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Une étude centrée sur le fonctionnement de systèmes didactiques interconnectés

2. La théorie de l’action conjointe en didactique (TACD)

2.4. Une modélisation pour expliquer et comprendre l’action conjointe

Dans leur travail princeps concernant la Théorie de l’action du professeur, Sensevy et al.

(2000) proposent, pour décrire l’action des actants aux prises avec un objet de savoir, une modélisation s’organisant dans un « réseau descriptif » à trois niveaux communicants : (i) les structures fondamentales de l’action professorale, (ii) les grands types de tâches à assumer, (iii) les classes techniques que le professeur peut mobiliser. On retrouve ce soubassement notionnel et théorique dans la TACD (Sensevy & Mercier, 2007).

La modélisation repose sur une macro-structure composée de quatre fonctions générales postulées comme génériques104 de l’activité didactique (Ligozat & Leutenegger, 2008). Dans notre travail, ces catégories doivent nous permettre le découpage séquentiel du continuum de l’activité enseignante, ainsi que son analyse en fonction du caractère finalisé - transmettre des savoirs -, de la situation didactique (Rickenmann et al., 2012). Comment sont définies les structures fondamentales de l’action professorale ?

Par définir, il faut comprendre l’action du professeur lorsqu’il qui pose des objets et établit le cadre de la situation (Sensevy et al., 2000). Il s’agit de la transmission aux élèves des règles constitutives du jeu, les règles qui permettent l’entrée dans le jeu et qui délimitent, en même temps, les contours de ce dernier : les élèves doivent savoir à quel jeu ils vont jouer. En éducation physique, ceci renvoie, traditionnellement : - à l’aménagement matériel (ex. : nombre de ballon, dimensions des terrains), - à l’organisation sociale de la situation (ex. : des équipes de 3 joueurs de niveau hétérogènes), - à l’explicitation des critères de réalisation de la tâche (ex. : informations concernant la manière de se déplacer ou d’utiliser les objets du dispositif), - à la présentation des critères de réussite (à quel moment on sait si on fait juste, si on gagne) et - au signal d’achèvement de la tâche (à quel moment finit-elle). Sensevy (2001) propose de faire la distinction entre les « règles constitutives » du jeu et les « règles stratégiques » (p. 268). Ces dernières renvoient aux stratégies gagnantes que les élèves devraient développer pour réussir, des règles qui, par raison de réticence, ne seraient pas à transmettre aux élèves. En EP, et lors d’un cycle de basketball, par exemple, il reviendrait aux élèves de trouver comment libérer et placer un joueur de leur équipe dans un endroit du

104 Ceci était déjà présent dans la TAP, ce qui ne correspondait pas à l’intitulé de cette théorie, qui concerne uniquement le professeur.

terrain de jeu de manière qu’il puisse tirer au panier en position favorable (gestion de la pression temporelle et des adversaires, etc.).

La régulation concerne les « comportements que le professeur produit en vue d’amener l’élève à élaborer des stratégies gagnantes » (Sensevy et al., 2000, p. 269). Si la définition se caractérise dans l’organisation des objets du milieu, la régulation convoque d’avantage la progression du temps didactique, par exemple par l’aménagement progressif du milieu en vue de réduire l’incertitude de l’action demandée aux élèves. En se référant à l’EP, Amade-Escot (2003) définit la régulation didactique comme « l’ensemble des activités qui consistent à modifier les contraintes et les variables des situations et à réguler les sources scolaires d’information de façon à maintenir les conditions de l’interaction élève(s)/savoir enseigné aux fins d’apprentissage des élèves » (p. 257). La régulation, fortement dépendante de l’activité développée par l’élève, peut ainsi : - être orientée et respecter le sens des attentes mutuelles, même si le contrat didactique est voué, tôt ou tard, à disparaître (Schubauer-Leoni, 2000) ; - tendre vers une révision, souvent à la baisse, du contrat initial, comme le montre, par exemple, l’étude de Loquet et al. (2002).

