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Cadre conceptuel d’une approche cognitiviste de la compétence

3.3 A la compétence distribuée

Section 2 : Esquisse d’une visée cognitiviste de la compétence

2. Cadre conceptuel d’une approche cognitiviste de la compétence

Nous prônons l’idée que le processus d’émergence de la compétence s’inscrit dans une approche cognitiviste et suit un raisonnement pratique. La compétence est loin d’être un pur hasard ou une production routinière : une action entièrement livrée au hasard a peu de chances d’être ordonnée, cohérente, intelligible et justifiable, donc incontrôlable. Une action purement routinière est aussi dépourvue de raisonnement et réflexion. Le raisonnement pratique prend place entre le hasard et la routine, il intervient dès lors que l’intentionnalité d’une action est organisée de façon intelligible et justifiable. Il est l’opération intellectuelle par laquelle un agent adosse son action, en lui donnant un sens. Nous nous baserons sur la théorie de l’activité et le concept de schème pour expliciter notre approche.

2.1.

La théorie de l’activité comme fondement de notre

approche cognitiviste

Dire que la compétence « permet d’agir, (…) qu’elle n’existe pas en soi, indépendamment de l’activité, du problème à résoudre » [Bellier, 1999, p. 225], conduit assez naturellement à interroger les concepts de tâche et d’activité, notamment tels qu’ils ont été définis en psychologie du travail ou en ergonomie. De ce point de vue, les apports de Leplat [2004] s’avèrent très utiles pour souligner la nécessité d’articuler ces deux éléments, tout en marquant bien la différence entre ce qui relève de la tâche, autrement dit « le but à atteindre et les conditions dans lesquelles il doit être atteint » et ce qui relève de l’activité : « ce qui est mis en œuvre par le sujet pour exécuter la tâche » [Leplat, 2004, p. 102]. On retrouve, également des préoccupations du même type dans les travaux portant sur la résolution de problème [Bastien, 1987 ; Hoc, 1987 ; Costermans, 1998 ; Clément, 2009]. Les analyses consistent alors à déterminer, du côté de la tâche, l’ensemble des états, des buts et sous-buts ainsi qu’à préciser l’ensemble des contraintes associées à leur réalisation, ce qui permet de délimiter un « espace de recherche » ou « de la tâche » [cf., par exemple, celui du problème de la tour de Hanoï, Richard, 1979, p. 382]. On s’intéresse, ensuite aux manières dont différents sujets prennent en considération ces contraintes dans leur activité de résolution, notamment en construisant un « espace de problème » [Newell & Simon, 1972]. Ainsi apparaît très clairement qu’il n’y a pas un nécessaire recouvrement entre ce qui relève de « l’espace de recherche » [Richard, 1979] ou

de la « tâche prescrite » [Leplat, 2004] et ce qui est de l’ordre de l’« espace de problème » [Newell & Simon, 1972] ou de la « tâche effective ». Cet écart a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses discussions, soit pour le pointer comme l’expression de compétences à reconnaître, en tant « qu’apport particulier des ouvriers, même les plus astreints à des tâches de pure exécution, sans lequel la production ne tournerait pas » [Lichtenberger, 1999, p. 73], soit comme un élément, volontairement sollicité dans une nouvelle forme de prescription ayant« cessé d’être claire et univoque », en rupture avec l’organisation taylorienne du travail [Pastré, 1999, p. 111]. En résumé, la nécessité affirmée de marquer une claire distinction entre tâche et activité ne dispense pas de considérer que la tâche que traite le sujet n’est pas forcément celle qui lui est prescrite. En outre, comme on va le montrer, la situation, dans laquelle s’inscrit l’interaction sujet-tâche, constitue un autre élément important, à ne pas négliger dans la mobilisation et le développement de la compétence.

La théorie de l’activité développée par Leontiev [1984] constitue ainsi le principal cadre conceptuel de référence. En évoquant l’architecture prototypique de toute situation, Leontiev place la réalisation des activités professionnelles et l’exécution des tâches dans une structure dépendante non seulement d’un contexte, mais aussi des manières personnelles de l’appréhender. La théorie de l’activité fixant les fondamentaux d’une situation est complétée par les principaux apports de la didactique professionnelle. Samurçay & Pastré [2004] ont parfait cette approche par la définition d’autres éléments qui entrent en jeu dans l’activité située du sujet. Les invariants opératoires structurent cette dernière en se manifestant sous des indicateurs et des indices dans la situation. Le concept pragmatique intervient comme modèle opératoire cognitif. Il consiste en une représentation mentale de la situation qui se structure en unités cognitives opérationnelles. Ces dernières coordonnent successivement les savoirs utiles à l’action dans l’accomplissement de l’activité et dans l’exécution de la tâche, les indices relevés dans la situation et leur signification par le sujet. Vergnaud [1996] complète cette illustration des composantes de la situation par l’existence d’un schème.

