• Aucun résultat trouvé

L’autorité des préfets et des sous-préfets : des changements limités changements limités

de la Restauration au Second Empire (1814/15-1870)

B. L’autorité des préfets et des sous-préfets : des changements limités changements limités

1. L’épuration de 1830 et ses conséquences

Immédiatement après la révolution de juillet, les dirigeants ne pouvaient que s’appuyer sur l’autorité dont jouissaient les préfets et les sous-préfets pour renforcer et pérenniser un régime à bien des égards encore fragile. Le cadre juridique et institutionnel ainsi que les honneurs dont ils bénéficiaient restèrent donc inchangés. De surcroît, malgré une des épurations les plus sévères du siècle – trois préfets sur les quatre-vingt-six que comptait alors

la France restèrent en place, quatre changèrent d’affectations, tous les autres furent révoqués142

– le nouveau régime s’efforça de nommer des hommes appartenant aux mêmes catégories

sociales que leurs prédécesseurs143 et expérimentés. Il fallait en effet qu’ils fussent à même de

s’intégrer au monde des notables du département ou de l’arrondissement dont ils avaient la charge, et d’agir rapidement.

De fait, les quatre préfets nommés en Lorraine après les « Trois Glorieuses »144

appartenaient au monde des élites. Stanislas Vallet de Merville était issu d’une famille de la petite noblesse lorraine, et était le fils d’un magistrat, qui avait notamment été lieutenant des maréchaux de France dans les Trois-Evêchés. Joseph d’Arros portait quant à lui le titre de comte, et disposait, comme nous l’avons vu, d’une importante fortune personnelle. Le baron Jean André Sers était le fils d’un armateur de Bordeaux, qui avait été député du département de la Gironde à l’Assemblée législative ; il ne disposait en revanche que de 4000 francs de revenus personnels par an. Enfin, le baron Claude Nau de Champlouis était le fils d’un

142

Paul GERBOD et alii, Les Epurations administratives… op. cit., p. 57. Voir également David H. PINKNEY, La Révolution de 1830… op. cit., p. 328 et surtout p. 339, et Jean-Paul JOURDAN, Le Personnel de l’administration… op. cit., p. 618.

143 Ce phénomène est particulièrement bien mis en valeur dans l’ouvrage de David H. PINKNEY, La Révolution de 1830… op. cit., p. 339. Voir aussi Charles-Hippolyte POUTHAS, « La réorganisation du ministère de l’Intérieur et la reconstitution de l’administration préfectorale par Guizot en 1830 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 9, 1962, p. 250.

144 A Nancy, Stanislas Vallet de Merville prit la succession d’Alexandre d’Allonville et à Metz le baron Sers celle d’Augustin Le Forestier de Vendeuvre. A Bar-le-Duc et à Epinal, le comte d’Arros et Claude Nau de Champlouis retrouvèrent la préfecture qu’ils avaient dû quitter quelques mois plus tôt.

157

conseiller au Châtelet de Paris. Ils étaient en outre mariés, et trois avaient des enfants. Tous disposaient, par ailleurs, d’une solide expérience dans le domaine administratif en général et dans l’administration préfectorale en particulier. L’historien américain David H. Pinkney a en effet montré que le nouveau régime fit notamment appel à d’anciens administrateurs de la période impériale ou à des fonctionnaires qui avaient été renvoyés après avoir servi la

