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La production du bâti urbain dans la ville postcoloniale

1. Production foncière et immobilier, moteur de développement urbain

1.3. La production foncière étatique

1.3.3. L'agence foncière communale (1986-1990)

L'expérience des communes en matière de gestion foncière a fait apparaître beaucoup d’insuffisances. Pour combler les lacunes constatées, l’Etat a décidé de doter les communes d’organismes spécialisés appelés les Agences Foncières Locales. Créés en 1986452 leur rôle consiste à apporter assistance technique et administrative aux communes dans les opérations de gestion et d'aménagement foncier. Elles assurent une mission de coordination entre la commune et les différents services techniques et administratifs de la wilaya (domaines, cadastre, conservation foncière, direction de l'urbanisme et de la construction, direction de hydraulique…) lors des opérations préalables aux diverses procédures de cession, de rétrocession des terrains et d'aménagement foncier. L'agence foncière avait pris le relais dés sa création mais elle n'a procédé concrètement sur le terrain qu'à partir de 1988. De 1988 à 1994, l'intervention intensive de l'agence dans le domaine de création de lotissement s'est traduite par l'allotissement d'une superficie de 79 hectares totalisant 920 lots de terrain (tab. n°14). Les bénéficiaires des deux premiers lotissements (L1 et L2) sont surtout des fonctionnaires de l’administration et des commerçants. Le prix du mètre carré est fixé à 400 dinars. Une année après, l’intervention de l’Agence foncière devient massive en diversifiant sa cible sociale et touche plusieurs couches sociales à la fois. Cette nouvelle stratégie est édictée par le changement politique intervenue après les évènements tragique d’octobre 1988. Après cette date huit (8) lotissements sont ouvert à l'urbanisation, au total 700 lots sont mis sur le marché foncier, soit l’équivalent des trois quarts de l'activité de l'agence en termes de production foncière. La taille des lots est variable de 115 à 200 mètres carrés. Le mètre carré est cédé à 176 dinars. Trois lotissements de 231 lots sont greffés sur les quartiers populaires de Daoudi Moussa et Mejdoub. Ils sont réservés aux catégories sociales aux revenus limités. L’objectif étant de créer un secteur d’habitat économique rassemblant les masses populaires parmi lesquelles la propagande de certains partis politiques avait trouvait un large écho. A travers cette offre foncière, les pouvoirs publics avaient des visés purement politiques : les réformes politiques adoptées depuis 1989, avaient donné le champ libre à l’expression des tendances idéologiques et politiques assurée par un multipartisme et un pluralisme inexistant jusqu'alors en Algérie. Cette expression de toutes les sensibilités est rendue possible par le soulèvement populaire du 5 octobre 1988. Elle est désormais reconnue et garantie par la nouvelle constitution du 23 février 1989. Cela a permis aux couches sociales de s’organiser pour défendre dans la légalité leurs intérêts moraux et matériels et revendiquer l’amélioration de

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leurs conditions de vie. Logement qui hante le plus d’algériens est devenu un facteur de mobilisation d'une grande efficacité des populations. Les tendances politiques présentes sur la scène politique en ont fait une thématique électorale dans le but de reconquérir la confiance perdue des masses populaires et essayé de les rallier à leurs causes politique : l'extension Nord de Saïda déjà ouvert à l’urbanisation, a vu la création de trois lotissements (Soumam, Ali Boumendjel et Boukadda) de 417 lots sont crées. La taille moyenne des lots est de 200 mètres carrés.

Tableau n° 14: Structure des lotissements gérés par l’Agence foncière locale de Saïda "AFIS" Lotissement Année Surface (ha) Nbre de lots

L1 1984 44.11.84 62 L2 1984 3.72.90 65 Boumendjel 1989 2.58.75 61 Soumam 1989 10.65.00 212 Mejdoub 1989 2.97.20 66 Boukada 1989 06.63.80 136 Charaâ 1989 01.46.97 80 Zhun Ouest 1989 02.27.60 84 Extension Boukada 1993 01.73.40 27 Extension Soumam 1995 01.35.59 29 L3 1995 00.95.76 41 Coopérative A.F.I.S 1992 00.41.44 32 Cite C.N.E.P. 1994 00.56.33 25 Total 79.46.58 920

Source : Agence locale foncière de Saïda A.F.I.S.

