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Une multitude de questions posées, une technologie phare

L’IMBRICATION SOCIALE ET TECHNIQUE DU CONTRÔLE QUI LAISSE DES QUESTIONS EN SUSPENS

1.1 La technologie, un objet qui interpelle la recherche en contrôle

1.1.1 Une multitude de questions posées, une technologie phare

1.1.1.1 Les ramifications multiples de l’étude des technologies en contrôle

L’étude des travaux publiés dans les principales revues francophones et anglophones en contrôle55

permet de constater que des recherches ont déjà été menées concernant les conséquences des technologies pour le contrôle. Ces travaux, bien que disparates en termes épistémologiques et méthodologiques ont tous pour point commun de reconnaître le caractère désormais central des technologies de l’information dans la vie socio-économique (Orlikowski et Iacono, 2001, p. 121). Beaucoup constatent que ceci est particulièrement vrai dans les processus de contrôle de gestion (Hopwood 1987, 1978). Pour mieux comprendre les

55 La revue ne comporte pas d’approche volumétrique. Les thèmes ont été identifiés via une analyse des mots clés et des

questions de recherche. Les revues concernées sont pour la partie francophone (Finance, Contrôle, Stratégie et Comptabilité, Contrôle, Audit et Revue Française de Gestion) et pour la partie anglophone (Accounting, Organizations and Society, Management Accounting Research, Journal of Management Studies, Information and Organization, European Accounting Review) ainsi que le Handbook of Management Accounting research et trois thèses en contrôle (Leclerq, 2008 ; Brivot, 2008 ; Dambrin 2005). Notre parti-pris est de considérer la revue Information and Organization (précédemment appelée Accounting, Management and Information technology) comme une revue traitant de contrôle.

résultats obtenus, un retour sur les questions posées est effectué. Un aperçu des technologies abordées est aussi réalisé pour étayer l’idée que les ERP focalisent une grande partie de l’attention des chercheurs en contrôle, mais aussi pour montrer qu’il est légitime d’étudier la relation technologies-contrôle à travers le cas d’autres technologies.

Parmi les thèmes qui ressortent de cette revue de littérature, on trouve la question des conséquences de la diffusion des technologies pour le métier de contrôleur (Thème 1) et celle de l’association entre les technologies et la diffusion de certains outils de gestion (Thème 2). La question des caractéristiques que doivent revêtir les systèmes d’information dans les différents contextes de contrôle intéresse aussi les chercheurs (Thème 3) avec comme idée sous-jacente que le système d’information doit être en adéquation avec les besoins en information du manager et que c’est justement la fonction du contrôle de gestion que de veiller à ce que les managers aient bien ces informations (Artus, 2003). La plupart des travaux mentionnés jusqu’ici questionnent assez peu l’objet que sont les technologies de l’information. D’autres pensent qu’avant de se poser la question des conséquences des technologies pour le contrôle, il faut s’intéresser à la nature même des technologies (Thème 4). En même temps que ces interrogations sur la nature des technologies (Quattrone et Hopper, 2006; Dechow et al. 2007a), ces travaux discutent des mécanismes par lesquels ces dernières entraînent des changements pour le contrôle (en approfondissant notamment la question des représentations et les problématiques d’harmonisation ou d’intégration des métiers qui en découleraient). La question du lien avec les modes de contrôle des comportements est aussi traitée (dont l’autocontrôle) (thème 5). Enfin, il est significatif d’observer que très peu de travaux publiés dans ces revues s’intéressent directement et explicitement aux conséquences des technologies de l’information pour la performance avec le contrôle comme variable médiatrice ou indépendante (Chapman et Kihn, 2009). De manière indirecte, certains travaux (thème 6) s’intéressent à cette question en interrogeant les apports des technologies pour l’efficience et la flexibilité (Newell et al., 2003) ou pour l’intégration des fonctions (Bironneau et Martin, 2002).

technologies de l’information

Thèmes traités Travaux représentatifs TH1 : Impact pour le métier de

contrôleur

Meyssonier et Pourtier (2004) ; Caglio (2003) ; Burns et Vaivio (2001) ; Halgand (1999) ; Besson (1999) ; Granlund et Malmi (2002)

TH2 : Rôle par rapport à l’instrumentation du Contrôle de Gestion

Granlund et Malmi (2002) ; Quattrone et Hopper (2005) ; Dechow et Mouritsen (2005) ; Davenport (1998) ; Saulpic et Ponssard (2006) ; Scapens et Jayazeri (2003), Wagner et al. (2011) ; Chapman et Chua (2003) ; Artus (2003)

TH 3 : Quels SI pour quel contrôle ?

