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La politique des Réserves foncières communales (1974)

La production du bâti urbain dans la ville postcoloniale

1. Production foncière et immobilier, moteur de développement urbain

1.3. La production foncière étatique

1.3.1. La politique des Réserves foncières communales (1974)

Ce n’est à partir de 1974 que l’Etat a inauguré sa politique foncière en recommandant désormais aux communes de constituer leurs réserves foncières pour faire face au développement urbain. Trois moments bien distincts ont marqué la production foncière publique. La première période (1973-1986) est marquée par l’application de l’ordonnance de constitution des Réserves foncières communales. Les communes avaient l'obligation de constituer des réserves foncières en incorporant dans leur patrimoine les terrains urbains nus avec indemnisation des propriétaires privés. La mise en œuvre de la politique des réserves foncières communales a facilité largement l’octroi des communes en matière d’aménagement

441 URO, Op Cit, P17.

442 Monographie de la comme de Saida, U.R.S.A. 1988 ; Étude de rénovation de l'Oued Oukrif. Étude de rénovation d’Amrous, URSA 1985 ; Étude de restructuration urbaine Daoudi Moussa, URSA. Étude de rénovation Daoudi Moussa partie basse, Setin, 1995.

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foncier et faire face aux exigences de développement et d’urbanisation. Au niveau urbain, cette ordonnance a ouvert la voie à un processus d’aliénation de terrains publics et privés qui a permis aux communes de traduire assez vite leur choix en matière urbaine par la localisation des équipements, de programmes d’habitat et l’aménagement de lotissements communaux dans le cadre d’un périmètre urbain. Cette politique a permis aux communes d'intervenir directement dans le processus de production du sol urbain en assurant l’assiette foncière pour l'aménagement d'opération de lotissements avant sa mise en vente sur le marché foncier. La politique des lotissements communaux443 visait deux objectifs majeurs : favoriser l’accès au logement de la population urbaine et mettre fin à la spéculation foncière en interdisant les transactions les lots de terrains entre particuliers. L’opération n’a effectivement démarré qu’en 1979. Ce retard est dû, d’une part à l’étalement dans le temps d'un corpus important de textes juridiques pour l’application de la dite ordonnance et, d’autre part, au manque de moyens techniques et humains au niveau des communes. L’initiative privée n’est donc encouragée que vers la fin de la décennie soixante dix par la création, sur les réserves foncières, des lotissements individuels et la constitution des coopératives immobilières. Le premier lotissement communal à Saïda a vu le jour en 1980. Les lots prévus et étudiés étaient largement en deçà de la demande exprimée. La commune de Saïda avait enregistré plus de 500 demandes tandis que le nombre de lots s’élevait à 185 lots. Les demandes étant supérieures à l’offre, les demandeurs disposent de ressources plus accrues ont été retenus et l'élimination systématique des défavorisés : les commerçants, les membres des professions libérales, les hauts fonctionnaires et responsables étaient les mieux "lotis". Aussi à Sidi Cheikh s’élèvent 231444 "villas" à deux niveaux et plus d'une superficie variable de 250 à 500 m². Le mètre carré était cédé à un prix fort intéressant, soit 50 dinars le m². Ce lotissement a été occupé par une population aux moyens financiers réguliers et accrus, mais ayant également des appuis substantiels dans les circuits administratifs. À cet égard, on a pu mesurer la puissante pression des acquéreurs pour réaliser ou faire réaliser les infrastructures indispensables du lotissement réalisé sur un terrain pentus et difficilement accessible. La soumission des acquéreurs à des critères d’attribution assez rigides445 a exclu une large frange de la population qui a le plus besoin d’un logement et a rendu le système de production

443 Le décret de 1976, portant modalités de création et de cession des lotissements et l’organisation des coopératives immobilières

444 46 lots supplémentaires ont été créés par densification du lotissement au début des années 1990.

