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Construction méthodologique : l’étude des systèmes interconnectés

3. Le contexte institutionnel et le choix du contenu d’enseignement

Notre recherche a été réalisée dans deux écoles publiques du canton de Genève. Nous avons choisi d’étudier, dans ces contextes, l’action didactique de deux dyades d’enseignants (MG et MS) exerçant en Division Moyenne (5-6P) et cela lors de la programmation et de la mise en place intégrale des cycles d’enseignement en basketball.

Le choix de cette pratique sportive ainsi que celui de l’âge des élèves observés (fin de leur parcours à l’école primaire) n’est pas fortuit et mérite quelques explications.

Pour choisir le contenu d’enseignement, nous avons tenté de prendre en considération la familiarité plus ou moins grande qu’entretiennent les MG avec les différents contenus disciplinaires128. Ceci nous paraissait essentiel afin de faciliter, en particulier, l’engagement de ces enseignants à notre démarche. Nous avons ainsi laissé de côté l’enseignement de certains contenus pouvant demander un trop grand investissement de leur part et des connaissances non construites ou non stabilisées. En demandant aux généralistes de traiter, par exemple, la gymnastique aux agrès ou le saut en hauteur en athlétisme, la perturbation aurait été trop importante et aurait remis en question l’observation des situations ordinaires en classe (un trop grand éloignement par rapport à ce qu’ils font habituellement).

Nous avons opté par la programmation du basketball. C’est un des jeux sportifs proposés par le Manuel fédéral pour la période allant de la 4ème à la 6ème primaire et il est souvent abordé par les maîtres non spécialistes. En ce qui concerne le choix du cycle moyen, il découle du point

128 En reprenant la position d’Elanfoulsi (2011) concernant l’expertise des enseignants, nous partions de l’idée que, indépendamment de la pratique sportive, les MS occupent le rôle d’expert vis-à-vis de leurs collègues généralistes et qu’ils accepteraient de mettre en place l’objet d’enseignement que nous leur proposerions.

précédent. C’est à partir de la 4ème primaire que les jeux collectifs sportifs apparaissent dans les manuels de référence, ce qui a guidé le choix des grands degrés.

Les observations régulières que nous effectuons dans les écoles ainsi que les échanges que nous avons avec les maîtres généralistes montrent que ces derniers ont des degrés de connaissance et d’intérêt inégaux selon les pratiques corporelles programmées. Pour eux, la formation initiale est perçue comme trop courte et pas suffisamment approfondie pour les préparer à assumer tous les contenus disciplinaires. La fonction même qu’ils occupent au sein de l’école les amène d’ailleurs à investir davantage les disciplines dites « principales » (français, mathématiques…) et à s’appuyer sur les spécialistes lorsqu’il est question de l’enseignement de l’éducation physique.

3.1. Les enseignants volontaires et le contrat de recherche

Trouver des enseignants qui soient d’accord de participer à une recherche comme celle que nous avons mise en place n’est pas une tâche aisée. Si les entretiens sont souvent considérés comme une méthode peu intrusive (la personne considère qu’elle a toujours la possibilité de

« contrôler » le contenu de son discours), il en va autrement lorsqu’il est question d’être observé et filmé en situation d’enseignement.

Dans ces cas, le regard extérieur s’impose et est omniprésent (l’est-il davantage en EP ?), et cela malgré toutes les précautions d’usage que peut respecter le chercheur : l’observateur voit ce que j’enseigne « effectivement », il voit comment je procède avec les élèves, et cela dans des situations si diverses et souvent inattendues qu’il est difficile de tout prévoir et de tout contrôler… et il me voit à travers mes actes (attitudes, comportements, etc.), il voit ce que je suis en tant que personne. Si la distance entre l’observation/regard de l’autre et le jugement est objectivable, l’écart est, en même temps, vite franchi. Ce passage tient aux attitudes de l’un, mais aussi aux ressentis de l’autre.