Pour Sensevy et al. (2000), la dévolution constitue un « processus qui accompagne, avec plus ou moins d’intensité, l’ensemble du travail didactique » (p. 271). La définition des conditions de réalisation de la tâche ne garantit pas son investissement par les élèves. Il est nécessaire que le professeur dévolue la situation, c’est-à-dire, qu’il fasse en sorte que les élèves acceptent et assument la responsabilité de la résolution du problème posé par le jeu : jouer pour résoudre le problème de son propre mouvement. Par rapport à la définition donnée par Brousseau (1989), soulignons que son utilisation dans la TACD est généralisée « sous conditions, à toute situation d’enseignement » (Sensevy et al., 2000, p. 271) et ne concerne donc pas uniquement les situations didactiques en classe.

La validation des stratégies localement élaborées par les élèves, qui concernent les connaissances qu’ils produisent dans le jeu, est indispensable à l’avancement du temps didactique. Cette validation (Brousseau, 1989) est considérée comme un acte d’institutionnalisation lorsqu’elle se généralise et fait référence à une réalité hors classe, porteuse de sa validation culturelle. Sensevy et al. (2000) avancent l’idée d’un « travail de production d’institution » (p. 271) dans lequel l’enseignant et les élèves s’instituent comme collectif de pensée comptable de leur production de savoir et ils s’autorisent à évaluer cette production, la classe. Instituer le dire, le vrai de l’institution/classe, participe à l’avancement du temps didactique tout en légitimant l’expérience par rapport aux références socialement constituées.

Ce quadruplet notionnel relevant des dimensions génériques de l’action enseignante est articulé avec un système de tâches et de techniques qui rendent compte, dans leur emboîtement, de la construction et de l’évolution du contrat didactique. Dans la TACD, enseigner c’est agir pour gérer un triplet de genèses (Sensevy et al., 2000) :

- La mésogenèse, renvoie au système connexe des objets (matériels, symboliques, langagiers) que l’enseignant et les élèves construisent, au sein de la relation didactique, dans la succession des transactions. Elle permet de rendre compte de l’« arrière-fond partagé » (Sensevy, 2006, p. 211), de la référence de l’action conjointe qui se construit au sein de la relation didactique. C’est ainsi que, disent Ligozat et Leutenegger (2008) « chaque objet de la mésogenèse est potentiellement un moyen de faire progresser le temps didactique en fonction

des rapports que les sujets établissent à celui-ci » (p. 329). Dans le cadre de notre travail de recherche, nous reprenons à notre compte la position de Schubauer-Leoni et al. (2007) lorsqu’elles considèrent la mésogenèse comme l’entrée première de la description et de l’analyse.

Elle (la mésogenèse) prend inévitablement appui sur le grand partage topogénétique entre le professeur et les élèves en érigeant l’enseignant en pourvoyeur d’un milieu initial potentiellement porteur du travail des élèves. En clair, l’asymétrie des places est consubstantielle à tout processus mésogénétique ; mais nous estimons que l’élève de l’action conjointe gagne à être abordée par la prise en compte de gestes et techniques de type mésogénétique (p. 58).

Les techniques mésogénétiques sont donc celles qui s’inscrivent dans la tâche de construction de la référence105. Le modèle en identifie plusieurs (Schubauer-Leoni et al., 2007, Ligozat, 2008, Ligozat & Leutenegger, 2008). Elles se déclinent, en correspondance avec la dynamique intrinsèquement conjointe des actants de la relation didactique, sous deux versants : (i) celui de l’enseignant, qui indique, prescrit, en prenant appui ou non sur la proposition d’un ou des élèves, (ii) celui de(s) élève(s), qui fait/font une proposition à partir ou non, d’une demande faite par l’enseignant :

Ces techniques concernent un processus en construction dont il est impossible, lorsqu’il s’agit de l’enseignement ordinaire, de considérer à l’avance la densité didactique (objets mathématiques, objets d’éducation physique, etc.). Ceci questionne, comme nous l’avons évoqué plus haut, l’utilisation dans la TACD de la notion de « milieu didactique » (Brousseau, 1989). La position de Ligozat et Leutenegger (2008), nous semble appropriée pour penser l’EP : une discipline scolaire organisée par un programme qui explicite faiblement la progression de l’enseignement et des apprentissages que les élèves doivent réaliser à chaque étape de leur scolarité.

