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COHABITENT INFLUENCES VISIBLES ET INVISIBLES

Encadré 3: Notre approche du contrôle social

La revue de littérature aide à cerner différentes difficultés associées à ce concept de contrôle social. Une des difficultés est le fait que les pratiques dont il est question sont peu codifiées. Il est donc difficile de les repérer. Pour certains (Frost et Vogel, 2012), les pratiques de contrôle social progressent sur un continuum de formalisation46

ce qui peut aider à les repérer. Il semble aussi assez peu facile de séparer les pratiques de contrôle social des pratiques de communication entre les individus dans le cadre de leur travail. C’est pour certains, un contrôle qui est « dispersé », inhérent aux échanges, aux questions, aux discussions entre individus dont le travail est interdépendant (Rennstam, 2012). De ce fait, l’intentionnalité de contrôle n’est pas toujours facile à discerner (Ezzamel et Willmot, 1998). Une autre difficulté comme pour les contrôles administratifs-culturels est que le terme contrôle social est utilisé pour désigner beaucoup d’autres choses ou que d’autres termes sont utilisés pour désigner les mêmes activités.

Des activités différentes sont désignées par le même concept. Dans les études qui se limitent aux contrôles « intentionnels, conçus, mis en place et utilisés de façon consciente et

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volontaire par l’organisation », on peut considérer que le groupe social est l’entreprise elle- même. On comprend alors mieux pourquoi le terme contrôle social (Langevin et Naro, 2003) est employé pour désigner ce que nous appelons contrôle culturel. Les pratiques de formation, de sélection et de socialisation organisées par l’entreprise deviennent l’équivalent des pratiques tacites qu’on peut observer à l’échelle d’un groupe obéissant par exemple à une logique professionnelle (Brivot, 2008). Une autre approche consiste à dire que ce sont les valeurs, les normes et les croyances elles-mêmes qui sont les contrôles sociaux (Tessier et Otley, 2012) avec l’idée que « ce sont les contrôles qui s’adressent à la part émotionnelle, non rationnelle, affective des employés » (Ray, 1986, p. 288 cité par Tessier et Otley). Ils sont opposés dans ce cas aux contrôles techniques ou technocratiques (Alvesson et Kärreman, 2004).

Des activités du même type sont désignées par un concept différent. Les chercheurs en contrôle qui s’intéressent à ces pratiques de groupe ayant une fonction de régulation s’inspirent ou se rattachent explicitement à la littérature en sociologie sur les professions. L’influence de cette littérature fait que ce qui est appelé contrôle social dans le champ du contrôle est souvent désigné par d’autres termes. C’est le cas notamment du terme de contrôle par les pairs. Les sociologues des professions et des organisations ont mis depuis longtemps en évidence des systèmes de contrôle par les pairs dans certaines professions (avec par exemple, l’ordre des médecins, des avocats). Par le biais de codes, de hiérarchies, de formation, les membres de la profession prescrivent ce que sont les comportements attendus et légitimes des individus se réclamant de la profession. On a affaire dans ce cas à des pratiques de contrôle social externe aux organisations, mais ayant une influence sur ce qui se passe dans l’organisation (Brivot, 2008 ; Abernethy et Chua, 1996). Ce concept de contrôle par les pairs (peer pressure) est parfois étendu à ce qui se passe au sein de certains groupes dans l’organisation, ce que certains appellent des communautés de pratiques (Hayes et Walsham, 2001; Brown et Duiguid, 2001). Les pairs sont alors tout simplement les membres de la communauté de pratiques (Rennstam, 2012, p. 27). Dans ce cas, ce sont des pratiques locales, répliques moins formalisées et en apparence moins structurées que le contrôle par les pairs « classique » institutionnalisés qui sont aussi qualifiées de pratiques de revue par les pairs47

(Rennstam, 2012) ou de contrôles concertifs (Barker, 1993). Les travaux concernés montrent comment les membres du groupe à des niveaux hiérarchiques identiques

développent des manières de contrôler leurs propres actions. Le terme clan est aussi utilisé pour parler du contrôle qui prend sa source dans le groupe ou comme mode de contrôle (Turner et Makhija, 2006; Ouchi, 1980). La question est alors de savoir ce qui distingue les pratiques de contrôle social d’un groupe social donné, des pratiques de contrôle social d’un groupe que l’on peut qualifier de clan. Cette question n’est pas traitée dans cette thèse. Nous faisons juste l’hypothèse que la fréquence des pratiques diffère, qu’elles sont plus ritualisées, les hiérarchies sont plus figées. Le terme contrôle informel est aussi fréquemment utilisé pour désigner les pratiques que nous avons qualifiées de pratiques de contrôle social (Cardinal et al., 2010 ; Kirsch and Choudhury, 2010, Kirsch, 2004). Ces travaux reconnaissent l’importance des pratiques de groupe dans l’établissement progressif de règles et de normes que les membres du groupe embrassent. Le qualificatif d’informel découle du fait que celles- ci ne sont que rarement codifiées et formalisées par rapport aux pratiques de contrôle administratif. Celles-ci reposent le plus souvent en effet sur des supports formels (procédures, budget, rapports de gestion, documents de communication interne, support de formation). Malheureusement le même qualificatif est aussi employé pour « désigner les valeurs, normes, croyances qui guident les actions des employés et leurs comportements » (Cardinal et al., 2010). Or on a vu que certaines pratiques de contrôle administratif – donc formelles - visent explicitement la diffusion de certaines valeurs et qu’il est dans la nature même des pratiques de contrôle social de contribuer « à l’émergence de normes partagées » (Hopwood, 1974). Il convient donc là encore d’être attentif à l’emploi des termes utilisés dans la recherche.