Ces lotissements sont destinés à recevoir des villas de trois et quatre niveaux. L'espace résiduel encore disponible à l’intérieur du lotissement Sid Cheikh créé en 1980 a permis son extension à 231 lots, soit 46 nouveaux lots d’une superficie moyenne de 224 mètres carrés. Ce lotissement situé dans un secteur péricentral est attribués en priorité à un groupe puissant d’un pouvoir de décision453. Le choix de la densification est édicté, d’une part, par la situation favorable du dit lotissement et, d’autre part, par l’existence des réseaux de viabilité ce qui n’implique aucun investissement pour son aménagement et éviter de la sorte toute incidence sur les prix de cession. Les lots sont cédés à bas prix, soit 220 dinars le m².

453 Les membres de l’assemblée populaire communale de Saïda et les membres du conseil d’administration de l’Agence foncière locale.

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Ces pratiques confirment la pérennité du trafic d'influence, l'"opportunisme" des gestionnaires et le caractère sélectif du mode d’attribution de lots de terrain. Cependant, les conditions d’attribution de lots de terrain pendant cette période sont très souples. Au niveau des catégories socioprofessionnelles, les fonctionnaires de l’administration publique sont majoritaires, viennent après les commerçants et les autres catégories composant la société urbaine454. Au total, la superficie lotie s'élève à 40 hectares environs totalisant 920 lots soit le triple de l'activité de la commune de Saïda pendant la période précédente. La taille des lots est très variable allant de 120 à 400 m². L’existence d’une réserve foncière communale regroupée au Nord de la ville n'a pas permis pour autant à l’Agence foncière de Saïda d’atteindre l’objectif de 200 lots par an que le ministère de l’intérieur avait recommandé aux communes. Les troubles sociaux et politiques qui ont caractérisé le pays pendant la fin de cette période (1986-1990) ont favorisé un climat délétère et de le développement des pratiques abusives à la faveur d'un laisser-aller flagrant. L’attribution des lots de terrain s’est caractérisée par des irrégularités. Elle s'est déroulée d’une manière incohérente, "guidée par le népotisme et les

pressions des groupes sociaux et professionnels ainsi que les réseaux d’intérêt"455. L'activité de l'agence foncière se révèle décevante sur le plan de la gestion foncière. Le déficit d'encadrement technique et administratif constaté pendant la première période était considérée comme la principale cause qui a handicapé la commune dans sa mission de gestion foncière. Toutefois, le renforcement de la commune par un organisme spécialisé dans la gestion foncière et urbaine n'a pas donné pour autant les résultats escomptés. Les défaillances du système de production du sol pendant cette seconde période peuvent être décelées à plusieurs niveaux :

- Epuisement des réserves foncières et l'aggravation des situations contentieuses L’urbanisation de terrains publics acquis dans le cadre des réserves foncière ne s’est pas accompagnée d’un mouvement d’acquisition de terrains à l'effet de renouveler le portefeuille foncier pour face à aux exigences du développement urbain futur. En outre, beaucoup de terrains ayant servi d’assiette pour des projets publics ne sont pas juridiquement propriété de

454 La structure des bénéficiaires des lots de terrain est dominée par les classes jeunes. Prés de la moitié des bénéficiaires soit 47% ont moins de 40 ans à la date de la cession des lots. Plus que toutes les catégories de la société, la jeunesse était, en effet, la première à subir les effets d’une dégradation massive des conditions générales de l’existence. En 1988, elle devient par sa courte et tragique action, un acteur social et un partenaire politique avec lequel il faudrait dorénavant compter.