Restauration, et en particulier à d’anciens préfets et sous-préfets145

. Les départements lorrains constituent, en ce domaine, un cas d’école, puisqu’aucun homme nouveau n’y fut nommé. Stanislas Vallet de Merville avait ainsi été successivement chef de bureau dans l’administration du district de Nancy, dans celle du département de la Meurthe, puis au sein de la préfecture de ce département. Il devint en 1811 secrétaire général de la préfecture de la Meurthe, ce qui lui permit d’exercer les fonctions de préfet provisoire en 1813-1814. Il fut néanmoins écarté après les Cent-Jours. Joseph d’Arros en revanche, après avoir été maire de Longeville-lès-Metz de 1807 à 1810, accepta de servir la Restauration, en tant que sous-préfet de Metz (1815) et de Thionville (1816-1819), puis en tant que préfet du Finistère (1819-1820), de l’Aveyron (1820-1828) et de la Meuse (1828-1830), mais il fut révoqué de ce dernier poste le 2 avril 1830. De même, Claude Nau de Champlouis, entré au ministère de l’Intérieur en 1808, en gravit progressivement les échelons – d’abord surnuméraire au secrétariat général, il devint rapidement chef du bureau de l’administration départementale et communale à Florence, puis revint en France et occupa le poste de chef de bureau du troisième arrondissement de la police générale. Après avoir démissionné pendant les Cent-Jours, il fut nommé successivement chef du cabinet particulier du ministre de l’Intérieur, puis chef de la division du secrétariat, secrétaire de la commission des subsistances et enfin chef de la division administrative. En 1828, il fut nommé préfet des Vosges, mais il démissionna le 25 septembre 1829. Enfin, Jean-André Sers fut un des rares préfets à avoir servi la Restauration et la monarchie de Juillet bien qu’il n’ait ni démissionné ni été limogé à la fin des années 1820. Entré dans l’administration sous l’Empire, il devint sous-préfet de Spire (département du Mont-Tonnerre, dans l’Allemagne actuelle) en 1811. Il fut ensuite nommé à Wissembourg (Bas-Rhin) en 1814, puis à Lille pendant les Cent-Jours. Elie Decazes, qui connaissait son père, accepta de le nommer préfet de Nancy en 1815, puis après la suppression des sous-préfectures de chefs-lieux de département, de nouveau de Wissembourg. En 1819, il fut promu préfet du Haut-Rhin, puis du Cantal en 1820 et du Puy-de-Dôme en 1828. Il démissionna lors de la révolution de Juillet, mais se rallia très vite au nouveau régime, qu’il

158

accepta de servir. Tous avaient donc déjà une longue et riche carrière administrative derrière eux, ce qui explique qu’aucun n’avait moins de 40 ans : Vallet de Merville avait 63 ans, le comte d’Arros 51 ans, le baron Sers 44 ans et Claude Nau de Champlouis 42 ans.

Les sous-préfets – qui furent également massivement remplacés146 – appartenaient

également au monde des notables à l’échelle de leur arrondissement, même s’ils étaient généralement issus de familles moins considérées et aisées que les préfets. A l’exception du sous-préfet de Briey Jean-Julien Loison, qui disposait semble-t-il de 18 000 francs de revenus par an, les sous-préfets n’étaient pas particulièrement riches. Deux bénéficiaient de 1500 francs de revenus annuels, un de 2500 francs, un de 3000 francs, un de 6000 francs, un de

7000 francs et un de 8500 francs147. Si l’un d’entre eux était issu d’un milieu modeste, en

l’occurrence Simon Gallois (Thionville), qui était le fils d’un meunier, la plupart étaient manifestement issus de familles appartenant à la petite et moyenne bourgeoisie, parfois influentes au niveau local. Charles Baudinet de Courcelles (Toul) était ainsi issu d’une vieille famille lorraine récemment anoblie ; Eusèbe Prieur de la Comble était le fils du directeur des contributions directes de la Meuse ; le père d’Hector Raulin (Montmédy) avait été avocat puis juge de paix dans cette ville avant d’être élu député d’opposition de la Meuse en 1820. Il est à cet égard intéressant de constater que contrairement aux préfets et à leurs prédécesseurs, la plupart (onze sur quatorze) étaient originaires de l’arrondissement qu’ils devaient administrer

ou d’un arrondissement proche148. Cette singularité s’explique certainement par le souci des

nouveaux dirigeants de nommer des hommes disposant de réseaux leur permettant de rallier rapidement les élites au nouveau régime. De ce fait, les nouveaux promus ne disposaient pour la plupart d’aucune expérience dans l’administration préfectorale, à l’exception bien évidemment de Jean-Baptiste Dufays. Ils n’étaient cependant pas dénués de compétences. Seuls deux avaient déjà travaillé dans une administration, mais cinq d’entre eux étaient

juristes, deux avaient déjà été maires de leur commune, et cinq avaient été officiers149

. Il s’agissait donc largement d’hommes nouveaux, qui étaient relativement jeunes (35,5 ans en moyenne). De manière plus surprenante pour des notables de cette époque, six étaient

célibataires. Trois étaient mariés, un était veuf. Trois avaient, en outre, des enfants150.

146 Treize des quatorze sous-préfets en poste en juillet 1830 furent limogés, à l’exception de Jean-Baptiste Dufays, qui conserva la sous-préfecture de Château-Salins jusqu’en 1848.

147 Nous ne disposons d’aucune information concernant les cinq autres sous-préfets.

148Voir annexe 5, tableau 7, p. 687.

149

Voir annexe 5, tableau 8, p. 688.