La mésogenèse permet de caractériser avant tout le système d’objets et de tâches auquel les élèves ont affaire et de ne pas poser à priori l’existence d’un milieu mathématique (au sens de Brousseau, 1990) qui aurait des caractéristiques a-didactiques (système antagoniste à l’action de l’élève) de nature à porter des phases d’action, formulation et validation. L’étude de la mésogenèse permet au contraire de “ratisser plus large” en examinant des objets qui, au demeurant, n’ont pas, à première vue, de caractéristiques mathématiques, mais qui, néanmoins ont une fonction dans l’économie de la séance en classe et participent, de fait, à l’aménagement d’un milieu pour enseigner et apprendre (…) nous préférons réserver le terme de milieu au domaine de l’interprétation a posteriori, lorsque l’observation et l’analyse révèlent des configurations d’objets et de règles d’action, au sein de la mésogenèse, qui sont à même de permettre la reconstruction de certains enjeux mathématiques d’une situation pour l’élève (p. 330).

- La topogenèse a trait au partage des responsabilités des acteurs de la relation didactique en rapport avec le savoir en jeu. Si la mésogenèse rend compte des objets des transactions, elle ne permet pas d’identifier les auteurs qui les ont rendus présents ni ceux qui se chargent de les modifier ou de les transformer. C’est au niveau topogénétique que les places occupées par l’enseignant et les élèves peuvent être nommées, indices descriptifs du fonctionnement du contrat didactique. Schubauer-Leoni et Leutenegger (2002) soulignent que la distribution des positions est nécessairement évolutive puisque les objets culturels, à propos desquels enseignant et élèves interagissent, avancent au fil de l’action enseignante. Dans le cadre de notre recherche, c’est la topogenèse qui nous permettrait alors de mettre en évidence les

105 La notion de tâche utilisée dans la TACD ne renvoie pas à des tâches telles qu’elles sont identifiées communément. Par exemple, répondre au courrier, préparer un cours. « On peut décrire le travail du professeur en identifiant des manières de faire (techniques) qu’on mettra en correspondance avec des descriptions plus larges, elles-mêmes considérées comme des tâches, dans la grammaire de l’action : mais ces tâches n’auront pas, la plupart du temps, la légitimité culturelle des tâches reconnues par l’institution » (Sensevy et al., 2000, p. 273).

postures enseignantes en EP. Par exemple, celles ostensives, très récurrentes lors des dispositifs de travail en sous-groupes (montrer le geste à faire) ou la posture en retrait, que les enseignants adoptent lors de phases d’action des élèves (exemple, un match de basketball)106. Les techniques topogénétiques sont rattachées à la tâche de gestion des territoires au sein du jeu didactique. Dans ce dernier, l’objet de la transaction est toujours porté par au moins une des deux autres instances du système. Les places qu’occupent l’enseignant et le/les élèves sont à rattacher, pour comprendre l’agir des actants, à la réalité mésogénétique à laquelle ils font référence.

- La chronogenèse rend compte de la relation du nouveau avec l’ancien, de l’évolution des savoirs au fil des transactions. Celles-ci se caractérisent, d’un point de vue temporel, par un temps qui concerne plutôt l’enseignant (le temps d’enseignement) et un autre qui est celui de l’élève (le temps d’apprentissage). La chronogenèse est ainsi la « dynamique des objets sur lesquels le professeur s’appuie pour faire évoluer son projet d’enseignement et le temps didactique » (Ligozat & Leutenegger, 2008, p. 330). Elle est donc portée principalement par l’action de l’enseignant, même si des élèves « chronogènes » (Boivin, 2007 ; Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002) peuvent aussi y participer. Les techniques chronogénétiques se rattachent à la tâche de gestion des temporalités.

Le jeu didactique implique donc trois tâches principales (l’avancée de la chronogenèse, la répartition des places et le rapport des actants aux objets) qui, par leur entremêlement dans l’action effective, sont rendues difficile à séparer. Les techniques mésogénétiques supposent, par exemple, la nécessité de les articuler, avec les techniques topogénétiques ou chronogénétiques (Sensevy et al., 2000). On voit là un défi posé aux chercheurs s’intéressant à la TACD, l’identification d’autres tâches faisant partie de l’action enseignante ainsi que la description de plus en plus fine des techniques, ses frontières et ses zones de connexion.

3. L’approche comparatiste en didactique : étude du spécifique et du

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