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L’élaboration d’un style sous le Consulat et le Premier empire (1799-1814/5)

B. La nomination des sous-préfets

Les caractéristiques des sous-préfets ne différaient pas fondamentalement de celles qui viennent d’être évoqués à propos des préfets. Tout autant que les préfets, les sous-préfets devaient être en mesure d’incarner et d’imposer l’autorité de l’Etat, par leur statut social, leur

compétence et leurs manières. Les sous-préfets étaient cependant recrutés182 avec un niveau

d’exigence variable, souvent inférieur à celui des préfets183.

De même que pour leurs supérieurs hiérarchiques, il fallait, pour représenter l’autorité de l’Etat, des hommes d’expérience. La plupart étaient, de fait, d’âge relativement mûr

lorsqu’ils entrèrent en fonction184. De manière globale, la moyenne s’élève à 39,7 ans, soit un

an de moins que la moyenne des préfets (40,9 ans). Tous disposaient, en outre, d’une réelle et solide expérience dans le domaine juridique et/ou administratif. On constate cependant de réelles différences entre les premiers sous-préfets et leurs successeurs.

Les premiers sous-préfets furent nommés par le décret du 9 germinal an VIII (30 mars

1800)185. La mise en place de la nouvelle administration, chargée, comme on l’a vu, de la

lourde tâche de rétablir l’autorité de l’Etat après la période d’affaiblissement du Directoire, exigeait de faire appel, autant que possible, à des administrateurs particulièrement qualifiés et compétents. Le régime employa donc, dans un premier temps, des hommes qui avaient déjà

fait la preuve de leurs talents pendant la période révolutionnaire186. C’est pourquoi les

premiers sous-préfets étaient en moyenne un peu plus âgés que leurs successeurs (44,3 ans

182

En principe, les sous-préfets auraient dû être choisis par le chef de l’Etat sur les listes de notabilité communales. Napoléon s’en dispensa cependant dès l’origine. Thierry LENTZ, Nouvelle histoire du Premier Empire. Tome III, op. cit.,p. 182; Jean TULARD et Marie-José TULARD, Napoléon et 40 millions de sujets… op. cit., p. 120.

183On se reportera, pour de plus amples renseignements sur les sous-préfets évoqués tout au long de ce travail et sur les sources utilisées, au dictionnaire biographique présenté en annexe, p. 556-682.

184Annexe 5, tableau 1, p.683.

185 La recommandation des députés et des notables joua un rôle essentiel dans le choix des hommes par le pouvoir. Voir Isser WOLLOCH, Napoleon and his Collaborators… op. cit., p. 54.

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contre 37,7 ans pour ceux nommés entre 1801 et 1814 et 36,8 ans pour ceux des Cent-Jours). Le plus jeune, Céran Lebrun, nommé à Mirecourt, avait 27 ans. Le plus âgé, Bernard Fillery, nommé à Sarreguemines, avait 62 ans. Tous avaient exercé, les années précédentes, des

fonctions éminentes187

.

Graphique 1.1 : Fonctions exercées par les premiers sous-préfets avant leur nomination en Lorraine

Dix sous-préfets sur douze (soit 83,3%) avaient acquis une expérience administrative pendant la Révolution, dont trois dans une administration départementale, deux dans une administration de district, un dans une administration de canton, et trois dans une

administration municipale188. Huit avaient également une solide expérience juridique. En

revanche, contrairement aux préfets, seuls trois (soit 25%) étaient passés par les assemblées révolutionnaires – Louis Viard, nommé à Château-Salins, avait été député de Bar-le-Duc aux Etats-Généraux et à la Constituante ; Joseph Carez (Toul) avait été député à l’Assemblée législative en 1791-1792 ; enfin, Nicolas Richard d’Aboncourt (Remiremont) avait été député au Conseil des Cinq-Cents en 1795-1798.

Par la suite, l’autorité de l’Etat s’appuyant désormais sur de solides bases, le régime opta pour des administrateurs plus jeunes. Ils étaient âgés en moyenne de 37,7 ans (contre

187 Jacques REGNIER, Les Préfets du Consulat… op. cit., p. 14. Sur ces fonctions, voir : Annexe 5, tableau 8, p. 688.

188 Michel BIARD, Les Lilliputiens… op. cit., p. 296.

83,3% 66,7% 25% 8,3% 8,3% Fonctions administratives Fonctions judiciaires Fonctions politiques Industriels Inconnues

Lecture : 83,3% des premiers sous-préfets avaient exercé une fonction administrative avant d’être nommés en Lorraine.

