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Mais finalement, que sont les technologies de l’information?

L’IMBRICATION SOCIALE ET TECHNIQUE DU CONTRÔLE QUI LAISSE DES QUESTIONS EN SUSPENS

1.1 La technologie, un objet qui interpelle la recherche en contrôle

1.1.2 Mais finalement, que sont les technologies de l’information?

Le titre de cette section paraphrase à dessein le titre de l’article de synthèse publié par Quattrone et Hopper (2006). L’interrogation présente dans le titre illustre qu’il est toujours pertinent de se poser la question de la nature des technologies. Trois62

grandes approches sont commentées ici puis synthétisées dans un tableau (tableau 8) à la fin de cette section.

Certains adoptent une approche à caractère fonctionnaliste. La technologie est un ensemble de matériels et de logiciels ayant certaines propriétés. On observe ainsi dans plus de quarante travaux63

, une forte tendance à considérer la technologie comme quelque chose d’acquis. On lui associe des capacités qui permettent à l’organisation d’attendre certains résultats (tableau 8, ligne 1)64

. Les termes employés sont ceux d’instruments, d’outils. Dans les travaux de ce type, la technologie est considérée comme une “boîte noire, un artefact stable et figé qui peut être passé de main en main et utilisé tel quel par n’importe qui, n’importe quand , n’importe où” (Latour, 1987). On appose des étiquettes sur cette boîte noire selon le type de fonction

62 Cette focalisation sur trois approches ne doit pas occulter l’existence d’approches alternatives comme l’approche

disciplinaire Foucaldienne des outils de gestion et des technologies. Ces dernières ne sont pas approfondies dans cette thèse mais occupe un espace non négligeable dans la littérature (Leclerc, 2008 ; Amintas, 2002).

63 Dans les revues et ouvrages détaillés précédemment (section 1.1).

64 Dechow, Granlund et Mouritsen (2007a et b) sont les chefs de file des chercheurs en contrôle qui s’élèvent contre cette

technologies de l’information

qu’elle est censée assurer et/ou le processus dans lequel elle va s’insérer (par exemple si on parle de CRM, on sait que c’est un outil qui concerne le marketing et les ventes).

À côté de ces travaux, de plus en plus de recherches, s’interrogent sur la nature de la technologie. Ce sont généralement des recherches qui sont sensibles au caractère socialement construit de la technologie (Pinch et Bijker, 1984) ou même “plus que socialement construit” de celle-ci (Quattrone et Hopper, 2006, p. 214). Parmi eux, de rares66

travaux (Brivot, 2008) s’inspirent des propositions à caractère structurationniste d’Orlikowski qui propose de séparer l’artefact technologique en lui-même, des structures sociales qu’il est supposé renfermer (Orlikowski, 1992). Le travail de Brivot oscille entre l’idée de structures encastrées dans la technologie et l’idée que les usages de la technologie contribuent à constituer une forme particulière de structure sociale (tableau 8, ligne 3) suivant l’évolution de la pensée d’Orlikowski (2000). Ce type de travail n’aboutit pas à une proposition de définition de la technologie, mais fournit des résultats très riches quant à leurs conséquences sur le social.

Des travaux plus nombreux intègrent dans leur vision de la technologie tout ou partie des éléments matériels, conceptuels, humains, les discours, les idéaux qui l’environnent jusqu’aux pratiques67 qui l’échafaudent. À l’extrême, la technologie s’apparente à un hyperartefact au

sens de Rabardel (2005, 1995) ou à une machine au sens de Latour (1987) où tous ces éléments forment la technologie. Selon les travaux, les chercheurs vont insister sur l’une ou l’autre des dimensions ci-dessus. Certains (Dambrin, 2005) vont insister sur la dimension discursive de la technologie en allant jusqu’à la définir avant tout comme « un discours utilisant des techniques ». D’autres vont insister sur la technologie comme vecteur de représentations (Dechow et al., 2007a, p. 632) via les modèles qui s’y rattachent (Quattrone et Hopper, 2005).68

Les traductions que nécessite la confrontation à ces modèles sont mises en évidence (Bollecker, 2004). De là, en suivant les principes de la théorie de l’acteur réseau

66 Des travaux plus nombreux existent sur le changement du contrôle dans des contextes de mise en place de technologies. Ils

adoptent ce cadre d’analyse structurationniste (Caglio, 2003; Scapens et Jazayeri, 2003) mais ce qui est étudié, c’est la structuration des pratiques de contrôle. La technologie y reste vue comme une boîte noire participant à la structuration.

67 Pour ce qui concerne les pratiques, il ne s’agit pas uniquement des utilisations visibles de la technologie à un instant t. A

l’extrème, on peut aller jusqu’à considérer pertinentes aussi bien les pratiques qu’on observe au stade de la conception de la technologie (par les éditeurs), lors de l’adoption-implémentation et celles intervenant au cours de la vie de la technologie.

68 Les modèles sont des représentations formelles qui sont programmées dans la technologie. Selon les cas, ils définissent les

parties prenantes d’un processus, les actions qu’elles doivent accomplir, les relations qui les unissent dans le système ainsi constitué et les ressources qu’elles manient ainsi que leurs démarcations (Dechow et al., 2007a).