Ces discussions peuvent être complétées par une question de fond sur la frontière entre entreprise et groupe. On peut se demander ainsi dans quelle mesure le fait, pour le management d’une entreprise de ne pas interférer sciemment avec les pratiques spécifiques d’un groupe professionnel ou d’un clan, ne ferait pas des pratiques de contrôle clanique, des pratiques de contrôle culturel tel que nous l’avons définie? Ceci expliquerait sans doute pourquoi Malmi et Brown (2008) font figurer le clan parmi les « management control systems » ? Cet ensemble d’interrogations n’enlève rien au fait qu’une partie du contrôle prend sa source dans les groupes sociaux qui coexistent dans l’organisation. Les pratiques correspondantes font partie des pratiques formant l’assemblage de contrôle. Elles sont intégrées dans la réflexion qui suit sur les relations entre les composants de l’assemblage. Au préalable, on traite dans le paragraphe de la troisième source de contrôle (l’autocontrôle). On

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voit notamment qu’elle recèle aussi de nombreuses questions quant à ses liens avec les deux autres.

3.1.1.3 L’autocontrôle

Dans les modèles des sources de contrôle, on situe la troisième catégorie dans les individus eux-mêmes. S’il est clair que l’organisation exerce par différents moyens une influence sur le comportement des individus qui la compose, s’il est clair que les différents groupes auxquels un individu appartient dans l’organisation exercent aussi une influence sur les individus (cette influence étant une influence mutuelle), le statut du contrôle qui prend sa source dans l’individu – l’autocontrôle – lui, est moins clair. Ce qui est commun à la thématique de l’autocontrôle par rapport aux deux autres sources de contrôle, c’est qu’il n’est pas question de pratiques. On est dans le domaine des influences invisibles. L’idée générale est que l’autocontrôle aurait à l’internalisation de certaines valeurs ou normes par les individus. Une divergence notable apparaît en revanche entre deux approches de l’autocontrôle.

Pour certains l’autocontrôle renvoie à la capacité qu’ont les individus de mettre en usage des règles de conduite, des valeurs, des références personnelles qu’ils auraient fortement internalisées (Hopwood, 1974). Ces références seraient celles que l’individu a constituées à travers son éducation et son expérience au fil de la vie. On parlera d’autocontrôle de type 1. Ces références se révèlent dans certaines circonstances particulières où il n’existe pas de référence d’action promue par l’organisation ou le groupe (Weick, 1998) ou quand elles entrent en conflit avec les références promues par l’organisation (Carlsson-Wall et al., 2011 ; Hopwood, 1974).

Pour d’autres, l’autocontrôle correspond à l’internalisation (que l’organisation va essayer de favoriser) par certains individus des valeurs et des normes de l’organisation (Alvesson et Kärreman, 2004). L’autocontrôle aboutit dans ce cas à l’adoption de comportements en phase avec les intérêts de l’organisation. On parlera d’autocontrôle de type 2, ce que d’autres appellent controllee-driven controls (Tiwana et Keil, 2009). Dans l’idéal, on ira jusqu’à rechercher le fait que les individus fixent eux-mêmes leurs objectifs, en vérifient l’atteinte et adoptent les actions correctrices nécessaires. Dans cette acception, en lieu et place du terme autocontrôle, Dambrin (2005, p. 93) parle aussi de contrôle intériorisé ou d’autodirection.

