• Aucun résultat trouvé

La production du bâti urbain dans la ville postcoloniale

8. Une crise de logement imprévue

L'Algérie a un lourd passif à rattraper en matière de production de logement. Au-lendemain de l'indépendance, on avait surestimé leparc-immobilier légué par le départ des français et on a pensé qu'il pouvait loger toute les populations. Ainsi, la faiblesse de la construction de logements neufs (cité de recasement, opération carcasse) depuis 1970 a aggravé davantage la situation dans une conjoncture marquée par un boom démographique et la vigueur de la croissance urbaine. La pénurie devient manifeste au début des années quatre-vingt et les programmes en cours de réalisation ne permet de répondre à une demande en forte augmentation débouchant alors sur une grave crise du logement depuis les années quatre vingt dix.

La ville de Saïda comme la plupart des autres villes algériennes, accuse un déficit quantitatif et qualitatif important en logements. L’aspect le plus visible de cette pénurie de logements se traduit par l’apparition de nouveaux noyaux précaires à la périphérie de la ville et en bordure des quartiers populaires (Sesour, Boukhors, Mejdoub…etc.) pendant toute la période 1980-2000 : 22 bidonvilles, abritant 1502 familles (10 210 personnes), sont recensés en 2007 à Saïda (Wilaya, D.U.C. de Saïda, 2007). La Daïra a enregistré prés de 23000 demandes en logement dont 14000 demandeurs éligibles. À cette crise quantitative, s’ajoute une dimension qualitative, attestée par l’obsolescence et l’inconfort, voire la vétusté d’une grande partie du parc immobilier ancien et dont on ne connait pas avec précision le nombre. Le recasement devient un fait que lorsque l'effondrement devient imminent ou ait lieu. Certes, cette crise du logement n’est pas spécifique à Saïda mais elle y atteint des proportions inégalées dans d'autres villes. Pour toute l'Algérie, le déficit est estimé à environ deux millions. Entre 1966 et 1983, le taux d'entassement est passé de 5,2 à 8,21 en enregistrant une augmentation sensible des 1971532. L’augmentation de la population sur un rythme plus soutenu à partir de

154

1972. Selon les estimations de l’état civil, le taux global de l’accroissement moyen est passé de 4,4% à 7% entre 1974 et 1977533. Parallèlement, l’accroissement du parc logement durant la même période (1966-1983), n’est que le tiers de l’accroissement démographique. L’effet du programme spécial a contenu en partie l’augmentation démographique (21% pour 3%). Si la période 1966-1971 s’est caractérisée par un apport population/logements nouveaux de 44 %, qui peut s’expliquer par les insuffisances dues à la période postindépendance, la période post-programme spécial, il n’était que de 32%. L’entassement constaté lors de cette période dans la ville de Saïda, laisse apparaître une véritable crise de logement malgré les réalisations de la période 1971-1977. Le déficit de logement s’est aggravé en 1977. Il était de l’ordre de 3746 logements à construire en 1980. 6230 demandes de logement avaient été enregistrées au niveau de l'O.P.G.I à la fin de la période 1970-77. Cet office n’avait pu offrir que 968 logements pour la même période.

Le déficit global en 1977 étant de 4620 logements. Devant ce déficit, se sont multipliées les constructions spontanées (habitat précaire, bidonvilles, empiètement, surélévations et occupations illicites) accroissant les densités et la dégradation du tissu urbain. Face aux besoins croissants en logement, la ville avait bénéficié d'un programme d'habitat public conséquent comprenant à la fois un secteur proprement "social" et un secteur destiné à résorber les besoins de différentes administrations, des entreprises publiques et de la sûreté nationale. La part de l’habitat a augmenté lors de ce plan de 7,50% soit 8,3 millions de dinars dont 5,67 millions sont réservés à l’habitat urbain. Prés de 4839 logements ont été réalisés tous programmes confondus. L’office de promotion et de gestion immobilière (O.P.G.I) a livré 4269 logements. La commune a concentré son effort sur les logements socio-éducatifs. À la fin de cette période, 10% de l’investissement initial sont consacrés à l’habitat.