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la commune. Les difficultés financières ajoutées aux insuffisances d’encadrement administratives et techniques au niveau de la commune n'ont pas permis l'aboutissement des procédures d’acquisition à terme. Cette situation a engendré un contentieux foncier complexe dont l’apurement a été déclenché dés 1991. À partir de cette date, la commune ayant hérité un passif de contentieux foncier étaient tenu de procéder à l’assainissement foncier conformément à la nouvelle réglementation en vigueur.

- Des lotissements sommairement équipés

Si sur le plan quantitatif, la cession des lots a été relativement significative, il n’en est pas de même sur le plan qualitatif. La viabilisation des lotissements reste insuffisamment prise en charge. La viabilisation se limite à la matérialisation des voies pour faciliter le bornage des lots et permettre aux acquéreurs d’entamer la construction de leur logement. Ce sont des lotissements ouverts à la construction sans viabilisation préalable. L’Agence foncière locale créé dans le but spécifique d’acquérir et d’aménager les terrains urbains en recourant aux acomptes des bénéficiaires n’a pu équiper que quelques lotissements.

Dans une conjoncture (économique, sociale et politique) très tendue caractérisée par l’urgence des besoins, l’Agence foncière a procédé au plus court pour faire face à la prolifération des demandes. En évitant de parcourir une procédure administrative et technique complexe et lente à la fois, l'agence a adopté, - par injonction -, un processus simplifié et souple contraire à celui qui structure les opérations de lotissements. Ce procédé à permis de répondre à l'urgente à des besoins immédiats. Les retards dans la réalisation des travaux de viabilité sont dus, en grande partie, à une sous-évaluation des coûts du mètre carré. Les prix de cession ne sont pas étudiés mais fixés administrativement. Ils sont d'autant plus cédés sur plan à des prix très encourageants avant le montage financier de l’opération du lotissement. Les prix définis initialement sont en fait que des estimations. Une fois les travaux engagés, les prix s’avèrent largement sous-estimés alors que le prix de revient du m² viabilisé est le double, voire le triple du coût du mètre carré nu. L’actualisation des prix de cession a posé de nombreux problèmes avec les acquéreurs détenteurs d’acte de propriété. Ces derniers, se considèrent acquitté des droits et des obligations contenues dans le cahier des charges et exigent à l’Agence d’en respecter les clauses relatives à la viabilisation stipulant que les travaux de viabilisation sont à la charge du promoteur. La situation financière déficitaire de l'Agence est inhérente à la gestion administrative des opérations de lotissements. Faute de moyens financiers, l’Agence foncière était dans l'impossibilité de viabiliser tous les lotissements crées pendant cette

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période. Le bilan des opérations de lotissements met en évidence, d’une part, les difficultés financières insupportables et, d’autre part, l’incapacité de l’Agence foncière de prendre en charge l’achèvement de la viabilisation des lotissements. Les lots sont bradés à des prix fixés administrativement par délibération municipale alors que l’Agence foncière est un organisme à caractère commercial. L’expérience vécue par cet organisme a donné lieu à des relations conflictuelles guidées par les enjeux et les intérêts qu'engendre le foncier urbain. L’agence foncière créée pour pallier les insuffisances administratives et techniques des communes n’a pu atteindre les objectifs escomptés par les pouvoirs publics. Compte tenu de sa situation d'intermédiaire entre la commune et les différents intervenants dans les opérations d’aménagement foncier et par le jeu des compromissions elle s’est écartée totalement de sa véritable mission. Les irrégularités administratives, l’exacerbation des conflits et des intérêts des intervenants dans le processus de production du sol se sont traduit par un dysfonctionnement qui a énormément influencé le système de production foncière et retardé le processus de production du sol.