En réunissant des buts, des règles d’action et des concepts de référence, le schème permet d’agir en situation par une opération de conceptualisation qui rend compte de l’activité cognitive du sujet. Ces apories prises comme références interviennent non seulement pour définir globalement le concept de situation, mais aussi pour lui dessiner a priori une structure conceptuelle par définition abstraite que la schématisation vient ensuite compléter.

Le concept de situation est tout aussi polysémique que celui de compétence et a donné lieu à une très abondante littérature [Rogalski, 2004].

Reprenons Pastré, et sa proposition de repérer, pour toute compétence, une dimension spécifique liée à la situation, et une dimension générique, qui considère une situation particulière comme renvoyant à une catégorie de problème plus générale.

Son approche convient bien à notre propos, à la fois sur les plans théorique et méthodologique. En effet, elle met au centre le caractère très contextualisé de la compétence, mais permet également de réfléchir à l’existence d’invariants qui pourraient être propres à une catégorie spécifique de situation.

2.2. Le concept de schème comme élément central de notre

approche cognitiviste

Au-delà et dans le prolongement de ce qui vient d’être souligné, on peut difficilement rendre compte de l’organisation de l’action sans évoquer le concept de schème. Nous le ferons, essentiellement, à partir des développements théoriques proposés par Vergnaud [1990] et Vergnaud & Récopé [2000] en soulignant, tout d’abord, que les « schèmes concernent tous les registres de l’activité : les gestes, les jugements et les raisonnements intellectuels, le langage, les interactions avec autrui et les affects » [Vergnaud & Récopé, 2000, p. 43]. Il convient de souligner, ensuite, qu’en termes fonctionnels, « le schème est une forme d’organisation de l’activité, dont la fonction première est d’engendrer l’activité » [p. 43]. Ceci permet de bien marquer la différence entre activité et organisation de l’activité, ce qui n’est pas toujours fait lorsqu’on parle de compétence. Par ailleurs, dans cette perspective, le schème est défini d’une part, de façon globale et, d’autre part, de façon analytique. La définition globale pose le schème comme étant « une totalité dynamique fonctionnelle » [p. 46], « une organisation invariante de la conduite pour une classe de situations données » [Vergnaud, 1990, p. 136]. Là, encore, la distinction entre activité et organisation de l’activité est importante car « le schème n’est pas un stéréotype : ce qui est invariant, c’est l’organisation, non pas l’activité et la conduite » [Vergnaud & Récopé, 2000, p. 45]. Quant à la définition analytique, elle considère le schème comme constitué de quatre éléments, entretenant entre eux des rapports fonctionnels.

Le premier de ces éléments, désigné par Vergnaud en termes « d’invariants opératoires », représente ce que le sujet tient pour vrai « théorèmes-en-acte » et ce que le sujet tient pour

pertinent « concepts-en-acte ». À ce niveau, il est important de noter que le choix de la formule : « en-acte » vise à souligner le fait que, pour certains niveaux d’organisation de l’activité, les invariants opératoires sont entièrement intégrés dans l’exécution de l’activité et échappent, de ce fait, à la conscience et à leur explicitation par le sujet. Ceci est à mettre en relation avec la distinction entre la forme opératoire et prédicative de la connaissance, également soulignée par d’autres auteurs (cf. la position de Pastré [2008] ainsi que le concept « d’image opérative » proposé par Ochanine [1981], cité par Pastré [2008]).

Les inférences représentent le deuxième élément constitutif du schème. Elles recouvrent, pour Vergnaud, les prises d’informations, les calculs et les contrôles permettant l’ajustement, ici et maintenant, du schème aux variables de situation. Une telle composante du schème est évidemment cruciale pour la compétence qui est, à la fois, un potentiel et une activité située. Cette question du passage d’une structure « hors contexte » à une procédure contextualisée est également au centre des préoccupations de Saada-Robert [1989] lorsqu’elle étudie ce passage d’un point de vue micro-génétique, à travers les concepts de routine, primitive et procédure. Le troisième élément constitutif du schème correspond aux règles d’action qui, en tant que composantes effectrices, engendrent des suites d’actions conduisant au résultat recherché. Enfin, les anticipations des résultats, liées au but visé par la mobilisation du schème, constituent la dernière composante du schème.

Ainsi, la définition analytique du schème, telle que nous la propose Vergnaud, peut être considérée comme une contribution essentielle pour disposer de ce qu’espérait Bellier [1999], à savoir : « une théorie construite qui expliquerait pourquoi la compétence comprend ces éléments » [p. 234].

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