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Une perception qui diffère selon la personnalité

CHAPITRE 4 : UNE APPROCHE PHÉNOMÉNOLOGIQUE DE L’INTIMITÉ EN

3. La perception de l’intimité

3.2. Une perception qui diffère selon la personnalité

Par ailleurs, les propos des personnes rencontrées ont mis en lumière une perception de l’intimité qui dépend de leur personnalité, qu’ils se considèrent comme plutôt réservés ou plutôt sociables, ainsi que des diverses expériences qui ont contribué à la forger.

3.2.1. Les « réservés »

Certains détenus rencontrés ont évoqué un rapport à l’intimité difficile entre les murs, en raison de leur caractère plutôt réservé, solitaire ou indépendant, qui est en l’occurrence constamment confronté au regard et à la présence des autres. Dans cette configuration, l’exposition de soi est vécue comme une véritable épreuve. On perçoit par exemple, dans les propos d’Étienne qui se décrit comme quelqu’un d’indépendant, la contrainte que représente pour lui une vie en communauté imposée :

« Moi je suis une personne renfermée sur moi-même. J’aime pas m’exposer au monde. Même te parler présentement c’est un effort que je fais, parce que normalement je serai tranquille dans mon coin. Toujours la crainte de faire quelque chose ou de dire quelque chose qui pourrait nous rapporter des reproches. Essayer de faire le moins de vagues possible. Je me resserre sur moi- même. Je me rétracte au maximum. J’essaie de me ramasser en cellule, je m’assieds à table, je me mets à dessiner, je me mets à écrire, je me mets à lire. C’est pas facile. Moi, même dans l’atelier chez moi je travaillais seul. J’ai pas 50 amis. J’en ai 1-2. Je sortais pas beaucoup de chez moi non plus. » (Étienne,

Cette exposition de soi est vécue de façon particulièrement contraignante lorsqu’elle implique une visibilité du corps, particulièrement par les personnes se considérant pudiques. Ainsi Armand (39 ans), qui met en parallèle le fait d’avoir peu fréquenté les vestiaires de salles de sport à sa pudeur, explique sa réticence à s’exposer dans les douches :

« Au début c’était plus gênant. J’y allais dans les journées où s’était plus tranquille, mais avec le temps on s’habitue puis ça devient un peu comme dans une salle d’entrainement, une salle de sport, où les gens font le football. Moi j’ai jamais été au hockey fait que j’ai pas beaucoup baigné dans cette atmosphère- là, j’ai toujours été très prude, fait que le côté prude, de devoir le mettre de côté… » (Armand, 39 ans, antécédents d’incarcérations au provincial, détenu

depuis 15 mois, secteur de grande taille).

Particulièrement chez les femmes rencontrées, le sens qu’elles attribuent à leur intimité peut découler d’un passé de violences sexuelles ou conjugales, qui renforcent ce sentiment de pudeur. Alors qu’à l’extérieur leur rapport à leur sphère intime est déjà modulé par ces expériences, ce dernier est amplifié à l’intérieur, tandis qu’il est difficile d’échapper au regard d’autrui et à la proximité physique :

« Des câlins, des colleuses, j’ai de la misère avec ça, de n’importe qui. […] J’ai eu des attouchements moi quand j’étais petite, c’est peut-être par rapport à ça. Puis j’ai eu un conjoint qui était violent avec moi. Il a déjà essayé de m’étrangler lui, fait que même avec mon copain après, j’ai de la misère à me faire juste toucher le cou. » (Annick, 37 ans, primo-incarcération, détenue depuis 2 mois,

secteur de moyenne taille).

Enfin, on voit naître en prison des variations dans les modes de socialisation selon le caractère plus ou moins réservé des individus, comme exprimé par Adriana :

« Ça dépend de chaque personne, je dirais. Par exemple moi je suis une personne qui fonctionne très bien quand je suis toute seule, je fais mes choses. Par moment où j’ai besoin d’être accompagnée ou que j’ai besoin de poser une question à quelqu’un, je vais les voir. Mais en temps normal, je suis pas mal solitaire dans mes choses, j’aime ça avoir mon espace, avoir mes choses » (Adriana, 36 ans,

3.2.2. Les « sociables »

Plusieurs personnes rencontrées ont évoqué un rapport à l’intimité moins difficile que d’autres, se référant notamment à leur caractère sociable. Pour certains d’entre eux, cette sociabilité s’est développée à travers des expériences passées de vécu en groupe. Par conséquent, leur rapport à l’intimité en milieu carcéral s’ancre dans divers vécus qui leur ont appris assez tôt à vivre et évoluer auprès de plusieurs personnes.

La pratique de sports collectifs

Dans le discours de certains détenus rencontrés, leur représentation de l’intimité découle directement du rapport qu’ils entretiennent avec leur propre corps, perception modulée au fil de leurs expériences sportives. Ainsi, les personnes rencontrées expliquent que la pratique de sports collectifs et le partage de vestiaires contribuent à réduire la gêne liée à l’exposition de leur corps lors des fouilles ou dans la douche :

« Moi j’ai pas de misère, j’ai joué au hockey toute ma vie, fait que de prendre ma douche ça me fait pas grand-chose. Je me doute qu’il y en a peut-être qui sont plus gênés, ça doit peut-être les fatiguer un peu. Mais moi ça me fatigue pas vraiment. » (Gaël, 23 ans, antécédents d’incarcérations au provincial, détenu

depuis 6 semaines, secteur de moyenne taille).

