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de la Restauration au Second Empire (1814/15-1870)

A. Une nécessaire restauration de l’autorité

Avec le rétablissement des Bourbons sur le trône de leurs pères après les bouleversements de la Révolution et de l’Empire, la question de l’autorité devint l’objet d’une

3 Francis DEMIER, La France de la Restauration (1814-1830). L’impossible retour du passé, Paris, Gallimard, 2012, p. 11.

4 Notamment, Jean-Yves MOLLIER, Martine REID et Jean-Claude YON (dir.), Repenser la Restauration, Paris, Nouveau monde éditions, 2005, 375 p.

5

Voir par exemple les communications portant sur la Restauration dans Hélène BECQUET et Bettina FREDERKING (dir.), La Dignité de roi. Regards sur la royauté au premier XIXe siècle, Rennes, PUR, 2009, 205 p. ; Natalie SCHOLZ et Christina SCHRÖER (dir.), Représentation et pouvoir. La politique symbolique en France (1789-1830), Rennes, PUR, 2007, 300 p. On peut également renvoyer à Emmanuel FUREIX, La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, 2009, 501 p.

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intense réflexion. C’était, en effet, un des thèmes essentiels de la philosophie contre-révolutionnaire, apparue à la fin du XVIIIe siècle, mais dont l’influence sur les élites et les

décideurs s’affirma alors. Louis de Bonald6, Joseph de Maistre7, ou encore l’Irlandais Edmund

Burke8

considéraient que la Révolution, en rejetant les autorités traditionnelles – le roi et l’Eglise au premier chef – et en promouvant l’individualisme et le rationalisme avait provoqué le désordre dans le pays et entraîné son malheur. Par ailleurs, tout au long du régime, différents auteurs, certains très célèbres à l’instar de l’écrivain François-René de

Chateaubriand9, d’autres plus obscurs10, apportèrent leur pierre à l’édifice de légitimation de

l’autorité royale, et s’interrogèrent sur la manière dont elle devait s’exercer. Jean-Louis Fé de

Fondenis rédigea même une longue ode à l’autorité royale, dont il louait les bienfaits11.

Au-delà du cercle des penseurs royalistes, la question de l’autorité suscita également l’intérêt du

penseur libéral Benjamin Constant, qui publia, pendant les Cent-Jours, ses Principes de

politique applicables à tous les gouvernements représentatifs12, rédigés en 1806, où il se proposait d’étudier « les rapports entre l’autorité et la liberté » afin d’élaborer une théorie

novatrice de l’autorité légitime13.

6

Louis DE BONALD, Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, démontrée par le raisonnement et par l’histoire, Constance, s.e., 1796, 3 volumes, XVIII-574 p., 524 p., 376 p. Sur sa conception de l’autorité, voir Bruno KARSENTI, « Autorité, société, pouvoir. La science sociale selon Bonald », in Jacques GUILHAUMOU et Laurence KAUFMAN (dir.), L’Invention de la société. Nominalisme et science sociale au XVIIIe

siècle, Paris, éd. de l’EHESS, 2003, p. 261-286.

7 Joseph DE MAISTRE, Considérations sur la France, Londres et Bâle, s.e., 1796-1797, 256 p. ; première édition française, Paris, Société typographique, 1814, VII-168 p. Concernant la conception que l’auteur a de l’autorité, on peut renvoyer à Jean-Yves PRANCHERE, L’Autorité contre les lumières. La philosophie de Joseph de Maistre, Genève, Droz, 2004, 472 p.

8 Edmund BURKE, Reflections on the Revolution in France and on the proceedings in certain societies in London relative to that event. In a letter intented to have been sent to a gentleman in Paris, Londres, Dodsley, 1790, 356 p. L’ouvrage fut rapidement traduit en français.

9

François-René DE CHATEAUBRIAND, De Buonaparte, des Bourbons, et de la nécessité de se rallier à nos princes légitimes pour le bonheur de la France et celui de l’Europe, Paris, Mame frères, 1814, 87 p.