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43,7 pour les préfets) ; quatre n’avaient pas encore atteint la trentaine ; six étaient cependant quadragénaires, et un, Jean-Claude Cherrier, nommé le 8 fructidor an XII (26 août 1803) à Neufchâteau, avait 71 ans. En dépit de leur relative jeunesse, leur expérience était importante.

Graphique 1.2 : Fonctions exercées par les sous-préfets nommés entre 1801 et 1814 avant leur nomination en Lorraine

Il semble que seuls deux sous-préfets étaient des novices dans l’administration : Ferdinand de Waters, nommé à Sarrebourg en 1814, et Jérôme Mortemart de Boisse à Remiremont en 1813, avaient mené une carrière d’officier avant d’inaugurer leur carrière administrative par un poste de sous-préfet. Les autres pouvaient se prévaloir d’une expérience appréciable, puisque treize sur vingt-et-un, soit 63,6%, avaient déjà fait leurs armes dans l’administration. Il est à noter que, parmi eux, cinq étaient auditeurs au Conseil d’Etat. En outre, trois avaient également été maires de leur commune. Les deux autres sous-préfets à avoir été maires n’avaient exercé aucune autre charge administrative. En revanche, seulement quatre sous-préfets (19%) avaient travaillé dans le domaine judiciaire, et un seul avait été membre d’une assemblée révolutionnaire – en l’occurrence, il s’agissait de Jean-Claude Cherrier, nommé à Neufchâteau en 1803, qui avait représenté le baillage de Mirecourt aux Etats généraux et à l’Assemblée constituante, avant d’être élu député suppléant des Vosges à la Convention où il siégea à partir de 1793, puis député des Vosges au Conseil des Cinq-Cents de 1795 à 1798.

61,9% 23,8% 23,8% 19% 4,7% 4,7% 4,7% 14,3% Fonctions administratives

Maires Militaires Fonctions judiciaires

Fonctions politiques

Négoce/banque Prêtres Inconnues Lecture : 61,9% des sous-préfets nommés entre 1801 et 1814 avaient exercé une fonction administrative avant d’être nommés en Lorraine.

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La situation fut plus complexe pendant les Cent-Jours. L’urgence de la situation exigeait, on l’a dit, de nommer des administrateurs éprouvés et loyaux, capables d’affirmer et de défendre l’autorité de l’Etat dans une période troublée, mais les candidats manquaient. L’épuration administrative fut tout de même assez sévère, puisque quatorze sous-préfets sur

dix-huit (soit 78%) furent changés189

. Cela entraîna un léger rajeunissement des sous-préfets ;

la moyenne d’âge s’élevait alors à 36,8 ans190

. Les sous-préfets n’en étaient pas pour autant moins expérimentés et capables. Les quatre sous-préfets que le pouvoir choisit de maintenir en poste cumulaient déjà de nombreuses années d’expérience, puisque Charles Hussenot et Jacques Rolly étaient en poste respectivement à Commercy et à Thionville sans discontinuer depuis 1800, Nicolas Humbert administrait l’arrondissement de Montmédy depuis 1808 et René Jacquinot celui de Sarreguemines depuis 1803. Par ailleurs, quatre sous-préfets retrouvèrent le poste que Louis XVIII leur avait retiré en 1814. Enfin, un sous-préfet nommé par Louis XVIII – il s’agit de Charles Le Père, à Sarrebourg – changea d’affectation pendant les Cent-Jours, puisqu’il fut nommé à Epinal. Quant aux sous-préfets qui furent nommé pour la première fois en Lorraine à cette époque, ils étaient également assez expérimentés.

Graphique 1.3 : Fonctions exercées par les sous-préfets nommés pendant les Cent-Jours avant leur nomination en Lorraine

189 Thierry LENTZ, Nouvelle histoire du Premier Empire. Tome IV, op. cit., p. 408; voir également Tiphaine LE YONCOURT, Le Préfet et ses notables… op. cit., p. 19.

190

Ces données permettent de confirmer le constat de Jean-François DELOUSTAL : le corps sous-préfectoral a progressivement rajeuni entre 1799 et 1815 (La Centralisation napoléonienne en Lozère… op. cit., p. 82).

63,6%

27,3%

9% 9% 9% 9%

Fonctions administratives

Militaires Maires Diplomates Industriels Inconnues

Lecture : 63,6% des sous-préfets nommés pendant les Cent-Jours avaient exercé une fonction administrative avant d’être nommés en Lorraine.

