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3 Une procédure secrète

Dans le document Procédure pénale (Page 108-113)

Il est d’usage de distinguer le secret interne de l’instruction, qui s’impose aux parties concernées par l’affaire, et le secret externe de l’instruction qui vaut, quant à lui, à l’égard des tiers à l’affaire346.

Le législateur, au cours de la réforme de la procédure pénale inspirée par la commission Franchimont, a sciemment maintenu le principe du secret de l’instruction. Dans l’exposé des motifs de la loi du 12 mars 1998347, on peut lire que « le devoir de secret sert également les intérêts de la personne soupçonnée elle-même qui bénéficie de la présomption d’innocence. Le but recherché est de prévenir une publicité prématurée et d’éviter que la personne soupçonnée ne soit déjà ‘condamnée’ par la presse, avant que l’affaire ne soit renvoyée devant le juge du fond »348.

344S. BERBUTO et E. BERTHE, « Le point de vue des avocats. On n’en a pas fini avec Salduz ! », inActualités de droit pénal, C.U.P., vol. 128, Anthémis, Liège, 2011, p. 149 ; M.-A. BEERNAERT, « La loi Salduz : un premier nihil obstat de la Cour constitutionnelle », Observations sous C. const., 22 décembre 2011, J.L.M.B., 2012, pp. 111-112 qui cite notamment Cour eur. D.H., Stojkovic c. France et Belgique, 27 octobre 2011 ; voir aussi Cour eur. D.H., Mehmet Serif Oner c. Turquie, 13 septembre 2011 ; comparer avec Cour eur. D.H., Trymbach c. Ukraine, 12 janvier 2012 ; sur l’assistance de l’avocat lors des auditions postérieures au mandat d’arrêt, voy. A. JACOBS et O. MICHIELS, « La loi Salduz confirmée et améliorée par la Cour constitutionnelle », J.L.M.B., 2013, pp.563-565.

345Voir A. JACOBS, « Le secret de l'information et de l'instruction - Le principe et l'exception des communications à la

presse », in La loi du 12 mars 1998 réformant la procédure pénale, Collection Scientifique de la Faculté de Droit de Liège, C.U.P., 1998, p. 221 et s. ; voir aussi de manière générale sur ce sujet O. MICHIELS, « Le ministère public est-il tenu au secret de l’instruction ? Ou les incidences du secret de l’instruction sur l’intervention de la partie publique dans les procédures civiles et pénales », Rev. fac. Dr. Liège, 2007, pp. 155-168.

346 Voir I. WATTIER, « L’instruction : des principes légaux », in La loi belge du 12 mars 1998 relative à l’amélioration de la procédure pénale au stade de l’information et de l’instruction, Les dossiers de la revue de droit pénal et de criminologie, n°3, La Charte, 1998, p. 52 ; H.-D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.-A. BEERNAERT, op. cit., pp. 383-388.

347 Loi du 12 mars 1998 relative à l’amélioration de la procédure pénale au stade de l’information et de l’instruction. 348 Commission pour le droit de la procédure pénale, Réforme de la procédure pénale, 1995, p. 63 ; Doc. Parl., Ch. repr., session ord., 1996-1997, 857/1, 96-97, p. 29 ; il convient de rappeler que les propos d’un enquêteur et les reportages de la presse, fussent-ils erronés, malveillants ou d’origine délictueuse, ne sauraient à eux seuls entacher le jugement de la cause d’une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (Cass., 16 juin 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1137). Ceci ne dispense cependant pas les fonctionnaires de police, et de surcroît le ministère public, de respecter la présomption d’innocence (voir Cour eur. D.H., Buldan c. Turquie, 20 avril 2004 ; Cour eur. D.H., Butkevicius c. Lituanie, 26 mars 2002). Par conséquent, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier si des pièces ont été obtenues en violation de la présomption d’innocence et d’en tirer les conséquences qui s’imposent et qui ne peuvent, comme il a déjà été dit, dans l’absolu et sans qu’il ne soit procédé à un examen concret et précis, entraîner, ipso facto, l’irrecevabilité des poursuites (comparer avec Cour eur. D.H., Pandy c. Belgique, 21 septembre 2006 ; Liège, 24 novembre 2010, J.L.M.B., 2011, p. 324).

