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Apports d’une théorie de la structuration : comprendre les assemblages de contrôle à travers la grille de lecture proposée par

CETTE RECHERCHE

1.2 Apports d’une théorie de la structuration : comprendre les assemblages de contrôle à travers la grille de lecture proposée par

Giddens.

Le cadre théorique retenu pour comprendre les assemblages de contrôles est dans un premier temps mis en perspective par rapport à d’autres cadres d’analyse des systèmes sociaux que nous avons écartés. Une présentation des concepts principaux associés à l’idée de structuration du social est ensuite réalisée afin de montrer leur pertinence au regard de notre problématique et renforcer ainsi le choix effectué dans la thèse.

1.2.1 Agence et structures au cœur des principales théories de l’action humaine La recherche en contrôle a pour principal objet la nature des pratiques de contrôle dans les organisations, leur design et leur fonctionnement, leur évolution. Cette recherche prend appui sur différentes visions du monde qui se distinguent notamment par la place qu’elles accordent à l’action24

des individus d’un côté et aux structures sociales de l’autre. Ces différentes approches sont contrastées pour justifier du choix d’une approche structurationniste pour comprendre les assemblages de contrôle.

Sont régulièrement mobilisées dans la recherche en contrôle les théories de l’agence, les théories (néo) institutionnelles, les théories portant sur la structuration récursive des pratiques et des structures (idée de dualité) et les théories des pratiques. Mais une opposition trop souvent caricaturale (Chapman 1997) des principaux courants est souvent faite notamment entre les théories de l’agence et les travaux de type contingence qui en découlent d’un côté et les théories dérivées des approches institutionnelles de l’autre, celles-ci étant réputées myopes sur les questions d’agence. Cette opposition conduirait notamment à ne pas exploiter dans chacun des courants respectifs les résultats obtenus dans l’autre alors même que les interrogations fondamentales restent communes à propos du comportement humain. Or le champ gagnerait à tendre vers une reconnaissance réciproque (Kilfoyle et Richardson, 2011). En partant du cas du budget, on peut montrer comme le font Kilfoyle et Richardson que des passerelles existent dans certains travaux représentatifs de chacun de ces courants et conclurent qu’il n’y a pas lieu de réduire l’un à l’antithèse de l’autre. Et en effet, il ressort fréquemment dans les travaux centrés sur l’agence un appel à prendre en compte des facteurs

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structurels et dans les travaux centrés sur les structures un appel à considérer que les individus peuvent influer sur les structures. Pour autant, Kilfoyle et Richardson observent que tous ces travaux quel que soit leur ancrage, peinent à expliquer les différences observées sur le terrain en matière de pratiques budgétaires. Ils concluent à l’intérêt d’une troisième approche, celle élaborée par Giddens avec sa théorie de la structuration (1990, 1984, 1979). Ils présentent cette dernière comme une synthèse valable des deux précédentes pour comprendre comment les interactions entre pratiques et structures sociales se manifestent dans la multiplicité des pratiques comme le budget. On constate à travers leur exemple que le potentiel explicatif de ce cadre d’analyse va bien au-delà de la question de la variété des pratiques de contrôle.

Bien que très convaincants, ces arguments ne peuvent occulter deux questions importantes dans notre processus de choix d’un cadre théorique. Tout d’abord, il nous faut prendre en compte les critiques, les limitations et les amendements à cette théorie de la structuration. Cette discussion est renvoyée pour partie au chapitre méthodologique et pour partie au chapitre final où sont discutées les contributions et limites de la thèse. Ensuite, il faut être en capacité de tenir compte d’autres visions du monde elles aussi fortement représentés dans le champ du contrôle. On pense notamment aux théories de l’acteur réseau et aux théories des pratiques. Leur postulat de base est que les choix rationnels des individus ou le poids des institutions ne peuvent constituer les seuls facteurs explicatifs des phénomènes organisationnels et qu’il faut au contraire chercher à comprendre ces phénomènes au niveau des pratiques et des relations entre les acteurs. Ces approches tranchent avec la tradition majoritaire dans le champ du contrôle, le « mainstream », et elles ont permis des avancées substantielles dans la recherche (Ahrens et Chapman, 2007a)26