159

Cependant, contrairement à leurs prédécesseurs, les nouveaux préfets et sous-préfets devaient exercer une autorité plus libérale. C’est pourquoi François Guizot, qui, en tant que commissaire au ministère de l’Intérieur, était chargé de procéder à l’épuration et aux nouvelles nominations, élimina les partisans de Charles X, et promut des hommes dont le

libéralisme était connu151. C’était clairement les opinions libérales qu’il avait professées

pendant la Restauration152

qui valurent à Stanislas Vallet de Merville la préfecture du département dont il était originaire – ce qui était alors devenu exceptionnel. Jean André Sers était également réputé proche des libéraux. C’était aussi le cas du comte d’Arros et de Claude Nau de Champlouis, qui avaient tous deux été nommés par le modéré Jean-Baptiste Martignac. D’Arros fut en outre révoqué en avril 1830 en raison de son libéralisme supposé, et Nau de Champlouis décida de démissionner en septembre 1829, car il craignait d’être

destitué, après avoir été accusé par les royalistes vosgiens de favoriser les libéraux153. Les

informations concernant les sous-préfets sont nettement plus lacunaires. Quelques-uns d’entre eux devaient cependant clairement leur entrée dans l’administration à leurs opinions politiques ou à celles de leurs parents. Hector Raulin fut ainsi nommé sous-préfet de Montmédy en récompense des services rendus par son père au camp libéral pendant la Restauration. Jean-Julien Loison (Briey) était pour sa part réputé avoir des opinions libérales.

2. La pérennisation du modèle impérial

Avec le raidissement conservateur du régime, perceptible dès les derniers mois de 1830, l’autorité des préfets et des sous-préfets ne fut pas remise en cause. Leurs très larges

attributions furent même, au contraire, renforcées154

. Les préfets furent par exemple chargés, à

partir de 1836, de nommer les agents voyers155. En outre, l’article 20 de la loi du 18 juin 1837

relative à l’administration municipale confia aux préfets un droit de contrôle étroit sur les

délibérations des conseils municipaux156, qu’ils déléguaient du reste parfois aux sous-préfets.

L’affermissement, même relatif, de l’autonomie des communes ne s’est donc pas accompagné d’un rétrécissement du champ d’intervention des préfets et des sous-préfets, mais bien d’un

renforcement de la tutelle préfectorale157. Ajoutons que les honneurs dont ils étaient entourés

151 Charles-Hippolyte POUTHAS, « La réorganisation du ministère de l’Intérieur... » art. cit.

152 D’abord bonapartiste, il avait ensuite notamment été membre du cercle du commerce, d’inspiration libérale.

153

AN, F/1bI/168/1, Lettre des royalistes des Vosges au ministre de l’Intérieur, 25 août 1829.

154 Voir PIERRE-HENRY, Histoire des préfets… op. cit., p. 146.

155 Article 11 de la loi du 16 mai 1836, in Bulletin des lois… op. cit., 9e série, tome XII, bulletin n°422, p. 196.

156

Article 20 de ma loi du 18 juin 1837, in Bulletin des lois… op. cit., 9e série, tome XV, bulletin n°521, p. 135.

160

furent également pérennisés. Les préfets et les sous-préfets continuèrent à disposer d’un costume officiel, même si le dessin en fut partiellement modifié ; la ceinture tricolore fit

notamment sa réapparition158. En outre, quelques fonctionnaires reçurent la Légion d’honneur

– trois préfets et deux sous-préfets étaient déjà décorés lorsqu’ils arrivèrent en Lorraine, et

deux préfets et deux sous-préfets l’obtinrent pendant qu’ils étaient en poste159

. L’anoblissement n’était en revanche plus de mise. Enfin, les revenus des préfets furent revus à la baisse. Alors qu’ils avaient déjà diminué en 1829, une ordonnance, datée du 28 décembre 1830, les réduisit à nouveau de 7 à 11%. Le traitement annuel des préfets de la Meurthe et de la Moselle passa ainsi de 27 000 à 24 000 francs, celui du préfet de la Meuse de 18 000 à

16 000 francs et celui du préfet des Vosges de 16 200 à 15 000 francs160. En 1832, ils furent à

nouveaux baissés de 10% pour les huit derniers mois de l’exercice 1832161. Une telle évolution

était naturellement susceptible de remettre en cause la position sociale des préfets dans leur département, puisqu’ils n’étaient plus nécessairement en mesure de faire jeu égal avec les

élites les plus fortunées162, ce qui a d’ailleurs largement contribué à nourrir l’idée d’une

déconsidération de la fonction préfectorale sous la monarchie de Juillet163. Il faut néanmoins

apporter ici une nuance essentielle : comme on le verra, les dirigeants nommèrent des

hommes que leur fortune personnelle mettait à l’abri du besoin164. La diminution des

traitements des préfets ne remit donc pas en cause leur autorité, mais uniquement dans la mesure où le ministère de l’Intérieur nommait des hommes dont l’aisance financière était

suffisante pour pallier la médiocrité de leurs revenus165.

