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L’élaboration d’un style sous le Consulat et le Premier empire (1799-1814/5)

A. Le corps préfectoral 31

1. Les préfets

Puisque les préfets devaient exercer et incarner au premier chef l’autorité de l’Etat, le gouvernement leur conféra les outils juridiques adéquats. Il faut cependant d’emblée noter qu’il n’était pas question, du moins en théorie, de leur fournir les moyens d’exercer une emprise personnelle. Ils ne devaient être que des maillons – certes essentiels et puissants – d’une chaîne administrative dont l’autorité provenait, par délégation, de l’Etat central, qui, dans le cadre d’un régime de plus en plus autoritaire et personnel, tendit très rapidement à se

confondre avec la personne du Premier Consul puis de l’Empereur32. C’est là tout le sens des

propos que le comte de Las Cases prêtait à Napoléon cités en introduction de ce chapitre. Bien

que formulées a posteriori, ces remarques résument bien – en ce qui concerne la question de

l’autorité personnelle des préfets – la conception qui était celle des dirigeants au moment où fut créé le corps préfectoral. Jean-Antoine Chaptal ne disait en effet pas autre chose dans le célèbre discours qu’il prononça en tant qu’orateur du gouvernement devant le Corps législatif pour défendre le projet de loi sur la division du territoire européen de la République et l’organisation de son administration – c’est-à-dire la future loi du 28 pluviôse an VIII :

« Le préfet ne connaît que le ministre ; le ministre ne connaît que le préfet. Le préfet ne discute point les ordres qu’on lui transmet il les applique, il en assure et surveille l’exécution. »

Il ajouta, plus loin :

« Le préfet, essentiellement occupé de l’exécution, transmet les ordres au sous-préfet, celui-ci aux maires des villes, bourgs et villages ; de manière que la chaîne d’exécution descend sans interruption du ministre à l’administré et transmet la loi et les ordres du gouvernement jusqu’aux

31 Précisons que nous n’utilisons ici cette expression que par commodité. Il est en effet admis par l’historiographie que les préfets et sous-préfets ne formaient pas alors un corps à proprement parler, notamment parce que les procédures d’entrée dans le métier et le déroulement des carrières n’étaient pas encore précisément réglés.

32

Jacques-Olivier BOUDON, « L’incarnation de l’Etat de brumaire à floréal », in Jean-Pierre JESSENNE (dir.), Du Directoire au Consulat. Tome 3, … op. cit., p. 333.

53

dernières ramifications de l’ordre social avec la rapidité du flux électrique. »33

Si pour Napoléon les préfets exerçaient un pouvoir considérable, au point d’être assimilés à des « empereurs aux petits pieds », ils n’étaient, aux yeux de Chaptal, que les exécutants de décision prises au niveau central, et constituaient, à ce titre, les principaux artisans de la

centralisation34. Mais par-delà cette différence essentielle, les remarques de Chaptal et de

Napoléon convergeaient sur ce point précis que les préfets ne disposaient pas d’autorité personnelle, mais uniquement d’une autorité déléguée. Ils étaient en effet étroitement soumis au pouvoir central35 : au titre de l’article 18 de la loi du 28 pluviôse an VIII, ils étaient

directement nommés, intuitu personae, par le chef de l’Etat36, et étaient révocables ad nutum.

C’est donc du Premier Consul puis de l’Empereur qu’ils tiraient leur autorité. Dès lors, s’ils devaient être obéis, ce n’est pas en raison de leur charisme propre, mais parce qu’ils représentaient Napoléon et participaient de son autorité.

Dans ces conditions, les préfets furent dotés de vastes pouvoirs. La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) « concernant la division du territoire français et l’administration » portait ainsi en son article 3 que « le préfet sera chargé seul de l’administration ». La formule,

aussi imprécise37

que laconique, conférait aux préfets des attributions considérables38

,

désormais bien connues grâce aux nombreux travaux39 qui se sont efforcés de les recenser, en

s’appuyant à la fois sur l’analyse des différents textes juridiques qui les délimitaient, et sur le

33 Archives Parlementaires, tome 1, Paris, Librairie administrative Paul Dupont, 1867, p. 230, séance du 28 pluviôse an VIII.