(tableau 8, ligne 2), la technologie est vue comme un actant69

à part entière dans le système social. L’approfondissement des dimensions discursives et représentationnelles des technologies réalisé dans ces travaux a permis de préciser progressivement ce qu’est l’objet technologie. Il en ressort que la vision qui anime chaque technologie prise individuellement est un élément capital si on veut comprendre non seulement leurs conséquences, mais surtout leur nature. Dechow et Mouritsen (2005) montrent que cette vision ou cet idéal mobilisent autour de la technologie des acteurs multiples, qui ne sont en apparence pas directement liés entre eux (les éditeurs et les opérateurs d’une firme lambda par exemple ne se rencontrent jamais, mais ils sont liés par d’autres actants et notamment des inscriptions). C’est ce qui fait qu’une technologie dépasse les frontières du temps, du local et du global (Dechow et Mouritsen, 2005) et se présente finalement comme un objet-frontière c’est-à-dire “un moyen par lequel différents groupes d’acteurs vont se connecter” (Star et Griesemer, 1989). Cette connexion se fait en grande partie autour d’un idéal affirmé en un point du réseau d’actants, inscrit dans divers supports et ensuite constamment négocié par ceux qui entrent en contact avec la technologie. Il ne s’agit pas d’une vision détaillée, procédurale. Dechow et al. (2007a) constatent que les hyperartefacts comme les ERP ou l’internet sont au contraire toujours précédés d’un discours plutôt vague. Mais ce discours tend à déclencher spontanément l’adhésion (comme le discours représenté par les termes: intégration, collaboration ou flexibilité). Ce caractère vague, flou du discours est assimilable à une absence (Quattrone et Hopper, 2006). Or cette absence fondatrice agit comme un puissant attracteur en ce sens qu’elle attire l’attention sur la technologie, ses usages et ses conséquences possibles. Le discours autour de l’idéal génère de l’action de la part des autres actants (qu’il s’agissent de personnes ou de technologies). La multitude d’interactions entre les technologies et les autres composantes du système social qui en résulte aboutit à des définitions progressives – et négociées – de l’objet technologique. Ceci explique pourquoi différents acteurs donnent de l’objet différentes définitions selon d’où ils parlent par rapport à lui70

et quand. Ces définitions71

rendent la technologie présente à ceux qui l’utilisent dans les conditions dans lesquelles il l’utilise. Ce mouvement est constamment enclenché et ne se

69 La sociologie de la traduction (que l’on trouve plus fréquemment désignée par les anglo-saxons par l’acronyme ANT pour

Actor Network Theory) qui est à l’origine de ce terme pose que les réseaux d’acteurs sont composés à la fois d’humains et de

non-humains qu’on appelle alors tous des actants. Ces derniers existent via ce qu’ils occasionnent pour les autres membres du réseau (les anglo-saxons parlent à la suite de Law (cité par Quattrone et Hopper, 2006) de leurs performances « what they

perform »).

technologies de l’information

stabilise jamais vraiment. Sur ces bases, Quattrone et Hopper proposent de considérer les technologies comme des objets à la fois hétérogènes et homogènes en tendance. Le néologisme hétéromogène (2006) caractérise ces systèmes qui acquièrent de la cohérence et du sens à travers leurs absences et leurs présences. C’est en cela qu’ils seraient plus que des constructions sociales (p. 243). Cette mécanique “multiple, indéterminée, glissante” (Orlikowski, 2007, p. 1435) est bien rendue à propos d’un cas de mise en place d’ERP où l’idée d’intégration est, comme souvent, mise en avant: “Les systèmes ERP sont hautement impliqués dans la transformation et l’établissement d’un agenda de contrôle organisationnel à travers ce souci d’intégration. L’intégration n’est pas une solution, mais plutôt un moyen de problématiser le processus par lequel des acteurs vont transporter des informations en divers lieux pour établir des représentations qui sont adaptées aux besoins de différentes parties en différents endroits” (Dechow et Mouritsen, 2004, p. 724).

Les deux approches “construction sociale” de la technologie72

(structurationniste ou sociotechnique latourienne) présentent une similitude sur le plan méthodologique. Elles sont toutes les deux très complexes à décliner empiriquement. Les dimensions multiples de tels objets peuvent difficilement être abordées en même temps dans une seule recherche. On constate donc, selon la problématique traitée, que les chercheurs se focalisent plus particulièrement sur une dimension de la technologie plutôt qu’une autre (la dimension symbolique par exemple ou le discours ou encore les structures portées par la technologie). Ainsi Quattrone et Hopper (2005) se focalisent sur l’expérience et les interprétations qu’ont les acteurs suite à la mise en place de SAP dans deux organisations multinationales notamment vis-à-vis de l’idéal d’intégration et vis-à-vis de l’évolution des positions relatives des filiales les unes par rapport aux autres et au siège dans un groupe de sociétés. Dechow et Mouritsen (2005) travaillent plus particulièrement sur les représentations et les idéaux inscrits dans l’ERP et le rôle joué par ces éléments dans la recomposition des relations. Quattrone et Hopper (2006, p. 243) confirment ces contraintes, en affirmant que “nous ne définissons pas (et ne pouvons définir) toutes les réalités que les TICs peuvent assumer,” tout en indiquant qu’elles n’empêchent pas de continuer à s’interroger sur ces objets: “Il faut plus de travail pour combiner des notions de traduction avec cette nouvelle ontologie des TIC et les pratiques managériales.” Les dimensions des technologies sur lesquelles l’accent est mis dans cette thèse sont précisées à la fin de ce chapitre (section 3). Pour faciliter le choix de ces

dimensions, une distinction fondamentale d’ordre épistémologique est mise en évidence entre les deux approches de la technologie de type “construction sociale”.

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