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CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

3. Parler de l’intime

3.2. Obtenir la confiance des détenus

D’une façon générale, la réalisation d’une entrevue nécessite de gagner la confiance de la personne interviewée afin d’entrer en relation avec elle (Poupart, 1997). Elle est en effet nécessaire afin d’initier une discussion autour de thématiques relevant du privé.

C’est une fois que la relation de confiance est initiée que le chercheur devient un interlocuteur privilégié, récepteur de propos normalement non exprimés (Bidart, 1997). Il prend alors le rôle d’un confident, comme l’exprimait Duval (1998, p. 22), dans son ethnologie de la vie de marin : « Je devenais souvent un confident, en ce sens que je restais pour eux le marin d’un voyage, à

la différence des marins véritables, c’est-à-dire permanents, auxquels on ne doit pas s’exposer en parlant inconsidérément ». Cet aspect est également exacerbé en milieu carcéral, là où les

personnes de confiance et les occasions de confidence sont rares, allant même jusqu’à être associées à une manifestation de faiblesse. La rencontre avec le chercheur devient alors une tribune propice au dévoilement de soi et à l’expression d’expériences et d’émotions pouvant, pour une fois, être partagées (Jewkes et Wright, 2016). Les entrevues peuvent ainsi représenter une échappatoire pour les personnes rencontrées, s’émancipant d’une discussion les ramenant à un présent difficile pour aborder l’extérieur, des expériences passées ou des projets futurs.

Établir une relation de confidence passe nécessairement par une forme de transparence ainsi qu’une communication détaillée des informations et éléments de compréhension nécessaires concernant la recherche. L’entrevue constituant dans la plupart des cas la première rencontre entre le participant et le chercheur, la formulation d’une consigne de prise de contact permet ainsi de détendre une atmosphère pouvant être tendue dans un milieu qui se méfie des personnes venues de l’extérieur (Patenaude, 2004). Elle a également pour objectif d’initier la relation de confiance recherchée, en dissipant les inquiétudes que peuvent avoir les participants envers une recherche scientifique et les risques qu’elle pouvait impliquer pour eux. Il est ainsi fondamental de souligner la neutralité du chercheur et son indépendance vis-à-vis du Service correctionnel, afin de clarifier son statut et d’éviter que les détenus rencontrés limitent leur participation qu’ils pourraient estimer biaisée (Patenaude, 2004).

La formulation de la consigne de prise de contact était alors particulièrement importante afin d’apaiser les réticences perçues chez quelques participants :

« Bonjour Monsieur/Madame et merci de m’accorder un peu de votre temps pour cet entretien. Je m’appelle Anaïs et je suis étudiante à l’Université de Montréal. Je m’intéresse au vécu des personnes incarcérées et plus particulièrement à leur intimité, de façon large, pour ma thèse de doctorat. C’est pour discuter de ça avec vous que je vous rencontre aujourd’hui. Je n’ai pas de questions précises à vous poser, je veux surtout écouter ce que vous avez à me dire parce que votre parole constitue le cœur de ma recherche. »

Les points évoqués dans cette prise de contact étaient ensuite repris à la lecture et à l’explication du formulaire de consentement au participant, afin de s’assurer de sa compréhension totale, préalablement à sa signature (Annexe 2).

Un certain temps était notamment consacré à la confidentialité et l’anonymat des participants, tels que garantis par la Loi canadienne des droits de la personne, ainsi que sur l’obligation du chercheur de divulguer certaines informations lorsqu’elles peuvent permettre de prévenir un acte de violence physique ou sexuel ou lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire qu’une personne est en danger imminent. Cette partie souleva certains questionnements chez les participants qui demandèrent des précisions sur ce qui pouvait être dévoilé, s’assurant notamment que cela ne concernait pas les situations passées. Dans un seul cas, une personne

nous fit savoir qu’elle se sentait en danger et, après avoir longuement discuté de la situation ensemble, nous demanda elle-même de la porter à la connaissance d’un agent qu’elle jugeait de confiance. Grâce à cette intervention, la situation fut prise en charge et résolue.

Afin de suspendre tout sentiment de jugement de notre part, il était précisé aux participants que nous ne connaissions pas la raison de leur incarcération et que nous ne souhaitions pas en savoir la cause, sauf s’ils souhaitaient eux-mêmes nous en parler. Cette stratégie qui facilite la construction de la relation de confiance (Ricordeau, 2004) sembla en rassurer certains, qui se sentirent libres d’aborder – ou non – la raison de leur détention au cours de l’entrevue.

Enfin, avant d’obtenir leur consentement à l’enregistrement de l’entrevue, il était indiqué aux participants qu’ils étaient libres de l’interrompre à tout moment. Bien qu’aucune personne rencontrée n’ait exprimé le souhait que l’entrevue ne soit pas enregistrée, certaines réticences se sont fait ressentir, comme l’illustre cet extrait du carnet de terrain :

« Mardi 12 juillet.

Monsieur X arrive pour l’entrevue et semble interrogatif : il me questionne alors sur la raison de sa présence, qu’il ne connaissait pas. Craignant avoir affaire à la police, le rappel de ma recherche semble le soulager, même s’il reste assez nerveux. Lors de l’explication du formulaire de consentement, je dois prendre le temps de le rassurer, notamment concernant l’enregistreur envers lequel il semble à première vue plutôt réticent, affirmant que « ça peut servir à d’autres choses ce truc-là ! » ».

Cependant, certains participants ont souhaité suspendre l’enregistrement au cours de l’entrevue, pour discuter « hors micro » quelques instants. L’interruption du dictaphone semblait en effet les rassurer et délier les langues. Cette constatation nous amena à utiliser cette stratégie lorsque nous percevions une gêne manifeste des participants à l’égard de l’enregistreur : en l’arrêtant de nous-même, cela permit à certaines personnes de se détendre et d’aborder des thèmes plus sensibles qu’ils n’avaient pas évoqués face à la lueur rouge du dictaphone.