• Aucun résultat trouvé

L’audition de témoins anonymes

Dans le document Procédure pénale (Page 119-121)

§ 4 L’interrogatoire et les auditions

A. L’interrogatoire de l’inculpé

3. L’audition de témoins anonymes

Notons d’emblée que les dispositions qui régissent l’audition de témoins anonymes ne visent que les personnes qui sont entendues sous la foi du serment par le juge d’instruction ou le juge du fond374.

a) L’anonymat partiel (art. 75bis et 75ter C.I.C.)

Notion : l’anonymat partiel consiste à omettre, lors de l’audition d’un témoin, certaines données d’identité, telles que l’adresse, la résidence, la profession, l’âge ou le lien de parenté. L’omission des nom et prénom(s) ou de l’ensemble des données d’identité ne paraît pas devoir être admise dans la mesure où un tel procédé permettrait de contourner les règles de l’anonymat complet.

L’article 75ter du Code d’instruction criminelle autorise, quant à lui, les personnes qui, dans l’exercice de leurs activités professionnelles, sont chargées de la constatation et de l’instruction d’une infraction ou qui, à l’occasion de l’application de la loi, prennent connaissance des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise et qui sont entendues comme témoins, d’indiquer en lieu et place de leur domicile leur adresse de service ou l’adresse à laquelle ils exercent habituellement leur profession. Cette possibilité est un droit et non une faculté laissée à l’appréciation du juge.

Conditions : l’audition d’un témoin sous le couvert de l’anonymat partiel suppose une présomption raisonnable que le témoin ou une personne de son entourage pourrait subir un préjudice grave (et non un désagrément ou une difficulté purement pratique) à la suite de la divulgation de ces données et de sa déposition. En ce qui concerne les personnes dont l’activité professionnelle justifie l’indication de leur adresse de service plutôt que celle de leur domicile, aucune condition particulière n’est requise.

Procédure : le magistrat instructeur peut décider d’entendre un témoin sous le couvert de l’anonymat partiel d’office, à la demande du témoin ou de son avocat, sur réquisition du ministère public ou encore à la requête d’une des parties ou de son conseil. Il établit un procès-verbal portant sur la seule question de l’octroi de l’anonymat partiel et prend une ordonnance motivée à ce sujet. Sa décision n’est susceptible d’aucun recours. L’audition doit être effectuée par le juge d’instruction en personne.

Il importe de souligner qu’un témoignage partiellement anonyme conserve toute sa force probante et ce, même s’il n’est corroboré par aucun autre élément de preuve.

374 Pour une analyse détaillée de ces dispositions, voy. M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, op. cit., pp. 506-511.

b) L’anonymat complet (art. 86bis à 86quinquies C.I.C.)

Notion : un témoignage complètement anonyme implique l’omission de l’identité complète du témoin entendu par le juge d’instruction. Il s’agit d’une prérogative exclusive du magistrat instructeur.

Conditions : l’audition d’un témoin sous anonymat complet requiert :

• Des indications précises et sérieuses que les faits constituent une infraction visée à l’article 90ter, §§ 2 et 4 du Code d’instruction criminelle ou une infraction commise dans le cadre d’une organisation criminelle visée par l’article 324bis du Code pénal ; • Une menace, c’est-à-dire que l’intégrité du témoin ou d’une personne de son

entourage doit être gravement menacée en raison du témoignage ; • La mesure doit être exigée ;

• L’anonymat partiel et les autres moyens d’instruction ne suffisent pas à la manifestation de la vérité (condition de subsidiarité).

Procédure : le juge d’instruction peut ordonner l’audition d’un témoin sous le couvert de l’anonymat complet d’office, sur réquisition du ministère public, à la demande du témoin ou de son avocat ou à la requête d’une des autres parties ou de son conseil. Avant de prendre sa décision, le magistrat instructeur prend connaissance de l’identité complète du témoin et contrôle sa fiabilité. Il formule sa décision dans une ordonnance motivée, datée et signée qui n’est pas susceptible d’appel. L’audition du témoin anonyme est organisée par l’article 86ter du Code d’instruction criminelle et fait l’objet d’un procès-verbal détaillé.

Contrairement au témoignage partiellement anonyme, la force probante du témoignage complètement anonyme est limitée puisque celui-ci ne peut servir de preuve que pour les infractions pour lesquelles il est permis de recevoir un tel témoignage et qu’une condamnation ne peut jamais être fondée de manière exclusive ni dans une mesure déterminante sur pareil témoignage375.

Remarque :

Selon la Cour de cassation376, rien ne fait obstacle à l’audition de témoins sous anonymat en dehors des formalités prescrites par les articles 75bis, 75ter et 86bis à quinquies du Code

375 Voy. Cour eur. dr. h., Gde Ch., Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, 15 décembre 2011 ; Cour eur. D.H., Kostovski c. Pays-Bas, 20 novembre 1989 ; Cour eur. D. H., Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996 ; Cour eur. D. H., Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997 ; Cour eur. D. H., Taxquet c. Belgique, 13 janvier 2009 on y lit encore que la Cour estime souhaitable que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, les déclarations anonymes soient examinées par un juge qui connaisse l’identité du témoin, qui contrôle les raisons justifiant l’anonymat et qui puisse exprimer son avis quant à la crédibilité du témoin, afin de déceler d’éventuels liens d’inimitié avec la personne poursuivie ; voy. aussi sur ce sujet B. DE SMET, « La défense face aux témoins anonymes et les exigences d’un procès équitable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Rev. int. dr. pén., 1999, pp. 761-776 ; M.-A. BEERNAERT, « Témoignage anonyme : un vent nouveau venu de Strasbourg », Rev. dr. pén., 1997, p. 1232 et s. ; M. GUERRIN, « Le témoignage anonyme au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Rev. trim. D.H., 2002, p. 45 et s.

d’instruction criminelle. Cela étant, les dépositions de ces témoins n’auront pas de force probante et pourront uniquement être prises en considération pour ouvrir ou orienter une enquête, rassembler des preuves de manière autonome ou pour en apprécier la cohérence.

Dans le document Procédure pénale (Page 119-121)