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La compétence distribuée facteur d’émergence de la culture située

Canevas du chapitre 1 Introduction

Section 1 : Etat de l’art sur la culture organisationnelle

1. Fondements de notre approche situationnelle

1.3. La compétence distribuée facteur d’émergence de la culture située

Comme nous l’avons précédemment avancé, la culture émerge et se développe nécessairement en situation et c’est la compétence distribuée qui lui donne son pouvoir adaptatif ; pouvoir adaptatif lequel n’est autre que le résultat du processus réflexif et des représentations mentales.

1.3.1. La réflexivité, point focal de la compétence distribuée

Depuis les années 1980, l’anthropologie de la culture met en avant la notion de réflexivité qui souligne les compétences des individus à réguler de façon consciente leur conduite et à analyser de façon lucide leur environnement.

L’idée centrale de la réflexivité est qu’ « on ne peut étudier les phénomènes humains comme des phénomènes physiques car les sciences humaines étudient un être pensant qui agit et réagit en fonction de ses représentations de la situation (et non seulement à partir de données objectives) » [Dortier, 2008, p. 617].

Dans une société où les rôles sociaux sont plus enfermés dans le cadre de normes, de conventions, d’habitudes et de programmes d’action, la réflexivité devient un modèle.

La notion de réflexivité renvoie à plusieurs phénomènes distincts. L’usage qui nous intéresse est celui de l’ethnométhodologie : ici, la réflexivité nomme ce mouvement de constitution continue dans lequel chaque circonstance occurrente dans une interaction dépend totalement de la circonstance qui l’a immédiatement précédée en fixant, à son tour, les constituants de la circonstance suivante, sans qu’on puisse attribuer une finalité à cette dialectique puisqu’aucun des partenaires n’est en mesure d’en connaître les termes, ni dans le temps, ni dans ses conséquences [Ogien & Quéré, 2005].

Dans la conception ethnométhodologique, la réflexivité nomme un phénomène qui ordonne l’action, pas une forme de raisonnement : elle est inhérente au déroulement séquentiel des échanges sans jamais être le fait délibéré des acteurs [Ogien & Quéré, 2005]. Cette conception

pose donc un problème : comment la réflexivité configure-t-elle l’action ? Une réponse à ce problème se trouve dans la théorie de la compréhension proposée par Garfinkel. Il reprend, à Weber, la distinction entre les notions de verstehen (un état de compréhension) et de begreifen (le processus de compréhension) mais propose, en montrant qu’elles sont toujours conjointes dans le flux de l’action, de les concevoir comme inextricablement mêlées. Garfinkel ne réduit donc pas un état de compréhension à un contenu de signification. Pour lui, on serait probablement incapable de comprendre quoi que ce soit si l’acte de connaissance n’intégrait, de façon constitutive, les éléments de la signification, et si ces éléments n’étaient prélevés dans le contexte concret d’une activité particulière. Et c’est ce que la notion de réflexivité indique : elle se présente comme « l’incessant opérateur du rapport entre signification et connaissance, effectuant ce va-et-vient permanent qui permet d’ajuster, de façon locale et toujours provisoire, la définition d’un objet ou d’un évènement aux fluctuations des circonstances » [Ogien & Quéré, 2005].

Anthony Giddens parle en termes de réflexivité pour rendre compte de ce processus d’autoanalyse. Selon lui la, la réflexivité c’est l’aptitude des acteurs « constamment engagés dans le flot des conduites quotidiennes (…) à comprendre ce qu’ils font pendant qu’ils le font » [Giddens, 1987]. C’est l’auto-observation permanente des acteurs par eux-mêmes qui transforme leurs conduites en phénomènes imprévisibles et changeants [Dortier, 2008].

La réflexivité est ainsi l’interaction entre la pensée et l’action [Ogien & Quéré, 2005]. Interaction qui suppose d’aborder sans cesse les actions humaines sous l’angle des représentations que les acteurs s’en font [Soros, 1998].

Selon Giddens, la société toute entière est en permanence soumise à un flux d’informations qui contribuent à forger les représentations des acteurs sociaux. Et c’est en fonction de ces représentations qu’ils agissent.

