• Aucun résultat trouvé

Conclusion : Redéfinition de la compétence

Section 1 : Esquisse d’une visée situationnelle de la compétence

1. Une notion polysémique difficile à définir

Largement qualifié de phénomène de mode, l’utilisation du concept de compétence au cœur de processus de gestion tels que la gestion des compétences, la gestion par les compétences, les bilans de compétences,… ne recouvre aujourd’hui ni une définition stable ni un consensus quant aux processus de gestion [Tremblay & Sire, 1999 ; Defelix, 2001]. Nous suivons Coulet [2011] dans sa distinction de deux conceptions de la compétence et les synthétiserons dans ce paragraphe.

Coulet [2011] avance qu’il y a deux conceptions de la compétence sur la base desquelles elle est communément définie : une statique présentant une juxtaposition d’éléments (tels que savoir, savoir-faire, savoir-être ou connaissances, capacités, attitudes ou bien encore une combinaison de ressources) conduisant à des référentiels de compétences et des listes d’activités. Cette conception comportait essentiellement une visée de la performance individuelle. L’autre conception de la compétence est dynamique : elle présente des éléments fonctionnellement liés et des schèmes, organisant l’activité pour une classe de situations passant par la médiation d’artefacts [Coulet, 2011]. Cette conception comporte essentiellement une visée située de la compétence.

1.1.

Conception statique de la compétence : compétence et

performance

Le concept de compétence intègre les discours de la G.R.H. dans les années 1990 dans un objectif de performance comme un objet de gestion. La notion de performance individuelle, telle qu’elle est retenue dans les discours en Sciences de Gestion, est principalement liée aux travaux en psychologie sur les concepts de capacité (en anglais : ability, skill, competence) ou d’aptitude. Les spécialistes en psychologie du personnel tentent d'établir les relations existant entre les qualités d'un individu, le comportement individuel et ses performances. L’objectif est alors de déterminer quel sera le degré de réussite dans une mission.

Cette mission est conditionnée par la possession d’aptitudes ou de caractéristiques élémentaires [Thurstone, 1938]. D’autres travaux permettront dans les années 1950 d’appréhender les aptitudes [White, 1959]. L’objectif est communicationnel : rendre « compréhensible » aux managers les typologies élaborées.

Dans un article publié en 1973, McClelland modifie les termes du débat sur l’intelligence testée des personnes et la réussite à un poste. A partir d’une analyse portant sur la réussite d’un groupe de diplomates, il montre que la réussite des meilleurs ne repose ni sur l’intelligence testée, ni sur le sexe, ni sur la race, ni sur des facteurs économiques mais elle repose sur l’analyse des compétences individuelles. McClelland fonde sa méthode par les compétences sur l’analyse de deux facteurs clés :

 L'utilisation de critères de référence pour la comparaison des personnes qui obtiennent des performances supérieures avec celles qui obtiennent des performances inférieures. L’objectif est alors d’identifier les facteurs de réussite.

 L’identification et l’analyse des comportements associés fortuitement à des résultats heureux.

De fait, ces approches liant compétences et performance [McClelland, 1973 ; Pfeffer & Salancik, 1978 ; Katz & Kahn, 1978 ; Boyatzis, 1982 ; Spencer & Spencer 2008] s’intègrent principalement en G.R.H. comme des outils de gestion de carrière.

Les compétences telles qu’elles sont caractérisées permettent de déplacer le niveau d’analyse du poste ou de la fonction vers la personne, ses capacités. Ce déplacement semble essentiel dans un contexte organisationnel structuré en projets et en missions à réaliser plutôt qu’en tâches à exécuter.

