de la Restauration au Second Empire (1814/15-1870)
B. Une autorité institutionnelle toujours aussi importante
La pyramide administrative héritée du Consulat et de l’Empire était-elle compatible avec le nouveau style d’autorité que les dirigeants de la Restauration prétendaient imposer ? Il semble que les dirigeants de la Restauration aient estimé que c’était le cas, puisque malgré les
appels à la décentralisation et les nombreux projets élaborés en ce sens30
, le nouveau régime, désireux de disposer d’un appareil d’Etat efficace, conserva l’armature administrative en
place31. On peut même considérer qu’il s’agissait de la solution qui permettait d’imposer ce
nouvel état d’esprit avec le plus de facilité32
. En effet, les préfets, les sous-préfets et les maires continuaient à disposer d’une autorité qui provenait, par délégation, de celle du chef de l’Etat, c’est-à-dire désormais de celle du roi-père. De surcroît, l’exercice d’une autorité de type
28 Circulaire du ministre de la Justice aux préfets, 17 juillet 1815, in Recueil de lettres, circulaires… op. cit., tome XV, p. 123.
29
Notons que l’on trouvait également l’expression « autorité paternelle » sous la plume de Fouché en 1804, mais dans une perspective différente, puisqu’elle renvoyait alors à la modération dont les administrateurs devaient faire preuve (voir Emmanuel de WARESQUIEL, Fouché, les silences de la pieuvre, Paris, Taillandier et Fayard, 2014, p. 411).
30
François BURDEAU, Libertés, libertés locales chéries, Paris, éd. Cujas, 1983, 277 p. ; Charles-Hippolyte POUTHAS, « Les projets de réforme administrative sous la Restauration », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1926, tome premier, p. 321-367, et surtout Rudolf VON THADDEN, La Centralisation contestée : l’administration napoléonienne, enjeu de la Restauration, Arles, Actes Sud, 1989 [1976], 348 p. Voir également Olivier TORT, L’impossible unité… op. cit., p. 990-994 et du même auteur, La Droite française. Aux origines de ses divisions, 1814-1830, Paris, éd. du CTHS, 2013, p. 305-306.
31 Pierre LEGENDRE, Trésor historique de l’Etat en France. L’administration classique, Paris, Fayard, 1992, p. 62 ; Félix PONTEIL, Les Institutions de la France de 1814 à 1870, Paris, PUF, 1966, p. 30. ; Alan B. SPITZER, « The Bureaucrat as Proconsul : the Restoration Prefect and the Police générale », Comparative Studies in Society and History, vol. 7, 1965/4, p. 371-392.
32 On peut, avec Stéphane MANSON, souligner que les fonctions de préfets et de sous-préfets, mais aussi celles de maires, s’avéraient suffisamment malléables pour que chaque régime puisse les transformer à sa guise (« De l’an VIII à l’an 2000 : le préfet est-il encore un ʺfonctionnaire politiqueʺ ? », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2001, n° 1, p. 202-203).
133
paternel exigeait, à une époque où la puissance du père de famille était forte33, qu’ils
conservent les pouvoirs variés et conséquents qui leur avaient été alloués sous le Consulat. De ce fait, le mode de recrutement des administrateurs, leurs attributions et les honneurs dont ils étaient entourés ne connurent guère de modification. La Charte constitutionnelle de 1814 portait, en son article quatorze, que « le roi […] nomme à tous les
emplois d’administration publique »34
. Les préfets, les sous-préfets et les maires des communes de plus de 5000 habitants continuèrent donc à être directement désignés – et
éventuellement révoqués – par le chef de l’Etat35, tandis que les préfets gardaient la main sur
le choix des édiles des petites communes. Les préfets conservèrent leurs attributions ; elles furent même, dans certains domaines, élargies. Aux nombreuses nominations auxquelles ils devaient déjà procéder s’en ajoutèrent de nouvelles. Ils désignaient désormais les préposés des
octrois, sur une liste de trois noms proposés par les maires36, les géomètres en chef du
cadastre37 mais aussi les médecins, les chirurgiens, les pharmaciens et les agents comptables
des hospices et des bureaux de bienfaisance, sur présentation de trois candidats par les
commissions administratives38, ainsi que les receveurs et les membres des commissions
administratives des hospices et des autres établissements de bienfaisance dont ils réglaient le
budget39. Plus important, la tutelle du préfet sur les affaires municipales fut renforcée par
l’ordonnance du 11 janvier 181540, puis par celle du 30 mars 1816, qui transféra au préfet le
droit de régler les budgets communaux de moins de 30 000 francs, et enfin par celle du 8 août 1821, qui transféra du ministre au préfet le pouvoir d’approuver certaines délibérations
municipales41. En revanche, les fonctions militaires des préfets, essentielles sous l’Empire, en
particulier la conscription, devinrent très secondaires. Les compétences des sous-préfets restèrent, quant à elles, identiques. Il en fut de même pour les maires, malgré la profusion de
33
Du moins en droit, puisque le Code civil, dans le titre IX du livre I, intitulé « De la puissance paternelle », confiait au père de famille une autorité considérable sur son épouse et ses enfants (voir les pages consacrée à cette question dans Jean DELUMEAU et Daniel ROCHE (dir.), Histoire des pères… op. cit., p. 289 et sq). On peut néanmoins souligner que de nombreux discours, notamment issu des milieux conservateurs et ultras, déploraient alors l’affaiblissement de l’autorité du père au sein de la famille et considéraient que le Code civil n’était pas allé assez loin dans son rétablissement. Ces critiques n’eurent cependant « aucun effet législatif majeur » (voir Eric PIERRE, « Père affaibli, société en danger… » art. cit., p. 14 pour la citation).
