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2.2 à l’intuitionnisme bergsonien

4. L’action et l’acteur entre déterminisme et volontarisme

1.1. Pour une posture constructiviste sociale

Il est question ici d’examiner la valeur de la connaissance. Il va sans dire que nous aurons à utiliser pour cela ce que nous a appris, et la psychologie, concernant la genèse et les lois de la connaissance et particulièrement la nature de la raison, et la logique (qui repose tout entière sur cette notion de vérité), concernant la valeur des différents procédés par lesquels se fait la science. Mais le problème est à la fois différent en nature des problèmes psychologiques – puisque c’est un problème de « valeur », donc essentiellement philosophique – et il est plus général et plus profond que les problèmes logiques, puisqu’on se borne en logique à étudier les aspects particuliers, les conditions spéciales de la vérité dans les différents ordres de sciences, tandis qu’il nous faut maintenant en creuser l’idée même, rechercher ce qu’est la vérité et comment on peut la définir.

Pour y parvenir, habituellement deux grandes postures épistémologiques sont distinguées : la posture positiviste et la posture antipositiviste représentée essentiellement, dans la science des organisations, par le constructivisme. La première posture soutient que « la connaissance scientifique ne peut s’en tenir qu’aux faits d’expérience, aux phénomènes observables » [Dortier, 2008]. Le positivisme rejette la métaphysique comme un exercice purement « spéculatif » qui ne peut rien nous apprendre de solide. Seule la science, selon cette posture, peut nous apporter des connaissances valides, parce qu’elle est fondée sur l’observation des faits et des résultats d’expériences [Avenier, 2011]. Le positivisme « suppose que les recherches doivent être reproductibles, généralisables, cumulatives pour permettre une connaissance de plus en plus étendue de la réalité » [wacheux, 1996, p. 45]. Auguste Compte,

par sa « loi des trois états »17, fut le premier à employer le terme de « positivisme » pour

désigner sa doctrine. Quant au constructivisme, il met en avant le principe de la relativité et de la subjectivité de la connaissance produite. Il consiste à produire « des explications, qui ne sont pas la réalité, mais un construit sur une réalité susceptible de l’expliquer » [wacheux, 1996, p. 46]. La connaissance est définie non pas par son objet mais par son projet, elle vise la production de connaissances projectives à visées et transformatives [Koenig, 1993]. (cf. Tableau 3.1)

Epistémologie positiviste Epistémologie constructiviste

Principe ontologique : Peut être considérée comme vraie toute proposition qui décrit effectivement la réalité. Le but de la science est de découvrir cette réalité.

Principe de représentabilité de l’expérience du réel : la connaissance est la recherche de la manière de penser et de se comporter qui conviennent. Nos expériences du réel sont communicables.

Principe de l’univers câblé : il existe des lois de la nature, le réel est déterminé. Le but de la science est de découvrir la vérité derrière ce qui est observé.

Principe de l’univers construit : les représentations du monde sont téléologiques, l’intelligence organise le monde en s’organisant elle-même.

Principe d’objectivité : l’observation de l’objet réel par l’observant ne modifie ni l’objet réel ni l’observant.

Principe de l’interaction sujet-objet : l’interaction entre le sujet et l’objet est constitutive de la construction de la connaissance.

17 D’après cette théorie, la pensée aurait passé par trois états successifs : l’état théologique, dans lequel l’esprit « se représente les phénomènes comme produits par l’action directe et continu d’agents surnaturels plus ou moins nombreux » ; l’état métaphysique, où ces agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, des entités, des « qualités occultes », telles que « l’horreur du vide », la « gravité » ou la légèreté des corps ; et enfin l’état positif dans lequel l’esprit humain renonce à connaitre les causes intimes des phénomènes et s’attache uniquement à découvrir leurs « lois effectives », c'est-à-dire leurs « relations invariables » (Auguste Compte, Cours de philosophie positive).

Principe de naturalité de la logique : tout ce qui est découvert par logique naturelle est vrai et loi de la nature.

Principe de l’argumentation générale : la logique disjonctive n’est qu’une manière de raisonner parmi d’autres.

Principe de moindre action : entre deux théories, il faut prendre la plus simple [principe de parcimonie d’Occam]

Principe d’action intelligente : il décrit l’élaboration d’une stratégie d’action proposant une correspondance adéquate entre une situation perçue et un projet conçu par le système au comportement duquel on s’intéresse.

Tableau 1-Les principes positivistes vs constructivistes [David, 1999]

Par ailleurs, tout au long de notre démarche de recherche, la construction du sens et la représentation de la complexité sont deux défis omniprésents : de nouvelles questions semblaient sans cesse « jaillir » de l’environnement. Le Moigne [1995] souligne que, pour œuvrer à une compréhension de la complexité, il faut « passer de la tranquille passivité du calcul certain à l'active adaptation de la libération incertaine ». Or, ce passage ne peut se faire qu’en portant un regard sur la réalité comme un tout dont les mises en relation sont représentées. Historiquement, certaines idées développées par les sophistes grecs peuvent être associées a posteriori au patrimoine de la position constructiviste : Le Moigne [1995, p. 43] analyse, par exemple, la conception de l’ambiguïté du réel d’Héraclite [550-480 av. J.-C.] et la formule de Protagoras [485-410 av. J.-C.], « l’homme est la mesure de toute chose ». Toutefois, c’est durant le 20ème siècle que le courant constructiviste est apparu et on en reconnaît habituellement la

paternité de ce courant au mathématicien hollandais Brouwer (1881-1966) pour caractériser sa position sur la question des fondements mathématiques. Concernant les Sciences de Gestion, la thèse de Bouchiki [1988] sur l’inefficacité des paradigmes Mécanique et Organique à produire des modèles intelligibles des situations de gestion, fonde la formulation du paradigme constructiviste. Cette formulation s’appuie alors principalement sur les recherches de Piaget [1967] et sur l’énoncé de ce paradigme.