Lorsque je suis observé, lorsque je « m’expose » (corps, attitudes) à l’autre, la distinction entre ma dimension d’enseignant (le fonctionnaire) et celle de ma personne est souvent illusoire. Il n’est donc pas étonnant et inattendu que la situation de recherche mobilise fortement la dimension psycho affective de celui qui est observé (ex. : estime et confiance en soi). Ces aspects nous ont semblé devoir être pris en considération dans le contrat de recherche sous peine d’observer des pratiques stéréotypées et des enseignants sur la défensive.

Comme tout organisme cherche à maintenir son homéostasie (ici, psycho affective), il revient au chercheur d’assurer les conditions nécessaires pour que l’effort de l’observé soit le moindre possible.

3.1.1. Le choix des enseignants

Comme nous l’avons vu, dans le canton de Genève, l’EP est sous la responsabilité des MG et des MS, ce qui implique l’organisation de l’enseignement en alternance. Toutefois, s’il est question de co-responsabilité des leçons d’éducation physique, c’est le spécialiste qui se charge de la programmation de la discipline et qui se déplace, de classe en classe (et d’école en école) pour assurer les séances et accompagner ses collègues généralistes.

Pour trouver les dyades d’enseignants volontaires, nous avons procédé de la manière suivante.

Comme il y a, en général, un spécialiste par école, et que ce dernier travaille avec l’ensemble des généralistes, il nous a paru logique de chercher tout d’abord l’accord des spécialistes de la

discipline. Pour cela, nous avons contacté le Service de l’Education physique du Canton de Genève afin d’avoir la liste des enseignants, liste que nous avons réduite grâce aux indications données par un des responsables (désignation des personnes susceptibles d’être intéressées).

Par ce biais, nous avons contacté et trouvé assez rapidement deux enseignants qui étaient d’accord de participer à la recherche129.

Ensuite, nous avons demandé aux spécialistes volontaires de nous signaler les collègues qui seraient susceptibles, selon eux, d’accepter d’être interviewés et filmés. A notre grand étonnement, les deux généralistes qu’ils nous ont proposés ont donné tout de suite leur accord.

Comme cela a été le cas pour les MS, la décision des enseignants a été prise à la suite d’un entretien durant lequel nous avons exposé l’objet de notre recherche et ce que nous attendions de leur part (ces entretiens ont joué aussi un rôle important dans la mise en place d’une relation de confiance entre le chercheur et chaque maître).

Par rapport au contrat de recherche discuté verbalement et individuellement avec chaque enseignant, celui-ci stipulait qu’il acceptait : (i) d’être interviewé individuellement avant le cycle d’enseignement, (ii) d’être filmé et cela pour l’ensemble des leçons qu’il programmerait, (iii) de participer, une fois fini le cycle, à un entretien où les deux membres de la dyade et le chercheur seraient présents, (iiii) de se réunir après chaque séance pour faire des bilans et échanger sur le travail effectué ou à réaliser avec les élèves (composante expérimentale pour la dyade 1). Pour notre part, nous nous engagions à respecter les principes déontologiques qui régissent les recherches en sciences humaines, entre autres la confidentialité et la non divulgation du matériel recueilli sans l’accord préalable des intéressés.

Tableau 1 : Récapitulatif des caractéristiques des enseignants observés

Si l’on résume, les enseignants qui ont participé à cette recherche ont été choisis à partir de plusieurs critères : (i) occuper la fonction de généraliste ou celle de spécialiste, (ii) travailler (pour la composition de la dyade) dans la même école et avec les même élèves, (iii) avoir la responsabilité de l’enseignement de l’EP dans une classe de division moyenne, (iiii) accepter

129 Si le chercheur avait croisé ces spécialistes lors des réunions du secteur d’éducation physique, il ne les connaissait pas

« personnellement ». Cet aspect nous a paru important pour le déroulement de la recherche.

de mener un cycle de basketball (dimension expérimentale des protocoles pour les 2 dyades), (iiiii) de participer intégralement aux différentes étapes de la recherche.

3.2. Le cycle d’enseignement et les leçons

La littérature en éducation physique, en particulier les travaux en didactique, montre que la longueur des cycles et le temps effectif d’activité des élèves constituent des paramètres centraux dans les apprentissages des élèves. Il est conseillé des cycles longs qui comprennent entre 10 et 15 séances (Marsenach, 1991).