34 Natalie PETITEAU, Napoléon, de la mythologie… op. cit., p. 305-309.

35 Frédéric BLUCHE, Le Bonapartisme, aux origines de la droite autoritaire, 1800-1850, Paris, Nouvelles éditions latines, 1980, p. 53 ; Maurice BOURJOL, Les Institutions régionales de 1789 à nos jours, Paris, Berger-Levrault, 1969, p. 86-88 ; Thierry LENTZ, Nouvelle histoire du Premier Empire, tome III, La France et l’Europe de Napoléon, 1804-1814, Paris, Fayard, 2007, p. 174 ; François MONNIER, « Préfet », in Jean TULARD (dir.),

Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1995, p. 1386-1389 ; Laurent OLIVIER, « Préfet et gouvernement : entre subordination et capacité d’initiative. Une approche socio-historique », in François BORELLA (dir.), Le Préfet, 1800-2000. Gouverneur, administrateur, animateur, Nancy, PUN, 2002, p. 95 ; Marc OLLIVIER, Condition et compétence préfectorales : permanences et mutations, thèse de doctorat de droit public sous la direction de Claude JOURNES, Université Lumière-Lyon 2, 2005, p. 24 et sq ; Félix PONTEIL, Napoléon Ier et l’organisation autoritaire de la France, Paris, A. Colin, 1956, p. 101 et sq.

36 Michel BIARD, Les Lilliputiens de la centralisation. Des intendants aux préfets : les hésitations d’un « modèle français », Seyssel, Champ Vallon, 2007, p. 266. Aux termes de la loi, le Premier consul devait choisir les préfets sur les listes de notabilités départementales, mais le gouvernement s’affranchit immédiatement de cette obligation (Jean TULARD et Marie-José TULARD, Napoléon et 40 millions de sujets. La centralisation et le Premier Empire, Paris, Tallandier, 2014, p. 95). Ces listes furent supprimées en l’an X.

37 Edith GERAUD-LLORCA, « L’universalité des compétences préfectorales », in La loi du 28 pluviôse an VIII. Deux-cents après, survivance ou pérennité ?, Paris, PUF, 2000, p. 28.

38

Brian CHAPMAN, The Prefects and Provincial France, Londres, Allen and Unwin, 1955, p. 27 : Jacques GODECHOT, Les Institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1968, p. 589.

39 Les compétences des préfets sont traitées dans de forts nombreux ouvrages, qu’il serait trop long de citer ici. On pourra se reporter à la bibliographie générale, située en fin de volume (p. 758-765) pour de plus amples informations.

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dépouillement des sources de la pratique (décrets des préfets et correspondance administrative), qui permettent de déterminer quelles tâches retenaient prioritairement leur attention. On se contentera ici d’en reprendre les principaux résultats, afin de montrer à quel

point leur domaine de compétences était vaste. Garants de l’ordre public40

, ils coordonnaient les forces de l’ordre et la justice, et consacraient une partie importante de leur temps à collecter les renseignements que réclamait le pouvoir central, sur l’économie, la société ou

encore ce que l’on appelait alors « l’état des esprits »41

, notamment au cours des tournées annuelles dans le département prescrites par l’arrêté du 17 ventôse an VIII (8 mars 1800). Ils devaient également s’assurer de la réussite des opérations de conscription et poursuivre les réfractaires. En vertu du décret du 8 nivôse an XII (29 décembre 1803), ils dirigeaient le

conseil de recrutement42. En outre, l’article 10 du Code d’instruction criminelle de 1808 leur

conférait tous les pouvoirs d’un officier de police judiciaire : ils étaient habilités à constater les crimes et délits, à ordonner des perquisitions, à arrêter les contrevenants, et à les déférer devant les tribunaux. Enfin, ils inspectaient les prisons. Représentants du régime dans le département, ils devaient faire connaître les lois et les règlements, et faisaient de la propagande en faveur du régime, dont ils se devaient de vanter les mérites. Chefs de l’administration départementale, leur action s’étendait sur tous les services de l’Etat. Ils exerçaient une tutelle sur les communes, ils préparaient le budget départemental et s’assuraient que les impôts étaient régulièrement perçus. En outre, ils surveillaient l’élection des juges de paix et le tirage au sort des listes de jurés. Ils mettaient en œuvre le régime électoral, notamment en confectionnant les listes de confiance. Ils participaient au recouvrement des impôts. Enfin, ils nommaient à certains emplois. C’est à eux que revenait la délicate mission de choisir les conseillers municipaux, mais aussi les maires et les adjoints des communes de moins de 5000 habitants (article 20 de la loi du 28 pluviôse an VIII). Le pouvoir de nomination des préfets s’accrut encore au cours du temps. Ils reçurent successivement la mission de nommer les employés de la préfecture, les porteurs de

40 Antoine BOULANT, « Préfets et force publique face à l’agitation ouvrière », in Maurice VAÏSSE (dir.), Les Préfets, leur rôle, leur action dasn le domaine de la défense de 1800 à nos jours, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2001, p. 47-68 ; Edouard EBEL, Les Préfets et le maintien de l’ordre public en France au XIXe siècle, Paris, La Documentation française, 1999, 265 p. et Marie-Cécile THORAL, « Les acteurs administratifs de la résolution des conflits socio-politiques. Le cas de Grenoble, du Consulat à la monarchie de Juillet », in Jean-Claude CARON, Frédéric CHAUVAUD, Emmanuel FUREIX et Jean-Noël LUC (dir.), Entre violence et conciliation. La résolution des conflits socio-politiques en Europe au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2008, p. 139-149.

