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Réplication ou révision des pratiques dans un univers de possibles et de contraintes

L’IMBRICATION SOCIALE ET TECHNIQUE DU CONTRÔLE QUI LAISSE DES QUESTIONS EN SUSPENS

SECTION 2. SE CONCENTRER SUR LES USAGES POUR COMPRENDRE LES CHANGEMENTS LIES AUX TECHNOLOGIES

2.2 Vers une prise en compte des usages dans l’étude des changements liés aux TICS.

2.2.3 Des structures qui émergent plutôt que des structures encastrées dans la

2.2.3.3 Réplication ou révision des pratiques dans un univers de possibles et de contraintes

La mise en usage répétée de la technologie-en-pratique par la reconduction d’un type d’interaction donnée avec une technologie est synonyme de routinisation (des usages) et de renforcement de la structure (la technologie-en-pratique) et des structures mobilisées conjointement. Cette structure particulière fait ainsi progressivement partie au même titre que les autres structures du référentiel des acteurs. On reprend l’exemple très parlant de la conduite utilisé par Orlikowski (2000, p. 410). Chaque conducteur met en usage des structures quand il interagit avec son véhicule dans un environnement donné. Il peut s’agir de structures qui lui sont familières s’il s’agit d’une route « classique ». Si en revanche, le conducteur se trouve à l’étranger ou dans un autre véhicule ou encore en situation de conduite

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sur la neige, ce seront d’autres structures qui seront mises en usage. De manière assez courante, on va aboutir à ce que des usages répétés d’une technologie par une communauté d’utilisateurs, renforcent la technologie-en-pratique, qui est ainsi réifiée et institutionnalisé. On en arrive généralement à un point tel que ces structures s’apparentent à des prescriptions fermes de modes d’action et peuvent ainsi à la longue bloquer le changement. Ce phénomène ressort dans de nombreux exemples où les individus ne peuvent envisager de faire autrement qu’avec les technologies qu’ils utilisent habituellement101

. C’est cette dynamique qui pousse à la réplication des pratiques et aboutit dans la plupart des cas à une forme de stabilisation de la technologie-en-pratique. 102

C’est d’autant plus vrai que les usages de la technologie ne sont pas infiniment malléables (Peaucelle, 2007 ; Orlikowski, 2000, p. 409). Il faut tenir compte des propriétés physiques des artefacts, des ressources disponibles à un instant t. Elles donnent un éventail d’utilisation plus ou moins large,103

mais forcément fini. Chacun est par ailleurs amené à prendre en compte la technologie utilisée par les autres acteurs. Cette dernière conditionne aussi nos pratiques pour peu que nos tâches soient interdépendantes. On doit reconnaître par exemple que le fait qu’une technologie soit intégrée à d’autres technologies (dans le traitement d’un processus par exemple) réduit les utilisations alternatives (ainsi un contrôleur aérien104

en France devra aujourd’hui tenir compte dans ses pratiques, des pratiques de son homologue étranger et de son support technique s’il veut assurer sa mission de veiller à la sécurité du trafic aérien). On a vu aussi précédemment que les technologies-en-pratique mises en usage sont liées aux autres structures du contexte dont certaines influencent dans le sens d’une réplication des pratiques, la compréhension que les utilisateurs ont de la technologie. On fait référence ici à l’ensemble des discours véhiculés autour de la technologie par des acteurs comme les consultants, les éditeurs, les managers, les utilisateurs de référence dans l’organisation. Cet ensemble de discours et d’allégation intervient dans la lecture que les utilisateurs ont de la technologie. On est dans le registre de la signification voire des croyances et ceci conditionne les usages et donc les structures de mise en usage. Pour certains, cet ensemble forme l’esprit de la technologie (De Sanctis et Poole, 1994), sa vision

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Qui sont parées de toutes les vertus, alors que leur mise en place a probablement été problématique.

