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La production du bâti urbain dans la ville postcoloniale

1. Production foncière et immobilier, moteur de développement urbain

1.2. La production foncière privée réglementaire

Cette période s'est caractérisée par une cessation de production du sol et du bâti. Au-lendemain de l'indépendant, l'Etat indépendant avait pris des mesures conservatrices en reconduisant la législation antérieure à l'indépendance (1962). Afin de protéger le patrimoine foncier et immobilier, devenu biens vacants, contre la spéculation, toutes transactions foncières et immobilières ont été gelées pendant la période 1962-1964. Après cette période d'attente, cette mesure anti-spéculative fut allégée par la promulgation du décret n° 64-15 du 20 janvier 1964 autorisant la liberté des transactions foncières et immobilières entre vifs. Ce fut la relance de la production du sol urbain. Seulement les parcelles de faible superficie incluses dans le périmètre urbain étaient susceptibles de faire l’objet de telles transactions après un avis préalable du Wali territorialement compétent. Cette mesure ne concernait que les transactions ne devant pas dépassant un certain montant, soit 100.000 dinars. Consécutivement à cette mesure le processus des opérations de lotissements a démarré très lentement et mettant fin aux mesures conservatrices d'interdiction édictée au lendemain de l’indépendance. Dés lors l’espace encore libre souvent attenant aux quartiers résidentiels a servi d’assiette aux premiers lotissements privés. Au total, neuf opérations de lotissements privés ont été réalisées entre 1964 et 1972 (tab. n°8). La superficie lotie pendant la période

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s’évalue à quatre hectares totalisant 92 lots seulement. Une stagnation de l’activité des lotissements est constatée entre l'année 1967 et 1970 en raison d'une mévente provisoire des lots. L'activité d'allotissement a repris en 1971 par la réalisation de quatre opérations totalisant 44 lots, soit la moitie environ du total des lots crées. Après 1972, aucune nouvelle opération de lotissement n'a été enregistrée. Cet arrêt s’explique, d'une part, par la saturation du secteur central où toutes les parcelles disponibles à l'intérieur du périmètre urbain étaient épuisées et, d'autre part, la politique de la municipalisation du sol urbain (1974) suspendant les transactions foncières.

Tableau n° 8 : Structure des lotissements privés à Saïda, 1965-1972. Année Nbre de lotissements Superficie (m²) Nbre de lots

1964 1 4939 12 1965 2 5173 13 1966 1 3360 6 1967 1 9169 17 1968 - - - 1969 - - - 1970 - - - 1971 2 12948 30 1972 2 5947 14 Total 09 4 ha 92

Source : fichiers des mutations foncières, conservation foncière de Saïda.

Le nombre d’autorisation de morcellement enregistré pendant cette période était limitée et atteste le maigre bilan de la production foncière privée pendant cette période. La production foncière était très faible en nombre de lots. La lenteur des opérations de lotissements est due en fait à un contexte politique, économique et social défavorable : le départ des européens laissant derrière eux un parc de logement vacant très vite occupé par une bonne partie de la population a satisfait les besoins de la population en matière de logement. L'offre en lots de terrain était donc plus importante que de la demande. La commune avait en plus initié une série d’opérations de construction de petites cités de recasement dont le principe était acquis avant l'indépendance (Amrous, Mejdoub, Bordj, Sidi Gacem, Chara, Beau logis…). Enfin, l'opération "Carcasse" a permis d'achever les chantiers de construction d'un programme de 420 logements sociaux abandonnés après l'indépendance. Compte tenu de la demande limitée, les besoins en terrain a largement satisfait les besoins des couches sociales moyennes et aisées. L'offre foncière n'était pas en adéquation avec la demande en logement exprimée à

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cette époque. Toutes les opérations de lotissements se caractérisaient par un remplissage des vides intra-muros laissés par l'ancienne urbanisation. Les parcelles de terrains attenantes le plus souvent aux quartiers résidentiels de villas ont fait l'objet d'acquisition et d'allotissement. Le choix des terrains à lotir a obéi aux principes de la division sociale de l’espace urbain mis en place par le système colonial. Cette production foncière concentrée à l’intérieur du périmètre urbain est due en grande partie aussi à la réglementation foncière et urbanistique en vigueur n'autorisant les transactions foncières à l’intérieur du périmètre urbain. Il s'agit d'une production foncière sélective. Elle a profité surtout aux catégories sociales aisées (tab. n° 9).