En somme, comme nous l’avons déjà souligné, le secret de l’instruction constitue une protection de la présomption d’innocence et participe à l’efficacité des mesures prises lors de son déroulement. Il est, pour ces raisons, considéré comme un principe d’ordre public.349

A. Le secret interne de l’instruction

1. Le principe

Le secret interne de l’instruction s’attache au non accès aux données l’instruction par les parties.

2. Les exceptions

Ce principe connaît toutefois plusieurs exceptions350. Nous citerons, sans vouloir être exhaustif :

1° Le droit offert à la personne interrogée de demander une copie gratuite de son procès-

verbal d’audition.

L’article 57, § 2 du Code d’instruction criminelle offre la possibilité à toute personne interrogée par le juge d’instruction ou par tout service de police de demander la délivrance gratuite d’une copie du texte de son audition. Cette copie est remise ou adressée par le juge d’instruction immédiatement ou dans les quarante-huit heures et, par les services de police immédiatement ou dans le mois. Toutefois, en raison de circonstances graves et exceptionnelles, le juge d’instruction peut, par une décision motivée, retarder le moment de cette communication pendant un délai de trois mois maximum renouvelable une fois. Cette ordonnance est déposée au dossier et n’est pas susceptible de recours.

L’article 18, § 2 de la loi sur la détention préventive prescrit, quant à lui, qu’au moment de la signification du mandat d’arrêt, une copie du procès verbal de son audition est remise à l’inculpé par le juge d’instruction et ce, sans qu’il ne soit tenu d’en faire la demande. Il ne peut y avoir sursis à la délivrance de cette copie.

2° L’accès au dossier

Pour apprécier cette deuxième exception au principe du secret interne de l’instruction, il s’impose de distinguer la situation de l’inculpé détenu, d’une part, des personnes directement intéressées, d’autre part.

349H. BEKAERT, « Le secret de l’instruction », Rev. dr. pén., 1950-1951, p. 121.

350A. JACOBS, « Le secret de l’information et de l’instruction. Le principe et l’exception des communications à la presse », in La loi du 12 mars 1998 réformant la procédure pénale, Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège, C.U.P., 1998, p. 233.

o Le droit d’accès au dossier : l’inculpé détenu

L’article 21, § 4 de la loi sur la détention préventive autorise (de manière automatique) le détenu et son conseil à consulter le dossier répressif pendant le dernier jour ouvrable avant la comparution devant la chambre du conseil qui doit statuer sur la confirmation du mandat d’arrêt. Si la veille de l’audience n’est pas un jour ouvrable, celle-ci se tiendra l’après-midi et le dossier sera à nouveau mis à la disposition de l’inculpé et de son conseil la matinée du jour de la comparution351.

o Le droit de demander l’accès au dossier : les personnes directement intéressées

La loi du 27 décembre 2012352 portant des dispositions diverses en matière de justice insère un article 21bis dans le Code d’instruction criminelle qui dispose que « sans préjudice des dispositions des lois particulières et de l’application des articles 28quinquies, § 2, 57, § 2 et 127, § 2, il est statué sur la demande de la personne directement intéressée de consulter le dossier ou d’en obtenir copie par le juge d’instruction, conformément à l’article 61ter, ou par le ministère public, en fonction de l’état de la procédure. Est considérée comme personne directement intéressée : l’inculpé, la personne à l’égard de laquelle l’action publique est engagée dans le cadre de l’instruction, la personne soupçonnée, la partie civilement responsable, la partie civile, celui qui a fait une déclaration de personne lésée, ainsi que ceux qui sont subrogés dans leurs droits ou les personnes qui les représentent en qualité de mandataire ad hoc, de curateur, d’administrateur provisoire, de tuteur ou de tuteur ad hoc ».

