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La location du sol, des habitations auto-construites sur des terrains loués

Production de l'espace urbain dans la ville coloniale

3. Du centre de colonisation à la ville coloniale

3.2. Les lotissements "indigènes"

3.2.2. La location du sol, des habitations auto-construites sur des terrains loués

L’exode rural s’est amplifié à partir 1920412 avec la reprise du sénatus-consulte interrompue en 1870, année marquée par une vague de paupérisation générale de la population musulmane. "Lors de l’hiver et du printemps de 1897 la famine sévit un peu partout en

Algérie" (C-R. Agéron, 1968). La sécheresse, le typhus, et les disettes qui sévissaient dans toute la région allaient aggraver l'exode vers la ville et concourir à renforcer l’urbanisation de Saïda. La population débarquée en ville se contentait dans un premier temps de s'entasser, dans le quartier de Doui-Thabet déjà débordé avant la création spontanée d'un nouveau bidonville413. Pour tenter d’endiguer les flux massifs des migrations vers la ville en les organisant selon un nouveau mode d’occupation, l’intervention des autorités coloniales

412 Appelé aussi le petit sénatus-consulte.

413 Graba Amrous, situé à la sortie nord de la ville de Saïda et caché de cette dernière par la butte du Bosquet. C'est un conglomérat de masures construit en pisé et en matériaux de récupération.

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débute par le problème foncier. Plutôt que de laisser les populations s’installer à leur guise, les autorités proposent de les fixer sur la partie haute de Doui-Thabet déjà attachée à l’Administration coloniale. Cette dernière, utilise à cette occasion la mesure sur les villages indigènes, celle de la location du sol. Il s'agit de délimiter dans les villes un périmètre exclusivement réservé aux nouveaux immigrants où ils ne possèdent qu’un droit d’usage du sol. Cette période a vu l’apparition de pratiques locatives du sol. Ce mode de production du sol avait comme agent support le propriétaire foncier (le colon) et le locataire du sol (le paysan). Pour des raisons d’ordre et pour donner aux constructions un aspect convenable, l’Administration coloniale définit le futur lotissement et occupe un terrain inculte mitoyen aux domaines agricoles. Le parcellaire prévoit un habitat moins dense et une voirie plus ou moins rectiligne. La location du sol est caractérisée par une organisation simple autour du propriétaire foncier, du locataire et de l’intermédiaire qui installe ménages en effectuant le partage du sol et la perception du prix de location. Le colon cède au paysan le droit d’occupation de 100 m² moyennant le paiement d’un loyer annuel de 50 francs. Il peut y reproduire son mode de construction mais non pas selon le mode d’organisation de l’ancien bidonville qui ignore les limites fixes et les alignements orthogonaux. Le développement par agglutination successive de constructions courant dans les anciens bidonvilles n'était plus autorisé.

La souplesse de la location du sol s’exprime à travers l’offre foncière adaptée aux conditions financières et des besoins en sol des ménages. C'est dans ce contexte que la partie haute du quartier de Doui-Thabet s’est développée spontanément suite aux différents déferlements de la population issue de la campagne et de la steppe des hautes plaines Sud-Oranaises. Ainsi, les populations errantes, souvent misérables, concentrées à proximité des domaines coloniaux avaient servi de main d’œuvre notamment pour l’agriculture et les travaux utilitaires. Les habitants reproduisent des pratiques d’habitation des régions rurales dont ils sont originaires. Leur économie est liée aux activités des colons. S’ils ne bénéficient pas des privilèges de la ville, ils assurent l’enrichissement des colons. En effet, l'administration coloniale profite de cette occasion pour réorganiser l'installation des populations rurales afin de rendre possible l’amélioration de l’habitat indigène. Ce processus de production du bâti populaire a produit au fil des années des habitations plus ou moins amélioré mais sans grande valeur. L'habitation sommaire en pisé lorsqu’elle disparait, est remplacé par la maison de type "haouch". La transformation du mode d’habitat est illustrative de cette évolution flottante qui se traduit par une amélioration relative de l’habitat très visible à travers la généralisation de la toiture de

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tuile rouge et le remplacement du pisé par la pierre sèche. Mais dans son ensemble, le quartier se présent comme structure irrégulière ne répondant à aucune norme. Il y a là une question d’appréciation qui ne permet pas de caractériser une catégorie absolument fermée dans ce conglomérat de typologie. L'habitat construit est le produit d’une longue évolution où les conditions historique dans lesquelles s’est développé le quartier expriment les stigmates de la pauvreté à travers le mode d’habitation.

