• Aucun résultat trouvé

L’élaboration d’un style sous le Consulat et le Premier empire (1799-1814/5)

C. Les maires : un cadre moins contraignant

C.Les maires : un cadre moins contraignant

Les maires faisaient également l’objet d’une intense surveillance. C’étaient les sous-préfets, aidés parfois des juges de paix, qui en étaient chargés. Lors des renouvellements des maires, notamment en 1808 et en 1812, des listes des titulaires furent élaborées. On y trouvait notamment, on l’a dit, une colonne dans laquelle étaient indiquées les raisons pour lesquelles il était opportun ou non de renommer les édiles. En temps normal, les sous-préfets et les autres administrateurs fournissaient aux préfets les informations sur les maires par la correspondance administrative. Là encore, l’objectif de cette surveillance était d’évaluer la capacité des maires à remplir leurs tâches administratives. La question des relations entre les édiles et leurs administrés n’était toutefois pas absente de ces documents. De fait, lorsque la conduite d’un maire n’était pas jugée satisfaisante par ses supérieurs, il était rappelé à l’ordre. Il nous est dès lors possible de connaître les attentes du pouvoir en la matière.

Celles-ci s’inspiraient clairement de celles qui pesaient sur les préfets et les sous-préfets, tout en étant nettement moins contraignantes. Pour l’essentiel, l’étude des différentes listes de maire et de la correspondance administrative montre que les préfets et les sous-préfets attendaient des maires qu’ils soient non seulement de bons administrateurs, compétents, probes, honnêtes, intelligents et zélés, mais aussi qu’ils sachent se faire apprécier de leurs administrés. On a vu que l’un des critères qui présidait au choix des maires était précisément l’estime dont ils jouissaient dans la commune. Une fois nommés, les maires devaient s’efforcer de conserver, par leur conduite et leur probité, la considération de leurs administrés, voire de la renforcer. Les maires qui, au contraire, perdaient la confiance des habitants étaient réprimandés, puis révoqués si leur conduite ne changeait pas. Ainsi, en 1807,

326

Sur la conscription et ses enjeux, voir Annie CREPIN, La Conscription en débat, ou le triple apprentissage de la nation, de la citoyenneté, de la République, 1798-1889, Arras, Artois Presses Université, 1998, 253 p. ;

Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009, 528 p. et Vers l’armée nationale. Les débuts de la conscription en Seine-et-Marne, 1798-1815, Rennes, PUR, 2011, 427 p.

124

le préfet de la Meurthe adressa au ministre de l’Intérieur une lettre relative à M. Dalancourt, maire de Lunéville. S’il y louait avec force les compétences administratives du maire, le préfet constatait tout de même que ce dernier n’entretenait pas de bonnes relations avec ses administrés :

« Il parait qu’il n’a pas toujours su mettre, dans ses relations avec ses administrés et surtout avec les autres fonctionnaires publics, les formes propres à se concilier l’affection des uns et à se maintenir en bonne harmonie avec les autres ».

Le préfet n’avait pas jugé utile de rappeler le maire à la « modération et à la bienveillance » dont un édile devait faire preuve, mais il lui avait tout de même adressé les plaintes que les habitants de la commune lui avait envoyées à ce sujet. Le ministre de l’Intérieur reprocha toutefois au préfet de ne pas avoir fait preuve, en ce domaine, de davantage de fermeté envers le maire328

. Ce dernier ne fut cependant pas révoqué. En revanche, la même année, le maire de la commune de Vaudeville, dans le Meuse, fut révoqué après avoir été condamné à 40 francs

d’amende pour des délits forestiers, qui lui avaient ôté la confiance des habitants329.

* * *

La longueur des considérations qui précèdent se justifie par la nécessité de mettre en évidence de manière fine les caractéristiques du style d’autorité que les dirigeants du Consulat et de l’Empire imposèrent à leurs représentants. Qu’il s’agisse d’un style autoritaire n’est en effet pas une surprise. Une analyse détaillée était donc nécessaire, afin d’en préciser les modalités d’exercice.

Les préfets, les sous-préfets et les maires représentaient l’Etat, et à ce titre étaient investis d’une forte autorité. Les pouvoirs dont ils disposaient, malgré de réelles limites, étaient importants et leur permettaient de se faire obéir. Ils ne détenaient cependant cette autorité que par délégation. Les gouvernants estimaient toutefois que pour être en mesure d’exercer cette autorité, les préfets, les sous-préfets et les maires devaient être capables de

328

AN, F/1bII/MEURTHE/13, Lettre du préfet de la Meurthe au ministre de l’Intérieur, 9 décembre 1807.

125

s’imposer à la population locale, et plus spécifiquement aux élites. Il leur fallait, pour cela, appartenir eux-mêmes aux couches les plus aisées de la population de la circonscription administrative qu’ils avaient en charge, et maîtriser les codes sociaux leur permettant de s’insérer dans la société des notables. Ils devaient non seulement disposer des compétences professionnelles requises pour un bon exercice de leur charge, mais aussi, et peut-être surtout, savoir séduire. L’aisance en public, le caractère sociable, l’art oratoire, la maîtrise des manières de l’homme du monde, voire le charme étaient donc des atouts essentiels, notamment pour les préfets et les sous-préfets ou pour les maires des grandes villes.

La conception que les dirigeants du Consulat et de l’Empire avaient de l’autorité s’avère donc, à bien y regarder, plus complexe qu’il n’y paraît. Même si l’objectif du régime était bien de se faire obéir et de réduire les oppositions au silence, il n’était pas question pour lui d’imposer son autorité trop brutalement, ou uniquement par l’usage de la force publique. En effet, comme le notait jadis Alphonse Aulard, « Napoléon voudrait que sa dictature fût une dictature de persuasion fondée sur la popularité. Ses préfets doivent donc éviter à tout prix de

faire haïr le gouvernement et de se faire haïr eux-mêmes »330. L’exercice de l’autorité par les

préfets, les sous-préfets et les maires supposait donc qu’ils sachent s’imposer par la persuasion, mais aussi par la séduction. En cela, la conception qu’avaient alors les dirigeants de l’autorité ne correspond qu’imparfaitement à la définition qu’en donnent les spécialistes

actuels. Pour la philosophe Hannah Arendt331, suivie par bien d’autres auteurs332, l’autorité

exclut non seulement l’usage de la coercition, mais aussi celui de la persuasion, ce qui n’était

pas le cas au XIXe siècle. Une telle conception de l’autorité présentait cependant le risque de

permettre aux préfets, aux sous-préfets et aux maires d’imposer une autorité personnelle. C’est certainement en partie pour éviter cela que les gouvernants ne nommaient pas à ces postes des personnalités exagérément charismatiques ou ambitieuses. En tout état de cause, et en dépit de ces limites, cette conception de l’autorité s’est ensuite imposée comme un véritable modèle pour les régimes suivants.

330Alphonse AULARD, « La centralisation… » art. cit.

331 Hannah ARENDT, « Qu’est-ce que l’autorité ? », in La Crise de la culture, paris, Gallimard, 1972 [1954], notamment p. 123.

127

Chapitre 2 :