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La redoute, un espace inadapté aux exigences de la population européenne

Production de l'espace urbain dans la ville coloniale

2. Genèse des lotissements coloniaux

2.2. La redoute, un espace inadapté aux exigences de la population européenne

L'occupation militaire et l'installation de l'appareil étatique colonial ont provoqué un accroissement des besoins en logements, en équipements et en terres agricoles pour le développement de la colonisation. A cette date, il n’est pas encore été fait de concession définitivement. "La colonisation a débuté à Saïda vers 1860. Elle est encore timide, pas plus

d'un habitant au kilomètre carré, et se confine à la plaine qui entoure le poste militaire"380. À partir de la moitié du 19ème siècle, l’espace à l’intérieur de la redoute s’amenuise et les maisons s’entassent à mesure que le nombre des habitants augmente par l’arrivée de nouveaux colons. Il fallait que la ville s’étendre et se développe mais faute d'espace à l'intérieur de la redoute, la ville nouvelle allait donc se construire en contrebas de la Redoute hors des remparts. La guerre s’éloignait de la redoute avec la pacification et la défense devenait secondaire en mettant davantage en avant le bien être de la population coloniale. Dans l'espoir de concrétiser les ambitions des premiers pionniers, la colonie de Saïda s'adresse

379 Parmi les habitants se trouvent un boulanger, un boucher, sept maçons, quatre tailleurs de pierres, quatre marchands de comestibles ; sept d’entre eux cultivent en outre des jardiniers et sont ensemencées en orgue cinq hectares aux environs du poste.

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au Gouverneur Général381, pour lui demander explicitement la régularisation de l'existence d'un centre de population qui s'est formé spontanément, dès 1844, à l’intérieur comme à l’extérieur de la redoute Saïda.

Cette missive soutenue par les démarches382 de l'administration militaire avait précipité le décret de création d'un centre de population européenne à Saïda conformément aux facteurs en vigueur :

1/ La sécurité et l'influence politique : C'est à dire la situation administrative générale de la région, et l'état des relations politiques avec les populations musulmanes (soumission pacification ou état d'hostilité).

2/ La salubrité : Il s'agit d'éviter les zones marécageuses ou les berges d'oueds humides soupçonnées être la source des miasmes provocant les maladies et décimant les populations nouvellement installées/non acclimatées.

3/ La propriété : Relevé de l'état de la propriété indigène : melk individuelle ou arch collective au titre effectif ou usufruitier. De même, relevé de l'état de la propriété des éventuels

381 Lettre du 16 février 1862, centre d'archive de la wilaya de Saïda.

382 Etat de la colonisation du 1 janvier 1847, commission consultative, cercle de Saïda. Etat nominatif des européens demandant des concessions rurales, 26 Août 1858, le chef d’escadron, commandant supérieur, cercle de Saïda.

Supplice au gouverneur

"La colonie de Saïda à genoux aux pied de votre excellence vous supplie de lui livrer par la

concession ou la vente, dans tous les cas le plus vite possible. Les lots de l’annexe et les lots de douze cent hectares. […]. Les ouvriers dans l’annexe auraient du travail dans les constructions qui seraient commencées demain si les lots étaient livrés et en même temps les familles abritées dans des gourbis ou sous des rochers y trouveraient bientôt un asile à bon marché. Nos braves colons très reconnaissants des 400 hectares qui leur ont été loués cette année déploieraient un nouveau zèle si ces terres et les 800 hectares restants leurs étaient définitivement livrées, ils pourraient alors y construire un modeste abri et s’ y livrer aux premiers travaux de défrichement et d’installation, car pour tout dire franchement au père et au protecteur de la colonie, durant les froides nuits de décembre et de janvier, époque des ensemencements, nos braves colons étaient abrités ou dans une broussaille ou sous leurs chariots et les plus heureux dans une mauvaise tente. […]. La mise en possession actuelle permettrait ce printemps de défricher et de construire et à l’automne prochain, la colonie serait toute formée et toute installée. Pour compléter l’œuvre de la colonisation projetée, une chose serait très désirable, Monsieur le Gouverneur Général, de tracer sur ces terres un périmètre de village où sera concentré tous les avantages de la vie commune car vu la situation de ces lieux bordés d’une part par la rivière et de l’autre par la route de Mascara, toutes les circonstances paraissent devoir favoriser l’augmentation du périmètre de colonisation et par conséquent favoriser la création d’un très beau et très riche centre de population […] d’autant plus regrettable qu’il y à un temps infini que dans notre cercle on n’a pas eu à constater la plus légère mésintelligence entre indigènes et européens grâce à la ferme et intelligente administration des bureaux arabes de notre circonscription. […]C’est dans le journal officiel, dans le moniteur de l’Algérie que nous cherchons un mot, une parole d’espérance, avant coureur infaillible et certain du prompt accomplissement, de la prompt réalisation de nos vœux. En attendant, Monsieur Gouverneur Général, daignez agréer l’expression des sentiments les plus respectueux et les plus reconnaissants de la colonie de Saïda".