Tableau n° 5 : Périodes d'installation des ménages à Daoudi Moussa Période d'installation Nombre Part (%)

1930-1939 7 3 1940-1949 10 4 1950-1959 42 17 1960-1969 56 22 1970-1979 14 5,5 1980-1989 42 17 1990-1999 36 14,5 Après 2000 43 17 Total 250 100%

Source : enquête ménages 2006, P.O.S. de Daoudi

Moussa, D.U.C de Saïda.

Le peuplement du quartier s'est opéré selon plusieurs périodes et au rythme des différentes vagues de l'exode rural. L'installation des ménages dans le quartier montre l'ancienneté du peuplement du quartier (tab. n°5). La première installation remonte aux années trente, période de la naissance du quartier. La part des ménages installés avant l'indépendance est moins importante que celle ayant peuplé le quartier après l'indépendance. D'un coté, cette proportion représente les ménages stables n'ayant pas changé de résidence depuis leur première installation dans le quartier. D'un autre coté, elle laisse deviner l'intensité de la mobilité et le rôle de transite que joue le quartier dans la mobilité résidentielle dans la ville de Saïda. L’accès à un logement dans la ville n’intervient souvent qu’après un long séjour dans ce quartier. Pendant les années qui ont suivis l'indépendance (1962-1969), les arrivées ont enregistré des niveaux élevés avec une régression sensible pendant les années de développement (1970-1978). Cette évolution s'explique, d'une part, de la saturation du quartier et, d'autre part, par la création d'un nouveau secteur populaire dans la périphérie Nord-est de la ville de Saïda (Boukhors). Les flux reprennent depuis les années quatre vingt jusqu'aux années quatre vingt dix et deux mille mais avec des fluctuations moins sensibles qui traduisent une mobilité résidentielle limitée dans ce quartier ancien.

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La guerre de libération (1954-1962) et la répression ont eu des effets préjudiciables sur l'habitat rural en Algérie. La stratégie militaire de contrôler les populations rurales et priver l’Armée de libération nationale (A.L.N) de ses sources de recrutement et de ses appuis logistiques a chassé les paysans vers les camps de regroupement après une destruction systématique de leurs villages et hameaux (D. Lesbet, 1984). Dans le cadre du plan de Constantine, le quartier a été greffé d'une petite cité de recasement d'habitat traditionnel planifié (Beau-logis et Bordi, ex S.A.S., Chara). Le processus de production du bâti populaire a provoqué donc la construction du premier noyau d'habitat populaire. La location du sol avait complètement disparus vers les milieux des années cinquante. Elle réapparaître plus tard dans les nouveaux bidonvilles périphériques de la ville amorcés sur des terrains privés. Au fil des années, l’afflux des ruraux à conduit à une sur-densification du quartier qui est demeuré le seul refuge pour les ruraux sans abri. Le parcellaire a complètement changé suite aux différents démembrements opérés par les habitants eux-mêmes. L’occupation se fait dans le désordre et les limites des parcelles tracées ne sont toujours pas respectées. En effet, L’analyse de la date d’achat des logements retrace l’évolution des mouvements des transactions immobilières et montre l’importance des ventes effectuées entre 1950 et 1959. Les premières transactions immobilières ont eu lieu avant 1950. Le nombre des ventes a relativement baissé après l’indépendance pour connaître une stabilité relative depuis 1970414. La stabilité du marché des ventes s’explique par le départ des européens et surtout des militaires laissant des zones non contrôlées investis par les ruraux au lendemain de l’indépendance, (Sersour et le "camp baraqué" des légionnaires français). La moitie des logements ont fait l’objet d’une seule vente, celle effectuée par le propriétaire initial. Un peu plus d’un quart soit 26,50 % ont fait l’objet de plus de deux ventes. Dans ce quartier traditionnel, le système traditionnel de législation des transactions est plus répandu et fait que le marché immobilier est plus dynamique et plus libre415. Le recours à un notaire coutumier (Taleb, Cheikh ou adule) est indispensable pour attester l'authenticité de la transaction immobilière sous forme d’"actes "sous seing privé"416. Le Cheikh notifie de sa main sur du "papier timbré" et en présence de deux témoins, le nom du vendeur et de l’acheteur, leur

414 L. Belouadi., Processus foncier et immobilier à Saïda, thèse de magister en géographie, Université d'Oran, 2002, 200p.

415 Idem.

416 L'acte sous seing privé est celui que dressent les parties elles-mêmes en leur qualité de simples particuliers, en dehors de l'intervention d'un officier public. Le seul élément indispensable à la validité de l'acte est la signature. Chaque partie à l'acte ou son représentant doit signer. La signature est donc le signe graphique strictement personnel par lequel une partie manifeste sa volonté.