158

PIERRE-HENRY, Histoire des préfets… op. cit., p. 144.

159 Notons que ces chiffres sont sous-évalués, car nombre de dossiers de légionnaires de cette époque ont disparu. Voir le annexe 3, tableau 7, p. 554 et annexe 5, tableau 6, p. 687.

160

« Ordonnance du Roi sur les Traitemens des Préfets et des secrétaires généraux, et sur les Frais d’administration des préfectures », 28 décembre 1830, inBulletin des lois… op. cit., 9e série, tome II, bulletin n° 37, p. 24-26. Voir annexe 9, tableau 6, p. 703.

161 « Ordonnance du Roi portant réduction des Traitemens des Préfets pour les huit derniers mois de l’exercice 1832 », 1er mai 1832, inBulletin des lois… op. cit., 9e série, tome IV, bulletin n° 154, p. 537.

162 Voir à cet égard le discours prononcé par Adolphe Thiers à la chambre des députés en 1831, où il défendait l’idée que les préfets devaient disposer de salaires leur permettant de faire jeu égal avec les notables de leur département, cité par Thomas PIKETTY, Le Capital au XXIe siècle… op. cit., p. 663.

163Guy THUILLIER et Jean TULARD, Histoire de l’administration… op. cit., p. 40.

164

Ibid., p. 41.

165 Un administrateur ne jouissant pas de revenus personnels suffisants était ainsi susceptible d’être écarté. C’est du moins ce que pensait le sous-préfet de Briey Gabriel Disaut, qui estimait qu’on ne lui avait pas permis de poursuivre sa carrière au sein du corps préfectoral en raison de son manque de fortune (AN, F/1bI/158/24, Lettre du préfet du Gers au ministre de l’Intérieur, 5 novembre 1849).

161

D’autre part, les sept préfets166 et dix-neuf sous-préfets167 nommés entre 1831 et février

1848 avaient un profil très similaire à ceux de la Restauration, malgré quelques évolutions. Il était d’autant plus nécessaire de faire appel à des membres du monde des notables que la diminution des traitements des préfets impliquait, on l’a dit, de recourir à des hommes disposant d’une fortune personnelle suffisante. Contrairement à la Restauration, la majorité des nouveaux promus (57,2% des préfets et 73,7% des sous-préfets) étaient roturiers. Quelques préfets et sous-préfets, toutefois, appartenaient à la petite noblesse, récente comme le comte Siméon, préfet des Vosges, qui tenait son titre de son grand-père, anobli par Louis XVIII, ou plus ancienne, comme son successeur Alexis de Monicault ou encore le sous-préfet

de Sarrebourg Pierre Martin de Mentque168. La distinction entre nobles et roturiers apparaît

cependant ici peu opératoire, car tous les préfets étaient issus de milieux socio-professionnels

comparables, essentiellement composés d’hommes de lois et de fonctionnaires169, à

l’exception de Lucien Arnault, qui était le fils d’un dramaturge alors assez célèbre. Hippolyte Jayr était pour sa part le fils d’un avocat, Albert Germeau d’un rentier, Adrien Brun du maire de Bordeaux en poste de 1831 à 1838 et Alexis de Monicault d’un fonctionnaire, qui fut notamment directeur des postes, puis administrateur des hôpitaux civils à Lyon. Nicolas Rougier de la Bergerie était le fils d’un préfet de l’Empire, qui avait auparavant représenté l’Yonne à l’assemblée Législative. Quant à Henri Siméon, il était issu d’une famille plus prestigieuse encore, puisque son grand-père, professeur de droit à l’université d’Aix avant la Révolution, mena une longue et brillante carrière, mêlant postes administratifs et fonctions politiques. Il siégea en effet au Tribunat, avant d’être nommé préfet du Nord en 1814, puis d’être élu député à la chambre des Cent-Jours et dans la chambre « introuvable ». Il fut nommé ministre de l’Intérieur du gouvernement Richelieu en 1820-1821, puis entra à la Chambre des pairs. Rallié à la monarchie de Juillet, il fut en 1837-1839 le premier président de la Cour des comptes. Quant au père du préfet, après avoir mené une carrière diplomatique, il fut préfet sous la Restauration et fut élevé à la pairie par Louis-Philippe en 1835. On notera ici que plusieurs préfets étaient eux-mêmes fils de préfets. La monarchie de Juillet coïncide avec l’apparition d’une nouvelle génération au sein du corps préfectoral, composée en partie

