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Un éclatement urbain marqué par une fragmentation du bâti

Production de l'espace urbaine sous l'économie de marché

6. Un éclatement urbain marqué par une fragmentation du bâti

Le concept de la fragmentation est largement utilisé par la géographie urbaine et sociale pour décrire un phénomène socio-spatial périphérique dans la ville contemporaine. Le fractionnement de l'habitat (vertical et horizontal) dans la ville ayant atteint un stade d'étalement spatial avancé est de plus en plus caractéristique des grandes villes. Cette notion de fragmentation utilisée pour la première fois par les sociologues décrit la fracture sociale et la perte de l’unité d’un groupe social en générant l'exclusion sociale voire la marginalisation (Navez-Bouchanine F., 2001). Désormais, la fragmentation concerne la société urbaine et "suggère qu’à une ville unitaire, organique, solidaire a désormais succédé un ensemble

aléatoire de formes socio-spatiales éclatées, marquées par des processus de territorialités fortes, non seulement coupées les unes des autres, mais campées dans une sorte de retranchement social et politique"585. La fragmentation du bâti urbain est associée souvent à l'éclatement d'une ville jadis compacte, unie et ramassée sur un seule site (A. Bendjelid, 1998). Ce phénomène socio-spatial prend de l'ampleur depuis les années quatre vingt et traduit l'évolution négative de la société urbaine. L'espace périphérique des grands centres urbains constitue d'ores et déjà la toile de fond d'une évolution urbaine générant des différenciations socio-spatiales importantes (Navez-Bouchanine F., 2002). La notion de la fragmentation propose donc une nouvelle lecture de l'ensemble urbain avec toutes les mutations socio-spatiales et la recomposition fonctionnelle de l'espace urbain.

Compte tenu de l'ampleur de l'urbanisation périphérique des deux dernières décennies, l'acceptation générale de la fragmentation urbaine intègre la juxtaposition plusieurs modes de production du bâti urbain à l'origine de fragments de tissus morphologiquement et

585 F. Navez-Bouchanine. (dir.)., "La fragmentation en question : Des villes entre fragmentation sociale et fragmentation spatiale", éd. L’Harmattan, Paris, 2002a, pp. 19-44, p.19.

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socialement différents. L'éclatement des liens sociaux produit des tissus de plus en plus fragmentés, différenciés et désagrégés en opposition de la ville compacte. Cette fragmentation urbaine est également le fait de la spécialisation fonctionnelle des espaces urbains. La dilution des frontières de la ville sur des espaces de plus en plus lointains a fractionné l'espace urbain en zones à la fonction spécialisée (zoning) en opposition à la ville traditionnelle désignée par la ville-centre, siège de la diversité fonctionnelle. En tout état de cause, cette fragmentation est synonyme de crise urbaine (H. Mebirouk, 2005).

L'ampleur de l’urbanisation périphérique mal maitrisée faute de gouvernance urbaine explique en partie les transformations de la structure urbaine soumise continuellement à des recompositions territoriales, œuvres des catégories sociales en lutte.

Au début de ce vingt-nième siècle, les villes algériennes ont entamé une nouvelle phase d’urbanisation des espaces périphériques. Cette éclatement du bâti résidentiel et fonctionnel, bien souvent inachevé, est bien perceptible à travers les périphéries de la plus part des villes algérienne (A. Benjelid & A. Hafiane, 2010, 2010) ; il traduit les possibilités de logement de milliers des familles à la recherche d'un logement. La ville de Saïda bien que n'ayant pas atteint un seuil de saturation de son portefeuille foncier encore disponible autour de son périmètre urbain, son extension spatiale s'est caractérisée très tôt par une implantation en situation de rejet des programmes d'habitat et d'équipements par rapport à la ville mère. Le caractère linaire de cette extension qui se fait aujourd'hui encore sur une distance plus au moins longue vers le nord, il prend une certaine allure d’éparpillement à l’Est, à l’Ouest et au Nord-ouest de la ville (photos n° 7 et 8). Mais, la lecture attentive de la morphologie spatiale actuelle fait constater que l’extension se fait aussi par remplissage des vides laissés par l'urbanisation antérieure où les rajouts successifs plus ou moins contigus laissent penser que la discontinuité spatiale n’est qu’une illusion d’optique. La topographie relativement favorable conjuguée à la disponibilité foncière autorise de penser la discontinuité perceptible n’est que temporaire. L’implantation au fur et à mesure des équipements et des opérations immobilières de taille moyenne par exemple prend la forme de remplissage des enclaves laissées par l’ancienne urbanisation tend à atténuer cette discontinuité spatiale. En attendant, le nouveau paysage urbain périphérique de Saïda apparait aujourd’hui plus éclaté en opposition avec la ville d’autre fois ramassée. L'éclatement du bâti est plus visible dans les secteurs en cours d’urbanisation (Nord-est, Est, Nord-ouest, Sud-ouest) où la topographie brise l'unité spatiale avec la ville mère.

