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La place de l’attribution causale dans le processus réflexif

3.3 A la compétence distribuée

Section 2 : Esquisse d’une visée cognitiviste de la compétence

3. Configuration de l’architecture de la compétence

3.3. La place de l’attribution causale dans le processus réflexif

L’acteur cherche la plupart du temps à expliquer ses actions, à donner un sens aux événements et à ses comportements en attribuant une cause, notamment lorsque le résultat ou l’aboutissement reste insatisfaisant ou est inattendu [Beauvois & Deschamps, 1990]. Ainsi, toute formulation répondant à la question « pourquoi ? » renvoie aux attributions.

Heider [1958] s’est intéressé au fonctionnement cognitif à partir d’un postulat selon lequel l’homme a besoin de comprendre ce qui se passe autour de lui, afin de se donner l’impression qu’il maîtrise au moins une partie de son environnement et donc qu’il peut anticiper les évènements à venir. C’est davantage un individu de connaissances que d’actions. Il se comporte, stipule Heider, comme un scientifique naïf qui construit des théories explicatives de son environnement. Une de ses activités peut être de rechercher la cause des évènements qu’il perçoit. Ce qui intéresse Heider [1958], c’est de décrire le processus par lequel un individu explique et interprète les conduites d’autrui ou les siennes. Il a définit l’attribution comme le processus par lequel « l’homme appréhende la réalité et peut la prédire et la maîtriser » [1958]. L’attribution permet de concevoir l’environnement comme stable et cohérent. C’est la recherche par un individu des causes d’un évènement, c'est-à-dire la recherche d’une structure permanente et stable, mais inobservable, qui permet d’expliquer les manifestations observables. Cependant, Dubois [1994] distingue deux grands types d’explications :

 Les explications (attributions) internes ou dispositionnelles qui sont propres aux caractéristiques du sujet : l’individu voit la cause d’un évènement ou d’un comportement chez la personne qui le manifeste ;

 Les explications (attributions) externes ou situationnelles qui sont propres aux caractéristiques de l’environnement ou de la situation : l’individu voit la cause d’un évènement ou d’un comportement dans la situation.

Suivant la cause que l’on attribue à un évènement notre perception du monde peut être complètement modifiée. En effet, comme l’écrivait Heider [1958, p. 220] : « L’attribution d’évènements à des sources causales a une grande importance pour notre image de l’environnement social. Il y a une réelle différence, par exemple, si une personne découvre que le bâton qui l’a frappé est tombé d’un arbre pourri ou a été lancé par un ennemi. L’attribution en termes de causes impersonnelles et personnelles, et dans ce dernier cas, en termes d’intention, sont des faits quotidiens qui déterminent une grande partie de notre compréhension de nos réactions à l’environnement ».

Puis un second modèle, qui s’inscrit beaucoup plus dans notre cadre d’analyse, s’est développé dans la lignée de celui de Heider présenté ci-dessus, c’est le modèle de Jones & Davis [1965]. Ces auteurs se sont plus particulièrement centrés sur l’explication des actions d’autrui. Ils ont essayé de comprendre comment un sujet observateur pouvait inférer, à partir de l’observation les comportements d’autrui, non seulement la cause de ces comportements mais aussi des traits de caractère du sujet acteur. D’après Jones & Davis [1965], pour pouvoir accéder aux intentions sous-jacentes d’un acteur, il faut que l’observateur pense que celui-ci est conscient des effets de son action et qu’il a les capacités pour le faire. Ensuite, trois éléments permettent de déterminer la correspondance entre une disposition de l’acteur et sa conduite :

 La désirabilité sociale, un biais qui consiste à vouloir se présenter sous une image favorable à ses interlocuteurs, c'est-à-dire la conduite selon laquelle le sujet pense être valorisé socialement ;

 Les effets distinctifs ;

Pour Jones & Davis, « l’observateur est très sensible aux effets qu’il perçoit comme désirables. Le comportement d’une personne est perçu comme reflétant ses intentions et, au-delà, ses dispositions personnelles, plutôt que comme soumis à l’influence des contraintes de la situation en fonction inverse du nombre d’effets spécifiques de ce comportement et de la désirabilité sociale de ses effets » [Deschamps & Clémence, 1990].

Pour conclure sur ce modèle, il faut rajouter qu’il ne porte que sur les attributions effectuées sur le comportement d’autrui. Le modèle de Kelley [1973] porte tout aussi bien sur soi-même et sur autrui. D’après lui, lorsqu’un individu dispose de plusieurs sources d’informations pour attribuer une cause à une conduite, il fonde son analyse sur le principe de la co-variation. Kelley détermine trois catégories d’informations qui entrent en jeu dans cette co-variation :

 Le consensus : le sujet qui évalue les causes d’un comportement se demande dans quelle mesure d’autres personnes que celle observée peuvent le manifester ;

 La distinction : le comportement observé est-il du uniquement aux stimuli liés à cette situation et peut-il apparaître avec d’autres stimuli ?

 La consistance : la personne observée réagirait-elle de la même façon, placée à nouveau dans les mêmes conditions ?

Les résultats de nombreuses études montrent que les attributions décernées à la personne apparaissent lorsque la consistance est élevée mais que le consensus et la distinction sont faibles. En revanche, la cause d’un comportement est attribuée à la situation lorsque, à la fois, le consensus, la consistance et la distinction sont élevés. Bardin [2000] constate que l’action et le contexte influencent les attributions et précise que les situations d’action provoquent une modification des attributions comparées aux situations de non-action.

Par ailleurs, de nombreux travaux ont montré que le processus attributionnel ne se passe pas toujours très bien et que, notamment, il peut faire des erreurs de jugement donnant naissance à un biais cognitif affectant la compétence. Un biais cognitif est un schéma de pensée causé par une déviation de jugement [Kahneman, 2012].

Parmi les biais dont il est sujet, nous citons essentiellement :

- L’erreur fondamentale [Ross, 1977] : c’est la tendance pour un sujet observateur à surestimer le rôle des facteurs dispositionnels et à sous-estimer le rôle des facteurs

situationnels dans l’explication de la conduite des autres. On attribue de façon abusive la cause d’un comportement à la personne plutôt qu’à la situation. Ce biais est fréquemment rencontré au niveau du management intermédiaire quand il est question de conflits interpersonnels et interindividuels entre manager et suiveurs, en lui attribuant tout échec connu au sein du groupe. Nous pouvons aussi retrouver ce biais dans les situations de changement subissant un conservatisme et de fortes résistances se manifestant dans ce qui est connu chez les cognitivistes par le biais du statu quo.

- L’ancrage mental (Anchoring) : Il désigne l’influence laissée par la première impression à cause de la difficulté de s’en départir. Souvent, nous avons une difficulté à traiter l'information qu'on a à disposition et à la matérialiser par une décision claire et nette. Pour ne pas rester hésitants, nous utilisons des artifices intellectuels nous permettant de trancher rapidement. L'ancrage mental en est un.

L'ancrage se définit par le fait que les gens, lors de la formation de leurs jugements ont généralement tendance à se rattacher à des points de référence gardés au tréfonds de leurs esprits. Cela peut être lié, entre autres causes, à une mémoire sélective. Ce biais conduit à une prise en compte insuffisante de l'information nouvelle au détriment de l'information passée.

En définitive, nous proposons l’architecture de la compétence comme suit (figure 11)

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