445 Les candidats ne doivent pas posséder de propriété sur l’ensemble du territoire national, ils doivent justifier de ressources suffisantes ou de la capacité de mobilisation d’un prêt "épargne- logement".

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du sol sélectif. Un autre lotissement fut créé la même année au lieu dit "Belkcir" situé sur la rive gauche de l’Oued Saïda. Il est composé de 28 lots destinés aux employés de la commune et les fonctionnaires de la fonction publique aux disponibilités financières restreintes. La taille des lots est en moyenne 175m². À la fin de cette période, un autre lotissement de 65 lots fut créé à proximité du quartier Mejdoub. La superficie des lots est comprise est 120 et150 m². Les lots sont cédé à bas prix soit 50 dinars le mètre carré. Les attributions allaient en priorité aux moudjahidines et leurs ayants droit, aux petits fonctionnaires et parfois aux ménages sans revenus. En somme, ces deux derniers lotissements ont été destinés aux candidats qui se sont vues écartés de la première opération dont ils ne pouvaient remplir les conditions exigées pour se porter acquéreurs. Quand les ménages aux revenus limités réussissent à accéder à un lot de terrain, ils arrivent avec beaucoup de difficultés à construire leurs logements d'où l'aspect inachevé des lotissements sociaux et les chantiers interminables qui caractérisent certains lotissements dans la ville de Saïda.

Tableau n° 13 : Structure des lotissements communaux à Saïda (1979 – 1986)

Situation Lotissement Nombre Part (%)

Quartiers populaires Belkcir 28 9,65

Mejdoub 65 22,4

Ville de Saïda Sid Cheikh 185 63,8

El Feth 12 4,15

Total 290 100

Source : Commune de Saïda.

L’absence d’une politique claire et transparente des prix combinée et l’interdiction faite à tout bénéficiaire de lot de terrain de le revendre qu’après un délai de dix ans a donné naissance à des pratiques foncières illégales qui sont les prémices d’un marché foncier parallèle non réglementaire. La répartition des lotissements communaux selon la situation par secteurs urbain met en évidence le caractère ségrégation des lotissements produite pendant cette période par la commune de Saïda (tab. n°13). Les lotissements Mejdoub et Belkcir occupent une place marginalisée aussi bien en superficie qu’en nombre de lots. Cette production en lots de terrain à bâtir contraste avec le nombre et la superficie de lots destinés aux catégories sociales aux revenus supérieurs. Plus des deux tiers (68%) des lots créés ont été affectés en priorité aux couches sociales aisées. seulement un peu plus du tiers (32%) de l'offre foncière est destinée aux catégories sociales aux revenus moyens et limités.

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Les bases de calcul des surfaces allouées aux particuliers ne sont pas respectées. Dans les lotissements Sidi Cheikh et El Feth, l’attribution de superficie importante l’on favorise, en effet, la construction de grande habitation et l’on fait un usage parcimonieux du sol dans les lotissements sociaux où les surfaces sont de taille réduite. Aussi, l'implantation des lotissements a obéi à des critères économiques et sociaux ; l’élite a occupé les quartiers sis dans la proximité de la ville et les ménages moyens et démunis sont affectées dans les secteurs populaires (Daoudi Moussa, Mejdoub).

L'attribution de lots de terrain a souvent profité aux groupes de pression locaux et d’intérêts professionnels constitués des classes aisées et des responsables de l'administration publique. "L’attribution des lots de terrains de 400 à 600 m2, lots qui auraient pu permettre la