166 Il s’agissait, pour la Meurthe, de Lucien Arnault (1831-1848), pour la Moselle de Hippolyte Jayr (1838-1839) et d’Albert Germeau (1839-1848), et enfin pour les Vosges de Henri Siméon (1830-1835), d’Alexis de Monicault (1835-1838), d’Adrien Brun (1839) et de Nicolas Rougier de la Bergerie (1839-1848).

167 Compte tenu de l’importance des préfets, le souverain garda évidemment, au titre de l’article 13 de la Charte révisée, la haute main sur les nominations. Dans les faits, cependant, le travail de sélection des candidats était effectué par le ministère de l’Intérieur, le roi se bornant le plus souvent à entériner les choix effectués en amont.

168 Voir annexe 3, tableau 4, p. 551et annexe 5, tableau 5, p. 686.Ce phénomène avait déjà été mis en évidence par André-Jean TUDESQ, dans Les Grands notables… op. cit., p. 379.

162

de ce que l’on peut appeler, avec les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron,

des héritiers170. Les informations dont on dispose concernant les sous-préfets sont plus

lacunaires171, mais les données que nous avons réunies montrent qu’ils provenaient de milieux

familiaux comparables : trois étaient fils d’hommes politiques, deux de rentiers, deux de

médecins, deux de fonctionnaires, un d’un homme de loi172

. En revanche, le sous-préfet de Neufchâteau, François Laurent, pâtissait visiblement de ses origines sociales. Le préfet des Vosges soulignait en effet qu’il ne plaisait guères aux élites de la ville :

« Cela se conçoit, il est trop voisin du point de départ social pour que l’aristocratie des manières et des traditions n‘ait pas de la répugnance à se voir administrer par le fils d’un meunier. »173

Ils avaient, enfin, des revenus très confortables, malgré d’importantes différences. Nicolas Rougier de la Bergerie aurait ainsi disposé de 8000 francs annuels, Lucien Arnault de 10 000 francs, Hippolyte Jayr et Albert Germeau de 12 000 francs chacun, Jean Brun de 15 000 francs, Henri Siméon de 25 000 francs de rente, et Alexis de Monicault de 30 000 francs. Les revenus des sous-préfets étaient plus disparates encore, puisqu’ils s’étalaient, autant qu’on puisse le savoir, de 1200 francs à 15 000 francs par an, la majorité disposant de plus de 6000 francs. Tous les préfets et la grande majorité des sous-préfets étaient en outre mariés et pères de famille174.

Même si la faveur et le népotisme jouaient encore un grand rôle dans le déroulement

des carrières préfectorales175, le phénomène de professionnalisation déjà mis en évidence pour

la Restauration se poursuivit176. Les préfets et les sous-préfets avaient en effet tous reçu une

bonne éducation, et bénéficiaient d’une solide expérience. Contrairement à ceux de leurs prédécesseurs, les dossiers des préfets et des sous-préfets de la monarchie de Juillet

170

Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, éd. de Minuit, 1964, 192 p.

171 On ne connaît la profession du père que pour dix sous-préfets sur dix-neuf.

172

Voir annexe 5, tableau 3, p. 685.

173 AN, F/1bI/166/16 (dossier François Laurent), Lettre du préfet des Vosges au ministre de l’Intérieur, 28 septembre 1840).

174Voir annexe 3, tableau 3, p. 550.Dix-sept sous-préfets sur dix-neuf étaient mariés (on ignore la situation des deux derniers), et quinze avaient des enfants(annexe 5, tableau 4, p. 686).

175 A titre d’exemple, une note sur Alexis de Monicault, rédigée alors qu’il était préfet de l’Ariège, soulignait qu’il ne devait pas sa carrière à ses talents – l’auteur lui reprochait de n’avoir aucune influence dans le département – mais à un influent protecteur, Camille de Montalivet, plusieurs fois ministre de l’Intérieur de