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Européens installés dans le territoire désigné à l'emplacement d'un centre de population (vérification des titres définitifs issus de transactions antérieures à la loi de 1844).

4/ Les communications : Afin d'éviter les cas d'isolement, penser préalablement à l'accessibilité des centres projetés et leur mise en communication avec les grands centres urbains ou les camps militaires en cas de besoin. - 4/ voies de communications

5/ La question des eaux : l'alimentation en eau du village constituait un aspect vital quant à son peuplement et sa mise en culture. - 5/ abondance et nature des eaux

6/ qualité des terres

7/ cultures auxquelles les terres paraissent devoir le mieux se prêter

8/ Le commerce : Il s'agit de déterminer les points possibles d'écoulement des productions du futur village, en l'occurrence les marchés et les villes, afin de permettre un minimum économique aux petits colons.

La gestion urbaine était soumise à une législation foncière où la propriété du sol urbain était partagée entre divers acteurs qui assuraient la totalité de la production de l'espace urbain : l’armée, les domaines, la commune, les lotisseurs privés et les particuliers. Ces différents modes de production du sol ont donné naissance à la première société urbaine avec ses principes d'organisation urbaine. Pendant cette période, la production du sol constructible est assujettie aux exigences et besoins du mode de production capitaliste (coloniale). Pendant les premières années de la colonisation, les militaires étaient le seul sinon le principal producteur foncier pour la réalisation de l'habitat des premiers colons et des équipements publics. Ce n'est qu'après, l'installation de l'administration civile que la production foncière publique et privée a commencé à prendre de l'importance en raison de la nouvelle conjoncture politique et économique caractérisées par le passage de l'autorité à l'administration civile par les militaires.

Le décret impérial n° 171 du 04 juin 1862 constitue l'acte de naissance historique et officiel de l'entreprise coloniale française dans la région de Saïda par la création d'un centre de population européenne de deux cents feux prés de l’Oued Oukrif qui conserva sa toponymie arabe de Saïda sur un territoire de 1800 hectare, 22 ares et 10 cas, y compris une réserve communale de 174 hectares, 50 ares et 20 cas. Saïda, d’abord sous administration militaire passe en 1862 sous administration civile par décret impériale383. Le village est crée en contre bas de la redoute par l'agrandissement du périmètre de colonisation à partir de terres

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limitrophes prélevées sur les terres de la tribu des Doui-Thabet, soit 344 hectares et 40 ares384. L’Administration coloniale pratiquait avec un art consommé la spoliation des indigènes lors des opérations du sénatus-consulte, prélèvement, échange, confiscation et expropriation étaient les outils juridiques pratiqués par les commissions de délimitations. Le centre se construit conformément au plan d’alignement et de nivellement dressé en date du 18 novembre 1862 par la division du chef de bataillant du génie en chef à Mascara et approuvé par arrêté en date du 13 juillet 1862 par le gouverneur général. La première phase d’urbanisation coloniale (1845 à 1870) est l'œuvre des militaires qui consistait à édifier des redoutes, des villes et bordj fortifiés selon le système Vauban. "Le caractère militaire de la

colonisation, pendant tout le 19è siècle a donné au corps du Génie militaire de l’Armée d’Afrique un rôle de premier plan dans l’établissement des plans de villes…"(M. Saïdouni,

2000)385. Les ingénieurs du Génie rattachés à l’armée française ont dessiné et façonné la ville algérienne pendant les premières années de colonisation. La régularité du tracé, la notion de l’espace public et le traitement des relations entres les différents quartiers (militaire, civil et indigène) étaient les caractéristiques fondamentales de l'urbanisme militaire (X, Malverti, A. Picard, 1998)386.

