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Le dilemme Méthodologique : entre idiographie et nomothétie

2.2 à l’intuitionnisme bergsonien

4. L’action et l’acteur entre déterminisme et volontarisme

1.2. Le dilemme Méthodologique : entre idiographie et nomothétie

Comme la décomposition de son nom l’indique, la méthodologie est littéralement la science (logos) de la méthode. Le rapport du chercheur au terrain, le rapport des relations entre théorie et « mise en œuvre ». Elle interroge la manière d’étudier et de produire les connaissances sur le monde social. Elle renvoie aux outils et méthodes avec lesquelles ces connaissances sont extraites. H. Rispal [2000] définit la méthodologie comme « un ensemble de démarches générales structurées qui permettent d’étudier un thème de recherche. Les méthodologies établissent la façon dont on va analyser, découvrir, décrypter un phénomène ».

Burrell & Morgan [1979] distinguent entre deux schémas méthodologiques : le premier est de nature idiographique et le second de nature nomothétique.

La méthodologie idiographique est centrée sur l’étude d’individus, considérés de manière isolée. Elle étudie un certain nombre de faits particuliers, elle est souvent qualitative. Elle stipule que chaque situation sociale est particulière et tout ce qu’un spécialiste peut faire est de la reconstruire par empathie ou par l’herméneutique. Une méthodologie que nous pouvons qualifier d’empiriste.

Les tenants de la méthodologie nomothétique pensent que chaque situation sociale peut être analysée en termes d’universel. En effet, il y a des similitudes suffisantes entre les individus pour étudier des grands groupes et isoler des éléments communs, et ceci par l’application d’outils rigoureux permettant d’établir des lois s’appliquant universellement. C’est une méthodologie étudiant l’aspect général, régulier et récurrent qui est le plus souvent quantitative, idéaliste.

Traditionnellement, il existe deux voies de recherche en sciences de gestion : l’exploration et la vérification. L’exploration est souvent liée à une approche qualitative tandis que la vérification est liée à une approche quantitative. Suivant notre démarche de recherche (par des approches cognitives et sociales, dialectique, compréhensive et interprétative) qui sera explicitée dans le chapitre suivant [cf. Chapitre 4, Section 2], nous adopterons la méthodologie idiographique qualitative.

Nous voulons proposer des résultats novateurs par rapport à l’interaction culture/ compétence. Quel impact a la culture sur le métier de contact et sur l’émergence de compétences. Quel impact a la compétence sur le développement de la culture ? Nous voulons comprendre le rôle de l’ACC (Agent en Contact avec la Clientèle) dans l’émergence de ces compétences et le développement de la culture. Quels sont les mécanismes qui agissent sur la construction de ce type de culture et de compétences in situ ? Comment les personnes qui participent à ce processus l’interprètent ? Mais aussi discuter du sens ou des représentations que prêtent les personnes concernées à la réalité.

Si « la caractéristique la plus distinctive de l’enquête qualitative réside dans la mise en exergue de l’interprétation» [Erickson, 1986 cité par Baumard & Ibert [2003, p 99]), nous pouvons remarquer alors qu’eu égard à la nature exploratoire et au caractère interprétativiste de notre recherche, l’approche qualitative s’avère être la plus appropriée dans le cadre de notre étude. Notre objectif est aussi de comprendre en profondeur comment se constituent les compétences implicites, la manière d’appropriation et d’interprétations de certaines connaissances qui nous étaient utiles dans notre analyse. Si l’étude d’un phénomène complexe tel que la compétence est assez délicate et compliquée, l’étude de la constitution de la compétence implicite l’est encore plus, le recours à une étude qualitative accroît notre aptitude à comprendre ces phénomènes complexes. Les horizons temporel et spatial prennent aussi une place centrale dans le cadre de notre analyse. Nous nous trouvons alors confrontés à une exigence propre aux études qualitatives : une description riche du contexte et une contextualisation de leur objet [Wacheux, 1996]. En ce sens, Miles & Huberman [2003] notent qu’ « une autre caractéristique des données qualitatives est leur richesse et leur caractère englobant, avec un fort potentiel de décryptage de la complexité ; de telles données produisent des descriptions denses et pénétrantes, nichés dans un contexte réel ».

Par ailleurs, comme l’ont démontré Rouse & Daellenbach [1999] dans une recherche empirique qu’ils ont élaborée sur les études et enquêtes qui concernent les compétences organisationnelles, « l’utilisation des grands échantillons, d’analyses croisées est probablement incapable d’éliminer la variété des effets associés au temps, à l’industrie, à l’environnement, à la stratégie, de la ressource considérée ». Aussi, notre recours à un cas d’étude unique – la SNCF – laisse notre choix d’une investigation idiographique qualitative aller de soi puisque davantage centrée sur la singularité de l’entreprise dans son environnement.

En outre notre démarche méthodologique sera plus explicitée dans le chapitre 5.

En définitive, La figure 12 synthétise les choix sous-jacents de cette recherche quant à la nature des sciences sociales.

Figure 12-Positionnement par rapport aux sciences sociales

2. Positionnement de la recherche par rapport à la nature de la

société

« L’individu ne peut se réaliser pleinement que dans et par la société » [Cuvillier, 1941, p. 321]. Ainsi la vie sociale apparaît comme la condition qui s’impose à l’ensemble de toutes les fins spéciales de l’homme et les organise. « Mais la société dont il s’agit, celle dont est

tributaire la vie morale de l’individu, n’est pas seulement la société réelle, celle qui existe en fait. C’est aussi, peut-être, celle qui tend à être » [Cuvillier, 1941, p. 479], celle que nous contribuons à faire nous-mêmes :

« La société a une double existence. En un sens, elle est dans la mesure où elle est nature et spontanéité pure. Son unité organique est alors faite d’inconscience. L’« âme collective » doit sa réalité relative à l’effacement des individus, à cette unanimité irréfléchie qui atteste qu’aucun n’a réellement pensé ce que tout le monde admet… Mais la société existe aussi en tant qu’elle est association consciente et systématique, fondée sur le consentement et le contrat ; et alors son unanimité … résulte de la claire vision par tous des mêmes vérités ; elle consiste non en une soumission aveugle à une tradition pesante, mais en efforts convergents vers un avenir conçu et désiré d’une seule âme. C’est quand elle développe en elle cette seconde existence que la société est vraiment société » [Belot, 1914, pp. 139-140].