34
Jacques GODECHOT, Les Constitutions de la France depuis 1789, Paris, Flammarion, 1995, p. 219-220.
35 Dans les faits, les préfets, les sous-préfets et les maires des grandes villes étaient nommés par le souverain sur proposition du ministre de l’Intérieur. C’est donc lui qui faisait – et défaisait – les carrières.
36 Article 56 de l’ordonnance du 9 décembre 1814, in Bulletin des lois… op. cit., 5e série, tome II, bulletin n° 66, p. 597.
37
Article 1 de l’ordonnance du 10 octobre 1828.
38 Ordonnance du 21 octobre 1821.
39 Ordonnance du 6 juillet 1830.
40
Philippe TANCHOUX, « Les ˝pouvoirs municipaux˝… », art. cit., p. 39.
134
projets visant à renforcer les pouvoirs des municipalités42. Les honneurs dont étaient entourés
les représentants de l’Etat ne furent tout au plus affectés que par des modifications de détail. Les traitements alloués aux préfets et aux sous-préfets restèrent globalement identiques, puisque la loi du 15 mai 1822 accordait toujours 30 000 francs par an aux préfets de la Meurthe et de la Moselle, et 20 000 francs au préfet de la Meuse. Seul celui des Vosges vit
son salaire baisser de 20 000 à 18 000 francs43
. En 1829, les traitements des préfets furent diminués d’un dixième. Les préfets de la Meurthe et de la Moselle n’émargèrent plus qu’à
27 000 francs par an, ceux de la Meuse à 18 000 francs et ceux des Vosges à 16 200 francs44.
Par ailleurs, les compléments de salaires versés aux préfets par les communes furent baissés en 1816, puis supprimés en 1817, avant d’être rétablis dans les dernières années du régime.
Quant aux costumes, après l’échec d’une tentative de simplification en 181445, ils ne subirent
que des transformations symboliques. La cocarde et la ceinture tricolore devinrent blanches. Les aigles des boutons furent remplacés par des fleurs de lys. Les motifs des broderies
changèrent46. Les règles protocolaires furent quant à elles maintenues en l’état. Par ailleurs, La
fonction de préfet ne permettait toujours pas à ses titulaires d’être intégrés à la noblesse. Seul un préfet reçut ainsi du roi un titre de noblesse au cours de la période – il s’agit d’Elysée de Suleau, qui obtint le titre de baron héréditaire en 1819, puis celui de vicomte héréditaire en 1821. Il est cependant à noter que la grande majorité des préfets appartenaient déjà à la
noblesse47. Enfin, une partie non négligeable des préfets – 44,4% – étaient titulaires de la
Légion d’honneur avant même d’entrer en charge, et quelques autres l’obtinrent pendant qu’ils étaient en fonction (11,1%).
Il n’était, donc, nul besoin de modifier le cadre institutionnel pour que le nouvel état d’esprit dans lequel les préfets, les sous-préfets et les maires devaient exercer leur autorité
42 Voir Pierre ALLORANT, « La boîte à idée de la réforme territoriale en France de la Restauration à Poincaré (1822-1926), Parlement[s], 2013/2, n°20, p. 92-97 et Philippe TANCHOUX, « Les ˝pouvoirs municipaux˝… », art. cit., p. 39-43.
43 « Ordonnance du Roi portant fixation […] des traitemens des Préfets et des frais d’administration des Préfectures », 15 mai 1822, inBulletin des lois… op. cit., 7e série, tome XIV, bulletin n° 530, p. 529-533. Voir annexe 9, tableau 4, p. 702.
44 « Ordonnance du Roi relative à la réduction des Traitemens des Préfets et à la fixation des Abonnemens destinés à pourvoir aux frais d’abonnement des Préfectures », 23 septembre 1829, inBulletin des lois… op. cit., 8e série, tome XI, bulletin n° 319, p. 319.
45 Pierre KARILA-COHEN, La Masse et la plume… op. cit., p. 132-133.
46
En ce qui concerne les costumes des maires, Jocelyne GEORGE, Histoire des maires… op. cit., p. 69.
135
puisse s’imposer, bien au contraire. Ne fallait-il pas, en revanche, opter pour des hommes nouveaux ?