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Reconnaître la complexité de l’objet technologique en cohérence avec notre

L’IMBRICATION SOCIALE ET TECHNIQUE DU CONTRÔLE QUI LAISSE DES QUESTIONS EN SUSPENS

1.1 La technologie, un objet qui interpelle la recherche en contrôle

1.1.3 Reconnaître la complexité de l’objet technologique en cohérence avec notre

approche initiale du contrôle

La recherche en contrôle revue jusqu’ici nous fait adhérer à l’idée que les technologies sont des objets complexes et socialement construits. Une interrogation subsiste cependant sur les fondements épistémologiques a priori assez différents des approches structurationnistes ou de type acteurs réseau. Ces dernières semblent différer notamment quant à deux dimensions importantes de notre recherche (avec d’un côté le contexte et de l’autre le changement).

Context or not context ? Change or not change ?

On a compris avec le développement qui précède qu’un nombre significatif de travaux en contrôle entrent dans les critères définissant les approches technocentriques de la technologie (Orlikowski, 2007). Dans ces approches, les technologies sont vues comme un objet extérieur possédant des caractéristiques qui influence le social. Le reproche généralement fait à ces approches est celui du déterminisme, de la non-reconnaissance des réalités multiples de la technologie, de leurs conséquences paradoxales et d’une insuffisante prise en compte de la matérialité de la technologie (voir le paragraphe suivant). Un nombre tout aussi significatif de travaux adoptent une perspective plus centrée sur l’humain. Dans le cas des approches centrées sur l’humain, on s’intéresse à la manière dont les acteurs interprètent la technologie. Sous ce registre, l’approche dominante comme on l’a vu en contrôle est celle de l’ANT.73

Bien qu’elle ne soit pas très représentée en contrôle, l’approche structurationniste mérite d’être distinguée de celle de l’ANT étant donné que les principes de la structuration fondent notre approche initiale du contrôle. Trois points sont retenus ici. La première distinction concerne l’idée d’agence qui réside dans un réseau d’acteurs pour l’ANT (avec des acteurs non humains comme les technologies ou bien des concepts, des références) alors que les “structurationnistes” attribuent l’agence à des acteurs uniques (des individus ou des collectifs d’individus). La question des structures différencie aussi les deux approches. Les structures sont au fondement de l’approche structurationniste. Elles disparaissent et avec elles, l’idée de contexte, dans le réseau d’acteurs au profit d’autres concepts et notamment de l’idée

technologies de l’information

d’actantialité. C’est la deuxième distinction importante qu’Ahrens et Chapman (2007a) soulignent. Celle-ci est importante au regard de notre approche du contrôle où le structurel occupe une place a priori significative74

. La troisième distinction concerne l’idée de changement et de stabilité. L’approche structurationniste intègre la notion de temps et ceux qui l’ont adaptée (Burns et Scapens, 2000; Barley et Tolbert, 1997) tentent de montrer comment le social évolue et, dans une certaine mesure, se stabilise, à travers la mise en usage des structures en pratique et la compétence des acteurs (voir la section 3 de ce chapitre). Les travaux en contrôle ayant exploité les principes de l’ANT récusent quant à eux l’idée même de stabilité (Busco et al., 2007) et s’intéressent finalement plus au processus de fabrication du social qu’aux éventuels éléments stables qui résulteraient de ces processus (Ahrens et Chapman, 2007, p. 104). L’idée est que les systèmes sociaux sont dans un état de glissement perpétuel (le “drift”de Ciborra, 2000) suivant des dimensions multiples qui se combinent. On peut parler de changements, mais il ne s’agit pas de changement au sens linéaire du terme. La technologie est cet objet complexe hétéromogène fait de relations entre divers actants. On ne peut étudier que l’évolution de ce réseau à la fois social et technique. Il n’est pas possible de parler d’effets de la technologie sur le social.

Le degré de prise en compte de la matérialité de la technologie est un deuxième axe de différenciation entre les différentes approches de la technologie en contrôle. Cette préoccupation récemment apparue en contrôle (Wagner et al., 2011) va de pair avec un intérêt accru pour les approches fondées sur les pratiques (Whittington, 2011; Ahrens et Chapman, 2007a et b). Le présent travail doit in fine se positionner quant à la prise en compte de la matérialité. Ce point est discuté est abordé dans la section 2.2.

Et la matérialité ?

Le reproche qui est fait aux travaux adoptant une vision sociocentrique des technologies est de favoriser la dimension sociale des technologies au détriment de la dimension matérielle au prétexte de vouloir échapper à la critique du déterminisme (Leonardi et Barley, 2008)75

. La dimension matérielle est peu présente ou uniquement suggérée dans de nombreux travaux s’appuyant sur la sociologie de la traduction (Dechow et Mouritsen, 2005 ; Quattrone et

74 Le réseau confère “aux actants leur actantialité vue comme “leur capacité d’action, leur subjectivité, leur intentionalité et

leur moralité.”On reste cependant aux niveaux des actants. Il n’y a pas d’ordre supérieur dans le social, ce que d’autres

nomment le champ des institutions ou des structures, le contexte. On est sur une sociologie “à plat” en termes Latouriens. Ahrens et Chapman (2007a, p. 102) tentent tout de même un parallèle entre l’idée d’actantialité et l’idée de structures.