41 Sur ce travail, outre les ouvrages généraux sur les préfets, on pourra consulter Marie-Noëlle BOURGUET,

Déchiffrer la France. La statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, éd. des Archives contemporaines, 1989, 476 p. et Pierre KARILA-COHEN, L’Etat des esprits. l’invention de l’enquête politique en France (1814-1848), Rennes, PUR, 2008, p. 65-86.

42

Sur le rôle des préfets dans le domaine militaire, voir Maurice VAÏSSE (dir.), Les Préfets et leur rôle, leur action dans le domaine de la défense de 1800 à nos jours, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2001, XII-422 p.

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contrainte43 (article 56 de l’arrêté du 16 thermidor an VIII, 4 août 1800), les gardiens des

maisons d’arrêt et de justice (article 606 du Code d’instruction criminelle). Lors de l’organisation d’une fabrique, ils nommaient quatre conseillers s’il y avait neuf membres ou

deux si le conseil ne comptait que cinq membres (article 6 du décret du 30 décembre 1809)44

.

Chargés du maintien de l’ordre social45, c’est-à-dire de veiller au bien-être de leurs

administrés et à la prospérité économique de leur département, ils encourageaient le développement de l’industrie et de l’agriculture et ils surveillaient l’approvisionnement des marchés et la circulation des denrées, notamment en entretenant les routes et en présidant à la réalisation des ouvrages souhaités par le gouvernement pour faciliter les communications. Ils contrôlaient également la mise en place du système des poids et mesures, ils informaient la population des ventes de bétail et autorisaient la création de nouvelles foires. En période de crise ou face à des calamités, ils prenaient des mesures exceptionnelles. Ils facilitaient le travail des établissements hospitaliers, bureaux de bienfaisance, dépôts de mendicité. Ils développaient même parfois une sorte de « politique culturelle » par la fondation de bibliothèques, ou le soutien aux sociétés savantes.

Une telle accumulation montre bien l’extrême variété des attributions des préfets. En

théorie, leur champ d’action était même presque universel46, dans la mesure où il couvrait non

seulement l’ensemble des actions régaliennes de l’Etat, mais aussi « les actions destinées à la

connaissance et à l’accomplissement du bonheur de leurs administrés »47. Cependant – bien

des travaux récents l’ont démontré – Napoléon exagérait lorsqu’il voyait dans les préfets des « empereurs aux petits pieds ». Ces derniers n’avaient, en effet, pas tous les pouvoirs. L’institution judiciaire, l’administration militaire et les universités échappaient au contrôle des

préfets48. En outre, ces derniers étaient étroitement surveillés par le ministère de l’Intérieur49,

qui veillait à ce qu’ils n’outrepassent pas leurs droits, vérifiait la validité des décisions qu’ils

43 Les porteurs de contrainte étaient chargés de notifier aux contribuables les mises en demeure du percepteur.

44 Marc OLLIVIER, Condition et compétence préfectorales… op. cit., p. 66.

45 Françoise DREYFUS, L’Invention de la bureaucratie. Servir l’Etat en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis (XVIII-XXe siècle), Paris, La Découverte, 2000, p. 150-156.

46 Un des principaux traités de droit administratif note ainsi à ce sujet : « Dans ses attributions comme agent du gouvernement, l’action du préfet n’est point bornée à une certaine spécialité de services publics ; elle s’étend à tous les services publics et n’est circonscrite que sous le rapport du territoire », Gabriel DUFOUR, Traité général de droit administratif appliqué, tome 1, Paris, Cotillon éditeur, 1854, p. 172.

47

Pierre ALLORANT, Le Corps préfectoral et les municipalités dans les départements de la Loire moyenne au XIXe siècle (1800-1914), Orléans, Presses Universitaires d’Orléans, 2007, p. 50-57.

48 Marc OLLIVIER, Condition et compétence préfectorales… op. cit., p. 187.

49

Igor MOULLIER, Le Ministère de l’intérieur… op. cit., chapitre 8 (« La surveillance des préfets »), thèse consultée en ligne, non paginée.