On remarque, alors, une certaine confusion dans l’utilisation de la notion de compétence [Woodruffe, 1991]. Cette confusion vient de la définition même de la notion de compétence en particulier celle proposée par Boyatzis [1982] : « une caractéristique sous-jacente de la personne » qui s’analyse comme « un trait de caractère, une capacité, un aspect de l'image de soi ou de son rôle social ou un ensemble de connaissances utilisées ». Cette définition est extrêmement large et elle perd ainsi en pertinence. Elle recouvre à la fois des capacités personnelles, des qualités sous-jacentes du comportement observable et des domaines de compétences utiles à une fonction ou un emploi. Cette absence de distinction entre l’individu

décrit en termes de capacités et les compétences attendues dans un emploi est en contradiction avec la volonté affichée de délivrer un langage commun à tous. Enfin, cette approche abandonne les objectifs d’analyse proposés par McClelland pour mesurer la performance individuelle. Ainsi, elle semble perdre toute finalité.

Toutefois, il convient de revenir sur le passage de notion de poste à celui de compétence. Le modèle taylorien conjugue une analyse sur les postes et les qualifications : dans un premier temps, ces deux notions se confondent car la définition abstraite de la qualification du poste de travail est dépourvue de lien avec la situation de travail [Friedmann & Reynaud, 1958]. Dans un deuxième temps, la qualification apparaît comme l’enjeu de négociations individuelles et collectives, principalement en termes de rémunération [d’Iribarne & Virville, 1978]. Enfin, principalement issues de modèles anglo-saxons et allemands, les notions de qualification et de fonction proposent une vision contextualisée et individualisée de la situation de travail. Cet aspect de contextualisation de la compétence tel qu’il avait été mis en lumière par les psychologues américains dans une visée d’excellence ou de performance, ouvre la voie à bien des travaux de recherche dans des champs disciplinaires distincts (l’ergonomie, la psychologie cognitive, les sciences du travail, la didactique,…). Toutefois, ceux-ci intègrent le champ des gestionnaires en France, à la fin des années 1990 et ce, à partir de différents travaux de recherche.

1.2.

La conception dynamique de la compétence

A partir des travaux développés en linguistique en particulier par Chomsky [1988], la compétence s’analyse comme une capacité personnelle non observable [Aubret & al., 1993 ; Klarsfeld, 2000] qui, en fonction de facteurs externes, conditionne en partie la performance individuelle (cette dernière étant observable). Au départ, les linguistes, notamment Saussure [1916], distinguent langue et parole. Ces derniers considèrent la langue comme un système de signes partagés par une communauté linguistique. Ils envisagent plutôt la parole comme un ensemble d’énoncés virtuels pour les individus de cette même communauté. Chomsky [1959] reprend cette distinction pour définir la compétence linguistique en la différenciant de la performance. « La fiction de la causalité simple entre compétence et performance » est alors remise en cause [Oiry, 2005, p. 21]. Pourtant, l’objectivation de la compétence se retrouve dans les multiples approches développées à partir de la fin des années 80 en France ; celles-ci ont en commun de s’inscrire dans une volonté d’objectivation des compétences en s’appuyant sur des

méthodes présentées comme scientifiques. Dans le domaine de la formation initiale et continue, par exemple, il se développe des taxonomies d’objectifs pédagogiques en vue de transmettre des compétences [Bloom, 1975 ; Fleishman & Quaintance, 1984 ; d’Iribarne, 1989] ou de procéder à l’évaluation des acquis professionnels. Ainsi, la visée scientifique de ces référentiels fait perdre au concept de compétence sa caractéristique contextuelle.

Du côté des psychologues du développement cognitif, le tandem compétence/performance des linguistes est repris et exploité dans les analyses de tâches en intégrant les décalages entre compétence et performance à la dynamique du fonctionnement cognitif des sujets observés : les décalages observés seraient constitutifs du développement [Houdé & al., 1998].