Tableau n° 9 : Répartition des acquéreurs par catégorie socioprofessionnelle

Commerçants Agriculteurs Fonctionnaires Total

Nombre 56 25 11 92

Part (%) 61 27 12 100

Source: fichiers des mutations foncières, conservation foncière de Saïda.

Les commerçants sont les plus grands bénéficiaires (61%) de cette offre foncière. Viennent en seconde position les agriculteurs citadins avec plus d'un quart (27%), et en dernier lieu les fonctionnaires de l’administration avec environs 12%. La structure des bénéficiaires par catégorie socioprofessionnelle confirme le caractère sélectif de cette offre foncière qui reproduit et renforce la division sociale de l’espace urbain à cette époque. La taille des lots corrobore la cible sociale bénéficiaire de cette production foncière (tab. n° 10). La catégorie de lots la plus représentées est celles des plus 300 m². Cette catégorie est importante en nombre et en superficie. Elles correspondent à un seul groupe distinct et répondent aux besoins des couches sociales aisées qui préfèrent s’installer dans les quartiers résidentiels. Peu de lots, soit 4% atteints 600 m² et 03% des lots ont une superficie comprise entre 200 et 300 m².

Tableau n° 10 : Répartition des lots de terrain selon la taille (m²) Taille des lots - de 300 300 - 500 + de 500 Total

Nombre 3 85 4 92

Part (%) 3,5 92 4,5 100

Source : fichiers des mutations foncières, conservation foncière de

Saïda.

L'activité des lotissements se caractérise par la dominance de la petite promotion foncière (tab. n° 11). La quasi-totalité des opérations est constituée de petite taille en termes de surface. La taille maximum de la surface lotie est d’un hectare environ. Seules deux

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opérations de lotissements ont une surface inférieure à 2500 m² (22%). L’essentiel de l’activité soit 78% se situe dans la fourchette de 2500 m² à un hectare. Ce type de structure est dû, d’une part, à la trame foncière disponible et, d’autre part, au type de promoteur foncier en activité. Cette petite promotion est concentrée dans la lisière du périmètre urbain qui n’a cessé de connaître avant et après l’indépendance un mouvement de transactions intenses. Les anciens domaines agricoles de la petite et moyenne colonisation ont subi des morcellements successifs, d’abord par leurs propriétaires initiaux et ensuite par les nombreux propriétaires qui leur ont succédé. Ce mouvement a produit un parcellaire foncier émietté et formé surtout de petites parcelles à la portée de petits lotisseurs urbains d'où un mouvement massif de lotissements tout au long de la période coloniale. Les quelques parcelles épars et encore disponibles ont permis une activité de lotissements maigre après l'indépendance.

Tableau n° 11 : Répartition des lotissements selon la taille des propriétés loties (m²) Surfaces Moins de 2500 2500 – 10000 Total

Nombre 2 7 9

Part (%) 22 78 100

Source: fichiers des mutations foncières, conservation foncière de Saïda.

Deux catégories de lotisseurs sont identifiées (tab. n° 12): les propriétaires fonciers et les lotisseurs occasionnels. Les rapports qu’ils entretiennent avec la propriété foncière, les pratiques et les stratégies les différencient. Le propriétaire foncier est l’agent lotisseur. Il procède à l'allotissement de son terrain pour le mettre en vente sur le marché foncier et perçoit directement la rente foncière. Sur les neuf lotissements représentant une superficie de quatre hectares, cette catégorie a lotit un tiers (32,5%) de la superficie totale, soit 1,40 hectares. En revanche, les lotisseurs individuels s’adressent au marché foncier pour acquérir le sol à bâtir qu’ils lotissent ensuite. Il est le seul bénéficiaire des conditions postérieures qui lui permettent d’augmenter la rente. Le lotisseur individuel intervient seul dans toutes les phases du processus de production du sol urbain et assure l’organisation financière et technique du lotissement. Il satisfait directement la demande ou a recours à un intermédiaire spécialisé, le plus souvent c’est un notaire qui se charge de toutes les formalités administratives de la transaction. Ce type d’intervention se justifie par la faible superficie des opérations engagées. Le processus du lotissement ne nécessite pas un important capital et le lotisseur s’autofinance par un investissement individuel qui lui permet de réaliser des profits considérables sans recourir à d’autres sources financières ou à des crédits bancaires. Après l’achèvement des opérations de lotissement, les lotisseurs se retirent du marché foncier et s’orientent vers

