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Le criticisme kantien et la valeur de la connaissance

2.2 à l’intuitionnisme bergsonien

3. Le criticisme kantien et la valeur de la connaissance

Nous avons, dans ce paragraphe, à examiner ce que vaut la connaissance humaine, c’est-à-dire dans quelle mesure elle est capable d’atteindre la vérité. On peut s’attendre à ce que cette idée de vérité ait varié en fonction du développement même de la connaissance humaine. En particulier, le problème que nous venons d’indiquer ne pouvait se poser dans les termes où il se pose aujourd’hui, tant que la science n’était pas constituée, tant que la pensée positive ne s’était pas différentiée de la pensée métaphysique. C’est à ce stade préscientifique de la connaissance que correspond en philosophie l’opposition du dogmatisme et du scepticisme.

3.1.

Dogmatisme versus scepticisme

Le dogmatisme consiste à attribuer à la connaissance humaine la capacité d’atteindre la vérité absolue. Chez Kant c’est un préjugé de la métaphysique. Procédant sans s’être posé le problème de la valeur de la raison et sans avoir fait une critique préalable de son pouvoir :

« la critique … est opposée au dogmatisme, c’est-à-dire à la prétention d’aller de l’avant avec une connaissance pure tirée de concepts d’après des principes tels que ceux dont la raison fait usage depuis longtemps sans se demander comment ni de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la marche dogmatique que suit la raison pure sans avoir fait une critique préalable de son pouvoir propre » [Kant, 2012, p. 89].

Le scepticisme constitue la réaction naturelle contre les excès du dogmatisme. Il correspond à l’attitude de l’esprit qui, mis en présence d’assertions contradictoires, est envahi par le doute et devient incapable de donner son adhésion à aucune d’entre elles. Il consiste à nier, non pas que l’esprit humain puisse atteindre la vérité, mais qu’il puisse l’atteindre avec certitude. Le sceptique, c’est celui qui n’est jamais certain qui se refuse à toute assertion, celui qui examine, qui cherche, qui doute toujours, et pour qui le doute n’est pas une attitude provisoire : c’est celui qui fait du doute un système.

« Il y a un principe du doute consistant dans la maxime de traiter les connaissances de façon à les rendre incertaines et à montrer l’impossibilité d’atteindre à la certitude. Cette méthode de la philosophie est la façon de penser sceptique ou le scepticisme » [Kant, 1991, p. 16].

3.2.

Le relativisme critique

Ces doctrines, quelques spécieuses qu’elles soient, ne tiennent plus devant un fait considérable dans l’histoire de la pensée humaine : l’avènement de la connaissance scientifique. Le problème de la valeur de la connaissance se pose donc d’une façon nouvelle.

Il ne s’agit plus de savoir si une connaissance certaine est possible : l’existence même de la science prouve que l’esprit humain peut atteindre au moins un certain degré ou une certaine forme de vérité. La science, remarque Kant dans ses prolégomènes, contient en mathématiques et en physique, « des propositions reconnues universellement vraies » de sorte que « nous pouvons nous demander, non si cette connaissance est possible (car elle est réelle), mais seulement comment elle est possible » [Kant, 2000, p. 116].

D’autre part, la question subsiste de savoir si, au-dessus de la science, une connaissance d’un autre ordre, une métaphysique ontologique est ou n’est pas possible.

Au problème ainsi posé, on sait quelle est la réponse de Kant : une position médiane et conciliatrice entre les deux extrémités dogmatique et sceptique, le criticisme kantien et le relativisme qui en découle. Le criticisme est une doctrine de Kant faisant du problème critique – portant sur le pouvoir de la raison et la valeur de la connaissance – le centre et le noyau de ses recherches.

« Je n’entends point par là une critique des livres et des systèmes, mais celle du pouvoir de la raison en général, par rapport à toutes les connaissances auxquelles elle peut aspirer indépendamment de toute expérience, par conséquent la solution de la question de la possibilité ou de l’impossibilité de la métaphysique en général » [Kant, 2012, p. 7].

Ce fut, bien avant Auguste Compte, le mérite de Kant de poser nettement le problème critique et d’en faire le centre de toutes les recherches philosophiques : d’où le nom de criticisme donné à son système. Il s’est produit, selon Kant, dans l’histoire de la philosophie moderne, un évènement capital : c’est l’attaque que David Hume a dirigée contre la métaphysique dans sa critique de la notion de « cause », Kant confesse que c’est cette critique qui l’éveilla de son « sommeil dogmatique » [Kant, 2000, p. 11]. Il conçut alors l’idée d’étendre la recherche que Hume avait appliquée au seul lien de causalité et de se demander comment peut s’établir, d’une façon générale, une liaison à priori (c'est-à-dire indépendante de l’expérience) entre les concepts : « fixer le domaine entier de la raison pure, ses bornes comme son contenu d’une façon complète et d’après des principes universels » [ibid., p. 13], tel est donc désormais l’objet essentiel de l’ontologie. Ces principes de la raison pure sont déjà à l’œuvre dans la science qui n’est possible que par eux, c’est tout le problème de la valeur de la connaissance, tout le problème critique qui se trouve ainsi posé : « Une critique et une critique seule contient le plan entier, éprouvé, vérifié d’une métaphysique … La critique est aux écoles vulgaires de métaphysique ce qu’est la chimie à l’alchimie » [ibid., pp. 228-229].

Hume n’avait vu dans le lien de causalité qu’une habitude purement subjective contactée par l’esprit à la suite de la répétition des mêmes séquences de faits. Il aboutissait aussi à une sorte de scepticisme comme il l’a dit lui-même pour lequel la science elle-même n’était plus qu’un simple fait, de sorte que sa valeur objective se trouvait fort compromise. Kant n’accepte ni le « vieux dogmatisme vermoulu » des métaphysiciens, ni le scepticisme de Hume. Il renverse le

point de vue généralement adopté dans la théorie de la connaissance : au lieu de faire graviter celle-ci autour des choses, il la fait graviter autour de l’esprit. La connaissance, c’est l’esprit imposant ses lois aux choses. Ainsi se trouvent à la fois établie sa relativité et fondée son objectivité.

Sa relativité : puisqu’elle dépend de la constitution subjective de notre esprit et que, si cette constitution était autre, autre serait aussi la science ; nous ne connaissons pas les choses en soi, les noumènes, mais seulement les choses telles qu’elles apparaissent à notre esprit, les phénomènes.

Son objectivité : car ces lois de l’esprit, formes à priori de la sensibilité et catégories de l’entendement, sont les principes grâce auxquels seuls l’expérience est possible : « La possibilité de l’expérience est ce qui donne une réalité objective à toutes nos connaissances à priori ». De ce point de vue, la science n’est plus seulement un fait, elle est vraie. Car la vérité ne peut être l’accord de la connaissance avec d’inaccessibles choses en soi ; elle n’est pas d’ordre matériel, mais d’ordre formel : elle n’est rien d’autre que « le caractère logique général de l’accord de la connaissance avec elle-même » [Kant, 1991, p. 75]. Ainsi la connaissance humaine demeure enfermée dans les limites de l’expérience, dans le monde des phénomènes. La science est bien fondée, mais relative à la constitution de l’esprit humain.

Alors que les formes usuelles de relativisme ont tendance à nier la portée objective des connaissances, le relativisme critique admet simultanément trois thèses : d’abord celle selon laquelle toute connaissance est relative au sujet (qui connaît), ensuite que toute connaissance découle d’une interaction entre ce sujet et la réalité connue, enfin que toute connaissance valable est objective. Ainsi par le relativisme critique le débat objectivisme / subjectivisme est dépassé.

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