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La production du bâti urbain dans la ville postcoloniale

1. Production foncière et immobilier, moteur de développement urbain

4.1. L'invasion du sol, un mode de production illégale

La dynamique démographique de Saïda et le desserrent du centre par la redistribution périphérique de la population durant la période intercensitaire 1977-1987, coïncide avec le lancement du processus de formation de cette nouvelle génération d'habitat populaire périphérique. L’étude du bâti populaire clandestin à travers le cas de Boukhors permet d’appréhender les mécanismes fonciers et sociaux à la base de sa production et de décrypter les facteurs sous-jacents à son apparition notamment ceux liés aux conséquences d’une gestion urbaine déficiente et parfois inexistante. Les logiques impliquant des acteurs à différents niveaux d’influence sur l’espace urbain sont appréhendées à travers les stratégies familiales inscrites dans un projet immobilier et les transformations morphologiques de l'habitat populaire encouragées par la régularisation foncière des constructions illicites.

La construction illicite459 est une pratique relativement ancienne. Comparativement aux constructions sommaires et insalubres construit spontanément à l'image des bidonvilles, l'habitat illicite s'édifie en marge des règlements d'urbanisme et répond à des procédés modernes en utilisant des matériaux durables. Ce sont souvent des constructions en dur édifiées illicitement sur des terrains non viabilisés460, appartenant souvent à l'Etat. La diversité des type de construction contrevenant à la réglementation urbaine en vigueur s'exprime à travers les appellations utilisées par la littérature géographique et officielle, parmi celles-ci, on dénote : lotissement non réglementaire, illégal, irrégulier, pirates, sous-intégré, sous-équipé, marginal, précaire…etc. En effet, l'ambigüité de cette notion de l'illicite est à la base de la prolifération des appellations pour qualifier un phénomène qui, à l'opposé du bidonville, est devenu une véritable urbanisation parallèle adaptée aux conditions socio-économiques des populations exclues des filières formelles de production du sol et du logement. L'abandonne des appellations confirme les difficultés de saisir et à identifier un phénomène qui se distingue par ses mécanismes et par ses fonctions économique et sociale. La crise du logement et la faiblesse du système formel de production du logement social se traduisent par le développement de l'habitat illicite sur des terrains squattés. Ce mode de production illégal du

459 La notion de l'illicite est source de nombreuses confusions. Utilisée pour la première fois en 1984 par les pouvoirs publics pour qualifier l'habitat populaire non réglementaire. Elle continue de dominer le discours officiel à un moment où le processus prend une ampleur sans précédent. Souvent son développement est le produit d'un accord tacite entre les pouvoirs publics et les populations, acteurs de l'habitat illicite. La plus part des lotissements naguère illicites, sont aujourd'hui régularisés/restructurés.

460 L'absence des équipements de base n'est pas spécifique aux lotissements illicites. Nombreux sont les lotissements publics réglementaires étaient ouverts à la construction sans la réalisation des aménagements nécessaires. Les lotissements communaux réalisés durant les décennies 70 et 80 sont des exemples éloquents.

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sol absorbe une partie de la demande exclue du système de production légale en mettant à la disposition des ménages pauvres une opportunité foncière en marge de la ville légale. L'habitat des pauvres est en augmentation depuis les années quatre vingt suite au désengagement de l'Etat aggravé par la crise sécuritaire (1990-2000) qui a alimenté un nouvel exode rural dont le mobile est la terreur dans les campagne (Souiah. S-A, 2010).

À l’origine, Boukhors, situé au Nord-ouest de la ville, est une petite cité de recasement implantée sur un site vierge sous la configuration d'un petit "village-rural". C'est une opération planifiée rappelant les cités de recasement édifiées par l'administration coloniale pendant la guerre de libération. En l’absence de contrôle d’urbanisme, l'évolution quasi spontanée a donné naissance à un quartier illicite. Il est l'œuvre de différents intervenants (publics et privés) et autres spéculateurs dont les manœuvres se manifestent par la création de lotissements à la fois spontanés et irréguliers destinés aux couches sociales populaires. Il est l’exemple type d’un "quartier-champignon" dont l'urbanisation est supérieure à 10%461 par an durant toute la décennie quatre-vingt dix. Son extension tend à intégrer la zone éparse située en lisière du périmètre d'urbanisation de la ville de Saïda. Le quartier est édifié sur un ancien domaine agricole colonial abandonné ensuite par les E.A.C vers la fin des années soixante dix. En 1977, les autorités locales avaient décidé d'en faire un réceptacle pour les populations rurales en provenance de la campagne.