Macintosh (1981) ; Simons (2005, 1995)

TH4 : Nature des technologies, mécanismes porteurs de conséquences pour le contrôle

Dechow, Granlund et al. (2007a et b) ; Dechow et Mouritsen (2005) ; Quattrone et Hopper (2006, 2005) ; Bironneau et Martin (2002) ; Bollecker (2004) ; Halgand (1999) ; Chapman et Kihn (2009) ; Chapman et Chua (2003) ; Bhimani (2004) ; Amigoni et al. (2004) ; Wagner et al. (2011)

TH5 : Rôle des technologies vis-à-vis des pratiques ou des modes de contrôle

Boitier (2008) ; Brivot (2008) ; Dambrin (2005) ; Dechow et Mouritsen (2005) ; Quuatrone et Hopper (2005) ; Orlikowski (1991)

TH 6 : Autre Chapman et Kihn (2009) ; Newell et al. (2003) ; Bironneau et Martin (2002).

Tableau 7 : Les thèmes abordés dans la littérature en contrôle traitant des SI 1.1.1.2 L’ERP, une technologie phare dans la recherche en contrôle

L’intérêt du champ pour les technologies s’est accru avec le développement des ERP et leur corollaire c’est-à-dire les outils décisionnels comme la BI ou les SEM58

. Ce sont encore aujourd’hui, les technologies les plus étudiées dans le champ ce qui est cohérent avec le fait que les projets ERP comprennent quasiment toujours au départ la mise en place de

58 BI pour Business Intelligence et SEM pour Strategic Enterprise Management Systems souvent appelés aujourd’hui CPM

(pour Corporate Performance Management). Il s’agit d’outils qui permettent de combiner et donc d’analyser des informations issues des bases où sont entreposées les données de l’entreprise (cas bases forment le cœur de l’ERP). Ces outils dispose de fonctionnalités de workflow (voir glossaire) qui permettent la réalisation de processus comme le budget.

fonctionnalités comptables ou l’intégration de modules opérationnels avec la comptabilité. On en est même arrivé au point où il ne serait plus concevable de faire de la comptabilité ou du contrôle de gestion aujourd’hui sans ce type d’outils (Orlikowski, 2000). Avant les ERP, les organisations disposaient d’applications informatiques dédiées pour enregistrer, stocker et analyser l’activité des différentes fonctions. Il fallait régulièrement transférer (« interfacer ») les données d’une application à l’autre. C’était notamment le cas de l’application dédiée à la comptabilité dans laquelle on déversait tous les mois les informations issues des stocks, des ventes, de la production, etc. En adoptant un ERP, les organisations cherchent à intégrer, au sein d’une même architecture applicative toutes les données mobilisées par les différentes fonctions de l’entreprise. Les données n’ont pas besoin d’être déversées d’une application à l’autre (des ventes vers la comptabilité par exemple). Elles sont disponibles à tous en quasi temps réel. Ceci est rendu possible par l’action des intervenants des principaux processus opérationnels et de gestion qui saisissent quotidiennement dans l’ERP l’ensemble des transactions qu’ils réalisent, et ce, au fil de l’eau (par exemple des saisies de commandes, les déplacements de marchandises dans l’entrepôt, les mises au rebut, les expéditions, les émissions de facture, les paiements). Les informations se retrouvent stockées dans une base de données commune et peuvent dès lors être extraites par les acteurs des différents métiers à tous moments.

On comprend que, sur le papier, ce type d’outils est susceptible de révolutionner le contrôle puisque tous les processus se trouvent en théorie, mis en transparence. Et en effet, les comptables et les contrôleurs appuient désormais largement leurs travaux sur ces ERP ainsi que sur des outils d’analyse « branchés » sur l’ERP (les outils dits décisionnels ou de BI pour Business Intelligence). Dans la réalité, les choses ne sont pas si simples et si idéales. L’analyse des conséquences des ERP laisse apparaître des résultats contradictoires. Tantôt l’ERP est vu comme porteur d’une refonte des logiques de contrôle. C’est le cas quand la logique logistique l’emporte sur la logique comptable antérieure (Dechow et Mouritsen, 2005) ou quand l’effondrement des distances occasionne une refonte du contrôle chez Think Pink (Quattrone et Hopper, 2005). Tantôt, les effets ne sont que modérés (Granlund et Malmi, 2002) avec très souvent le constat d’un maintien des logiques comptables antérieures (Dechow et Mouritsen, 2005). L’ERP est vu aussi seulement comme un appui à des changements déjà en cours par ailleurs (Scapens et Jazayeri, 2003). Parmi les raisons de ces