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filiation, leur date de naissance, la localisation de l'immeuble et ses caractéristiques et le prix de vente. "L’opération était […] tout à fait conforme et réglementaire par rapport au mode coutumier originel qui fait appel aux services du cheikh et à deux témoins pour consigner la

transaction » (S.A. Souiah, 1998). L’acte sous seing privé a remplacé le contrat de location

après l'indépendance et a constitué une pièce maîtresse dans le dossier de la régularisation de l'habitat informel engagée en 1995417.

De la superficie des logements se dégage un élément important, à savoir : cinq logements sur sept soit 72% ont une superficie inférieure à 100 m² et deux logements sur sept ont une superficie supérieure à 100 m² dont la part des logements n’ayant pas subi de morcellement est de 14,60 %. Le mouvement des transactions intense a modifié la structure homogène du lotissement composé initialement de petits lots de 100 m² et a produit un parcellaire original formé surtout de lots minuscules à la portée des ménages migrants. Ce type de structure est le produit d’une série de morcellements très intense effectués par les locataires eux-mêmes qui ont vendu la totalité ou une partie de leurs lots et ensuite par les nombreux occupants qui y sont succédés. Le type d’habitat se trouve à la charnière de deux modes de vie, urbain et rural. Durant longtemps, le quartier a accueilli la population fraichement migrante en ville. Il était composé de deux parties séparées par une rue principale : la partie basse418 dont les masures longeant l’Oued, sont les plus vétustes et les plus désordonnées ; et la partie haute qui se présente comme une entité urbaine mieux consolidée et plus personnalisée avec ses maisons de type "haouch" auto-construites sur les terrains loués. Cette population rurale a été de tout temps une manne importante qui a drainée la ville coloniale en main d’œuvre "taillable et

corvéable à merci".

L'origine géographique des ménages révèle l'importance des ménages issus du milieu rural : deux principaux réservoirs démographiques ont fourni l’essentiel de la population du quartier Daoudi Moussa (tab. n°6). D’abord la zone rurale de Saïda constituée principalement des communes environnante (Ain El Hadjar, Hassasnas, Oueld Khaled…) avec 72% des arrivées et la région de la Steppe sud-oranaise (El Bayadh, Naâma..) et leurs localités respectives avec 14%. Prés de cinq ménages sur six (86) ont une origine rurale. 14 % des chefs de ménages

417 Instruction interministérielle n°02 du 31 juillet 1994 relative à l’établissement des titres de propriété au profit des opérateurs de promotion foncière, immobilière/ou d’activités industrielles sur des parcelles attribuées avant la promulgation de la loi n° 90-25 du 18 novembre 1990 portant orientation foncière.

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déclarent d'être issues de milieu urbain dont 6% habitait déjà la ville de Saïda et 8% qui n'habitaient pas forcément les villes voisines de Saïda (Tiaret, Mascara, SBA) mais les communes et localités rurales de ces dernières. Une part de la part de la migration rurale directe est récente est relativement importante : 31,50 % sont venus s'installer directement dans le quartier depuis 1990. Contrairement aux flux migratoires précédents, cette dernière vague venue durant la décennie (1990-2000) est formée de migrants moins pauvres qui ont pu acquérir un logement sans passer par le bidonville.

Tableau n° 6 : L’origine géographique des chefs de ménage à Daoudi Moussa. Lieu de naissance nombre %

Wilaya de SAIDA Saïda-ville 15 6 Doui-Thabet 35 14 Ain-El-Hadjar 95 38 Hassasnas 33 13 Ouled Khaled 18 7 Sous total 196 78% Villes du Sud 35 14 Autres villes 19 8 Ensemble 250 100%

Source : enquête ménages 2006, P.O.S. de Daoudi Moussa, D.U.C de Saïda.

Ce quartier se distingue de la ville coloniale par de nombreux traits. Le site est défavorable tant du point de vue topographique que sur le plan d'accessibilité. Les caractéristiques techniques archaïques du réseau de voirie en général et l'étroitesse de l'axe principal du quartier fait que la desserte par les moyens de transport médiocre l'on condamné à l'isolement. Dans ce quartier l’intervention publique est intervenue progressivement depuis l'indépendance pour devenir plus radicale en 1993 en entrainant l’éradication totale de l’ancien bidonville attenant au quartier et la construction d’une nouvelle cité collective en dur avec régularisation foncière419 des anciens habitants de la partie haute. Les différentes vagues ď'immigration rurale avaient donné naissance aux premiers camps d'entassement dégradés et vite débordés et lotissements indigènes réglementés et incarnant l'évolution des musulmans au point de vue de l’habitation. L'exode rural avait amené, sur la ceinture de la ville Sud-ouest, la ségrégation entre les ruraux dépossédés et sans moyens et les européens qui occupaient les lotissements dans la ville coloniale ou leurs exploitations agricoles. Elles ont créé la physionomie d'une bourgade coloniale abritant près de 23. 785 habitants (recensement de 1960).

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