La réalisation de ce "quartier-satellite"462 avait pour objectif premier de filtrer les migrations rurales vers la périphérie de Saïda après la saturation des quartiers d’accueil traditionnels. Il devient alors le seul espace où les nouveaux arrivants pouvaient s’installer. Son peuplement a débuté donc vers la fin des années soixante dix pour s'accélérer tout au long de la décennie quatre-vingt et quatre-vingt dix. Ce secteur de recasement situé au Nord-ouest de la ville de Saïda463 et au-delà de l'Oued Saïda est à l'origine de développement de l'habitat informel sur une zone jusque alors considérée comme espace agricole : la Commune de Saïda avait construit 100 logements semi-ruraux dans le cadre de l’auto-construction aidée par l'Etat. C’était la première réalisation planifiée sur cette zone inscrite dans le cadre des orientations

461 Plan d'Occupation du Sol (P.O.S.) de Boukhors, URBAT, 2001.

462 Nom donné par le bureau d'étude ATRACH dans l'étude d'urbanisme de 1977.

463 Le site est plus ou moins plat mais dominé par des terrains argileux. La partie Ouest du site est impropre à l'urbanisation parce qu'elle est traversée par une faille. En dépit des recommandations géotechniques écartant toute possibilité de construction, cette partie est intégrée dans le périmètre d'urbanisation depuis 1995 pour recevoir un programme de 1050 logements sociaux.

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du P.U.D-P.M.U464. Deux ans plus tard, 381 familles campant sous des tentes dans le bidonville dit "Agoub" furent transférées vers ce secteur dans le cadre de l'opération "calamité". Les familles avaient bénéficié de lots de terrain dont la superficie comprise entre 100 à 120 m². "Parmi les familles recasées, 36 chefs de famille sont sans profession et la

majorité étaient ouvriers, manutentionnaires, et gardien travaillent sur les chantiers de construction et dans la zone industrielle toute proche"465.

La période (1979-1985) est une période caractérisée par la concentration des investissements au chef lieu de Saïda et la multiplication des chantiers de construction. Pendant toute cette période, le quartier à reçu de manière constante l'essentiel des flux migratoires motivés par l'opportunité de l'emploi et la perspective d'une meilleure qualité de vie. En 1986, 150 autres familles, victimes d'inondation de l’Oued El-Oukrif avaient bénéficié de logements construits par la Commune de Saïda après avoir campé provisoirement sous des tentes pendant plusieurs mois. Les différentes opérations de recasement et d’éradication de l’habitat insalubre ont permis le développement, sur ce site isolé de la ville, d'une zone de recasement propice pour le développement de l'habitat illicite. Paradoxalement, les pouvoirs publics locaux voulaient cerner le périmètre d’urbanisation par ces opérations ponctuelles afin de mettre un frein à l’habitat illicite, il en résulte une sur-occupation illicite de l'espace produisant un tissu d’une grande hétérogénéité. L'analyse des conditions de développement révèle des similitudes avec les mécanismes sociaux qui ont structuré le processus de production de l'habitat indigène pendant la période coloniale466. Il s'agit d'une filière plus ou moins tolérée par les autorités publiques en ce sens que la crise du logement et la saturation des structures traditionnelles au niveau de la ville de Saïda ont favorisé l'installation des familles issues souvent de l'exode rural sur des terrains publics en périphérie. De ce fait, Boukhors est un exemple illustratif de

464 P.U.D-P.M.U. de la Saïda, ATRACH, 1977. La stratégie des plans d'urbanisme de 1971 et de 1977, consiste à alléger la pression des flux sur la ville de Saïda et de freiner la prolifération de l'habitat spontané.

465 J. Boudreau, la problématique d'une croissance urbaine, le pôle régional de Saïda, mémoire de maitrise, université de Paris VIII, 1984. 120p, P.56.

466 Les caractéristiques démographiques et socio-économiques de la population de Daoudi Moussa produit pendant la période coloniale présentent des ressemblances avec celles des habitants qui peuplent le quartier de Boukhors. Dans les deux cas, les quartiers sont autoproduits par une population aux ressources économiques moins importante mais meilleure que celles des populations des bidonvilles.