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prenaient et attendaient d’eux qu’ils soient loyaux envers le régime qui les avait nommés50.

Les préfets étaient des agents d’exécution, qui devaient mettre en application les mesures

décidées au sommet de l’Etat, non prendre des décisions par eux-mêmes51. C’était le sens

d’une circulaire que Lucien Bonaparte, alors ministre de l’Intérieur, adressa aux préfets le 24 germinal an VIII (14 avril 1800) :

« Les préfets sont chargés par le gouvernement d’administrer sous ses ordres, dans l’étendue de leur département ; ils sont les organes de la loi et les instruments de son exécution.

Quand son application exige des ordres de détail, ils doivent les transmettre à leurs administrés ; mais là se bornent leurs devoirs et leurs fonctions : ils n’ont pas le droit de proclamer ni leur propre volonté, ni leurs opinions […]52.

Une autre limite au pouvoir des préfets tenait à ce qu’ils devaient ménager les notables locaux, dont l’entregent à Paris pouvait avoir raison de la carrière d’un administrateur peu

conciliant53. Enfin, la loi du 28 pluviôse an VIII avait également prévu, afin d’éviter tout

risque d’arbitraire, de flanquer le préfet de deux conseils : le Conseil de préfecture, chargé du contentieux administratif, et le Conseil général chargé de la répartition des contributions directes. Si ces conseils ne disposaient alors que de pouvoir très limités et ne constituaient pas réellement des contre-pouvoirs puissants, le préfet était néanmoins contraint de composer avec eux54.

En outre, l’autorité des préfets ne reposait pas seulement sur la variété de leurs attributions, mais aussi sur les nombreux honneurs dont le régime avait entouré leur personne.

50

L’impératif de loyauté était d’autant plus fort qu’ils avaient prêté serment de fidélité au gouvernement en entrant en fonction, nous y reviendrons (Marc OLLIVIER, Condition et compétence… op. cit., p. 59-60 ; Catherine LECOMTE, « De l’intendant au préfet, rupture ou continuité ? », in La loi du 28 pluviôse an VIII, deux-cents ans après : survivance ou pérennité ?, Paris, PUF, 2000 p. 15).

51

M. FLEURIGEON, Code administratif ou Recueil par ordre alphabétique des lois nouvelles et ancienne, Paris, Garnery, 1809, tome 1, p. 33.

52 Circulaire du ministre de l’Intérieur Lucien Bonaparte aux préfets, 24 germinal an VIII (14 avril 1800), in Recueil des lettres circulaires, instructions, arrêtés et discours publics, émanés des citoyens Quinette, Laplace, Lucien Bonaparte et Chaptal, Ministres de l’intérieur, depuis le 16 messidor an 7 jusqu’au 1er

vendémiaire an 10, tome III, Paris, imprimerie de la République, p. 174-175.

53 Dominique CHAGNOLLAUD souligne que la nécessité de ménager les notables s’est surtout développée avec l’avènement du parlementarisme sous les monarchies censitaires, car les députés désormais élus jouèrent un rôle croissant dans les nominations et le déroulement des carrières (Le Premier des ordres… op. cit., p. 36). Les notables jouaient néanmoins déjà un rôle réel dans les carrières préfectorales sous le Consulat et l’Empire car leurs critiques étaient écoutées à Paris (Gavin P. DALY, Inside Napoleonic France. State and Society in Rouen. 1800-1815, Aldershot, Ashgate, 2001, p. 52 ; Annie JOURDAN, L’Empire de Napoléon… op. cit., p. 261 ; Stefano MANNONI, « Administratio mediatrix… » art. cit., p. 457).

57

En effet, le chef de l’Etat et ses collaborateurs avaient décidé de conférer aux préfets toute une série de signes distinctifs, dont l’importance mérite d’être évaluée à sa juste valeur. Destinés à

récompenser et à s’attacher de bons serviteurs en flattant leur vanité55, à leur fournir une

forme de rémunération complémentaire, de type symbolique56

, à souligner le prestige du service de l’Etat57

, et à en rendre manifeste la majesté, il s’agissait également de symboles ostensibles de l’autorité des préfets.

