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de la Restauration au Second Empire (1814/15-1870)

D. Une nouvelle manière d’exercer l’autorité

De manière générale, l’apparition d’un nouveau style d’autorité au début de la Restauration n’entraîna pas de changement majeur dans le recrutement des préfets, des sous-préfets et des maires. Bien au contraire, les critères de sélection des fonctionnaires en vigueur sous le Consulat et l’Empire étaient tout à fait compatibles avec le nouvel état d’esprit dans lequel les administrateurs devaient exercer leur autorité. On peut en effet considérer que les traits qui ont été évoqués dans les lignes qui précèdent – l’appartenance aux élites locales voire à la noblesse, la maturité, le fait d’être marié et père de famille, le dévouement, la compétence, la possession d’une fortune personnelle, la capacité à se faire apprécier – étaient indispensables aux préfets, aux sous-préfets et aux maires pour exercer une autorité de type paternel.

D.Une nouvelle manière d’exercer l’autorité

S’il était possible d’imposer un nouveau style d’autorité sans modifier en profondeur le cadre juridique et le profil des représentants de l’Etat, il n’en allait naturellement pas de même en ce qui concerne la manière dont les préfets, les sous-préfets et les maires devaient exercer leur autorité. La lecture des circulaires, des lettres et des fiches de renseignements montre que les relations entre les représentants de l’Etat et leurs administrés devaient prendre un tour nouveau. Dans une circulaire datée du 7 juillet 1815, le ministre de la Justice exposait aux préfets les contours de leur mission :

« La guerre étrangère, plus terrible que jamais, les haines des partis, le despotisme d’une autorité illégale, l’arbitraire de l’administration locale, des charges énormes imposées aux peuples et réparties sans équité, des

123 AN, F/1bII/MEURTHE/6, « Liste des candidats proposés pour la place de Maire et d’Adjoints à la nomination de Sa Majesté », 1821.

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AN, F/1bII/MEUSE/8, Lettre du préfet de la Meuse au ministre de l’Intérieur, 2 novembre 1817.

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violations continuelles de la liberté individuelle et de la propriété : tel est l’état de chose qui a commencé le jour où le Roi a été éloigné de nous, qui doit et ne pouvait finir que par son retour. Sa Majesté vous impose l’obligation de remettre l’ordre et le calme dans le département qui vous est confié, d’y ramener un régime de justice et de liberté, d’y réparer les maux qui sont encore réparables. […]

En exposant nos maux, je viens, Monsieur, de tracer vos devoirs. Votre administration doit porter un caractère de raison, de calme et de fermeté. C’est en ne vous écartant jamais de la ligne constitutionnelle que suit le gouvernement du Roi, en vous occupant sans relâche de tous les détails de vos fonctions, en portant vos soins sur la conduite et l’expédition des affaires, en rendant à tous une justice exacte et bienfaisante, que vous pourrez apaiser quelques esprits encore exaspérés et inquiets. L’appui et les avantages individuels que chaque citoyen recevra d’un régime de liberté et d’une administration régulière, sont le meilleur et même le seul moyen de conciliation entre tous les partis.

Le Roi attend de vous, Monsieur, cette sorte de constance et de force d’esprit qui consiste à ne point se laisser décourager par le spectacle du mal, à ne point s’effrayer des difficultés qu’on peut avoir à guérir, à se placer au-dessus des préventions et des faux jugemens, à suivre sa route avec calme et gravité, à résister à l’action des opinions et des partis. Vous recueillerez bientôt la récompense d’une telle conduite ; vous répandrez autour de vous la consolation, la sécurité et l’espérance d’un meilleur avenir. Déjà de toute part l’obéissance aux lois, la soumission au gouvernement du Roi, se rétablissent avec plus de facilité encore qu’on ne pouvait l’attendre. La France sait combien de calme, de liberté, de prospérité lui ont été ravis depuis quatre mois, elle sait aussi de qui seul elle peut attendre le retour de tous ces biens. »126

Conformément à une tradition désormais bien établie à chaque changement de régime, l’auteur commençait par brosser un tableau particulièrement sombre de la situation du pays, soumis quinze années durant au joug d’un usurpateur, qui avait imposé une administration despotique, confiscatoire et injuste, qui avait avivé les profondes divisions que la Révolution avait provoquées et qui était à l’origine de l’invasion étrangère dont le pays était victime. Dans ce contexte, les préfets devaient non seulement rétablir l’ordre public, la justice et les libertés dans leur département, mais aussi travailler à rassurer les Français et à les rassembler

autour du roi127. Même si l’expression n’apparaissait à aucun moment dans le texte, c’est bien

de l’exercice d’une autorité paternelle qu’il était question ici. Il ne s’agissait en effet pas seulement pour eux de se cantonner à la dimension étroitement administrative de leur

126

Circulaire du ministre de la Justice aux préfets, 17 juillet 1815, in Recueil de lettres, circulaires… op. cit., tome XV, p. 123-126.

127 Une circulaire rédigée le 28 juillet 1815 par Joseph Fouché, adressée aux préfets, allait dans le même sens : « Il n’y a plus d’espoir de salut, il n’y a même plus de véritable honneur que dans notre union » (AD 57, 55 M 2, Circulaire du secrétaire d’Etat au département de la police générale aux préfets, 28 juillet 1815).