1.3.2. La représentation, modèle opératoire de l’approche subjectiviste de la culture

Le concept de culture subjective introduit directement le processus psychologique qu’est la représentation. La recherche de critères objectifs ne doit pas faire oublier que, dans la pratique sociale, ces critères sont l’objet de représentations mentales, c'est-à-dire « d’actes de perception et d’appréciation, de connaissance et de reconnaissance – où les agents investissent leurs

intérêts et leurs présupposés – et de représentations objectales, dans les choses ou des actes, stratégies intéressées de manipulation symbolique qui visent à déterminer la représentation mentale que les autres peuvent se faire de ces propriétés et de leurs porteurs » [Bourdieu, 1980].

Par rapport aux nombreuses difficultés, impasses, limites déjà évoquées quant à l’approche des phénomènes culturels, le concept de représentation apparait comme une alternative intéressante car, en tant qu’unité d’analyse, il autorise une approche plus systématique. Définie par Moscovici comme « une organisation psychologique, une modalité de connaissance particulière et comme un processus de médiation entre concept et perception » [Moscovici, 1961], la représentation rend en quelque sorte, le concept et la perception interchangeables du fait qu’ils s’engendrent réciproquement.

La représentation s’intègre dans une dynamique articulée, d’une part sur la structure psychologique de l’individu et d’autre part, sur la structure sociale. De ce fait, une représentation n’est jamais statique, elle évolue avec le sujet, le temps, la société, l’histoire et l’objet des modifications périodiques. En tant qu’unité d’images, de concepts ayant trait à un objet, la représentation s’édifie, à la fois comme reflet de celui-ci et comme activité du sujet, individuel et social. Si la représentation est un produit social né de l’interaction du sujet avec son environnement social, elle est aussi symptomatique de la structure d’une société déterminée, à un moment donné de son développement. La représentation change d’un groupe à l’autre, d’une société à l’autre, elle traduit l’état de la collectivité qui l’a produite [Moscovici, 1961].

Cette pluralité et cette dimension multiple correspond aux caractéristiques des concepts de culture et d’identité culturelle. A la plasticité et à la mouvance de ces derniers correspond la valeur polychrome de la représentation. Celle-ci n’est, en fait, jamais isolable en tant qu’unité stable, elle s’insère dans un spectre de représentations. La dynamique de la représentation répond, en quelque sorte, à la dispersion conceptuelle et à l’élasticité sémantique des termes de culture et d’identité culturelle. Les représentations médiatisent et rendent présentes à la pensée elle-même ou qu’elles s’actualisent dans des objets ou des actes, les représentations s’inscrivent dans un champ, c'est-à-dire dans un ensemble d’unités hiérarchisés d’éléments ; hiérarchisées dans la mesure où une valeur qualitative est attachée à ces éléments. En outre, le champ de la représentation suppose un minimum d’information qu’il intègre à un niveau imageant et qu’en retour, il contribue à organiser.

L’analyse au niveau des représentations, en s’attardant, soit au repérage d’éléments, soit au processus lui-même, constitue un matériel qui se détache du réel pour nous permettre d’évoquer et d’en combiner les éléments [Wallon, 1951]. Elle permet, en outre, de réintroduire, face aux prétentions à l’universalité des lois psycho-anthropologiques, la diversité des objets, des conditions et des situations sociales particulières. La représentation constitue un modèle pour la compréhension des phénomènes humains. Outre les connaissances qu’elles peuvent nous apporter sur les individus et la société par qui elles sont formulées, les représentations permettent d’analyser les phénomènes relationnels entre les individus et/ou groupes. Les représentations intergroupes ne sont pas seulement des effets des relations mais elles peuvent les conditionner en jouant un rôle actif. Les relations sont alors indépendantes des représentations. Nous conclurons avec Bourdieu sur « la nécessité d’inclure dans le réel, la représentation du réel ou plus exactement la lutte des représentations…mais aussi des manifestations sociales destinées à manipuler les images mentales » [Bourdieu, 1980].

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