. La place réservée dans ces théories à des facteurs structurels susceptibles d’expliquer au moins en partie le réel est faible, mais elle n’est pas inexistante (Englund et Gerdin, 2011a, p 504 ; Whittington, 1992). Or nous avons vu que notre approche du contrôle implique une référence à des facteurs structurels. Ceux-ci sont plus fortement présents dans la troisième voie identifiée plus haut. Pour cette raison et parce qu’elle permet de faire le lien entre les approches fondées sur l’agence et les approches institutionnelles, c’est cette troisième voie qui est mise en avant pour cette recherche. L’influence de ce choix sur les conclusions de la thèse sera discutée dans le dernier

26 Bien que ne représentant pas le « mainstream », l’ANT est significativement utilisée dans la recherche en contrôle et

notamment quand il est question de technologies. Cette sociologie de l’innovation est adaptée pour comprendre le processus d’appropriation d’une technologie. Il nous a semblé néanmoins difficile de pouvoir contribuer sur la nature et la dynamique d’objets comme les assemblages de contrôle en recourant à ce cadre théorique. Le statut des divers composants de l’assemblage et des routines effectives nous a paru difficile à établir par rapport aux différents actants et aux manuscrits inscrits dans la technologie. A ceci s’ajoute l’argument des structures sociales développés plus haut.

chapitre. À ce stade, une revue des principaux concepts qui sont au cœur de la théorie de la structuration est réalisée.

1.2.2 Les concepts clés de la structuration

Pour Giddens, un système social est d’abord caractérisé par ce que les gens disent et font c’est-à-dire des formes de pratiques répétées régulièrement27

. Chaque forme de pratiques est propre à un contexte social donné. On parle en ce sens de pratiques situées. Chez Giddens comme dans la plupart des sociologies, il y a en parallèle l’idée que certaines forces existent qui génèrent ces pratiques. La sociologie les appelle les structures sociales (point 1 du tableau 2 ci-dessous). Pour Giddens, ces structures n’existent que dans la mesure où elles sont impliquées régulièrement dans les pratiques sociales d’un contexte donné. Du fait qu’elles « n’existent » que par leur instanciation dans les pratiques, Giddens choisit de parler de propriétés structurelles plutôt que les structures. Ces propriétés sont un ensemble de ressources et de règles virtuelles qui constitue la matrice de l’action humaine. Les règles et les ressources régulièrement mobilisées dans l’action forment les propriétés structurelles d’un contexte donné. Parmi les règles qui constituent le creuset des pratiques, on trouve d’abord les structures de signification qui ont trait au sens donné par les acteurs aux situations et aux actions. Puis on trouve les structures de légitimation qui ont trait aux conduites légitimes dans un contexte donné. Les structures de domination représentent l’univers de ressources par lequel et grâce auquel vont se déployer les pratiques (point 2 du tableau 2). Mobiliser des ressources, c’est exercer une capacité à transformer des éléments du contexte et donc c’est aussi exercer un pouvoir (point 5 du tableau 2). Chaque pratique traduit la mobilisation conjointe de ces trois formes de structures. Elles ne sont dissociées que pour des besoins d’analyse. Le troisième pilier du cadre théorique de la structuration est l’idée de dualité qui s’oppose à l’idée de dualisme. L’approche dualiste (caractéristique des approches institutionnalistes) veut que les structures sociales agissent comme les déterminants exogènes de l’action humaine. La dualité de la structure suggère au contraire que les structures sont à la fois le médium de l’action humaine et le produit de l’action humaine soit les deux faces d’une même pièce. C’est par cette dualité que se produit et se reproduit le système social. On pourrait dès lors assez vite conclure qu’il n’y a pas de possibilité d’évolution des systèmes sociaux. Or la théorie n’exclut pas l’idée de changement. Cette possibilité de changement dépend des agents. Les pratiques des agents s’appuient sur une certaine connaissance des caractéristiques structurelles de leur environnement. Cette connaissance vient se loger dans la

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conscience des pratiques adaptées à chaque situation, dans le discours autour de ces pratiques, mais est aussi largement inconsciente (Giddens, 1984, p. 55). Cette idée d’agent compétent28 est importante et constitue un des six piliers de la théorie (point 4 du tableau 2). Elle suppose que les acteurs peuvent aussi bien répéter des pratiques qu’adopter des pratiques inédites reflétant à un instant une mobilisation originale des propriétés structurelles de l’environnement.