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l'habitat populaire non réglementé. L'installation des familles s'est effectuée selon de deux types d'occupation illicite467 :

- les premières familles souvent déshéritées se sont spontanément installées en squattant des parcelles de terrain sur lesquelles avaient construit illicitement leurs habitations ; prés de 78% des cas étudiés468 sont concernés par ce mode d'occupation direct.

- Le second type d'appropriation du sol est un mode indirecte mais plus ou moins organisé. Il concerne 22%469 des installations des familles qui s'adressent soit aux propriétaires des terrains ou à des courtiers du sol qui s'occupent de leurs installations. Ce mode d'offre du sol constructible dit "lotissement clandestin"470 s'est développé dés les années quatre vingt dix. "Une véritable campagne

promotionnelle se fait de bouche à oreille pour engager les ventes"471. Tableau n° 15 : Périodes d'installation des ménages à Boukhors

Période d'installation Nombre Part (%)

1979-89 214 47,5

Après 1990 236 52,5

Total 450 100

Source: enquête ménage 1992 et 1997472, P.O.S de Boukhors, URBAT, 2001.

Boukhors a reçu presque le même nombre d'arrivées (tab. n°15) durant "la décennie noire"

(1990-2000) que la période précédente (1980-1990). Cette période coïncide avec la crise qu'a connue l'Algérie. L'exode d'insécurité qu'a provoqué la montée du terrorisme dans l'arrière-pays de Saïda - entres autres - est responsable des arrivées massives ayant alimenté le quartier. Pendant cette période, le quartier à joué, tout comme la période précédente, son rôle de réceptacle des migrants en direction de Saïda à la recherche cette fois-ci de la sécurité plus

467 Cf. Souiah. S-A., Le bâti populaire dans les villes algériennes : Les nouvelles formes de la ségrégation socio-spatiale, sous la direction de Gallisot. R et B, Moulin, Les quartiers de la ségrégation, Edit. Karthala-Institut Magreb-Europe, 1995, pp. 253-264.

468 H. Khelifa., La promotion foncière et immobilière à Saïda, mémoire d'ingénieur en géographie, I.G.A.T., Université d'Oran, 1997.

469 Idem.

470 Des micro-lotissements clandestins sont relevés à Rebahia, à Ain Tghat et à Ain Zerga, des localités rurales limitrophes à la ville de Saïda.

471 S.A. Souiah., L'habitat des pauvres dans les villes algériennes, in insaniyat, (dir, A. Bendjelid)., Villes d'Algérie : Formation, vie urbaine et aménagement, CRASC, Oran, 2010, pp. 89-103.

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que le logement. Le Quartier est devenu le lieu d'hébergement des populations fuyant les campagnes où la violence et la terreur avaient sévi. Durant la décennie quatre vingt dix, Boukhors s'est caractérisé par l’ampleur et la rapidité de son urbanisation : au recensement de 1987, il abritait 10% de la population de Saïda, soit 4303 habitants pour un parc de logements estimé à 626 logements. En 1992, sa population est passée à plus de 9500 habitants et un parc-logement évalué à 1441 logements (B.E.P.S, 1992). En l'espace de quelques années la population a presque doublé. En 2001, la population est évaluée à 15.700 habitants (URBAT, 2001) et un taux d'accroissement global de 4,17%. Au dernier recensement de la population, le quartier abritait 15.323473 habitants (R.G.P.H., 2008), soit 11% environ de la population urbaine. L’installation à Boukhors est aussi favorisée par l’existence d’un marché clandestin du sol à la portée des populations rurales dont la situation économique est détériorée par l'insécurité dans les campagnes. Cela s’est traduit par une consommation effrénée de l’espace pour la production d’habitat non réglementaire en étendant considérablement l'emprise foncière du quartier à plus de 75 hectares pour devenir le plus grand quartier populaire à Saïda.