Le Plan Quinquennal 1980-1984, représente un "bon en avant" dans le domaine de la construction par la nouvelle politique des "Z.H.U.N". Il a prévu un objectif de réalisation de 100 mille logements par an. Le plus important à Saïda est la mise en place des moyens de réalisation de la nouvelle extension située au Nord de ville de Saïda.

155

Tableau n° 29 : Programmes de logements réalisés pendant le plan quinquennal (80-85).

Site Nbr logt Typologie promoteur

Cité Azhar 528 Collectif O.P.G.I

Cité Feth 499 " "

Cité Refafa 130 " "

Cité administrative 50 " B.D.L

Cité Bel-Hadjar 200 " O.P.G.I

Cité policière 30 " D.G.S.N

Cité Bouamama 18 " A.P.C

Cite Mejdoub 18 " "

Boukhors 18 " "

Cité Babia 18 " "

Cité Abattoir 18 " "

Cité militaire 150 " A.N.P

Cité En Nasr 1020 " O.P.G.I

Cité Er Riadh 580 " "

Cité El Badr 1026 " "

Cité Khater 286 " "

Bokhors 40 Individuel A.P.C

Bokhors 40 " "

Cité S.N.M.C 25 Collectif S.N.M.C

Cité Technique 24 " Socio-éducatif

Sidi cheikh 10 Villas Wilaya

Cité EPBTP 60 Collectif E.P.B.T.P

Technicum 18 " Socio-éducatif

ZHUN Nord II 20 " D.A.L

Cité Sersour 23 " Socio-éducatif

Cité Aoun djelloul 140 " O.P.G.I

Total 4839

Source : D.U.C, O.P.G.I de Saïda. 2010.

L'outil de réalisation faisant défaut pendant la période précédente a obligé la wilaya de se doter d'entreprises locales de Bâtiment (E.T.S, E.P.T.P.B, ECOTRAS). Elles ont certes permis d’augmenter le parc logement mais de manière insuffisante puisqu’on a fait appel à une entreprise roumaine (ARCOM) pour construire les 3200 logements à Saïda. L'extension Nord a accueillis un programme de 3700 logements (tab. n° 29). La Z.H.U.N Nord est conçue comme un grand ensemble autonome avec ses équipements, ses services et ses infrastructures. Sur le plan de la typologie de l’habitat, les logements collectifs se réservent la plus grande part durant cette période. Le financement des Z.H.U.N se fait sur le budget de l’Etat dans le

156

cadre des programmes d’équipement et d’investissements centralisés. La distribution du parc logement par organisme bénéficiaire (tab. n°30) rend compte du double rôle de l’Etat gestionnaire et promoteur immobilier. Celui-ci passe par l’intermédiaire des entreprises publiques, des administrations et par les collectivités locales qui construisent des logements locatifs ou de fonction pour une partie de leurs salariés.

Tableau n° 30 : Répartition des logements selon la nature d'attribution534.

Nature de location Location

vente Logement conventionné Location simple Epargne C.N.E.P Organismes bénéficiaires Administrations 361 116 53 3

Entreprises publiques et sociétés nationales 445 188 23 3

Professions libérales (médecins, avocats) 294 - 22 4

Militaires, gendarmes, douane, membres F.L.N 54 72 15 1

Sans profession 86 - 90 1

Moudjahidines et ayant droit 146 16 27 -

Secteur de la santé 65 58 3 1

Polices et employés du parquet 15 41 8 -

Recasement - - 723 -

Enseignement tous cycles confondus 521 19 - -

Etudiants 5 3 - -

Enseignement supérieur - 12 - -

Total 1992 525 964 13

Total général 3494

Source : O.P.G.I de Saïda. 2010.

L’O.P.G.I et la C.N.E.P optent pour des procédures de location-vente et de location simple. L’étude de ces situations a montré l’imbrication des opérateurs de gestion, de réalisation et de promotion. A la fin de cette période peu de logements ont été livrés et beaucoup de chantiers étaient à l’arrêt. La crise budgétaire a freiné d’avantage encore le lancement de nouveaux programmes de logements sociaux. Sous la pression de la demande sociale et l'incapacité des pouvoirs publics à achever les programmes en cours, il a été décidé, à la fin des années 1980 et à titre expérimental, de faire appel à la contribution des futurs bénéficiaires de prendre en

534 Le programme de logements est répartis à travers les sites suivants : la cité Aoune Djelloul (140), la cité En-Nasr (1020), la cité Azhar (500), la cité Er-Riadh (580), la cité El Badr (1026) et la cité Khater (286).