La pratique de sport a aussi une influence sur leur perception de la cohabitation avec d’autres individus, ainsi que sur leur rapport à l’exposition de leur corps lors des fouilles ou dans les douches :

« Moi je suis quand même sociable, je suis quelqu’un qui aime être avec le monde. Mais y a du monde qui sont plus renfermés et qui aiment plus être dans leur bulle justement. Tu sais, l’hiver je joue au hockey, l’été je joue au hockey, puis je joue à la balle l’été fait que je suis tout le temps… c’est pour ça que c’est pas pire pour moi d’être en groupe, je suis habitué d’être en équipe, je suis habitué, je suis toujours avec des gangs, fait que j’ai pas de misère à m’adapter. » (Laurent, 36 ans, antécédents d’incarcérations au provincial, détenu

Expériences professionnelles

Plusieurs détenus ont également évoqué avoir développé une forme de sociabilité qui leur permet de tolérer plus facilement la vie en communauté, selon leurs propres mots.

Pour certains, le sens attribué à l’intimité a été façonné par leurs expériences professionnelles. C’est notamment le cas de Stéphane (42 ans), qui compare l’intimité en prison au temps passé avec des confrères sur des chantiers, dans le domaine de la construction. Claudette voit la cohabitation en prison d’un œil positif, étant satisfaite de retrouver une vie en communauté après des années de retrait solitaire de la société :

« Je suis une fille qui aime les gens, en partant. De vivre avec autant de filles, il n’y a pas de problème de solitude! Malgré que moi, dans ma vie de tous les jours, je reste dans une maison de campagne retirée du village, je suis presque dans le bois. C’est très différent de ce que je vis normalement, une vie de société. Le côté société je l’ai connu dans mon cadre de travail, j’ai eu à côtoyer les gens. Depuis l’âge de 52 ans je suis retirée du marché du travail, pour cause santé. Fait que là, j’ai vraiment une vie chez moi, je suis à la maison. Je suis plus retirée. Dans les dernières années avant mon arrestation, j’étais plus chez moi avec mon potager, mes animaux, les tâches... Là, le côté société me manquait un petit peu. C’est pour ça que l’incarcération présentement m’apparaît quand même pas difficile à vivre, parce que justement, je suis pas toute seule » (Claudette, 56 ans,

primo-incarcération, détenue depuis 2 mois 1/2, secteur de petite taille).

Dans le cas de Gilles (26 ans) c’est son passé de prostitué et de danseur qui fait qu’il n’a désormais plus de difficulté à montrer son corps nu, que ce soit en se déshabillant pour prendre la douche ou pendant les fouilles qui le nécessitent.

Expériences institutionnelles

Finalement, pour plusieurs, ces expériences de vécu en groupe sont institutionnelles. Ainsi, certains détenus ont fait référence à leur(s) expérience(s) au sein de diverses institutions pour expliquer leur rapport à l’intimité entre les murs :

« Je suis quelqu’un de sociable, je suis pas quelqu’un d’immature qui va commencer à crier puis agacer du monde. J’ai pas peur des gens. Mais, quelqu’un qui aime ça avoir son petit chez eux, sa petite autonomie, lui il doit trouver ça dur. […] Moi ça va. Mais moi c’est un petit peu spécial, j’ai fait les

cadets de l’armée de 12 à 18 ans donc je suis quelqu’un qui a été habitué. »

(Benjamin, 35 ans, primo-incarcération, détenu depuis 4 semaines, secteur de petite taille).

Carl (65 ans), de son côté, raconte comment ses passages successifs dans un pensionnat puis dans une école de réforme l’ont amené à s’adapter à une vie à plusieurs, similaire à celle à laquelle il fait face en prison :

« La cohabitation est plus grande en fin de compte on doit être beaucoup plus large d’esprit, avoir une plus grande tolérance. Quoique moi en général je m’adapte assez bien. J’ai commencé très jeune, j’avais 8 ans quand j’ai commencé à faire du pensionnat. À un moment donné, j’étais dans un pensionnat avec des dortoirs de 120, fait que l’intimité j’ai appris à vivre avec quand même… je suis assez sociable, j’ai pas de problème de ce côté-là. […] J’ai fait du pensionnat chez les bonnes sœurs et à un moment donné on m’a placé dans une école de réforme à Québec. Quand je suis rentré là-bas, j’ai trouvé ça assez rock and roll, oui, mais j’ai dû m’adapter. Et quand je suis rentré ici, j’étais dans la cellule, je voyais pas le monde, je faisais juste les entendre. Entendre l’un crier des noms à l’autre! J’ai eu le même feeling, c’était une retrouvaille quand je suis rentré, puis que j’avais 8 ans à Québec. Je suis parti de là j’avais 12 ans. Puis honnêtement, entre 8 et 12 ans, c’était le même état d’esprit que j’ai connu ici. »

(Carl, 65 ans, antécédent d’incarcération au provincial, prévenu depuis 9 mois, secteur de petite taille).

Dans les deux cas, qu’ils soient sociables ou plus réservés, les individus importent de l’extérieur leur manière d’évoluer dans la société. Pour certains, la cohabitation permanente est ainsi plus difficile lorsque leur mode de vie extérieur était solitaire, tandis qu’inversement, le degré d’adaptation est moindre lorsque la personne est habituée à vivre en groupe. Cependant, bien que l’on pourrait percevoir la sociabilité comme un avantage instaurant une gêne moindre face à la cohabitation, elle complique parfois la recherche d’isolement, comme l’exprime Greg :

« C’est sûr que s’il y a du monde qui sont plus réservés, qui ne parlent vraiment à personne, eux ont plus de chance d’avoir de l’intimité, s’ils s’enferment dans leur cellule. Sauf que moi malheureusement je suis plus sociable. Fait que y a tout le temps des va-et-vient, du monde qui vient me parler… c’est assez rare que t’es tout seul. » (Greg, 24 ans, antécédents d’incarcérations au provincial,