L'examen des lieux d'origine (tab. n° 16) par assimilation au lieu de naissance des chefs de ménage met en évidence l'importance de la mobilité intercommunale qui a contribué fortement dans la constitution du quartier : plus d'un ménage sur deux (54,5%) sont originaires de la région de Saïda constituée des communes principales de la wilaya. Tous ces ménages ont effectué à la fois un déménagement et une migration depuis leur lieu d'origine : 15% des chefs de ménages sont issus des quartiers populaires surpeuplés de la ville de Saïda. Ils ont effectué une mobilité résidentielle intra-urbaine pour des motifs liés aux conditions d'habitat défavorables ou suite à un choix délibéré mais fondé sur le désir d'accroitre l'espace habitable qu'offre la maison individuelle dans ce lotissement illégal. L'entassement et la cohabitation avec la famille élargie ont provoqué le déménagement et l'installation à Boukhors. Le logement reste donc la cause principale ayant précipité la décision de changement de résidence. Ces ménages résidaient au un sixième dans la ville de Saïda car ils y sont nés. Mais, les motifs de changement de résidence diffèrent selon les conjonctures de peuplement du quartier et les lieux d'origine (rurale ou urbaine).

473 Ce chiffre officiel laisse penser que le chiffre avancé par URBAT en 2001 est une estimation exagérée et par conséquent la stabilité du mouvement démographique constatée est sujet à caution.

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Tableau n° 16 : Répartition des chefs de ménages selon l'origine géographique Lieu de naissance Nombre Part (%)

S A I D A Ville de Saïda 69 15,5 Doui-Thabet 52 11,5 Ain-El-Hadjar 46 10 Hassasnas 44 10 Moulay Larbi 25 5,5 Sidi Ahmed 24 5,5 Ouled Brahim 30 7 Ouled Khaled 20 4 Sidi Boubekeur 5 1 Sous-total (1) 315 70 Villes du Sud 126 28 Autres villes 9 2 Sous-total (2) 135 30 Ensemble 450 100

Source: enquête ménage 1992 et 1997, P.O.S de Boukhors, URBAT, 2001.

Les arrivées ayant alimenté le quartier durant les deux premières périodes (1970-80) et (1980-90) se sont effectuées en majorité pour des raisons liées à la situation économique des communes limitrophes et des villes du Sud de la Wilaya mère474. Elles avaient de tout temps constituées un réservoir migratoire important ayant drainé la ville de Saïda. La recherche du travail et les conditions d'existences meilleures sont les mobiles les plus évoqués pour précipiter la migration depuis ces communes rurales et celles de la région steppique. Pour les ménages ayant quitté leur ancienne résidence dans la ville de Saïda pour s'installer à Boukhors (15,5%), ils sont issus pour la plus part (80%) des quartiers défavorisés de la ville. ils habitaient la ceinture périphérique traditionnelle où étaient implantés les anciens bidonvilles de Daoudi Moussa, Amrous, Bordj et Sersour. Beaucoup moins soit 20% des ménages résidaient dans les taudis de l'ancien quartier central de l'Oued El-Oukrif et les ilots d'habitations menaçant ruine du centre-ville. Il s'agit là d'une mobilité résidentielle intra-urbaine depuis les quartiers de la ville. Tous ces ménages ont bénéficié de relogement dans le cadre de l'opération de résorption de l'habitat précaire. Ils habitaient dans des conditions d'habitat défavorables. Pour la plus part, la démolition de l'ancien logement par les pouvoirs publics est une solution au problème du logement et un moyen pour adapter les conditions du

474 Le dernier découpage administratif de 1984 a divisé le territoire de la Wilaya mère de Saïda en trois et a donné naissance de deux nouvelles Wilayas : Naâma et El-Bayadh.

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logement aux besoins du ménage. C'est une population recasée ayant effectué un déménagement directe depuis les quartiers défavorables de la ville de Saïda vers Boukhors. Constitué initialement d’une petite cité de recasement de 100 logements de type haouch, le quartier de Boukhors a connu depuis, un fort mouvement d'urbanisation amorcé par un contexte local favorable à l’emploi d'abord (proximité de la ville de Saïda, Z.I, chantiers de construction) et le développement du clandestin spéculatif ensuite ; il s'en suit une extension spatiale spectaculaire. Point de rupture des dernières vagues de l’exode rural des années soixante dix et le début des années quatre vingt, il est devenu en espace de trois décennies le plus grand quartier populaire à Saïda. C'est un quartier d’accueil privilégie des habitants à bas revenus et des classes moyennes. La population d'origine urbaine a effectué une mobilité résidentielle volontaire depuis Saïda par l’attribution de logement social, ou migration forcée des fuyards du terrorisme ayant sévit dans la campagne environnante durant la décennie noire (1990-2000).