157

charge les travaux de finition535 des logements ; en échange, ils bénéficieront d’une aide indirecte (A.P.L. : Aide Personnalisée au Loyer) ou de l'Aide Généralisée au Loyer (A.G.L.). C'est une réduction de la moitie du loyer. À la cité Azhar et El-Badr dans la Z.H.U.N. nord-2 une partie des logements avaient été attribué à leurs bénéficiaires sans travaux de finition. Les locataires pourvus de moyens ont pris à leur frais les travaux de finition sans pour autant bénéficier d'une quelconque aide. Cette mesure dite de loyer aidé fut aussitôt abandonnée en raison de la confusion entre l’A.P.L. et l’A.G.L avec pour résultats des appartements occupés et des loyers impayés. Pour les pouvoirs publics, l'attribution des logements non finis constitue une libération des charges des travaux de finition. Ces travaux nécessitaient évidement une mobilisation financière très élevée. Entretemps, beaucoup de chantiers sont abandonnés faute de moyens de financement. La crise économique ayant caractérisée la fin des années quatre-vingt, l’inefficacité de l'outil de production du logement et l'insuffisance des ressources financières ont imposé une nouvelle approche de la crise du logement.

535 Les travaux concernaient le revêtement du sol, la menuiserie, le revêtement des salles d’eau et de la cuisine, les travaux de peinture, les appareils de chauffage, la robinetterie, la fixation d’une porte d’entrée métallique et du fer forgé de protection au niveau des ouvertures extérieures.

158 Conclusion

La ville héritée de la période coloniale se présente comme une bipartition de deux composantes contradictoires (quartiers européens, quartiers arabes) marquée par la présence des symboles du pouvoir colonial. Au-lendemain de l'indépendance et après une période d'atonie passagère, ce mode ségrégationniste de l'espace a disparus peu à peu avec les premiers développements urbains. L'Etat indépendant par son action interventionniste avait l'exclusivité du domaine de l’aménagement urbain, de la construction et de la gestion foncière. L’expansion de la ville de Saïda au cours de cette période (1970-1990) a été grande consommatrice d’espace du fait des nombreux projets d’habitat, d’équipements et de services publics induit par le progrès industriel amorcé au chef lieu. Les nouveaux logements provoqués par les besoins du développement ont marqué l’espace urbain par une nette coupure entre le site initial et l’extension vers le Nord. Les nouvelles réalisations ont donné à la ville un aspect plus diversifie en provoquant une mutation fonctionnelle de l'espace urbain. Quatre modes de production du bâti sont à la base de la genèse de l'espace urbain dans la ville postindépendance : le logement public, le lotissement communal, l'habitat illicite et le bidonville. La réalisation de quelques milliers de logements (Z.H.U.N) n'a pas suffi à résorber les déficits en logements. La ville ne parvenait plus à résorber les flux des ruraux attirés par les opportunités de l'emploi offertes par les chantiers et les usines. La crise logement commençait à se faire sentir et se traduit par le gonflement des anciens bidonvilles, l'appariation de nouvelles poches précaires et la prolifération de l’habitat illicite à travers la périphérie. Les pouvoirs publics dans le but d'atténuer les déferlements des ruraux sur la ville ont investis l’espace périphérique par des interventions ponctuelles destinées aux recasements des populations via l'auto-construction. Cette opération s’est inscrite dans une logique inhérente au contexte particulier en occultant toute vision globale du développement urbain. L'habitat spontané (bidonville) et le bâti populaire clandestin sont le résultat de la crise du logement. Ces modes d’occupation du sol en marge de règlements d'urbanisme mettent en évidence l'incapacité des pouvoirs publics à organiser l'espace urbain en assurant un logement pour toutes les populations. Elles sont l’expression même d'une mauvaise gestion urbaine et d'un développement urbain non maîtrisé. À la fin de cette période, la ville ne va être épargnée par les conflits et les contradictions d'une crise inattendue et dont l'exacerbation va rompre l'équilibre et engendre un dysfonctionnement urbain plus grave.

159

Chapitre 3