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Production de l'espace urbain dans la ville coloniale

1. Ville de Saïda, histoire et création

1.1. Organisation précoloniale du territoire des tribus

1.1.1. L'ordre tribal

L’objectif de ce bref développement n’est pas de faire l’histoire du peuplement et de l’organisation de l’espace géographique de Saïda et ses alentours pendant cette période, mais de donner un simple aperçu sur la configuration du territoire qui a préexisté avant l’installation coloniale. Avant la conquête coloniale, la propriété foncière dans sa forme globale était collective (arch). Ce mode d’occupation communautaire des terres, quoique dominant, n’a pas empêché la constitution de domaines fonciers privés. L'étude des différents modes de propriété foncière par le colonisateur et les rapports qu’entretenait la société algérienne avec le sol a été décisive dans la mesure où il a permis d'instaurer les politiques foncières coloniales et les objectifs de la colonisation.

358 Cette section est la synthèse de plusieurs lectures de documents historiques ayant abordés Saïda et région de manière directe ou indirecte.

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Dans l'Algérie précoloniale, l’élément directeur de l’organisation de la population est plus souvent la confédération ou la tribu dans le Sud et la communauté villageoise (isolat) dans la Kabylie. L’organisation en confédérations ou en tribus était un des aspects importants de l’histoire de l’Algérie précoloniale. Cette division de la population en tribus se distinguait par des limites fixes sur le sol mais non constatés, séparant les tribus les unes des autres. Ces limites étaient généralement marquées par des signes apparents telles que les chaînes de montagnes, des cimentières, des arbres séculaires, des amas de pierres en guise de bornes, de cours d’eau etc.…, ce qui empêchaient les membres d’une tribu de les franchir. " L’absence

de représentation est comblée par l’existence d’un ensemble de codes non écrits, respectés par tous. La tribu et son territoire sont identifiés par un nom; la symbiose avec le lieu habité et exploité est admise par reconnaissance tacite"359. Chaque tribus avait sont territoire où ses membres pratiquaient la culture des céréales (blé tendre, orge et blé dur) mais la principale ressource était l'élevage des moutons (A. Mérad, 1981). Le genre de vie pastoral extensif, le semi-nomadisme à court rayon de déplacement et la rigueur du climat justifient la prédominance des tentes sur toute autre forme d'habitat (gourbis ou maisons).

1.1.2. Saïda : "Ville de l'Emir AEK" devenue un site d’importance militaire.

L’histoire de création de la ville de Saïda débute d’abord par une première période marquée par l’implantation militaire coloniale dans un espace jusqu’alors exempte de toute présence coloniale. Un espace quasi-vierge où la notion de l’urbain n’existait pas sinon la forteresse de l’Emir Abdelkader abritant quelques habitations. A cette époque les territoires du Sud oranais étaient tenus dans la mouvance de l’Emir Abdelkader, qui a pris la tête de la résistance contre la colonisation. Saïda, fut l'un des fiefs de l’Emir. Il a pu tisser un réseau d’alliance avec les différents chefs traditionnels des tribus de la région ce qui a permis un combat de grande mobilité au gré de l’immensité de la steppe. L’importance du monde rural était un facteur stratégique de première importance pour les populations et combattants. Ainsi, L’Emir trouvait à Saïda un appui tant qu’en hommes qu’en matériels. Très tôt, il y établit son Bordj360 et développe ses lignes de défense : tranchées, murailles de 1 m 80 d’épaisseur sur 4

359 H. Boukerzaza., Maillage territorial et pouvoir dans l’Algérie du nord-est, Publication du Laboratoire de Géographie Rurale de l’Université Paul-Valéry de Montpellier et de l’U.R.A. 906 du C.N.R.S. « Dynamique de l’espace rural », Montpellier, N° 37 de « ESPACE RURAL », Octobre 1996.

360 Bordj : c’est habituellement une sorte de petit bastion fortifié abritant une garnison qui servira surtout de magasin d’alimentation.