Le paradigme constructiviste adopte une position « englobante » sur la réalité qui est un construit complexe. Parce que la complexité « est la propriété d'un système modélisable susceptible de manifester des comportements qui ne soient pas tous pré-déterminables [nécessaires] bien que potentiellement anticipables [possibles] par un observateur délibéré de ce système » [Le Moigne, 1995]. La complexité émerge des processus organisationnels internes à une organisation, incertains et multiples quant à leur « sens et leur abondance, car ils sont multi-critères, multi-acteurs, multi-rationnels et évolutifs » [Chanal & al., 1997] et finalisés par l’action collective [Weick, 1979]. Les organisations complexes sont construites par les acteurs, par leurs capacités à comprendre et à façonner leur environnement. Ceux-ci ont des compétences différentes et leur coopération vise à saisir l’information indispensable à leurs activités et à construire une représentation mentale unifiée de l’organisation (finalités, structure, moyens, …) et de son environnement (partenaires, ressources, opportunités,…).

« C’est celle [l’attitude structuraliste] qui adopte dès le départ une attitude relationnelle, selon laquelle ce qui compte n’est ni l’élément ni un tout s’imposant comme tel sans que l’on puisse préciser comment, mais les relations entre les éléments, autrement dit les procédés et ou processus de composition [selon qu’on parle d’opérations intentionnelles ou de réalités objectives], le tout n’étant que la résultante de ces relations ou compositions dont les lois sont celles du système » [Piaget, 1992].

Ce postulat appelle dès à présent une remarque : elle porte sur la difficulté à représenter la relation individu/structure. Accepter la préséance des structures sur l’individu restreint leurs effets à des contraintes externes qui s’imposeraient sur le comportement des acteurs. Cependant, la construction mutuelle ou la codétermination de l’individu et de la structure contraint le chercheur à s’intéresser au rôle central des représentations partagées et des pratiques des acteurs qui sont le médiateur entre l’individu et la structure [Giddens, 1987]. Quant au chercheur, dont les capacités sont insuffisantes pour saisir et traiter des phénomènes complexes, il met en forme cette complexité. La production de connaissances procède d’une « réorganisation des apparences » [Martinet, 1990]. Ainsi, la connaissance produite par le chercheur, sa représentation de la complexité est appréhendée comme une construction mentale de celui-ci développée à partir de son expérience et de ses interactions avec son environnement social.

Cependant, Il est utile de préciser qu’il n’existe pas un constructivisme mais des constructivismes. Les différents courants constructivistes partagent une même conception de la connaissance comme un processus de construction de l’individu et une même représentation de l'environnement dans lequel se déroulent les pratiques comme le prolongement des capacités cognitives des êtres humains qui le constituent. Toutefois, les différents courants se distinguent par les objectifs poursuivis [Larochelle & Désautels, 1992]. Le constructivisme « radical » [Von Glasersfeld, 1992] se distingue du constructivisme « social » [Berger & Luckman, 2012], posture dans laquelle nous nous inscrivons, ou du constructivisme tempéré [Girod-Séville & Perret, 1999], téléologique [Le Moigne 2001], modéré [Charreire et Huault 2001]. Le constructivisme « radical » propose que « la cognition doit être vue comme une fonction adaptative qui sert à l'organisation du monde de l'expérience plutôt qu'à la découverte d'une réalité ontologique » [Larochelle & Désautels, 1992, p. 27]. La connaissance n’existe pas indépendamment de l’esprit humain, la pensée crée des symboles selon un processus d’équilibration et d’adaptation [Piaget, 1975]. Le constructivisme « social » reprend la proposition précédente pour s’intéresser à la construction sociale de sens, à l’échange social comme une réalité construite. Ainsi pour ces derniers, l’activité de connaissance s’écarte de l’approche des processus cognitifs individuels et s’appuie sur l’analyse des phénomènes intersubjectifs.

Les deux approches ne rejettent pas l'existence d'une réalité ultime : elles postulent que la connaissance produite n’est pas une connaissance de celle-ci et ce, en opposition aux propositions méthodologiques visant à la découverte d’une réalité, d’un monde réel ou de régularités [Glaser & Strauss, 2009, Blaug, 1982] qui se fondent sur l’existence de lois universelles ou de « relations légitimes et raisonnablement stables » [Miles & Huberman, 2003].

Quant au constructivisme téléologique18 ne postule aucune hypothèse fondatrice d’ordre

ontologique c'est-à-dire concernant la nature possible du réel étudié, il repose sur l’hypothèse phénoménologique qui stipule que l’expérience humaine est connaissable, et que les humains

18 Ici, nous nous basons sur les travaux de M-J. Avenier qui stipulent que le qualificatif téléologique a la même signification épistémologique que les qualificatifs « modéré » ou « tempéré » [Avenier, 2010].

ne peuvent pas rationnellement connaître un monde objectif et indépendant, autrement qu’à travers l’expérience qu’ils en ont [Avenier, 2010].

« Phenomenological assumption: Human experience is knowable, but humans cannot rationally know such a thing as an independent, objective world that stands apart from their experience of it. The existence of an objective world populated by mind-independent entities is neither denied nor asserted. Because of the phenomenological assumption, no founding assumption on the nature of reality is made » [Avenier, 2010, p. 8].

1.2.

Le dilemme Méthodologique : entre idiographie et

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