publics (tab. n°7) : Le premier programme est celui de la cité heureuse construite vers l’année 1953 par le Crédit Immobilier Musulman. Les logements économiques (deux pièces + cuisine) cédée en priorité aux anciens combattants algériens revenus de l'inde-de-chine sont destinés à la location vente. La seconde tranche d’immeubles collectifs a été achevée au milieu des années cinquante en vue de relogement des familles modestes. Un programme de 130 logements répartis en trois sites : 30 logements à Sidi Gacem, 40 logements à la cité E.G.A et 60 logements à la cité Boudia ; cette dernière est réservée aux militaires et aux employés de la sureté. Vers la fin de la période coloniale, le plan de Constantine est lancé en décembre 1958. Il était inscrit dans une politique générale de développement de l’Algérie coloniale (1958-1963). Il visait l’intégration économique, politique et culturelle de la population algérienne dans un cadre institutionnel colonial. Ce plan était mis en place afin de faire face aux événements liés à la guerre de libération. C’est une approche planifiée des aspects négatifs et dramatiques liés à la colonisation en essayant d'apporter des solutions et des correctifs à la politique de colonisation. Le plan de Constantine

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insiste sur le relogement des populations ainsi que sur la transformation des structures spatiales ; cette initiative était considérée comme la meilleure voie d’une intégration sociale et culturelle pour la population algérienne. Parallèlement à la création d’emplois et au développement industriel, le plan donnait une place importante au logement des algériens. Les logements urbains étaient réalisés selon des normes conventionnelles, allant des immeubles collectifs aux logements semi-urbains (petites cités d'habitat traditionnel) en passant par les coopératives pavillonnaires. La production dépendait naguère exclusivement de l’effet régulateur du marché qui était orienté vers la satisfaction des besoins de la population européenne toutes catégories sociales confondues. Désormais, une dimension nouvelle est donnée à la production du logement, celle de la publique réglementaire. L'Etat colonial réalise des logements économiques à des algériens jusque-là logées de façon sommaire voire sordide et qui, d’ores et déjà, pouvaient prétendre, grâce à leurs salaires, soit accéder à la propriété, soit à la location de logements adaptés aux conditions de vie qu’ils recherchent. Il attribue des logements de transition sous forme d'habitat traditionnel économique aux réfugiés et aux occupants impécunieux des bidonvilles.

La fin des années cinquante et le début des années soixante marquée par la promotion de Saïda au rang de chef lieu de préfecture (1958). Cette promotion administrative avait provoqué la construction d’une cité administrative de 82 logements individuels en préfabriqués destinés aux nouveaux services départementaux et abrité en priorité les fonctionnaires de la fonction publique. Une cité des fonctionnaires de 90 logements collectifs a été irriguée à la même époque. Par la mise en œuvre du Plan de Constantine (1959-1963), l’Etat colonial a tenté d’ajuster sa politique de logements : pour détourner la population des idéaux de la liberté et accréditer auprès d’elle l’idée que la France avait à cœur de régler des problèmes économiques et sociaux des algériens, des immeubles de type H.L.M furent construits partout dans le pays, marquant profondément le paysage urbain : À Saïda, un programme de 420 logements était mis en chantier en 1960. Ces programmes groupaient de part et d’autre du boulevard Franz fanon actuellement cité Sidi Cheikh et cité les Castors n’ont pas pu être achevés à cause de l’évolution rapide des évènements notamment les grandes manifestations populaires de décembre 1960 et celles de novembre 1961. Trois années après le lancement du Plan de Constantine, l’Algérie obtint son indépendance et beaucoup de réalisations ont été interrompues et laissées à l’état de chantier.

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Quant au fonctionnement du système de la production immobilière, plusieurs entreprises de réalisation et organismes d’habitat (offices et sociétés) de statut juridique et de taille très diverse ont été créés pour l'exécution des programmes publics :

 11 sociétés H.L.M (habitat à loyers modérés) ;

 29 coopératives H.L.M dont huit anonymes ;

 04 crédits immobiliers ;

 55 coopératives non H.L.M ;

 Une société d’économie mixte, c’est la compagnie immobilière algérienne (C.I.A).