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Huit sous-préfets sur onze avaient une expérience administrative. Parmi eux, trois avaient déjà

exercé des fonctions de sous-préfet les années précédentes191 et un était auditeur au conseil

d’Etat. Les autres avaient une expérience plus modeste, mais réelle. Des administrateurs comme Joseph Gérard, à Briey, ou Jacques Ruell, à Sarrebourg, avaient ainsi une bonne connaissance des arcanes de l’administration, puisque le premier avait été longtemps chef de bureau à la préfecture de la Moselle, et l’autre secrétaire général de la préfecture du Mont-Tonnerre de 1807 à 1814. Un autre, François Ferry, avait été maire de Saint-Dié avant d’occuper brièvement et sans doute à titre provisoire le poste de sous-préfet de cette ville.

Par-delà l’expérience professionnelle dont ils pouvaient se prévaloir, les sous-préfets devaient également, pour incarner convenablement l’autorité de l’Etat, être des hommes responsables, chargés de famille et politiquement modérés. La documentation, bien lacunaire

en ce domaine, ne permet de connaître la situation de famille que de 64,4% des sous-préfets192.

Parmi eux, l’écrasante majorité étaient mariés (80%). Seuls six étaient célibataires (et encore savons-nous que deux d’entre eux se marièrent après avoir quitté la Lorraine). En outre, dix-neuf sous-préfets au moins avaient des enfants. Les sous-préfets nommés en Lorraine correspondaient donc aux critères de la respectabilité bourgeoise alors en vigueur dans la

France du début du XIXe siècle. La modération politique des sous-préfets est bien plus

difficile à évaluer, car la documentation s’avère le plus souvent muette sur le sujet. Quelques indices permettent, toutefois, de donner des indications intéressantes, notamment les prises de position politiques affichées antérieurement ou ultérieurement par les sous-préfets qui furent membres d’une assemblée. Ainsi Joseph Carez (Toul) siégeait-il parmi les modérés à l’Assemblée législative. Il se rallia à Bonaparte après le coup d’Etat du 18 brumaire an VIII. Frédéric d’Houdetot (Château-Salins) siégea pour sa part au sein de la majorité conservatrice et monarchiste à la Chambre lorsqu’il y fut élu en 1849, puis il se rallia à Louis-Napoléon Bonaparte. De même, François Régnier Gronau de Massa (Château-Salins) faisait-il partie des modérés au sein de la Chambre des pairs sous la Restauration et se rallia à Louis-Philippe en 1830. Quant à Pierre Fleury de Chaboulon (Château-Salins), il appartenait à la majorité ministérielle à la Chambre sous la monarchie de Juillet. Enfin, Jean-Claude Cherrier (Neufchâteau) servit consciencieusement le régime impérial, puis se rallia aux Bourbons et

191 Il s’agissait de François de Tercy, qui avait été sous-préfet de Krainbourg (provinces illyriennes) avant d’être nommé à Château-Salins, Georges Dandlaw, nommé à Metz, qui avait été sous-préfet de Clèves (Roër) de 1811 à 1814, et Armand Blanchard, sous-préfet de Remiremont, qui avait été sous-préfet de Délémont en 1814-15.

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siégea parmi les royalistes au sein de la « chambre introuvable ». Par ailleurs, il semble qu’un homme comme Ferdinand de Waters (Sarrebourg) avait des sentiments monarchistes, puisqu’il suivit Louis XVIII à Gand durant les Cent-Jours. Nicolas Géhin (Toul) était un ancien partisan de la Révolution, prêtre constitutionnel, mais hostile à la Terreur. Quelques rares notations dans les dossiers personnels permettent de compléter l’analyse. Robert Sainte-Croix était ainsi considéré comme dévoué à Napoléon. Nicolas Humbert (Montmédy) était, en 1808, considéré comme dévoué au gouvernement, mais en 1814, il se rallia aux Bourbons. Jean Ternaux (Briey) était également considéré comme attaché au gouvernement. La loyauté politique était un critère considéré comme essentiel par les autorités centrales. C’est ce qui explique que des sous-préfets nommés sous le Consulat et l’Empire et ayant accepté de servir Louis XVIII lors de la première Restauration furent révoqués au début des Cent-Jours. C’est ainsi que Jean Ternaux, nommé sous-préfet de Briey le 14 mars 1808 et maintenu en poste par Louis XVIII, fut révoqué en mai 1815. Il retrouva son poste lors de la seconde Restauration, en septembre 1815. Ce n’était cependant pas systématiquement le cas, puisqu’un administrateur comme Jacques Rolly occupa le poste de sous-préfet de Thionville sans discontinuer de 1800 à 1816.