10 On peut citer, sans prétendre à l’exhaustivité : Essai sur l’influence naturelle de l’autorité légitime en France, Paris, L.G. Michaud, 1815, 19 p. ; Opinion sur l’étendue que doit avoir l’autorité royale en France, particulièrement à la suite de nos discordes civiles, Paris, imprimerie des Nouveautés, 1814, 11 p. ; Jean-François D’AUBUISSON DE VOISINS, Considérations sur l’autorité royale, en France, depuis la Restauration et sur les administrations locales, Paris, Ponthieu, 1825, 281 p. ; Claude-François THIOLLAZ, Essai sur la nature de l’autorité souveraine par un docteur en Sorbonne, évêque d’Annecy, Lyon, Chez Rusand, 1816, 272 p. ; Jean-Baptiste THOREL, Qu’est-ce que la souveraineté, l’autorité et le pouvoir ? A qui appartiennent-ils ? Est-ce au Souverain ou aux Peuples ? Si cette grande question est décidée dans l’ouvrage dont nous allons parler, faut-il continuer de nous égorger pour des fables ? Examinons les preuves, et ne rougissons pas de quitter le père du mensonge pour revenir au père des Lumières, Paris, A. Egron, 1822, 16 p.

11

Jean-Louis FE DE FONDENIS, Ode à l’autorité, Paris, Imprimerie de Le Normand, 1818, 8 p.

12 Benjamin CONSTANT, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France, Paris, Alexis Eymery, 1815, XII-321 p.

13

Lucien JAUME, « La théorie de l’autorité chez Benjamin Constant », Historical Reflections, Réflexion historique, vol. 28, 2002/3, p. 455-470.

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De ces réflexions, parfois très sophistiquées, les dirigeants du nouveau régime retinrent essentiellement l’idée que la période révolutionnaire et impériale avait semé le

désordre dans le pays, et qu’il importait de le conjurer en rétablissant l’autorité du roi14. En

effet, aux yeux des nouveaux dirigeants, la Révolution, en permettant aux Français de participer aux débats concernant « les matières les plus graves et les plus importantes, telles

que la religion, la morale, la forme des gouvernements »15

, avait précipité le pays dans la division et le désordre. Le vocabulaire employé dans les proclamations du nouveau régime en témoigne. Dans celle qu’il signa lors de son second retour à Paris en juillet 1815, Louis XVIII affirmait ainsi qu’il avait trouvé en France des « esprits agités et emportés par des passions

contraires »16. Quelques temps plus tard, en décembre 1816, le sous-préfet de Montmédy

évoqua dans un discours « nos dissensions et nos vieilles querelles »17. La Révolution, en

accordant la liberté à une population peu instruite, versatile, voire inaccessible à la rationalité18, n’avait fait qu’égarer les esprits. Dès lors, sous l’influence des « fausses idées

philosophiques »19 venues de Paris, en quête de gloire militaire20, voire guidés par une soif de

revanche sociale21, les Français remirent en cause les autorités traditionnelles – contestation

du magistère de l’Eglise et exécution du roi le 21 janvier 1793 – et se livrèrent à bien des excès – terreur politique, conquêtes effrénées en Europe. Ce faisant, la Révolution avait

« occasionné […] le deuil, le ravage de ce beau royaume et le trouble de toute l’Europe »22,

voire provoqué le « chaos »23 dans le pays.

Cependant, en dépit de ce constat pour le moins pessimiste, si le chevalier Liégeard, secrétaire général de la préfecture de la Meuse, pouvait s’écrier, avec un lyrisme quelque peu exalté, que « du sein du chaos a jailli la lumière : de nos calamités mêmes renaît le

14 Nous reprenons, dans les lignes qui suivent, les principales conclusions auxquelles nous avions abouti dans un article, auquel nous nous permettons de renvoyer : François-Xavier MARTISCHANG, « La discorde en héritage. Mémoire de la Révolution et politique sous la Restauration », Annales de l’Est, n° spécial, 2013, p. 278-289.

15 AD 88, 8 M 17, Lettre du sous-préfet de Mirecourt au préfet des Vosges, 9 juin 1819.

16 Proclamation du roi au peuple, Bulletin des lois… op. cit., 1815, p. 2.

17

Discours du sous-préfet de Montmédy, in Narrateur de la Meuse, n° 954, 13 décembre 1816.

18 Sur cette conception du peuple, voir Alain CORBIN, « L’opinion publique ou l’Etat des esprits du Premier Empire à l’instauration du suffrage universel », in L’opinion. Information, rumeur, propagande, Paris, éd. Pleins Feux, 2008, p. 67-89 ; Nathalie JAKOBOWICZ, 1830. Le Peuple de Paris. ? Révolution et représentations sociales, Rennes, PUR, 2009, 361 p. et Pierre KARILA-COHEN, L’Etat des esprits. L’invention de l’enquête politique en France (1814-1848), Rennes, PUR, 2008, p. 325-347.