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m de haut. C'est dans le "Vieux Saïda"361, que l'Emir Abdelkader décida de bâtir sur des ruines romaines une enceinte fortifiée qui servait de dépôt de vivres et de munitions (1835 à 1841). Sur "un rocher d'un rouge ardent, haut d'une cinquantaine de mètre et qui porte sur un

sommet quelques maçonnerie en ruine. C'est là tout ce qui reste de la Saïda d'Abdelkader. Un ravin profond, creusé entre les murs tout droit, sépare l'ancienne redoute de l'émir de la côte voisine"362. La "Ville de l’Emir Abdelkader" appelée par les français le "Vieux-Saïda" représente un témoignage historique de cette époque. Le rocher du "vieux-Saïda" offre à la fois une vue panoramique et imprenable assurant une position défensive qui permet le contrôle les différents voies de communication : vers l’Ouest, le chemin de Daya menant à Sidi Bel Abbes, à l’Est vers Tiaret, au Nord un chemin militaire en direction de Mascara et au Sud vers les territoires non occupés encore par l’armée française. "Ce rocher, vu de loin,

semble adhérent à la montagne, mais si on l'escalade, on demeure saisi de surprise et d'admiration"363.

Après Mascara, en octobre 1841, le général Bugeaud et ses troupes se dirigent vers Saïda. L’Emir Abdelkader incendie le village du vieux-Saïda et se replie vers le Sud. Lorsque les troupes françaises parvinrent à Saïda, elles ne trouvèrent que des ruines fumantes ; en minant les murailles elles achèvent la destruction de la forteresse. Le général Lamoricière installe son campement militaire sur la hauteur du "vieux-Saïda". Le site n'a été choisi, en fonction de réminiscences classiques, que pour constituer un point d'appui militaire, étape entre les coffins occidental et les limites de la steppe Sud-oranaise. La terre de Touta, de l’ancien beylik de l’Emir Abdelkader d’une étendue de 66 hectares, 40 ares et 35 cas fut dévolue à l’Etat dont 7 hectares, 40 ares et 46 cas étaient affectés à un lieu de campement pour les troupes de passage à Saïda364. Avant la pénétration coloniale, l'Emir Abdelkader se considérait comme l'héritier du Beylik dans les régions qu'il contrôlait, le Domaine en prit à son tour possession. La ville coloniale est bâtie à la croisée de deux régions aux influences contraires c'est-à-dire à la limite du Tell et de la steppe Sud-oranaise. Dans la vallée transversale Sud-nord Saïda, la cité s'élève, sur la rive droite de l'Oued Saïda, à 850 kms d'altitude et à 2 kms à l'Est du vieux village de l'Emir Abdelkader dit "vieux-Saïda". Saïda, signifie "l’heureuse", "la fortunée", elle

361 Un site boisé traversé par l’Oued de Saïda, et connu par sa fraicheur, ses sources et ses essences diverses dont le pin d'Alep et l'eucalyptus dominent.

362 J, Emmanuel., Guy de Maupassant sur les chemins d'Algérie, MAGELLAN & Cie, Paris 2003, p.67.

363 Guy de Maupassant, Op Cit., p.67.

364 Décret n°427 du 22 avril 1868 portant répartition du territoire de la tribu des Doui-Thabet, B.O.G.G. de l’Algérie, n° 299 année 1868, pp874-878.

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est édifiée dans le périmètre domanial du douar Doui Thabet365. D’un simple fort romain en ruine réinvesti par l'Emir Abdel Kader et son armée pour y élire une base de repli, le lieu est devenu une place forte d’importance militaire occupée par l’armée française dés 1841.