Dans la mesure où les sous-préfets devaient, comme les préfets, s’efforcer d’imposer l’autorité de l’Etat aux notables locaux, il importait qu’ils fussent sur un pied d’égalité avec

eux193. Quelques préfets appartenaient, de toute évidence, aux couches les plus aisées de la

population. S’il est plus difficile encore que pour les préfets d’évaluer la fortune personnelle des sous-préfets, tant les informations disponibles dans les dossiers de personnel sont imprécises et lacunaires, les quelques données que l’on peut collecter permettent d’identifier quelques administrateurs assez riches. Ainsi, Gaspard Noël, sous-préfet de Château-Salins de 1802 à 1808, ou encore Charles Le Père, sous-préfet de Sarrebourg de 1800 à 1814,

jouissaient a priori d’une certaine fortune personnelle (de l’ordre de 55 000 francs pour le

premier194 et de 60 000 francs pour le second195). Par ailleurs, sept sous-préfets appartenaient à

la noblesse d’Ancien Régime196. Enfin, plusieurs sous-préfets avaient parmi leurs proches des

figures importantes de la haute société d’alors. Jean-Louis Gérard, sous-préfet de Montmédy de 1800 à 1808, était ainsi le frère du maréchal Gérard. Quant à Armand Blanchard,

193 Thierry LENTZ, Nouvelle histoire du Premier Empire. Tome III, op. cit., p. 182.

194 AN, F/1bI/134, Fiche de renseignement de Noël Gaspard.

195

AN, F/1bI/134, Fiche de renseignement de Charles, Rosalie, Marie Le Père.

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préfet de Remiremont durant les Cent-Jours, il était le gendre de Pierre Bénézech, ancien ministre de l’Intérieur sous le Directoire. François Régnier Gronau de Massa, sous-préfet de Château-Salins de 1808 à 1810, était pour sa part le fils de Claude Ambroise Régnier de Massa, ministre de la Justice de 1802 à 1813. Il n’en reste pas moins qu’il s’agissait d’exceptions. Pour l’essentiel, les sous-préfets étaient choisis au sein de la petite et moyenne

bourgeoisie197. Certains, sans être très riches, disposaient d’une fortune honnête, à l’instar de

Claude Emmery, sous-préfet de Briey de 1800 à 1808, qui jouissait d’un revenu annuel estimé à 3000 francs. D’autres semblent avoir été nettement moins bien lotis, comme Charles-François Hussenot, sous-préfet de Commercy de 1800 à 1815 puis en 1815-1816 et enfin de

1819 à 1823, qui percevait 1000 francs de revenu par an198, ou encore Nicolas Géhin199,

sous-préfet de Toul de 1801 à 1814, qui ne disposait que de 500 francs de revenus à son entrée en

charge200. La documentation consultée ne permet malheureusement d’identifier la profession

exercée par le père des sous-préfets que pour dix-neuf d’entre eux (sur quarante-cinq, soit

42,2%)201. Les informations disponibles sont cependant suffisamment concordantes pour que

l’on puisse considérer que les sous-préfets étaient effectivement issus de familles appartenant à la petite ou moyenne bourgeoisie. En effet, un était rentier, trois officiers, un chirurgien, sept hommes de loi, un marchand, un banquier, deux fonctionnaires (dont un préfet, Marie, Louis, Henri Descorches de Sainte-Croix, père de Robert Descorches de Sainte-Croix, sous-préfet de Bar-le-Duc pendant les Cent-Jours) et deux dirigeaient une entreprise industrielle ou artisanale – le père du sous-préfet de Toul de 1800 à 1801, Joseph Carez, était l’imprimeur de l’évêque de Toul, et le père de Clément Pons, sous-préfet de Verdun de 1800 à 1801 était confiseur dans cette même ville.

Contrairement à la règle non écrite en vigueur concernant les préfets, les gouvernants n’hésitaient pas à nommer des sous-préfets dans leur arrondissement d’origine ou dans un

arrondissement proche202

. Même si seize sous-préfets étaient originaires d’un département autre que celui dans lequel ils exerçaient, treize sous-préfets (soit plus du quart de l’effectif total) étaient nés dans l’arrondissement dont ils avaient la charge ou y avaient accompli une partie de leur carrière, et neuf autres étaient originaires d’un arrondissement voisin. Les sous-préfets étaient ainsi mieux à même de s’imposer aux élites locales, en utilisant leurs réseaux

197 Marie-Cécile THORAL aboutit aux mêmes conclusions concernant les sous-préfets de l’Isère (L’émergence du pouvoir local… op. cit., p. 64).