Le sol urbain matériau largement disponible dans les mains des communes a fait l’objet d’un véritable bradage cédé, à des prix relativement bas. "A l’opposé, l’accaparement des terrains

et les pratiques spéculatives ont porté un rude coup au prestige de l’Etat"456 lequel pris par la succession inattendue des évènements sociaux et politiques (émeutes, multipartisme, préliminaires des élections communales et législatives en 1990) a préféré répondre aux impératifs politiques et sociales au détriment des exigences techniques et économiques des opérations de lotissements. Tout ceci a altéré, d’une part, de l’efficacité recherchée en matière d’aménagement foncier et exacerbé les tensions sociales. Une fois de plus la contradiction est flagrante entre les objectifs fixés et les résultats sur le terrain. La crise de logement a pris donc une ampleur sans précédent, elle se manifeste d’ailleurs par un mouvement de constructions spontanées et illicites dans le tissu urbain et à dans la périphérie immédiate. On assiste alors à une prolifération des bidonvilles, des surélévations de constructions et occupations illicites des terrains publics. En dépit de la réalisation d’un programme de logements conséquent de l’ordre de 3200 logements dans la Z.H.U.N Nord pendant cette période, l’offre publique en logement et en terrains constructibles est restée largement en deçà de la demande exprimée.

106 4. La production du bâti populaire illégal

La production du bâti illégal457 sous toutes ses formes est un phénomène hérité de la période coloniale. Révélateurs des crises structurelles et urbaines, l'habitat précaire, sous sa forme la plus sordide, celle du bidonville est le cadeau empoisonné de la colonisation (F. Benatia, 1978). Ce type d'habitat est considéré comme une pathologie urbaine inhérente à une crise de la société globale (F. Benattia, 1978). La diversité des situations précaires se manifeste à la seule évocation de ses nombreuses appellations par les chercheurs, les aménageurs, et les pouvoirs publics : bidonvilles, gourbis, taudis, établissements irréguliers, illicites, spontanés, sommaires, sous-intégrés, marginaux, incontrôlés, non planifiés, clandestins, pirates, de transit...etc. Cette richesse sémantique témoigne de l’universalité de la pauvreté urbaine qu'incarnent les conditions d'habitat des populations pauvres. Mais au-delà l'aspect précaire et sordide, chaque quartier a son histoire, ses modalités et ses mécanismes de création qui varient d’un pays à un autre, d’une région à une autre selon les conjonctures. Toutefois, les facteurs explicatifs les plus immédiats sont communs, notamment l'exode rural comme moteur d'une urbanisation particulière et le déséquilibre entre l'offre publique en logement et une demande en constante augmentation (Souiah. S-A, 2010).

À Saïda, l'habitat précaire est apparu dans la ville progressivement depuis sa création (colonisation) en ponctuant les phases de son évolution. Il est crée à partir de petits noyaux formés d’habitat sordides ; il s'est développé au rythme des différents flux migratoires des populations déracinées pour former des quartiers entiers. Ces derniers se distinguent des quartiers réguliers par leur structure, leur physionomie, leur mode de production et leur contenu social. L'habitat précaire se manifeste dans le tissu urbain sous différents formes dont la plus sommaire est le bidonville. Cependant, ce type d’habitat, n'est pas resté figé, il peut se perfectionner au gré des modifications apportées par les habitants pour donner naissance à une forme plus évoluée et plus répondue qu'on l'assimile à l'habitat populaire de type traditionnel (haouch). C'est le cas notamment du quartier de Daoudi Moussa qui a subi au fil du temps de multiples transformations pour prendre une nouvelle "architecture"458 dont il est difficile de classifier ou répertorié selon une typologie bien définie.

457 Tout ce "qui n'est pas conforme aux lois, aux règlements, à l'usage…etc. Se dit de mots, de formes, de constructions qui s'écartent du type considéré comme constituant la norme".

458 Il s'agit dans la plus part des cas des habitations d'un seul ou deux niveau voire trois avec des garages implantés au rez-de-chaussée.

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