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d’autres activités commerciales. Ce ne sont pas des lotisseurs professionnels. La conjoncture économique défavorable et la politique foncière étatique contraignante n’ont pas permis à l'activité de lotisseurs privés de rester dans la promotion foncière et de passer au stade de la promotion foncière professionnelle. Sur les neuf lotissements, quatre ont été réalisés par des lotisseurs individuels qui se sont vues par la force des choses écarter du marché des lotissements.

Tableau n° 12 : Structure professionnelle des lotisseurs privés à Saïda 1964-1972 Agriculteurs Courtiers Total

Nombre 6 1 7

Part (%) 86 14 100

Source: fichiers des mutations foncières, conservation foncière de Saïda.

Une seule catégorie socioprofessionnelle assure l’essentiel de l’activité des lotissements, celle des agriculteurs avec 86%. Ce sont d’anciens agriculteurs devenus des lotisseurs en raison des opportunités offertes par une conjoncture plus ou moins favorable. L’investissement du capital agricole dans le foncier urbain est une pratique relativement ancienne. Elle a pris naissance pendant la colonisation avec le développement des premiers lotissements coloniaux allant recevoir les populations des premiers européens. L’agriculture a constitué depuis longtemps la base économique essentielle de la vie urbaine. Au-lendemain de l'indépendance, les petits et moyens agriculteurs avaient succédé aux colons. Ils ont effectué des opérations de lotissements captant ainsi à leur profit la partie de la rente foncière, prélevée normalement par le lotisseur professionnel. Pour la plus part d'entre eux, la promotion foncière ne constitue pas une activité principale. C’est une activité parallèle voire occasionnelle. Ces lotisseurs occasionnels n’ont pu investir que dans des petites propriétés foncières situées dans des secteurs déjà aménagés et viabilisés et donc techniquement maîtrisables. Il s'agit d'opérations financièrement abordables d’autant plus que de nombreux lotisseurs sont des propriétaires fonciers qui se sont vus contraint de lotir une partie de leurs terres incluses dans le périmètre urbain sous peine d'être expropriés.

La promotion foncière privée est restée, tout au long de cette période, prisonnières des contraintes structurelles liées à la politique foncière conservatrice adoptée par l’Etat algérien au lendemain de l’indépendance. L'interdiction pure et simple de transactions foncières et les conditions draconiennes avaient jugulées la promotion foncière. Ces mesures étaient renforcée en 1971 par la le lancement de la révolution agraire qui a conduit au gel de

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transactions foncières entre vifs à l’exclusion des morcellements de propriété par voie d’héritage. Ce blocage a été maintenu jusqu’à l’avènement de la deuxième phase correspondante à l’affectation aux paysans sans terres des terres nationalisées. L’introduction de l’ordonnance portant constitution des Réserves foncières communales en 1974 a conféré aux communes l’omnipotence des transactions foncières en intégrant tous les terrains publics et privés inclus à l’intérieur du périmètre d’urbanisation dans leur portefeuille foncier. La succession dans le temps de plusieurs mesures draconiennes (1964, 1971 et 1974) a eu pour effet de contre carrer le développement d’un marché foncier libre en Algérie. Enfin, la politique foncière conservatrice ont été à l’origine de l’activité modérée des lotissements et sa stagnation pendant la période qui a suivi l'indépendance. L'introduction de la politique des réserves foncières communales en 1974 a annoncé un nouveau système foncier étatique. Ce système a toujours empêché l’évolution de la production foncière vers un stade plus avancé, celui d’un véritable système de production foncière.