102 Il s’agit d’une stabilisation provisoire. Les termes d’Orlikowski sont « provisionnal » et « stabilized for now »

103 Orlikowski fait remarquer que les artefacts matériels (ce qu’on appelle le hardware) ont des possibilités d’usages plus

limités que des artefacts logiciels, eux mêmes plus limités que des artefacts conceptuels (p. 409). Les technologies de l’information sont une combinaison de ces trois types d’artefacts, c’est ce qui leur confère des propriétés inédites par rapport aux artefacts uniquement matériels antérieurs comme le papier (Beniger, 1996).

organisante (Swanson et Ramiller, 1997)105

ou ses expressions symboliques (Markus et Silver, 2008). Parmi les autres facteurs qui contribuent à la réplication, il y a le fait que la grille de lecture du réel que représente la technologie-en-pratique est généralement partagée, elle s’inscrit dans une relation entre différents acteurs. Le thème des situations de conduite automobile illustre bien cette problématique de partage, on voit bien que chaque conducteur va caler son comportement sur l’hypothèse que les autres conducteurs respectent les mêmes règles de conduite que lui. En résumé, de nombreuses forces poussent les acteurs à la répétition des usages de la technologie.

Mais les utilisateurs sont des agents compétents selon les définitions vues au chapitre 1. Ceci signifie que « lorsqu’ils choisissent d’utiliser une technologie, ils choisissent une manière d’interagir avec elle. Ainsi, ils peuvent délibérément ou par inadvertance, l’utiliser d’une manière qui n’est pas prévue par ses concepteurs » (Orlikowski, p. 408). « Les utilisateurs forgent ainsi le plus souvent l’artefact technologique pour répondre à leurs attentes et leurs intérêts ». (p. 409). Le renforcement de la structure mise en usage dans un type d’interaction répétée n’est donc pas la seule voie possible. La possibilité est toujours ouverte pour les acteurs d’exercer leurs savoirs, leurs capacités d’adaptation et d’invention notamment quand la technologie mise à disposition est suffisamment ouverte et configurable (Orlikowski, 1992, p. 421). Le mode d’interaction choisi au départ avec la technologie va évoluer, ce sont donc des pratiques et des technologies-en-pratique et donc un contexte toujours « en devenir » qui s’offrent à notre examen. Différents exemples dans la littérature en SI montrent la variété des choix de modes d’interaction effectués selon les utilisateurs, le moment, les circonstances, les savoirs et l’évolution de la technologie elle-même ainsi que les phénomènes de glissement qui s’opèrent dans les usages (Ciborra, 2000) et les changements d'usage liés au contexte. Ces constats de multiplicité et d’évolutivité des interactions avec la technologie (et donc de multiplicité des technologies-en-pratiques) montrent qu’il est toujours possible de faire autrement avec une technologie dans un contexte donné qui par ailleurs se trouve être changeant106

. La révision est bien une possibilité. Cette idée que la technologie à travers ses usages est une réalité toujours « en devenir » donc presque insaisissable est rarement présente dans les discours pour au moins deux raisons. La première est que les personnes concernées

105 Ces notions ne sont pas équivalentes mais ont toutes à voir avec les significations qui pourront être attachées à la

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ont besoin de nommer les choses. C’est ce qui explique qu’on entende très fréquemment des affirmations du type : « la technologie X est synonyme d’une plus grande flexibilité, de réduction de coûts, d’une organisation plus agile, etc. ». La seconde est que différents acteurs ont intérêt à laisser penser que c’est la technologie qui est la cause de certains changements même s’ils savent que c’est indirectement. Parmi ces acteurs figurent en bonne place, les éditeurs, les intégrateurs et les DSI. C’est ce qui fait dire à Orlikowski (1992, p. 412) que « la manière typique d’appréhender la technologie comme une donnée objective contredit directement sa nature construite ». Le changement de regard sur la technologie que propose Orlikowski en 2000 donne toute sa place à l’agence humaine.

Du point de vue de la marche à suivre pour ceux qui s’intéressent aux changements liés aux technologies, ceci signifie qu’il faut situer toute analyse des changements associés à la technologie au niveau des pratiques des acteurs tout en intégrant les éléments attachés à la technologie et au contexte. « Les chercheurs et les managers qui mesurent les investissements en technologies et étudient leur déploiement pour prédire leurs impacts sur la performance obtiendront de meilleurs résultats s’ils regardent des retours sur les usages de la technologie plutôt que des retours sur la technologie tout court » (p. 425). Tous les exemples fournis par Orlikowski vont dans ce sens et soulignent que le rôle de l’agence est aussi prépondérant au cours du cycle de vie de la technologie dans l’organisation qu’au cours de la conception.

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