Ainsi « la socialité ne s’achève que par la rationalité et la contractualité » [Ibid., p. 140] et, en ce sens, nous avons à faire exister la société plutôt qu’à nous soumettre passivement à elle. Le fait social a des caractères qui lui sont propres. D’une part comme l’avait entrevu l’organicisme, la société est tout-autre chose qu’une somme d’individus, de même qu’un organisme n’est pas un simple assemblage de cellules : la société est une synthèse originale, une réalité sui generis. Mais, d’autre part, il faut reconnaître que cette réalité est faite, en majeure partie, de façons de sentir, de penser et d’agir, c'est-à-dire d’états de conscience : sentiments, idées, jugements de valeur, et de modes de conduite inspirés par ces états de conscience. Nous nous trouvons ainsi conduits à la notion d’une « conscience collective » qui, tout en ayant sa condition nécessaire dans l’existence des consciences individuelles, n’y a pas sa condition suffisante [Cuvillier, 1941].

Parlant du rapport de l’individu à la société Durkheim a soutenu que « les devoirs de l’individu envers lui-même sont en réalité des devoirs envers la société » [Durkheim, 2004, p. 395]. « Si je ne me conserve que pour moi-même, ma conduite est, au regard de l’opinion commune, dénuée de toute valeur morale. Les actes qui tendent, non plus à conserver, mais à développer mon être, en auront-ils davantage ? Oui, encore, si je cherche à me développer, non pas dans un intérêt personnel, ni même dans un intérêt esthétique, mais afin que ce développement ait des effets utiles pour d’autres êtres que pour moi… Ainsi, la morale commence là où commence

la vie en groupe, parce que c’est là seulement que le dévouement et le désintéressement prennent un sens » [Durkheim, 2004, Passim].

Toutefois, s’il est vrai que l’individu ne peut se développer que dans et par la société, la société à son tour a besoin de l’individu.

La société, chez Durkheim, c’est l’ensemble des forces qui résistent à l’individu. Durkheim refuse l’antagonisme entre individu et société. « La société fonctionne par cohésion et consensus. La société est à l’origine de nos comportements, de nos croyances et même de nos catégories de perceptions » [Ibid., p. 83].

La société, selon Edgar Morin, « organise et est organisée par un jeu complexe d’interrelations, de destruction et de création, de conflits et de solidarités » [Morin, 1979, p. 87]. Société et individus sont producteurs l’un de l’autre tout en étant en conflit. Ils sont complémentaires et antagonistes, distincts et indissociables : « désordre et ordre social renaissent sans cesse l’un par l’autre » [Ibid., p. 87].

« L'idée que la société est un système global à la fois un et complexe, disposant de qualités originales, qui ne peut se réduire à la somme des individus qui la constituent, est la pierre angulaire de toute sociologie. L'idée que l'organisation sociale entraîne des contraintes, inhibitions ou répressions pesant sur les individus et les groupes est implicite dans toute idée de déterminisme ou de « lois » sociologiques. L'idée que la société comporte, de façon soit inévitable, soit nécessaire des antagonismes et des conflits, des « contradictions » est au cœur de la problématique sociologique, notamment depuis Marx » [Morin, 1974, pp. 8-9]. Ainsi, distinguons-nous, deux types de théories en Sciences Sociales : les théories expliquant l’ordre et la stabilité et les théories expliquant le conflit et le désordre. La ligne de démarcation se situe au niveau de la vision du changement qui distingue entre les théories de la régulation sociale et les théories du changement radical.

Burrel & Morgan [1979] proposent de dépasser cette dichotomie par une grille de lecture selon la vision du changement social dans les différentes théories sociologiques. En effet, ordre et conflit coexistent constamment et beaucoup de théories construisent autour beaucoup de combinaisons, à l’instar des théories de l’équilibre ponctué [cf. Van de Ven & Poole, 1995].

Le point clivant se situe donc au niveau de la vision du changement qui distingue entre les théories de la régulation sociale et les théories du changement radical.

Les premières sont très répandues dans les théories fonctionnalistes qui défendent le principe de la coordination fonctionnelle et l’unité de la société. L’harmonie et le consensus sont les corollaires de cette vision. Le système est ainsi capable de surmonter et d’absorber les contradictions et les crises et d’y répondre d’une manière à préserver le statu quo.

La vision du changement radical se présente comme une alternative fondée sur les contradictions et les ruptures. Les systèmes sociaux sont donc considérés comme hétérogènes par essence, et leurs contradictions ne peuvent pas être résorbées par le système comme le préconise la théorie de la régulation.

La sociologie de la régulation traite La sociologie du changement radical traite

du statu quo

de l’ordre social du consensus

de la cohésion et l’intégration sociale de la solidarité

du besoin de satisfaction

de l’actualité

du changement radical

du conflit structurel

des modes de domination

de la contradiction

de l’émancipation de la privation

du potentiel et de la projection dans le temps

Tableau 2-Les dimensions de la régulation et du changement radical – Extrait de Burrell & Morgan [1979, p. 18]

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