En parallèle, les travaux des ergonomes s’orientent vers une autre voie prenant en compte la situation organisationnelle : « Pour l’ergonome, le travail constitue une énigme : compte tenu des aléas, des incidents et des demandes contradictoires auxquels l’opérateur est confronté, c’est un miracle qu’il arrive à produire. » [Amadieu & Cadin, 1996, p. 41]. Ainsi, « les compétences sont des structures mentales où s’articule tout ce que avec quoi l’opérateur réalise une tâche : les connaissances sur le fonctionnement et sur l’utilisation des machines, les représentations, mais aussi les savoir-faire, c’est-à-dire les types de raisonnement (agglomérés parfois en routines) ainsi que des schémas stratégiques de planification des activités. » [De Montmollin, 1986, p. 126]. Malglaive [1988] présente la compétence comme un savoir en usage, des connaissances technologiques et des connaissances méthodologiques. Si la compétence est individuelle, elle n’en est pas moins sociale dans les processus de validation de celle-ci. L’ergonomie distingue trois niveaux de définition : la compétence liée à l’acquisition de connaissances académiques, l’expérience qui est la qualité obtenue par la pratique d’une activité et l’expertise qui est le statut social conféré à un opérateur par ses pairs. A partir des travaux de Leplat & de Montmollin [2001], une nouvelle approche de la compétence distingue d’une part les tâches qu’un individu sait exécuter dans un contexte et les activités cognitives de celui-ci décrites comme un système de connaissances qui lui permettra d’agir. Au croisement de l’ergonomie cognitive et de la psychologie cognitive8, la compétence cognitive est alors

considérée comme un facteur explicatif dans la résolution de problèmes organisationnels. Dans

8 L’aspect cognitif de la compétence : dans la lignée des travaux des psychologues cognitivistes comme Piaget [1975], Varela [1989], Smolensky [1988], la compétence est « tout ce que les acteurs connaissent (ou croient), de façon tacite ou discursive, sur les circonstances de leur action et de celle des autres, et qu’ils utilisent dans la production et la reproduction de l’action » [Giddens, 1987].

ce contexte théorique, le concept de connaissance qui est défini comme « le résultat d’une information traitée, compréhensible et assimilable par un être humain. C’est une manière de comprendre, de percevoir, elle régit les rapports entre les afférences cognitives de l’individu et le monde extérieur » [Crie, 2001] est fortement lié à ceux de compétence et de métier ; « La compétence cognitive joue le rôle d’axe d’intégration permettant à de multiples compétences (relationnelles, psychologiques, intellectuelles, …) de se mobiliser pour résoudre des problèmes concrets. » [Michel & Ledru, 1991, p. 228]. Ainsi, dans l’évaluation de compétence et la formation d’un jugement, le processus (qui, comment, quoi ?) compte autant que la substance. Cette approche de la compétence est incluse dans la notion de métier au sens large. Le métier est ici défini comme « l’ensemble des emplois qui dans l’organisation, sont caractérisés par une même finalité et une même technicité » [Sire, 1999]. Le métier qui est au cœur de « l’identité professionnelle » pour l’entreprise et pour l’individu permet d’inscrire les compétences dans la durée, dans un statut professionnel reconnu.

« Les convaincus voient (dans le concept de compétence) un concept fédérateur, capable d’embrasser l’ensemble des problématiques auxquelles est confrontée la G.R.H. Les détracteurs s’élèvent à coup de propos guerriers contre l’invasion, le diktat des compétences, qui n’auraient d’autres finalités que d’alimenter le marché des cabinets de conseil » [Marbach, 1999, p. 5].

Toutefois, nous relevons un élément essentiel : l’ensemble de ces approches « donnent à la compétence une dimension collective, intégrative, comprenant des savoir-faire et des technologies » [Klarsfeld, 2000, p. 41] qui a accompagné et accompagne encore des démarches organisationnelles de flexibilisation et de coopération.

Nous retiendrons dans la suite de notre travail de recherche, la conception dynamique de la compétence avec l’analyse du concept regard de son rôle intégratif (voir figure 9). Reprenant l’approche cognitive présentée précédemment, celle-ci permet de représenter la compétence comme un axe d’intégration de différentes connaissances dans la mobilisation de l’individu afin de résoudre des problèmes.

Figure 9-Conception dynamique de la compétence - adaptée de [Coulet, 2011]

2. Cadre conceptuel d’une approche situationnelle de la

Outline

Documents relatifs