Le rôle de ces organismes consistait à construire de logements pour des familles socialement solvables sous la forme de maisons individuelles ou de grands ensembles urbains. Le financement est assuré par un Fond de dotation de l’habitat (F.D.H) créé en 1949 et dont la mission réside dans l’octroi de prêt aux offices publics et aux sociétés H.L.M. Ce fond est un compte de trésors crédité par des dotations budgétaires. Le préfinancement des opérations H.L.M sur un compte du trésor public fut d’abord limité à 25 % du prêt demandé à la caisse de dépôt et des consignations (C.D.C) et par la suite apportée au montant du prix fixé par arrêté du ministre ou d’un préfet. En 1959, différents aménagements ont été apportés aux modalités d’octroi des prêts sur les Fonds de dotation de l’habitat (F.D.H). Ces prêts sont consentis pour la construction de logements "économiques ou semi-urbains" et soumis avant l’attribution à l’obtention d’une garantie d’une collectivité publique et d’une bonification des taux d’intérêt. En outre, l’Etat s’engage à rembourser aux organismes financiers avant les délais convenus, le solde du prêt non recouvré. Cette mesure a contribué au développement du crédit immobilier. L’acquisition des terrains par les organismes H.L.M pour la réalisation des programmes définis par l’Etat, faisait aussi l’objet d’un prêt du Fond de dotation de l’habitat (F.D.H) à condition que le prêt n’excède pas la moitie du montant de la transaction foncière. De façon générale, l’activité de la construction sous toutes ses formes a été largement favorisée par les pouvoirs publics, notamment en ce qui concerne les conditions de financement, particulièrement à la fin des années cinquante, caractérisée par une conjoncture politique tendue et aggravée par la pression des besoins urgent en logement. Le logement est devenu un enjeu capital et un facteur de mobilisation d’une grande efficacité mais le rôle de la ville dans la lutte pour l’indépendance a été décisif.

80 Conclusion

Pendant la période coloniale, l'Etat avait instauré un système de production du sol et du logement urbain basé sur la logique marchande. La volonté de l'Etat colonial était de bâtir une nouvelle société coloniale. La politique foncière s'est vue assignée une fonction capitale et un rôle primordial dans l'application de cette stratégie. Dés l'affirmation du pouvoir colonial, la propriété foncière a été le fer de lance de son organisation économique et sociale. Après avoir restructuré l'organisation foncière (expropriation, séquestre, compensation, prélèvement…), le pouvoir colonial avait procédé à la distribution du sol afin de créer des intérêts locaux, seuls garants de l'ordre urbain. Pendant les premières années qui ont succédées la création du centre de colonisation, le rôle de l'Etat s'est réduit à l'aménagement foncier en mettant à la disposition du capital privé l'assiette foncière nécessaire à l'acte de bâtir. La maitrise du support foncier ont permis de mettre en place les bases du développement urbain dont l'objectif demeure la réalisation d'un ordre urbain capable de garantir la "pérennité du pouvoir colonial".

À l'indépendance (1962), la ville héritée exprime dans sa structure urbaine les principes de l’urbanisme colonial dont les modes de production du bâti urbain reflètent les besoins des différentes entités sociales urbaines (arabes, européens) et les exigences des multiples fonctions de la vie citadine. Depuis la création de la ville en 1844 par l’implantation d’une redoute, l’extension spatiale avait obéi à une rationalité remarquable pour satisfaire les besoins effectifs de la société coloniale. Dans les faits, l'appropriation du sol marque la structure ségrégationniste fondée sur la richesse et l'appartenance ethnique. La conception capitaliste de la propriété foncière ne s'opposait pas dans son principe avec l'urbanisme colonial. Les modes de production du sol et les modes de gestion spatiale avaient donné des configurations socio-spatiales particulières dont le modèle dualiste à la base mit en exergue la dichotomie "quartiers européens et quartiers arabes". Cette partition discriminatoire du mode de production du bâti se projette sur l'espace en trois composantes spatiales : la ville coloniale en ordre continu, les quartiers arabes plus ou moins structuré et le bidonville localisé souvent dans le prolongement des quartiers arabes en marge de la ville coloniale. C’est donc le principe de non droit à la cité qui a généré un développement spatial spontané soumis à une logique de ségrégation ethnique génératrice de dysfonctionnement du système urbain colonial. La ville telle qu’elle est réalisée à la fin du dix neuvième siècle présente une projection spatiale des structure sociales de base, projection où le colonialisme à inscrit ses

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principes ségrégationnistes pendant plus d’un millénaire d’histoire et de colonialisme. Ce n'est qu'avec le déclenchement de la guerre de libération en 1954 que l'Etat colonial a tenté de rectifier son intervention par une politique d'intégration sociale des algériens et la construction des cités d'habitations urbaines pour les algériens (plan de Constantine, 1958). L'Algérie obtient son indépendance en 1962 et la ville de Saïda verra se développer d'autres modes de production de l'espace urbain.

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Chapitre 2