Pour obtenir l’autorisation de consulter le dossier répressif ou d’en obtenir copie dans le cadre d’une instruction, il convient de suivre la procédure visée à l’article 61ter du Code d’instruction criminelle. Ainsi, la demande de consultation ou d’obtention d’une copie du dossier répressif se réalisera par voie de requête adressée ou déposée au greffe du tribunal de première instance. La décision prise par le juge d’instruction, ou l’absence de décision de ce magistrat, est susceptible d’un recours devant la chambre des mises en accusation tant de la part du ministère public que du requérant.353

Le juge d’instruction peut autoriser un accès complet ou limité au dossier. Pour l’inculpé non détenu, il peut par exemple limiter la consultation à la partie du dossier concernant les faits ayant conduit à l’inculpation et pour la partie civile, la limiter à la partie du dossier ayant conduit à la constitution de partie civile.

Si le juge d'instruction autorise l'accès au dossier, celui-ci est mis, en tout ou partie, à la disposition du requérant dans les vingt jours de l'ordonnance pour pouvoir être consulté par lui ou par son avocat pendant quarante-huit heures au moins, et il en est averti par le greffier.

351 Voir l’article 21, paragraphe 3, aliéna 3 de la loi sur la détention préventive ; O. MICHIELS, D. CHICHOYAN et P. THEVISSEN, La détention préventive, Anthémis, Collection criminalis, Louvain-la-Neuve, 2010, pp. 58-60.

352 Doc. parl., Chambre, session 2012-2013, 53-2429/1, pp. 14-18. 353 Voir l’article 61ter, paragraphe 5 du Code d’instruction criminelle.

L’article 61ter, paragraphe 4 du Code d’instruction criminelle dispose encore qu’en cas de décision favorable, l’inculpé ou la partie civile ne peut faire usage des renseignements obtenus par la consultation du dossier que dans l’intérêt de sa défense, à la condition de respecter la présomption d’innocence et les droits de la défense de tiers, la vie privée et la dignité de la personne. Ce texte ne prévoit toutefois aucune sanction spécifique. En revanche, la violation de cette obligation « de réserve » est susceptible d’être réprimée par l’article 460ter du Code pénal.354

Le juge d'instruction peut également refuser, par ordonnance motivée, l'accès au dossier, en tout ou en partie, pour les motifs énoncés par la loi.

o Le droit de demander l’accès au dossier : les autres cas

L’article 21bis du Code d’instruction criminelle stipule que « dans tous les autres cas, la décision sur l’autorisation de consulter le dossier ou d’en obtenir copie est prise par le Ministère public, même pendant l’instruction ». Il convient d’entendre par là, que nous soyons au stade de l’instruction ou de l’information, l’octroi d’autorisations de consultation ou d’obtention de copie à l’égard des autres personnes que celles directement intéressées, telles qu’énumérées dans l’article 21bis du Code d’instruction criminelle, comme par exemple les tiers tels les compagnies d’assurance ou la personne qui entend se constituer partie civile au stade du règlement de la procédure.

o Recours

Un recours est ouvert tant au ministère public qu'au requérant devant la chambre des mises en accusation.

Si le juge d'instruction n'a pas statué dans le délai (c’est-à-dire dans le mois de l’inscription de la requête au registre), le requérant peut dans les huit jours, à peine de déchéance, saisir la chambre des mises en accusation par requête motivée (art. 61ter, § 6 C.I.C.).

Le recours du procureur du Roi a un effet suspensif sur l'exécution de l'ordonnance du juge d'instruction, à savoir durant le temps de la procédure d'appel, l'ordonnance ne pourra pas être exécutée et donc la partie qui a obtenu l'accès au dossier ne pourra pas en prendre connaissance.

o Nouvelle requête

Le requérant ne peut adresser ni déposer au greffe de requête ayant le même objet avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la dernière décision portant sur le même objet. 3° L’article 16, § 2 de la loi du 20 juillet 1990 sur la détention préventive, tel que modifié par la loi Salduz, organise l’assistance de l’avocat pendant l’audition qui précède la délivrance d’un

éventuel mandat d’arrêt. Le législateur a écarté toute possibilité de débat contradictoire.

354 Cette infraction est toutefois un délit de résultat : Cass., 7 décembre 2004, Rev. dr. pén, 2005, p. 1265 et note de

L’avocat est, tout au plus, autorisé à faire part au juge d’instruction de ses observations quant au décernement d’un mandat d’arrêt.