construction d’un petit immeuble de 10 appartements ou celle de 3 à 4 maisonnettes, a souvent servi à la construction de villas individuelles. Le sol urbanisable, qui devait en partie répondre aux problèmes de logement social en zone urbaine, a surtout été utilisé par les populations les plus solvables"446. D'ailleurs, une seule coopérative immobilière a été réalisée à Saïda. Les membres de cette coopérative447 investis de pouvoir de décision ont su détourner l'affectation d'un terrain prévu par le Plan directeur d’urbanisme (P.U.D) pour un équipement de loisir. Les coopérateurs refusaient, en effet, de s’éloigner du centre-ville et du lieu de leur travail pour réaliser leur coopérative dans la périphérie réservée aux Zones d’habitat urbain nouvelles (Z.H.U.N). En effet, cette formule prévue pour donner la chance aux petits épargnants, elle à bénéficie surtout à ceux qui voulaient se soustraire à l’attente qu’impose la cession réglementaire de lotissement. C’est de façon automatique que les coopérateurs au nombre de 11 avaient obtenu des lots de terrain, puis ils se sont mis à construire chacun pour son propre compte. L’esprit coopératif n’ayant servi que pour l’acquisition facile du terrain. Pendant ce temps des acquéreurs ayant formulé individuellement des demandes pour l’acquisition de lot de terrain ont dû attendre beaucoup plus et, la plupart des temps, vainement. Très vite la procédure de la coopérative s’est avérée très rigide du fait des moyens financiers inégaux d’attributaires à l’origine socialement homogène et les difficultés de réalisation collective des réseaux fondamentaux (V.R.D.), voire des réticences à le faire. La

446 Bendjelid. A., Brulé J.C & Fontaine. J., Aménageurs et aménagés en Algérie. Héritages des années Boumediene et Chadli, éd. L’Harmattan, 2004, Paris, 419p, P.48.

447 Il s’agit d’un "club très fermé" constitué d'élus et de fonctionnaires occupant des postes clés dans les services de la wilaya et de la commune.

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coopérative "El Feth" s’est mise alors à fonctionner comme un simple lotissement448. Cette situation a posé d’indéniables problèmes puisque les lots supplémentaires sont projetés sur des baraques (ex camp Barraqué) abritant des familles devant être recasées. L’opération de relogement n’est jamais eu lieu et les bénéficiaires des lots nantis d'actes de propriété n’ont jamais pu entamer la construction de leur logement. Villas de deux niveaux et baraques coexistent et traduisent fortement la division sociale de l’espace urbain.

À la fin de cette période, le bilan de la promotion foncière communale se résume à quatre opérations de lotissements couvrant une superficie de 12 hectares. Au total 300 ménages ont été touchés par cette production. La réalisation des lotissements dans les faits s’est traduite par une réfutation du discours idéologique à savoir répondre à la demande sociale en matière de lots de terrains constructible au profit des couches sociales. Le nombre de lots mis en vente ne correspondait ni à la demande réelle, ni à la volonté politique affichée à résoudre la crise de logement qui touchait une partie de la population locale. En effet, la crise de logement, principale cause bloquant le développement économique et justifiant l’ouverture des lotissements communaux n’a pas été enrayée ou du moins atténuée. Ce paradoxe s’explique par les pratiques foncières abusives de la commune et le caractère "ségrégationniste" des premières opérations de lotissements qui ont profité surtout à ceux qui ont les moyens à payer le prix du terrain et de le valoriser.

Cette activité faible s’explique, d’une part, par la priorité accordée à l’habitat urbain et aux équipements publics dans l’affectation du sol et, d’autre part, par l’existence dans le tissu urbain de parcelles ayant constitue déjà une première réponse à ce type de besoin en matière d'habitat individuel. En effet, la place tenue par l’habitat urbain, les équipements et les services publics dans l’extension urbaine pendant cette période, traduit l’effort du développement qui visait d’assurer l’encadrement local et régional assigné à la ville de Saïda par le Plan Spécial de Wilaya (P.S.W)449.

448 La coopérative fut reconvertie en lotissement par délibération de l’assemblée populaire communale et le nombre de lot est porté à 23 lots.

449 Le Plan Spécial de Wilaya est une initiative politique volontariste, il fut créé pour corriger les disparités régionales entre les wilayas de l'intérieur les plus défavorisées.

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