Le concours de plusieurs éléments (historiques, conjoncturelles, guerre…) ont donné au site un caractère militaire certes mais d’autres éléments physiques et naturels (réseau de voies, eaux, situation géographique, périmètres de colonisation,…) vont engendrer une configuration spatiale nouvelle dans cette partie du territoire jusqu’alors exempte de l’élément européen. Par l'installation militaire, l'armée française estime l'importance stratégique de la position géographique de Saïda. De 1845 à 1870, le poste de Saïda est le pivot des opérations militaires rayonnant vers les Hauts plateaux et les montagnes de l'Atlas Saharien, contre les tribus fidèles à l’Emir Abdelkader. L’occupation française est caractérisée par des soulèvements successifs de la population locale. De grandes batailles eurent lieu dans la région. En 1844 le Maréchal Bugeaud, héros de la prise de Saïda, est devenu gouverneur d'Algérie. Il ordonna366 la création d'un poste militaire fixe. Au confluent de l’Oued Saïda et l’Oued El-Oudri. Le général Lamoricière fait construire près du poste militaire, une redoute militaire, noyau embryonnaire de la ville coloniale, sur une butte dominant la vallée de Saïda. Les travaux entrepris dans un premier temps correspondent aux besoins de l'armée. La défense de la place est organisée par la construction d’une enceinte de deux mètre de haut abritèrent les troupes et les services militaires. Plus tard, une route est ouverte, sur 75 kilomètres, qui relieront Saïda à Mascara puis à Oran. Saïda, quatre ans après sa prise devient un poste militaire avancé avec l’arrivée du 1er bataillon de la Légion étrangère à l’automne 1844. L’emplacement n’est alors qu’un bivouac destiné à fournir les approvisionnements nécessaires aux colonnes se dirigeant vers le Sud pour la conquête de nouveaux territoires. Saïda est née donc de la décision prise en 1844, avec l’implantation, prés de l’Oued El-Oukrif, d’une redoute fortifiée, selon le système Vauban, flanqué de redans aux angles, ceinturé de fossés profonds et de glacis. La Redoute est une place quadrangulaire percée de deux portes monumentales donnent accès à l’intérieur de la redoute : l'une à l'est dite "porte de Tiaret", l'autre à l'ouest dite "porte de Mascara". "Le Bordj […] est, aux dimensions prés,

semblable à tous les autres bordjs. Qu'on imagine un vaste rectangle clos de mûrs entouré de fossés, avec des bastions aux angles et une porte au milieu de chaque face. Dans l'intérieur,

365 Décret n°427 du 22 avril 1868 portant répartition du territoire de la tribu des Doui-Thabet, bulletin officiel du Gouvernement Général de l’Algérie, n° 299 année 1868, pp874-878.

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une série de bâtiments découpe l'espace en rues perpendiculaires. Ce sont des casernes avec leurs accessoires, cuisines, prisons, écuries, de vastes magasins pour les approvisionnements, une boulangerie, un hôpital, une chapelle, enfin des maisonnettes pour les officiers, un cercle et le bureau des postes et télégraphes avec sa caisse d'épargne. Quelques jardinets souffreteux, des enclos d'animaux, sont tout ce qui rompt la monotonie de cet éden militaire"367. Une petite ville fortifiée tracée par le génie surgit. "Elle est soumise à une

administration exceptionnelle placée sous commandement militaire de Mascara qui reste la place forte de la région"368. De celle-ci, il ne reste qu’une partie des remparts, les deux portes et essentiellement l’hôpital désaffecté et la chapelle reconvertie en école coranique.

Le poste militaire primitif crée en 1845 fut fondé comme un poste militaire français avancé en 1854 pour héberger un régiment de la Légion Etrangère française. De 1844 à 1858, l’administration est sous l’autorité militaire. En 1858, Saïda, faisant partie du territoire militaire, elle devint une subdivision militaire, placé à sa tête un bureau arabe dit de la "YAOUGOUBIA"369 (1848) chargé de l'administration du territoire. À celui-ci succèdera, en 1865, le Centre administratif dirigé par les militaires. La colonisation officielle n'avait pas encore démarré et les premiers signes de l'explosion s’apercevaient déjà. Les colons acquièrent des terres et s'installent, malgré l'imbroglio qui constitue l'indivision et le droit successoral musulman.