technologies de l’information

recouvre exactement l’ERP dans les cas qu’ils étudient. D’une entreprise à l’autre en effet, l’ERP a une étendue fonctionnelle différente (c’est-à-dire plus ou moins de métiers couverts par l’ERP et donc intégrés). Pour comprendre cela, il faut savoir que l’architecture59

de ce type de logiciel permet aux entreprises de choisir quelles activités seront prises en compte dans l’ERP. Dans la pratique, elles font grand usage de ce choix pour lisser les coûts informatiques et éviter les « big-bang » organisationnels (Davenport, 1998). La deuxième chose à savoir est que les ERP étaient au départ (fin des années 1980 et dans les années 1990) uniquement en charge du traitement et du stockage des transactions. Depuis les années 2000, les éditeurs se piquent d’accompagner leurs clients sur la question de l’analyse des données. Ils se mêlent aujourd’hui du compartiment dit décisionnel60

. Une entreprise peut donc avoir en théorie la suite complète d’outils d’un éditeur y compris les outils d’analyse (décisionnels). Quand c’est le cas, les acteurs vont avoir tendance à parler malgré tout de l’ERP pour désigner l’ensemble. Ceci participe de la sous-spécification constatée dans la littérature. Certaines recherches traitent des aspects décisionnels (Bollecker, 2004; Caglio, 2003), de l’existence d’une base de données commune (Scapens et Jazayeri, 2003 ; Newell et al., 2003), des processus de validation électroniques qui s’y rattachent, des fonctionnalités budgétaires ou de reporting (Wagner et al., 2010). On peut se demander alors si les résultats obtenus concernent vraiment « les ERP ». Nous considérons que ce type d’écueils peut être levé en se focalisant sur les pratiques, c’est que nous essayons de faire dans ce travail à l'instar de Wagner et al. (2011).

Au-delà des ERP, on trouve ensuite dans la littérature de manière disparate, des études concernant la technologie en général (Simons, 1995 ; Mauldin et Ruchala, 1999 ; Macintosh 1981), le CRM (Dambrin, 2005), le Knowledge Management (Brivot et Gendron, 2011 ; Brivot, 2008 ; Newell et al., 2003), les groupware (Hayes, 2001 ; Orlikowski, 1991), le SCM61

(Thoresen, 1997). Bien que ces outils ne soient pas liés à la comptabilité, comme peuvent l’être les ERP, il est montré que ces technologies à portée opérationnelle, ont des liens avec le contrôle des activités concernées. Parmi ces liens, on trouve le fait qu’elles permettent toutes, la circulation de représentations comptables des processus opérationnels

59 De manière très simplifiée, les ERP étaient composés de modules correspondant aux fonctions de l’entreprise. Aujourd’hui,

ils sont organisés selon une logique de prestations (ce que l’on appelle une architecture orientée services).

60 Il faut savoir que les gros éditeurs d’ERP ont racheté tous les éditeurs d’outils dédiés à l’analyse des données (outils

décisionnels). Le cas le plus célèbre étant le rachat par SAP de Business Object en 2007.

61 CRM, SCM, voir à nouveau glossaire. Un groupware est un outil venant soutenir des processus de travail marqués par une

soutenus (Dechow et al., 2007a). On observe aussi parfois à l’occasion de leurs usages, une forme de déplacement des buts dans le sens où les acteurs s’en servent pour tenir une forme de comptabilité des interactions avec la technologie (Dambrin, 2007, 2005). L’utilisation de la technologie tend à devenir un objectif organisationnel en soi. Il apparaît aussi que dans les environnements mis en visibilité par la technologie, le phénomène d’autocontrôle se renforce (Brivot, 2008 ; Dambrin, 2005). Avec l’énoncé rapide de ces liens entrevus entre contrôle et technologies, on est tenté de les vouloir les généraliser, mais on se heurte à la variété des postulats utilisés sur la nature même des technologies. Le développement qui suit met en évidence trois grandes approches des technologies qui parcourent la littérature (voir 1.2). Les implications épistémologiques de chacune de ces approches sont discutées ensuite (voir 1.3) au regard de notre question de recherche étant donné que deux d’entre elles ne permettent pas de penser plus avant notre question.

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