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L’élaboration d’un style sous le Consulat et le Premier empire (1799-1814/5)

B. Les maires : une autorité institutionnelle réelle

Les maires étaient, au titre de la loi du 28 pluviôse an VIII, la troisième catégorie de représentants de l’Etat à l’échelon local. Pourtant, pendant la période révolutionnaire, les maires ou les officiers municipaux étaient élus108. Ils étaient de ce fait les représentants de leurs électeurs ; c’est donc d’eux qu’ils tiraient leur légitimité et leur autorité. Mais les fondateurs du Consulat, voulant renforcer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire,

décidèrent de faire des maires des représentants du pouvoir central109. Les maires ne furent

donc plus élus, mais nommés – par les préfets pour les communes de moins de 5000 habitants

et par le Premier consul, sur proposition du préfet, pour les autres110. Devenus des agents de

l’Etat111, assimilés à des fonctionnaires112, les maires disposaient, comme les préfets et les

sous-préfets, d’une autorité déléguée par le chef de l’Etat.

107Louis BERGERON et Guy CHAUSSINAND-NOGARET, Les Masses de granit… op. cit., p. 91, 92 et 103.

108 Jean TULARD et Marie-José TULARD, Napoléon et 40 millions de sujet… op. cit., p. 127.

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Il est utile de signaler que, sur un plan juridique, les communes étaient des circonscriptions administratives, au même titre que les arrondissements et les départements, et pas des collectivités locales. Elles n’avaient donc pas de personnalité morale.

110 Articles 18 et 20 du titre IV de la loi du 28 pluviôse an VIII. La loi du 16 thermidor an X (4 août 1802) précisa que les maires devaient en principe être choisis parmi les membres du Conseil municipal, même si ce ne fut pas toujours le cas (il arrivait bien souvent que le préfet nomme un maire, puis le fasse entrer dans le conseil municipal afin de se conformer aux règles). La durée de leur mandat fut fixée à cinq ans par l’arrêté du 19 fructidor an X (6 septembre 1802). Les maires nommés en 1800 furent alors maintenus dans leur fonction pour cinq ans. Le premier grand renouvellement des maires n’eut donc lieu qu’en 1807-1808. Sur tous ces points, voir Jocelyne GEORGE, Histoire des maires, 1789-1939, Paris, Plon, 1989, notamment p. 57.

111 Philippe TANCHOUX, « Les ˝pouvoirs municipaux˝ de la commune entre 1800 et 1848 : un horizon chimérique ? », Parlement[s], Revue d’histoire politique, n° 20, 2013/2, p. 38.

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Dans la mesure où ils n’étaient pas rémunérés, Jocelyne GEORGE parle de « quasi-fonctionnaires » (Histoire des maires… op. cit., p. 55).

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Les pouvoirs dévolus aux maires étaient importants113. L’article 13 du titre III de la loi

du 28 pluviôse an VIII stipulait que

« Les maires et adjoints rempliront les fonctions administratives exercées maintenant par l'agent municipal et l'adjoint : relativement à la police et à l'état civil, ils rempliront les fonctions exercées maintenant par les administrations municipales de canton, les agens municipaux et adjoints. »

Là encore, le laconisme du texte ne doit pas masquer la variété des attributions qui étaient confiées aux maires. Celles-ci furent du reste précisées par les décrets du 2 pluviôse an IX (22

janvier 1801) et du 4 juin 1806, ainsi que par une circulaire du 1er mai 1812. Outre qu’ils

étaient chargés de l’état civil, les maires étaient dotés d’importants pouvoirs de police. Ils étaient garants de l’ordre public – et à ce titre participaient à la surveillance des opposants et des étrangers, qu’ils résident dans leur commune ou qu’ils soient amenés à y passer. Ils proposaient le budget communal et en assuraient l’exécution. Ils assuraient la gestion des biens communaux et de la voirie. Ils étaient également chargés des bureaux de bienfaisance et

de l’instruction primaire. Enfin, ils présidaient de droit le Conseil municipal114. Les maires

bénéficiaient donc de davantage de pouvoir qu’on ne le laisse entendre parfois115, et ce

d’autant plus que le conseil municipal, auquel n’étaient reconnues que des prérogatives limitées116 et qui n’était réuni en session ordinaire par le préfet que quinze jours par an au mois de février, ne constituait pas un contre-pouvoir efficace.

L’autorité des maires n’en rencontrait cependant pas moins de réelles limites. En premier lieu, la marge de manœuvre des maires était réduite, notamment par les ressources financières de la commune, parfois très faibles, puisque toutes les dépenses devaient obligatoirement être totalement couvertes par les revenus. De surcroît, l’activité des maires

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André CHANDERNAGOR, Les Maires en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Fayard, 1993, p. 17 et sq. ; Vincent CUVILLERS et Mathieu FONTAINE, « Entre pouvoir central et gestion locale : les maires du département du Pas-de-Calais, acteurs incontournables de l'administration impériale (1800-1815), Revue d'histoire de l'université de

Sherbrooke, vol. 4, 1, mai 2012, p. 1-19 (consulté en ligne à l’adresse

http://www.rhus.association.usherbrooke.ca/wp-content/articles/414.pdf); Jacques GODECHOT, Les Institutions… op. cit., p. 597.