Pour aboutir à ce que les individus aient, une forte propension à s’autocontrôler en ligne avec les valeurs et les normes de l’organisation, il faut qu’ils les aient internalisées et donc qu’elles aient été constituées par certains moyens. Parmi ces moyens, sur base des deux sections précédentes, on peut penser aux pratiques de contrôle administratif formelles ou aux pratiques de contrôle culturel comme la sélection (à l’entrée dans l’organisation puis lors des nominations à des postes), la formation et la socialisation. On peut aussi penser au fait pour une organisation de s’appuyer sur des groupes professionnels bien spécifiques donc sur le contrôle social. Recourir à des groupes professionnels constitués, permet en théorie à l’organisation de bénéficier d’une forme de standardisation des qualifications (Mintzberg, 1982, p 310) et des comportements autonormés qui en résultent. Le recrutement de profils issus de ces groupes ou la délivrance de formations adaptées permet alors d’attendre que « le collaborateur prenne de son propre chef des décisions satisfaisantes » et de « réduire au minimum, sinon supprimer, certaines procédures de contrôle » (Simon, 1983, p 16). Dans d’autres cas, comme dans des formes d’organisations représentatives de la théorie Z, on favorise via le même type de pratiques, l’émergence de logiques véritablement claniques. On va même jusqu’à atteindre une identification des individus à la firme (Ouchi, 1979, p 841).

Bien que ces différents moyens (contrôle culturel, logique de profession, de clan) apparaissent propices à susciter un autocontrôle, les conditions d’obtention d’une internalisation des valeurs sont rarement adressées dans la littérature en contrôle. Carlsson-Wall et al. (2011) illustrent bien notre propos et montrent la différence entre des employés qui ont internalisé des valeurs ou non. Ainsi les soignants du système d’aide aux personnes dépendantes étudiés en Suède, intègrent dans leur décision et leurs actions les normes de rentabilité promues par le système de budget et de contrats sans pour autant professer ces valeurs. Dans ce cas, les individus indiquent qu’ils ont agi en référence à telle ou telle règle interne à l’organisation et qui leur est imposée. À l’inverse, les auteurs montrent que certains grands principes de fonctionnement du système de soin sont appropriés. Les individus adoptent d’eux-mêmes des slogans comme « une meilleure coopération, ce sont de meilleurs soins » (p 9). Pour Alvesson et Kärreman (2004), c’est la fréquence et l’étendue de la pratique de contrôle qui favorise cette internalisation, mais ils ne développent pas la corrélation entre ces deux phénomènes ni finalement ce qu’ils entendent par internalisation. Nous poursuivons dans l’étude de cette troisième source de contrôle afin de la situer par rapport à nos assemblages de

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La littérature montre que l’autocontrôle de type 2 ne se conçoit pas sans délégation de responsabilité. C’est une condition nécessaire de l’autocontrôle. Les politiques d’« empowerment » (Johnson, 1992) illustrent bien ce mouvement d’octroi d’une forte autonomie couplé à toute une palette de dispositifs visant l’alignement des buts de l’organisation et de l’individu. C’est parce que les individus sont en situation d’autonomie qu’ils doivent puiser dans un ensemble de référence et déterminer eux-mêmes leurs actions. Une partie de ces références seraient plus particulièrement intériorisées que d’autres par les individus. Ces situations d’autonomie et de délégation de responsabilité sont très caractéristiques des organisations actuelles avec des contextes de plus en plus nombreux où il ne suffit pas aux managers de donner des objectifs chiffrés et où il est encore moins question de dicter un processus de travail précis (Di Tillo, 2004).

On a vu qu’en s’attachant aux deux sources de contrôles que sont l’entreprise (via le management) et le groupe, on a pu pointer vers différentes pratiques de contrôle. Ces pratiques trouvent leur place dans le modèle de représentation des assemblages de contrôles qui a été élaboré. Quand la source de contrôle est l’individu lui-même, c’est un processus interne auquel il est fait référence. Il n’ y a pas de pratiques identifiables. La question qui suit est de savoir comment rapprocher l’autocontrôle de notre modèle de représentation des assemblages de contrôles qui est censé couvrir toutes les formes d’influences. Cette question vaut pour les deux types d’autocontrôle.

On propose de considérer que le fait pour un individu de mobiliser des références personnelles très ancrées (autocontrôle de type 1) correspond à la mise en usage de modalités du structurel du type que nous avons appelé modalités personnelles. Quant au fait pour un individu de mobiliser des références promues par l’organisation ou par le groupe social (autocontrôle de type 2), on propose de considérer qu’il correspond à la mise en usage des modalités de contrôle. Dans cet effort de rapprochement, on note que l’idée d’internalisation commune aux deux approches de l’autocontrôle apporte un éclairage supplémentaire par rapport à la logique de structuration des assemblages de contrôles que nous avons présentée. En effet, Giddens évoque seulement un processus de hiérarchisation, d’interprétation et de sélection compétente des modalités du structurel. Il indique que certaines sont plus institutionnalisées que d'autres, mais nous n’avons pas vu de discussion spécifique de l’idée

d’internalisation dans les travaux de Giddens que nous avons consultés. Il résulte donc de l’idée d’autocontrôle une précision qui est que l’individu peut être ou non amené à faire siennes les références qu’il met en usage.

On propose donc de considérer à ce stade de la thèse, que l’autocontrôle est un processus qui correspond à la mise en usage des modalités du structurel dans les pratiques et ce, quand les modalités mises en usage ont un degré élevé d’intériorisation par les acteurs.

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