Dans la ville coloniale, la fonction primordiale de la production du sol était d'assurer les conditions nécessaires au développement de la nouvelle société capitaliste. L'accroissement de la population européenne consécutive à l'immigration et le développement des besoins en logement ont entrainé un mouvement de création de lotissements. Dans cette ville à l'origine militaire, l'essor de la construction, les maçonneries d'immigrants italiens parvenus les uns après les autres, et les carrières ont eu raison du développement de la colonisation. La céréaliculture et l'élevage dans la plus grande partie de son espace avait alimenté le mouvement de lotissements privés et accéléré le rythme des constructions pour donner naissance aux premiers quartiers européens. Cette production foncière a amorcée les premiers développements de la ville coloniale dont l'urbanisation s'est faite en dehors des remparts en avant des fronts Nord de la redoute pour s'étendre sur les jardins et les terres agricoles environnants.

384 Décret n°427 du 22 avril 1868 portant répartition du territoire de la tribu des Doui-Thabet, bulletin officiel du Gouvernement Général de l’Algérie, n° 299 année 1868, pp874-878.

385 M. Saïdouni, élément d’introduction à l’urbanisme, histoire, méthodologie, réglementation, CASBAH, Alger, 2000, 271 pages.

386 X. Malverti, A. Picard, les tracés de ville et le savoir des ingénieurs du génie, les villes françaises fondées en Algérie entre 1830 et 1870, 1989, 155 p.

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Les investigations ont révélé l’ancienneté de l’activité de lotissement dans la ville de Saïda. Les premières opérations étaient assurées par une partie de la population aisée (propriétaires fonciers, commerçants…)387. D’ailleurs, certains lotissements datant de la fin du XIXème siècle portent encore le nom de leurs premiers promoteurs. Cette filière de production du sol était assurée par un seul acteur, mais dont l’intervention était limitée à une petite échelle. Il s’agit de promoteur foncier assure la transformation du sol non constructible en sol constructible et la vente sur le marché foncier urbain. Son rôle se réduit à trois fonctions principales : l’acquisition du sol, son aménagement, et sa commercialisation. L’étude de la promotion foncière réglementaire privée est basée sur l’information recueillie à partir de deux sources essentielles : les dossiers d’autorisation de lotissement déposés aux services de l’urbanisme et les fichiers des mutations foncières de la conservation foncière. L'analyse de la production du sol urbain dans la ville coloniale permet de distinguer plusieurs étapes qui spécifient les mécanismes, les pratiques des acteurs et les fonctions qui sont assignées au sol urbain.

Le "Plan de Lotissement", (carte n°4) constitue l'avant projet de lotissement du Périmètre de Colonisation. Ce plan distingue à l'intérieur du territoire trois catégories de terres relevant du domaine public : les réserves domaniales, les dotations communales et les concessions. Les propriétés privées comportaient un lot à bâtir inclus dans le plan d'alignement du centre. La simplicité du dessin signifié la rationalité du projet, l'économie des travaux d'installation. Par conséquent, le lotissement urbain se présentait comme de simples enfilades de parcelles bordant des rues droites réduites à leur plus simple fonction, la desserte. Cette conception a facilité les investissements européens sur le centre européen ; tous les établissements importants y furent concentrés. La création de deux lotissements, réservés pour les israélites et les européens donnaient naissance au quartier juif et le quartier de l'église. Les deux lotissements étaient implantés en amont de la berge gauche de l’Oued Oukrif. Par le choix de l'emplacement du lotissement et la détermination de l'assiette foncière nécessaire, l'Etat colonial mis en place les conditions de la production du sol et de l'habitat urbain. Ce premier lotissement a donc pour but de promouvoir la construction privée dans le périmètre du nouveau centre de colonisation. Les demandes d'aliénation de lots de terrains se rapportant à la construction de petits immeubles pour l'habitation et le commerce. Au niveau urbain, cette procédure ouvre la voie à un processus d'aliénation des terrains publics au profit de la

387 Plans cadastraux et fichiers des mutations foncières, direction du Cadastre et la Conservation foncière de la Wilaya de Saïda.

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communauté coloniale, processus qui obéit au principe de la valeur marchande du sol. L'existence d'une réserve foncière publique a facilité la tache de l'Administration coloniale pour ouvrir à l'urbanisation des lotissements en vue de satisfaire les besoins en logements de la population européenne et en particuliers les détenteurs de capitaux qui se hâtent pour réaliser leurs rêves coloniaux. Le lotissement des terrains en contrebas de la redoute par les colons propriétaires déclenche dans la construction d'habitations et d'immeubles de rapports modernes.

Carte n° 4: Plan du centre de colonisation de Saïda, 1862.