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Photo 8 : Etalement périphérique de la ville de Saïda vers le Nord-ouest (Boukhors), 2012.

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Les terrains urbanisables deviennent de plus en plus pentus et la diffusion du fait urbain prend l’allure d’éparpillement que les grands travaux de nivellement tentent d’atténuer le phénomène d’éclatement mais la ville apparait aujourd’hui moins unie spatialement qu'auparavant spatiale.

La grave crise de logement, conséquence de l'inadéquation entre la demande sociale et l'offre publique, a beaucoup contribué à la fragmentation par les actions de résorption des bidonvilles et la construction des projets d’habitat en poussant de plus en plus l'extension spatiale des villes au-delà du périmètre projeté. (A. Bendjelid & A. Hafiane, 2010). Cette situation a beaucoup contribué à faire " des villes un ensemble de discontinuités spatiales

entre espace bâti et espace non bâti "586.

6.1. Un bâti urbain hétérogène, conséquence de la diversité des modes de production bâtie Le tissu urbain de la ville de Saïda est plus hétérogène que jamais, il reflète la diversité des acteurs et des facteurs à la base des processus de production bâtie. Le visiteur est frappé par la succession de fragments de bâtis bigarrés et le paysage urbain apparait comme une sorte de mosaïque où se succèdent différents tissus bien distincts sur le plan structurel que morphologique (phot n°9). Cette "fragmentation physique doit être […] lue tout au long de

l’histoire urbaine des villes algériennes ; bien plus l’histoire urbaine est, malheureusement, trop souvent oubliée dans les études et les recherches urbaines"587. Aussi, chaque fragment est le reflet des politiques mises en œuvre pendant à une période urbaine particulière.

La dichotomie jadis perceptible entre les quartiers de ville (quartiers arabe et quartiers européens) s'est dilue au rythme de la rénovation diffuse et transformatrice du bâti ancien et par l'intégration de nouvelles entités urbaines misent en place après l'indépendance. Mais, depuis les années quatre vingt dix, la ville de Saïda, à l'instar des villes algériennes, a connu une production massive du bâti résidentiel. La crise du logement et l'engouement des familles pour la maison individuelle se traduit par des formes spatiales spectaculaires. "Il va sans dire

que ce phénomène n’est récent que par une accélération notable, enregistrée depuis une douzaine d’années"588. La diversité des tissus urbains s’accentue en raison de la diversité des

586 A. Bendjelid & A. Hafiane (Dir.)., Op Cit.

587 A. Bendjelid & A. Hafiane (Dir.)., "de la fragmentation physique actuelle et passée à la tentative de défragmentation spatiale dans les grandes villes d'Algérie" in Insaniyat "Villes d’Algérie : formation, vie urbaine et aménagement", CRASC, 2010, Oran, pp.39-68.

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formules de production du bâti résidentiel ; dans le même espace, le plus restreint soit-il, se côtois différents fragments (collectifs, semi-collectif, individuel…) résultante de la pression foncière et de la demande de plus en plus accrue en logement. Le retrait partiel de l’Etat de beaucoup de domaines sociaux (emploi, logement) a donné lieu à la diversification des formules de production du logement qui impliquent de plus en plus les demandeurs dans l'accession à la propriété en fonction de leurs capacités financières : divers formules de production de logements selon les typologies (collectif, semi-collectif, individuel, habitat populaire) sont alors possibles. Au niveau national, ce constat semble général, "partout, les

paysages urbain des grands villes présentent une sorte de modèle standardisé dans lequel se succèdent une série de tissu bien différenciés structurellement et morphologiquement" (A

Bendjelid., 2010).

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Carte n° 8 : Les formes d'habitat à Saïda, 2015.

Légende

Habitat semicollectif

Habitat individuel (planifié, traditionnel, illcite régularisé..) Habitat épars

Habitat collectif (L.S, L.S.P, L.P.A, L.P.P...) Jardin, espace vert et vergers Equipements urbains Habitat précaire et Bidonvilles

Source : Direction du logement de Saïda P.D.A.U de Saïda, 2014. Enquêtes terrains. Auteur : Belouadi Larbi, 2014.