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Un échantillonnage soumis au processus de recrutement

CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

2. Population à l’étude : les personnes incarcérées

2.2. Un échantillonnage soumis au processus de recrutement

Dans chaque établissement visité, une personne ressource a été désignée par les services correctionnels, afin de nous accompagner durant la réalisation de la recherche. Occupant une place de premier plan auprès de la population incarcérée, elle assiste le chercheur tout au long de sa collecte de données et l’aide dans l’organisation du recrutement et des entrevues. Dans le cas de cette étude, les personnes ressources rencontrées étaient agents de probation, chefs d’unité, ou encore conseiller du directeur. Lors du premier échange avec les personnes ressources, en personne ou par téléphone, la recherche était présentée et les critères de sélection précisés, à savoir que nous souhaitions avoir un échantillon varié et rencontrer des personnes de tous âges, provenant des différents niveaux de sécurité et aux sentences diverses, sans considération de la nature du crime commis. Ces informations en main, les personnes ressources ont procédé au recrutement des participants à la recherche. Trois stratégies de recrutement ont été mises en œuvre, sur proposition de la chercheure ou à l’initiative des personnes ressources : 1) Le recrutement par affichage. Ce processus de recrutement est celui qui a été majoritairement employé. Il consiste à placer une affiche sur les murs des secteurs de détention, visible par tous. Rédigée par la chercheure, l’affiche (Annexe 1) indiquait l’objet de la recherche, les modalités des entrevues et invitait les personnes intéressées à contacter, par mémo, la personne ressource pour faire part de leur intérêt. L’avantage de ce type de recrutement est que les participants volontaires n’ont pas d’autre influence que les informations indiquées sur l’affiche. Cependant, l’affiche peut rapidement être arrachée ou retirée des secteurs dans lesquels elle a été placée et couper net le recrutement, ce qui s’est produit à quelques reprises.

2) Le recrutement ciblé. À travers ce type de recrutement, la personne ressource communique la possibilité de participer à une recherche aux personnes qu’elle pense pouvoir être intéressées ou qu’elle se fait recommander par d’autres membres du personnel comme les conseillers en milieu carcéral, les agents de probation ou le personnel de surveillance. Bien qu’il présente l’avantage de permettre d’obtenir rapidement une liste de participants, ce type de recrutement exclut l’intervention du chercheur dans le processus et peut par conséquent être orienté en fonction de la perception que le personnel a de certains détenus ou encore par l’interprétation qu’ils se font du sujet de la recherche.

3) Le recrutement direct. Ce type de recrutement est intervenu uniquement lorsque les deux premières stratégies employées n’ont pas permis de constituer un échantillon suffisant. Il permettait à la chercheure, accompagnée d’un membre du personnel, de présenter sa recherche en personne aux détenus, soit durant des cours, soit en se rendant directement dans les secteurs. Ce processus de recrutement présente l’avantage de pouvoir exposer la recherche avec ses propres mots, sans passer par une tierce personne. Cependant, la présence constante d’un membre du personnel durant ce type de recrutement peut avoir un double impact, soit en renforçant la méfiance de potentiels participants qui pourraient alors associer le chercheur à l’établissement, soit au contraire en favorisant le recrutement de détenus cherchant à satisfaire l’accompagnateur, tel que mentionné par une chef d’unité : « ce sont

seulement les détenus dont je m’occupe des dossiers qui se sont portés volontaires, ma présence a dû aider! ».

Selon le type de recrutement réalisé, nous avons par conséquent rencontré des détenus qui étaient soit ciblés et recrutés directement par le personnel, soit qui se portaient d’eux-mêmes volontaires.

Les détenus « ciblés » le sont principalement à travers la représentation que le personnel se fait d’eux ainsi qu’en fonction de l’intérêt perçu qu’ils pourraient représenter pour la recherche. Dans notre cas, ils correspondaient aux détenus considérés « conformes » par le personnel, c’est-à-dire ceux qui se comportent bien en détention, qui participent aux programmes et qui composent le comité de détenus, ce qui témoigne le plus souvent de leur ancienneté dans le secteur. Sont également ciblés les détenus « cultivés », ceux perçus par le personnel comme

intelligents et réfléchis. Leur façon de s’exprimer et leur loquacité les rendent aptes à répondre à une enquête scientifique, selon la perception des personnes ressources. Enfin, les « expérimentés », institutionnalisés depuis leur jeunesse et ayant une grande expérience du système pénal sont identifiés comme pouvant présenter un intérêt particulier pour la recherche. Les détenus « volontaires » ont fait part de leur intérêt à participer à la recherche, à travers le recrutement par affiche ou le recrutement direct. Au cours de la rencontre, nombreux abordèrent la raison de leur participation, la plupart souhaitant aider pour la recherche et s’assurant, à la fin de l’entrevue, d’avoir pu éclairer sur la situation entre les murs. Notre rencontre représentait également pour eux l’occasion trop rare de s’ouvrir à quelqu’un d’extérieur et de parler de soi. Certains détenus rencontrés commencèrent d’ailleurs l’entrevue en déplorant la rareté, voire l’absence, de soutien psychologique en détention. Pour d’autres, la rencontre était un moyen de casser une routine quotidienne et immuable, de passer le temps dans un milieu où il s’écoule trop lentement et de sortir du secteur de détention. Enfin, le genre du chercheur peut avoir une influence sur le recrutement auprès de la population masculine. Alors que certains le firent comprendre de façon subtile, en confiant être heureux de voir une femme, autre que les membres du personnel, d’autres avouèrent directement avoir fait la démarche de nous rencontrer principalement pour être en présence féminine, l’un s’exclamant à la fin de l’entrevue que notre rencontre avait « fait sa semaine ».

Quel que soit le type de recrutement réalisé, certains profils de détenus ont été exclus de la recherche par la personne ressource, pour différentes raisons indépendantes de notre volonté, pouvant alors représenter une limite à notre recherche. Ainsi, les détenus considérés comme « dangereux » par l’institution, c’est-à-dire provenant de secteurs de détention à sécurité maximale ou affiliés à un gang de rue, n’étaient pas sollicités pour participer à la recherche et leurs candidatures était triée et rejetée. Il est également arrivé que la personne ressource rejette la candidature de détenus jugés « inintéressants » ou encore de potentiels « dragueurs ».

La forme que prend le recrutement peut donc représenter une limite à l’échantillonnage, en ayant une influence sur sa constitution, selon la personne qui le réalise et qui l’encadre. Le corpus final constitué peut par conséquent être moins hétérogène que souhaité, notamment du fait de l’exclusion de certains profils.