Les préfets furent ainsi souvent – mais pas toujours – logés dans des bâtiments de

prestige, souvent ceux qui avaient abrité les anciennes intendances ou d’anciens couvents58. A

l’instar des bâtiments abritant les ministères, les préfectures devaient symboliser « autant que

faire se peut, la majesté et la puissance »59. Le manque de locaux adaptés conduisit certains

préfets à s’installer provisoirement ou plus durablement dans des bâtiments assez modestes,

voire à être contraints à des déménagements réguliers60. Les préfets de la Meurthe ne

s’installèrent ainsi dans l’ancien hôtel des intendants, place de la Carrière à Nancy, qu’en 1824 (et jusqu’en 1859). A Metz, les préfets prirent immédiatement possession de l’ancien hôtel des intendants. A Epinal, la préfecture fut installée, dans un premier temps, dans les

bâtiments du vieux collège de la ville61. A Bar-le-Duc, la préfecture fut d’abord installée dans

le château, où avait siégé l’administration centrale du département pendant la Révolution, puis dès 1801 dans un hôtel de l’actuelle place Reggio (il s’agit de la partie sud de l’actuelle préfecture). Le préfet fut cependant d’abord logé dans la maison Guébey, rue Notre-Dame,

puis à partir de 1806 dans l’hôtel Desandrouin (sur l’actuel boulevard Poincaré)62. Pour

meubler ces bâtiments convenablement, les préfets pouvaient réutiliser le mobilier de bureau

des commissaires et des administrations départementales du Directoire63. Au besoin, les

préfets pouvaient faire appel aux dépôts nationaux pour compléter l’ameublement des

55

Christophe CHARLE, Les Hauts fonctionnaires en France au XIXe siècle, Paris, Gallimard/Julliard, 1980, p. 56.

56 Olivier IHL, Le Mérite et la République… op. cit.

57Dominique CHAGNOLLAUD, Le Premier des ordres… op. cit., p. 63.

58

Anne-Marie CHATELET, « Jalons pour une histoire de l’architecture de l’administration publique en France au 19e siècle », Jahrbuch für Europäische Verwaltungsgeschichte, tome 6, 1994, p. 215-243 ; Jean-Michel LENIAUD, « L’hôtel préfectoral, mythe impérial ? », Monuments historiques, n° 178, 1991, p. 16-25.

59Henri DEROCHE, Les Mythes administratifs, Paris, PUF, 1966, p.47.

60

Pierre KARILA-COHEN, La Plume et la masse… op. cit., p. 121.

61 Jean-Paul CLAUDEL, Les Vosges sous le Consulat et l’Empire, Vagney, Gérard Louis éditeur, 1992, p. 20. Notons qu’à partir de 1829, les services de la préfecture s’installèrent dans un nouveau bâtiment, spécialement construit à cet effet.

62 A partir de 1815, et jusqu’en 1818, les services de la préfecture s’installèrent également dans cet hôtel. Le bâtiment de la place Reggio fut embelli en 1821 ; le préfet et ses services revinrent alors s’y installer définitivement.

63 Arrêté relatif à l’installation, aux fonctions, aux costumes des préfets, aux traitements des secrétaires de préfecture, du préfet de police de Paris et des commissaires généraux de police, 17 ventôse an VIII, inBulletin des lois de la République française, Paris, imprimerie de la République, 1799-1804, bulletin n° 13, p. 1-2.

58

bureaux64. En revanche, le préfet devait prendre lui-même en charge l’ameublement de ses

appartements privés, où il était pourtant amené à recevoir les élites locales. Il recevait, pour cela, une indemnité pour frais d’établissement, d’abord fixée de manière forfaitaire à 2400

francs, puis ramenée à un montant équivalent à 1% du traitement annuel du préfet65

.

En outre, les préfets devaient être en mesure d’entretenir avec les personnes

considérables de leur département des relations mondaines sur un pied d’égalité66

, afin de gagner des partisans au régime. Il importait donc de leur assurer un train de vie suffisant. Les

salaires des préfets étaient donc relativement élevés67. Les préfets de la Moselle et de la

Meurthe percevaient 16 000 francs par an, et ceux de la Meuse et des Vosges 8000 francs par an. En 1810, lorsque les préfectures furent classées en quatre classes, à l’exception de celle de la Seine, ces traitements furent nettement revalorisés. Dans les préfectures de troisième classe, comme la Meurthe et la Moselle, ils attinrent 30 000 francs par an, et dans celles de quatrième

classe, comme la Meuse et les Vosges, 20 000 francs68. A ces revenus versés par l’Etat

s’ajoutait un complément de traitement versé, jusqu’en 1810, par le département, puis, en

vertu du décret du 11 juin 1810, par la municipalité du chef-lieu de département69. Dans la

mesure où la grande majorité des notables lorrains avait des revenus compris entre 1000 et

5000 francs par an, on peut considérer que les préfets vivaient dans une certaine aisance70.