4° La possibilité pour l’avocat de l’inculpé placé sous mandat d’arrêt d’assister à

l’interrogatoire récapitulatif sollicité conformément à l’article 22, alinéa 3 de la loi sur la

détention préventive.

5° Lorsque la détention préventive se prolonge au-delà de six mois, si le maximum de la peine applicable ne dépasse pas quinze ans de réclusion ou après un an dans le cas contraire, l’inculpé peut demander, lors de sa comparution en chambre du conseil ou en chambre des mises en accusation, à bénéficier d’une audience publique.355

6° L’article 91bis du Code d’instruction criminelle prévoit que le mineur d’âge victime de faits

de mœurs ou de traite des êtres humains a le droit de se faire accompagner par la personne de son choix lors de toute audition effectuée par l’autorité judiciaire, sauf décision

contraire motivée prise à l’égard de cette personne par l’autorité compétente dans l’intérêt du mineur ou de la manifestation de la vérité.356

B. Le secret externe de l’instruction

1. Le principe

L’article 57, paragraphe 1er du Code d’instruction criminelle réaffirme que toute personne

qui est appelée à prêter son concours professionnel à l’instruction est tenue au secret. Le secret de l’instruction implique que, dans le cadre de la phase préparatoire du procès pénal, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret et qu’en dehors d’une utilisation judiciaire normale par les acteurs tenus au secret professionnel, nul ne peut en prendre connaissance sauf les exceptions prévues par la loi.

Il s’ensuit que les personnes qui concourent à la réalisation de l’instruction (le juge d’instruction, le procureur du Roi, les policiers, les experts, les greffiers, les assistants de justice, les étudiants en stage…) ne peuvent révéler le moindre renseignement recueilli au cours de l’instruction ou ayant trait à celle-ci à l’égard de quiconque est étranger à l’instruction. Il va de soi que le secret de l’instruction ne s’étend pas à la déposition d’un juge d’instruction appelé à rendre témoignage en justice.357 De même, la Cour de cassation précise qu’il ne peut être déduit une

355 Voir l’article 24 de la loi sur la détention préventive ; voir aussi l’article 235bis du Code d’instruction criminelle qui prévoit que lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation, saisie par une partie ou lorsqu’elle procède à son contrôle d’office, peut statuer en audience publique.

356 Voir aussi l’article 94 du Code d’instruction criminelle relatif à l’audition enregistrée d’un mineur.

357 Cass., 2 mars 1988, Pas, 1988, p. 794 ; Rev dr. pén., 1988, p. 807 et note J.S. ; dans son arrêt du 6 décembre 2005, la Cour précise que l’obligation au secret professionnel implique le secret à l’égard de quiconque est étranger à l’instruction ; dans le cadre de l’instruction, il n’existe en principe aucune obligation au secret excepté dans les cas prévus par la loi, RG P.05.1138.N.

violation du secret de l’instruction ou des droits de la défense de la participation de l’expert aux auditions par les enquêteurs358 ou à une visite des lieux organisée par le juge d’instruction359.

2. Les exceptions

1° Les communications à la presse par le ministère public360

Le ministère public peut, de l’accord du juge d’instruction et lorsque l’intérêt public l’exige, communiquer des informations à la presse. Le magistrat de la partie publique devra toutefois veiller, lors de ses contacts avec la presse, au respect de la présomption d’innocence, des droits de la défense des inculpés, des victimes et des tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes. Il n’appartient, dès lors, pas au juge d’instruction d’avoir des contacts avec la presse.361

2° Les communications à la presse par l’avocat

L’avocat peut, lorsque l’intérêt de son client l’exige et dans le respect des règles de sa profession, communiquer des informations à la presse. Comme l’écrivent M. FRANCHIMONT,

A. JACOBS et A. MASSET « À proprement parler, il ne s’agit pas là d’une exception au secret de l’instruction puisque (…) l’avocat et son client ne sont pas tenus au secret (…). Après bien des hésitations, le législateur a fait choix de prévoir cette possibilité formellement dans la loi de manière à éviter que les règles déontologiques de certains barreaux n’interdissent pareilles communications à la presse ».362

CHAPITRE III LES ACTES D’INSTRUCTION

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