114Circulaire du ministre de l’Intérieur Lucien Bonaparte aux préfets, 17 pluviôse an IX (6 février 1801), in Recueil des lettres circulaires, … op. cit., p. 403-404.

115Thierry LENTZ, Le Grand Consulat… op. cit., p. 430.

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Il avait quatre missions principales : débattre du budget (mais il ne le votait pas), administrer les biens communaux (notamment les affouages), répartir les prestations personnelles pour l’entretien et la réparation des propriétés à la charge des habitants, et délibérer sur les besoins particuliers de la commune. Pour une analyse plus précise des pouvoirs du conseil municipal, voir Philippe TANCHOUX, « Les ˝pouvoirs municipaux˝… », art. cit., p. 39.

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était très étroitement contrôlée par les sous-préfets et le préfet, qui étaient leurs supérieurs

hiérarchiques, et qui validaient systématiquement tous les actes importants117. Si les maires

des villes n’hésitaient pas à revendiquer l’exercice une réelle autorité, au risque d’entrer en

conflit avec le préfet118, les maires des communes rurales n’avaient souvent ni les

compétences ni le désir d’en faire autant.

Comme pour les sous-préfets, les honneurs dont étaient entourés les maires mettaient à la fois en évidence le fait qu’ils disposaient, en tant que représentants de l’Etat, d’une réelle autorité, mais que cette dernière était limitée. Les maires furent tout d’abord dotés d’un costume. L’arrêté du 17 floréal an VIII (7 mai 1800) le décrivait ainsi : « les maires auront un habit bleu et une ceinture rouge à frange tricolore » et ils « porteront un chapeau français

uni »119. Les maires nommés par le Premier consul, c’est-à-dire ceux des villes les plus

importantes, avaient droit à un costume un peu plus recherché :

« Celui des maires sera composé […] de l’habit bleu complet, auquel ils ajouteront des boutons d’argent et un triple liseré uni, brodé en argent, au collet, aux poches et aux paremens ; le chapeau à la française, avec une ganse et un bouton d’argent et une arme ; la ceinture sera telle qu’elle a été précédemment réglée. »120

Le costume distinguait donc d’emblée les maires des villes importantes, dont le prestige était rehaussé par un costume chamarré, et ceux des petites communes, qui devaient se contenter d’un vêtement assez simple, voire de leurs vêtements habituels, y compris pour les grandes cérémonies. Les maires des villages n’étaient en effet pas obligés d’acquérir un costume – il s’agissait d’un investissement souvent élevé que la plupart n’étaient tout simplement pas en mesure de faire. Quoiqu’il en soit, l’objectif du pouvoir restait bien de renforcer l’autorité de ses représentants en leur permettant de porter une sorte d’uniforme, qui les distinguait des autres habitants, et rendait manifeste le fait qu’ils disposaient d’une délégation de pouvoir et devaient à ce titre être obéis. Le fait que les maires des grandes villes portent une arme allait dans ce sens. Néanmoins, si, dans les petites communes le maire était, le cas échéant, la seule autorité civile à porter un costume, il n’en allait évidemment pas de même dans les villes

117 Yves THOMAS, Histoire de l’administration… op. cit., p. 37 ; Philippe TANCHOUX, « Les ˝pouvoirs municipaux˝… », art. cit., p. 45.

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Yves THOMAS, Histoire de l’administration… op. cit., p. 37. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

119Arrêté qui règle le costume des sous-préfets, des maires, des commissaires de police…, 17 floréal an VIII (7mai 1800), inBulletin des lois… op. cit., bulletin n° 24, p. 4.

120

Arrêté relatif au costume des conseillers de préfecture, et des maires et adjoints à la nomination du Premier consul, 8 messidor an VIII (27 juin 1800), in Bulletin des lois… op. cit., bulletin n° 31, p. 11.

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chefs-lieux d’arrondissement et de département, puisque le sous-préfet et le préfet en portaient également un. La comparaison entre les costumes rendait alors perceptible la subordination des maires à leurs supérieurs hiérarchique. Le costume permettait donc à la fois de souligner l’autorité dont était investi celui qui le portait, mais aussi sa position dans la hiérarchie administrative.

Il en va exactement de même concernant la position des maires dans l’ordre de préséance. Dans les communes qui n’étaient ni chefs-lieux d’arrondissement ni de département, le maire se trouvait au premier rang des cortèges et lors des cérémonies religieuses. En revanche, dans les villes où se trouvait également un sous-préfet et un préfet, ils étaient relégués au deuxième, au troisième voire au quatrième rang dans les villes les plus importantes, qui étaient également le siège d’un évêché, de tribunaux et d’une ou plusieurs

garnisons121. Les maires devaient évidemment, quelle que soit la taille de la commune, céder

le pas devant le sous-préfet ou le préfet lorsqu’il était en tournée.