Hopper, 2005 ; Dambrin, 2005) ou sur la théorie de la structuration (Caglio, 2003; Scapens et Jazayeri, 2003) ou encore sur la pensée de Michel Foucault (Leclercq, 2008). Pour sortir de cette impasse, un courant de recherche dit de la sociomatérialité (tableau 8, ligne 4) a vu le jour. Il a récemment été pris en compte dans le champ du contrôle (Wagner et al., 2011). Il implique de considérer toute pratique comme étant par construction un enchevêtrement de social et de matériel76

(d’où le qualificatif sociomatériel) et conduit à chercher à s’affranchir du dualisme agence-technologie. Orlikoskwi (2007, p. 1440) illustre la notion de pratique sociomatérielle avec l’exemple de la recherche d’informations. Une recherche d’informations se conçoit aujourd’hui très souvent par l’intermédiaire du moteur de recherche Google. On peut établir que la recherche effectuée via Google et le résultat de cette recherche sont sociomatériels. Le moteur de recherche est un programme informatique qui a été conçu et est maintenu par des développeurs sur base d’un langage développé par d’autres ingénieurs. Ce code informatique est exécuté sur une combinaison de matériels dispersés sur le globe nécessitant pour fonctionner d’autres programmes et infrastructures matérielles. Les informations traitées par ce programme et ce maillage de matériels dépendent de millions de personnes qui créent et qui mettent à jour des pages internet tous les jours et des millions de personnes qui entrent sur leur interface les termes de leur recherche. La recherche et le résultat de la recherche sont sous cet angle un assemblage sociomatériel. Une telle approche nécessite un dépassement des objets théoriques habituellement utilisés jusque-là (Feldman et Orlikowski, 2011, p. 1246) dans la plupart des domaines des sciences du management - donc y compris en contrôle - pour raisonner “sur des pratiques qui forgent des relations à la fois sociales et matérielles77

”. Les possibles apports de cette approche pour nos résultats sont discutés dans le chapitre 6 (section 1) ainsi que les difficultés méthodologiques inhérentes à ce type d’approche (De Vaujany, 2009). Convaincu de l’importance de cette dimension matérielle, on prévoit que celle-ci soit le plus possible prise en compte dans le travail empirique.

Pour clore ce développement et synthétiser les différentes approches des technologies présentes dans la littérature en contrôle, nous présentons une adaptation du tableau élaboré par Brivot dans sa thèse (2008) en incluant notamment les approches sociomatérielles. Brivot ne

technologies de l’information

mentionne pas ces dernières dans son tableau78

, mais intègre les approches ergonomiques représentées par Rabardel (1995) ainsi que les approches interactionnistes. Dans ces dernières, la technologie est vue comme une courroie de transmission pour des jeux d’acteurs souvent analysés à travers les grilles de lecture de Crozier et Friedberg (1979). À notre connaissance, ces deux approches ne sont pas significativement représentées dans la littérature en contrôle traitant des technologies. C’est aussi vrai des approches ergonomiques. Ceci explique que nous ne les intégrons pas dans le tableau de synthèse qui suit.

Approche de la technologie et Contours de la technologie

Travaux représentatifs

Effet de la technologie sur le social

L1 Technocentrique, fonctionnaliste

La technologie réduite à ses caractéristiques matérielles. C’est une boîte noire

Rom et Rohde

(2002)

Hyvönen (2006) Raymond (2002)

Technologie comme variable

indépendante agissant sur des variables dépendantes avec un lien de causalité généralisable

L2 Sociotechnique Latourienne

On raisonne sur des réseaux sociotechniques Quattrone et Hopper (2005)

On peut uniquement étudier l’évolution d’un ensemble sociotechnique. L3 Structurationniste (suivant Orlikowski)

La technologie comme médium et comme produit de l’action humaine. Des structures sont encastrées dans la technologie (1992) ou des structures sont constituées lors de l’usage des artefacts technologiques (2000)

Brivot (2008),

Scapens et Jazayeri (2003)

Les effets des technologies peuvent être analysés .

L4 Sociomatérielle

Toute pratique est par essence

sociomatérielle. La dimension matérielle de la relation doit être prise en compte.

Wagner et al.

(2011)

On ne peut pas analyser de changements occasionnés par la technologie sur le social. On analyse des reconfigurations des pratiques sociomatérielles.

Tableau 8 : Différentes approches des effets de la technologie sur le social utilisées dans la littérature en contrôle (adapté de Brivot, 2008)

Fort de cette compréhension accrue des démarches qui ont traversé la littérature en contrôle à propos des technologies et des fondements de ces démarches, il est possible de conclure notre

revue de la littérature par la mise en évidence de certains points de convergence susceptibles de contribuer au traitement de notre question de recherche.

1.2 Des phénomènes récurrents au centre des observations menées dans

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