198

AN, F/1bI/134, Fiche de renseignement de Charles-François Hussenot.

199 AN, F/1bII/MOSELLE/5, Fiche de renseignement de Joseph Gérard.

200 AN, F/1bI/161/8 (dossier Nicolas Géhin), Fiche de renseignement de Nicolas Géhin.

201

Annexe 5, tableau 5, p. 685.

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familiaux et clientélaires203. Ce constat est cependant surtout valable pour les premières

années du régime, puisque seize des vingt-deux sous-préfets nommés dans l’arrondissement dont ils étaient originaires ou venus d’un arrondissement proche le furent entre 1800 et 1804. Le pouvoir central estimait donc, de toute évidence, que pour imposer le nouveau régime et renforcer l’autorité de l’Etat, il importait de choisir des hommes bien implantés localement. Par la suite, le pouvoir central recruta de plus en plus d’administrateurs étrangers à

l’arrondissement dont ils avaient la charge204. C’est ainsi que treize des seize sous-préfets

originaires de départements plus lointains furent nommés entre 1808 et 1815. Le recrutement de sous-préfets locaux ne s’interrompit pas totalement, mais devint nettement plus rare. Les dirigeants considéraient manifestement désormais que la compétence professionnelle constituait un bien meilleur atout pour imposer l’autorité de l’Etat que l’ancienneté de

l’insertion dans le milieu des notables locaux205. Il est intéressant, pour terminer sur ce point,

de constater que dans les arrondissements mosellans tous les sous-préfets, à l’exception d’un sous-préfet de Metz, étaient originaires du département. On peut certainement mettre cela en rapport avec la nécessité de maîtriser la langue allemande, au moins dans sa partie

germanophone206.

S’il s’agissait d’un bon moyen pour renforcer l’autorité des représentants de l’Etat, peu nombreux furent néanmoins les sous-préfets à rejoindre ces deux nouvelles élites qu’étaient la noblesse d’Empire et l’ordre de la Légion d’honneur, du moins tant qu’ils furent

en poste. Aucun sous-préfet n’obtint de titre de noblesse durant son administration207. Un seul

sous-préfet appartenait à la noblesse d’Empire avant d’être nommé, Jean Descorches de Sainte-Croix, qui portait le titre de comte ; il ne le devait cependant pas à ses mérites, mais à ceux de son frère le général Charles Descorches de Sainte-Croix, qui avait été tué sans laisser

203

Jacques GODECHOT, Les Institutions de la France… op. cit., p. 592. Voir également Pierre ALLORANT, Le Corps préfectoral… op. cit., p. 90 et Elisabeth BARGE-MESCHENMOSER, L’Administration préfectorale en Corrèze… op. cit., p. 105.

204Jean TULARD et Marie-José TULARD, Napoléon et 40 millions de sujets… op. cit., p. 124. D’après les auteurs, ce serait en 1809 que le basculement entre un recrutement majoritairement local et un recrutement national aurait eu lieu. Les données disponibles pour la Lorraine sont compatibles avec cette datation. Voir Jean-Paul JOURDAN,

Le Personnel de l’administration… op. cit., p. 432-433.

205 L’évolution mise en évidence ici est donc conforme à ce qui semble avoir été globalement le cas à l’échelle du pays (Aurélien LIGNEREUX, L’Empire des français, 1799-1815, Paris, Seuil, 2012, p. 109-110), même si des exceptions semblent avoir existé (Jocelyne BLANC-RONOT, L'Administration municipale d'Aix-en-Provence sous le Consulat et l'Empire (1799-1814), thèse d'histoire du droit, Université d'Aix-Marseille III, 1994, 2 volumes, f° 33).

206

Thierry LENTZ et Denis IMHOFF, La Moselle et Napoléon, Metz, Serpenoise, 1986, p. 47.

96

de descendance en 1810 lors de la bataille de Villafranca (Portugal)208. Par ailleurs, seuls

quatre sous-préfets avaient été décorés de la Légion d’honneur avant leur nomination en

Lorraine, et trois le furent alors qu’ils étaient en poste209. Le fait d’être sous-préfet ne

constituait, de toute évidence, pas un titre suffisant pour mériter de telles distinctions.

Les sous-préfets appartenaient donc, clairement, au monde de la petite notabilité locale. A l’échelle de l’arrondissement, ils disposaient donc de réseaux importants, ce qui leur permettait de mieux incarner et imposer l’autorité de l’Etat.