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mission ; ils devaient faire preuve, envers leurs administrés, de la sollicitude d’un père soucieux du bien-être de ses enfants. Il leur fallait, pour cela, faire preuve de qualités qui étaient celles que l’on était en droit d’attendre d’un père de famille : la fermeté, la constance, la justice et la patience. Les sous-préfets et les maires se devaient de seconder le préfet dans cette lourde tâche en s’efforçant de « rattacher au Monarque et à son Gouvernement les cœurs

qui ne sont pas absolument pervers »128

.

Il n’était possible d’atteindre cet objectif qu’en protégeant la population contre ceux qui se conduisaient « de manière à provoquer de nouveaux troubles, des agitations et des

inquiétudes qui affaiblissent ou détournent l’affection des sujets envers le Prince »129. Ainsi,

dans une circulaire du 2 octobre 1815, le comte de Vaublanc, récemment nommé ministre de l’Intérieur, demanda aux préfets et aux sous-préfets de faire preuve d’une vigilance de chaque instant, afin de se rendre le plus rapidement possible sur place lorsqu’une rumeur commençait à être répandue ou lorsque des désordres menaçaient d’éclater. Exercer une autorité paternelle impliquait donc de savoir réagir sans attendre et sans hésiter, afin d’une part de protéger la population de mauvaises influences, et d’autre part d’éviter que les situations porteuses de conflit ou de désunion ne se dégradent, et n’imposent le recours à la force – même si le

ministre en reconnaissait parfois la nécessité130. De ce fait, les fonctionnaires timides ou

hésitants devaient être écartés131.

Par ailleurs, l’exercice d’une autorité de type paternel imposait bien évidemment toujours pour les préfets, les sous-préfets et les maires de parvenir à gagner l’estime de leurs administrés par leurs compétences, leur probité et leur conduite. Les notes envoyées par divers informateurs sur tel ou tel préfet comprenaient ainsi très souvent un commentaire sur ce sujet. Une note d’un député de la Meuse disait ainsi du baron Caunan que « son esprit de sagesse et de modération, son désir de réconciliation, son zèle ardent pour le bien public, lui

avaient concilié l’estime générale »132

. Il en allait de même pour les sous-préfets. Les fiches de renseignements contenues dans leurs dossiers conservés aux Archives nationales en témoignent. Parmi les nombreuses rubriques que les préfets devaient compléter, outre celles qui concernaient la position sociale du titulaire ou encore ses compétences administratives,

128 AD 54, 4 K 4, Lettre du préfet de la Meurthe aux maires, 8 août 1815.

129Ibid.

130

Sur la figure du père protecteur de ses enfants, voir Jean DELUMEAU et Daniel ROCHE (dir.), Histoire des pères… op. cit., p. 334.

131 Circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets, 2 octobre 1815, in Recueil de lettres, circulaires… op. cit., tome XV, p. 213-214.

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trois concernaient directement sa capacité à se faire apprécier : « caractère, passions

dominantes », « relations sociales » et « considération, influence »133. Enfin, on l’a vu, la

considération dont un individu était entouré constituait un critère fondamental lorsqu’il fallait choisir un maire dans une commune.

*

Le nouveau style d’autorité que la Restauration imposa à ses administrateurs ne bouleversait donc pas le modèle élaboré sous l’Empire. Il s’agissait plutôt d’une adaptation à une nouvelle conception politique, le pouvoir étant désormais entre les mains d’un monarque qui se voulait le père de ses sujets. Sur bien des points, la conception que les dirigeants de la Restauration avaient de l’autorité était de ce fait très proche de celle qui était en vigueur sous le Consulat et l’Empire, par exemple en ce qui concerne les pouvoirs dont disposaient les fonctionnaires, les qualités que l’on attendait d’eux, ou leur profil sociologique. C’est donc surtout l’état d’esprit dans lequel l’autorité devait être exercée qui évolua. Les préfets, les sous-préfets et les maires devaient désormais non plus seulement imposer le régime par la persuasion et la séduction, mais également par la sollicitude et la fermeté toute paternelle dont ils devaient entourer les habitants.

133 Annese 10, p. 705-708. Comme le souligne Pierre KARILA-COHEN (La Masse et la plume… op. cit., p. 51), les notices de ce type que l’on peut trouver dans les dossiers de personnel étaient souvent vides. Cela n’enlève cependant rien au fait qu’elle témoignent de l’intérêt porté par le pouvoir central à la question de la considération que les sous-préfets suscitaient parmi leurs administrés.

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II. Des évolutions différenciées sous la monarchie de

Juillet (1830-1848)

La donne politique changea à nouveau avec l’avènement de la monarchie de Juillet.

Né d’une révolution provoquée par un acte jugé arbitraire de Charles X134

, le nouveau régime prit la forme d’une monarchie contractuelle, qui prétendait restaurer les libertés bafouées par

les célèbres ordonnances de juillet135. Il n’en était, cependant, pas moins attaché à l’ordre et la

stabilité et reposait sur une autorité royale forte.