19 AD 55, 1 M 3, Lettre du préfet de la Meuse au ministre de l’Intérieur, octobre 1815.

20 Discours du secrétaire général de la préfecture de la Meuse, in Narrateur de la Meuse, n° 908, dimanche 12 mai 1816.

21 AD 55, 1 M 3, Lettre du préfet de la Meuse au ministre de l’Intérieur, octobre 1815 ; AD 88, 8 M 17, Lettre du sous-préfet de Mirecourt au préfet, 9 juin 1819.

22

Discours du préfet de la Meurthe, in Journal de la Meurthe, n° 1378, mardi 8 novembre 1814.

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bonheur »24, c’est que le rétablissement des Bourbons sur le trône laissait augurer des temps

meilleurs pour le pays. Le nouveau régime s’efforça, en effet, de mettre fin aux divisions en rassemblant tous les Français autour du monarque, et de rétablir l’obéissance de la population au souverain, c’est-à-dire de restaurer l’autorité royale. Pour cela, les dirigeants firent appel à la figure du roi-père de ses sujets. Ce thème, qui était littéralement omniprésent dans la

propagande officielle25, a fait l’objet ces dernières années d’analyses novatrices. L’historienne

allemande Natalie Scholz s’est ainsi intéressée à la dimension sentimentale de cette figure, dont elle a mis en évidence le caractère intégrateur. Pour le dire simplement, les Français, considérés comme les enfants du souverain, étaient à nouveau unis dans l’amour filial qu’ils

devaient tous porter au roi26. Parallèlement, la figure du roi-père permettait également de

renforcer l’autorité du souverain. Pour que les habitants obéissent au roi, il fallait naturellement qu’ils considèrent sa domination comme légitime. Or un père ne peut que vouloir le bien de ses enfants et doit faire preuve de bienveillance à leur égard. En retour,

ceux-ci lui doivent obéissance27.

La figure du roi-père, qui venait panser les plaies d’une France traumatisée par la Révolution et l’Empire, avait donc pour objectif de réconcilier les Français et de s’assurer de leur soumission. Le roi ne pouvant cependant être présent partout et en tout temps, les administrateurs furent chargés de le représenter dans leur circonscription. L’autorité de type paternel du roi fut donc, de fait, érigée en un véritable modèle pour les représentants de l’Etat, et notamment pour les préfets, les sous-préfets et les maires. La circulaire envoyée par le ministre de la Justice aux préfets le 17 juillet 1815, après retour de Louis XVIII à Paris, en témoigne :

24Discours du secrétaire de la préfecture de la Meuse, in Narrateur de la Meuse, n°908, dimanche 12 mai 1816.

25 On ne trouvait, en effet, pas un discours, pas un éloge du pouvoir, pas une cérémonie politique qui n’y fassent référence. A titre d’exemple : AD 55, 1 M 3, Lettre du préfet de la Meuse aux sous-préfets, 20 juillet 1815 ; Proclamation du duc de Doudeauville aux maires, in Narrateur de la Meuse, n° 757, mercredi 1er juin 1814 ; Discours du maire de Montmédy, in Narrateur de la Meuse, n°9323, 6 septembre 1816.

26 Natalie SCHOLZ, Die imaginierte Restauration. Repräsentationen des Monarchie im Frankreich Ludwigs XVIII, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2006, VIII-306 p. En français, « La monarchie sentimentale : un remède aux crises politiques de la Restauration ? », in Natalie SCHOLZ et Cristina SCHRÖER (dir.), Représentation et pouvoir… op. cit., p. 185-198.

27 Sur la domination alors exercée par le père au sein de la famille, voir Philippe ARIES et Georges DUBY (dir.),

Histoire de la vie privée, 4… op. cit., p. 121-124 ; Jean DELUMEAU et Daniel ROCHE (dir.), Histoire des pères… op. cit., p. 310-312.

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« Monsieur, la première pensée du Roi, en rentrant dans sa capitale, a été de rendre à ses Etats une administration tout-à-la-fois forte et paternelle. »28

Lorsque le ministre parlait d’administration, il faisait, bien évidemment, référence au gouvernement au sens large, mais aussi, de fait, à ses délégués dans les départements. Les préfets, les sous-préfets et les maires étaient donc appelés à exercer leur mission dans un

nouvel état d’esprit29. L’apparition de cette nouvelle conception de l’autorité entraîna-t-elle

des modifications dans leurs attributions institutionnelles, dans les critères de recrutement et dans la manière dont les dirigeants voulaient qu’ils exercent leur autorité ? La réponse apparaît relativement nuancée.