Les maires ne furent en revanche pas dotés d’une résidence officielle. Ils continuaient à vivre dans leur logement propre, et ils utilisaient les hôtels de ville ou les maisons communes122 – lorsqu’il y en avait une123 – pour travailler. Il y avait naturellement de très importantes disparités entre les très imposants hôtels de ville de Nancy et de Metz, construits

au XVIIIe siècle, qui pouvaient aisément rivaliser en prestige avec les préfectures, et les

modestes maisons communes dont disposaient certains villages. Même dans le cas de très beaux bâtiments, on est en droit de s’interroger sur le fait de savoir s’ils contribuaient à renforcer l’autorité des maires qui y siégeaient. Il ne s’agissait somme toute pas de leur résidence – contrairement aux préfectures ou aux sous-préfectures – mais tout au plus de leur bureau provisoire.

Enfin, le fait d’être nommé maire n’entraînait évidemment pas de droit l’attribution

d’un titre de noblesse, ni de la Légion d’honneur. Seuls les maires des « bonnes villes »124

, au

121Décret impérial relatif aux cérémonies publiques… op. cit., article 1. Voir annexe 7, p. 693-698.

122 Sur ces bâtiments, voir Maurice AGULHON, « La mairie. Liberté, égalité, fraternité », in Pierre NORA (dir.),

Les Lieux de mémoire, I, la République, Paris, Gallimard, 1984, p. 167-193.

123 Il arrivait alors que le maire utilise sa propre maison comme mairie, car la commune ne disposait d’aucun bâtiment adapté à cet usage, Ibid., p. 171, Anne-Marie Châtelet, « Jalons pour une histoire… » art. cit., et Barnett SINGER, Villages Notables in Nineteenth-Century France. Priests, Mayors, Schoolmasters, Albany, State University of New-York Press, 1983, p. 38.

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Le pouvoir avait attribué, par le sénatus-consulte organique du 18 mai 1804, le statut de « bonne ville » aux trente-six communes les plus importantes.

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nombre desquelles figuraient Metz et Nancy, pouvaient obtenir un titre de baron après dix

années d’exercice125.

Pendant les Cent-Jours, Napoléon décida que les maires des communes de moins de

5000 habitants seraient désormais élus126. Bien que les maires conservassent de fait les mêmes

prérogatives, une telle mesure était naturellement de nature à modifier profondément les fondements de l’autorité des maires concernés, puisqu’ils n’auraient alors plus été seulement les représentants de l’Etat, mais bien ceux de leurs électeurs. C’est donc des citoyens qu’ils auraient tiré leur autorité – ce qui l’aurait probablement notablement accrue, tout en la rendant plus fragile, puisqu’elle aurait alors été soumise au bon vouloir des mandataires. Cette expérience fit cependant très rapidement long feu, puisqu’à peine les élections terminées, Napoléon fut vaincu pour la seconde fois. La seconde Restauration rétablit la nomination des maires.

*

Conférer aux préfets, aux sous-préfets et aux maires une autorité certes déléguée, mais bien réelle, était une étape indispensable, mais non suffisante. Encore fallait-il choisir des

hommes aptes à l’exercice de cette autorité127.

III. Des hommes aptes à l’exercice de l’autorité

Quel type d’homme les dirigeants estimaient-ils aptes à représenter l’autorité de l’Etat ? Il importe, pour le déterminer, d’analyser le profil social des personnes choisies ainsi que leur parcours. Il s’agit ici de comprendre quelles étaient les caractéristiques individuelles et sociales que les dirigeants attendaient de ceux qui devaient représenter et incarner l’autorité

125Jean TULARD, « Le Consulat et l’Empire », in Louis FOUGERES, Jean-Pierre MACHELON et François MONNIER (dir.), Les Communes et le pouvoir de 1789 à nos jours, Paris, PUF, 2002, p. 163.

126 Sur cette expérience électorale, voir Jean-Yves COPPOLANI, Les Elections en France à l’époque napoléonienne, Paris, éd. Albatros, 1980, XVIII-499 p. et Gaëlle CHARCOSSET, « Trajectoires municipales au prisme des changements de régime. Le cas des municipalités des Cent-Jours dans l’arrondissement de Villefranche-sur-Saône (Rhône) », Histoire et mesure, vol. XXIX, 2014/2, p. 85-106.

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Rappelons que tout au long de la période étudiée, les fonctionnaires étaient généralement nommés par le pouvoir politique. Les concours n’étaient alors pas la voie royale d’accès à la fonction publique qu’ils constituent aujourd’hui. Les recrutements étaient, de ce fait, très politisés et s’appuyaient largement sur la recommandation. Yves THOMAS, Histoire de l’administration… op. cit., p. 47 ; Guy THUILLIER et Jean TULARD, Histoire de l’administration… op. cit., p. 39.

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de l’Etat. Les dossiers de personnels128, relativement minces et incomplets pour la période du

Consulat et de l’Empire, ne fournissent que peu d’informations précises sur les titulaires. De nombreuses sources biographiques complémentaires, ainsi que la bibliographie savante, ont donc été mis à profit pour rassembler les renseignements nécessaires sur chaque individu.