« Dans les sciences de la nature, vous pouvez étudier et prévoir le comportement d’un corps quand vous avez étudié ses caractéristiques et ses réactions à tel ou tel environnement. Dans les sciences sociales, on a affaire à des sujets dont le comportement varie en fonction des connaissances qu’ils ont de la situation (…). La connaissance que l’on a de la société devient un facteur agissant sur la société elle-même ». (Giddens, 1998, p. 40).

C’est là que réside la capacité transformative des acteurs et c’est de là que découle l’idée de structuration du social qui capture à la fois l’idée de dualité et l’inscription de cette dualité dans le temps dans une dynamique de production (changement) et de reproduction (continuité) du système social (point 6 du tableau 2). Sans cette compétence spécifique des acteurs, on est face à des acteurs déterminés par la structure et le changement ne peut être envisagé. Le tableau 2 ci-dessous récapitule ses six piliers.

1-Les pratiques formant les systèmes sociaux et les structures impliquées dans la (re)production de ces systèmes sociaux

2-Les structures sociales représentent les règles et les ressources mobilisées dans l’action et formant les propriétés structurelles spécifiques à chaque action. Les trois dimensions structurelles des actions sont du domaine de la signification, de la domination, de la légitimation.

3-Concept de dualité

4-Des agents « compétents»

5-Le pouvoir présent dans toutes les interactions sociales

6-La structuration comme dynamique de production et de reproduction du social (le changement et la continuité des pratiques)

Tableau 2: les six principaux piliers de la théorie de la structuration de Giddens selon Englund et Gerdin (2011a)

1.2.3 Intérêt des concepts issus de la théorie de la structuration pour notre

problématique

On trouve parmi ces piliers, un écho à trois dimensions clé de la problématique traitée dans cette thèse. Premièrement, comme on l’a vu dans cette première section, les assemblages de contrôles ne sont pas faits que de pratiques et ils entretiennent une relation forte avec les idées de sens, de pouvoir et de normes fortement présentes dans le modèle de structuration du social de Giddens (point 2 et 5 du tableau 2). On souhaite poursuivre le rapprochement entre ces aspects du structurel et la dimension invisible du contrôle. Deuxièmement, l’ambition de cette thèse est de contribuer à l’étude des transformations du contrôle suite à l’introduction d’une technologie. Or ce cadre d’analyse fournit justement des outils pour penser l’évolution des systèmes sociaux (point 6 du tableau 2). Troisièmement, de nombreux travaux en management des systèmes d’informations portent sur les conséquences de la technologie dans cette perspective structurationniste (Jones et Karsten 2008 ; Markus et Silver 2008 ; Orlikowski, 2000, 1992, 1991 ; Boudreau et Robey, 2005 ; De Sanctis et Poole, 1994). Or c’est bien le rôle joué par les technologies de l’information dans la transformation du contrôle qui est étudié ici.

À l’issue de cette première section, il est possible de conclure à un réel écho entre les principes de la théorie de la structuration, la problématique traitée et la vision du contrôle retenue dans la thèse. Le projet qui prend forme alors est de préciser ce que sont les assemblages de contrôle en articulant la vision du contrôle développée précédemment et les concepts de la structuration. Le point des interactions entre pratiques de contrôle et contrôles invisibles qui a été laissé en suspens dans la première section nous paraît pouvoir être rapproché des mécanismes de constitution réciproque des pratiques et des structures. C’est une des pistes d’analyse qui ressort de cette section et qui est approfondie dans la suite de ce chapitre dans le but d’aboutir à une meilleure compréhension des assemblages de contrôle.

En s’appuyant sur ce cadre, la thèse progresse dans la section suivante en présentant une articulation des différentes formes d’influence entre elles. Une définition complète des assemblages de contrôle est proposée ainsi qu’une représentation de ces assemblages. Ce modèle intègre les pratiques de contrôle et les pratiques de travail contrôlées. Ceci constitue le socle dont les conditions de changement sont étudiées ensuite (voir le chapitre 2).

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SECTION 2.

DES

ASSEMBLAGES

DE

CONTRÔLES

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