Sachant que les cycles d’enseignement programmés habituellement par les maîtres à Genève comportent le plus souvent au maximum 5/6 séances, la demande de doubler leurs interventions aurait constitué, nous semble-t-il, un bouleversement trop important de leur pratique, contraire à nos intentions de recherche. Si l’on se réfère, par exemple, aux recherches réalisées en France portant sur des cycles d’enseignement en EP, nous constatons qu’elles sont nombreuses et qu’elles se réalisent depuis plusieurs années. En Suisse, notre travail constitue, à notre connaissance, la première tentative d’étude didactique de cycles complets en EP. Nous tenions donc à saisir les pratiques enseignantes au plus près des habitudes, tout en sachant que le nombre des leçons programmé risquait de mettre en évidence une faible progression des apprentissages chez les élèves.

Il en va de même pour la longueur des leçons et l’alternance entre les leçons des MS et des MG. Notre choix a été de laisser une complète liberté aux enseignants dans l’occupation des périodes scolaires. C’est ainsi que, par exemple, la MG de la Dyade 1 décidera de rester davantage de temps dans la salle et de dépasser les 45’ stipulées par l’institution scolaire130 et la Dyade 2 de faire 5 et non 6 leçons (contrairement à la Dyade 1). Concernant le « passage de témoin », et comme nous le montrerons plus loin, les dyades n’ont pas non plus fonctionné d’égale manière, puisque nous avons demandé à la Dyade 1 d’introduire des « moments d’échanges » MG-MS (composante expérimentale de la Dyade 1).

3.3. Les contraintes institutionnelles

L’organisation de l’EP à Genève est régie à la fois par des directives fédérales (ex. : Ordonnance concernant l’encouragement de la gymnastique et des sport, 1987), cantonales (DIP, 2000) et linguistiques (PER, 2010). Dans notre réflexion et notre construction méthodologique, il nous semble important de prendre en considération les répercussions que ces prescriptions et usages sont susceptibles d’avoir sur le fonctionnement de la discipline et des acteurs. Parmi elles, nous en soulignons quatre :

(i) La manière dont l’éducation physique est organisée fait que les contenus d’enseignement sont agencés, dans la programmation annuelle, en cycles bien distincts.

Contrairement à d’autres disciplines scolaires où le même contenu peut apparaître à plusieurs reprises durant l’année scolaire et dans lesquelles la longueur du cycle et le nombre des séances est parfois incertain (voir par exemple la recherche menée par Ligozat, 2008), les

130 Ceci nous paraît montrer que les MG et les MS ont des marges de manœuvre différentes par rapport aux contraintes institutionnelles. Dans le cas de cette MG, elle a choisi de prendre un peu de temps de la récréation, tout en sachant qu’elle ne piétinait pas sur le travail d’un autre maître puisque c’est elle-même qui retrouvait les élèves en salle classe.

cycles en EP sont délimités très clairement dans le temps131. La longueur du cycle ainsi que le nombre de leçons ne dépendent dès lors pas de l’évaluation réalisée par l’enseignant entre ce qu’il avait planifié et ce qu’il est arrivé effectivement à faire ou sur ce que l’élève a ou non appris. C’est la contrainte temporelle propre à l’agencement des cycles qui marque son début et sa fin. Observer un « cycle d’enseignement en basketball », c’est alors observer toute la longueur du cycle programmé.

(ii) En lien avec cette nécessité, soulignons que le Manuel fédéral 1 stipule que le cycle en EP devrait s’organiser en suivant trois grandes phases (voir le « modèle didactique » présenté au chapitre 6) : 1) la première concerne la situation de référence, qui implique un dispositif d’évaluation diagnostique des élèves et des moments d’échange, 2) des séances où sont agencées des situations d’apprentissage et durant lesquelles l’enseignant évalue formativement les élèves, 3) une dernière phase consacrée à l’évaluation finale des

« compétences acquises » (ibid., p. 102). Pour comprendre l’action didactique de l’enseignant et la dynamique intra-dyade, il est donc essentiel d’observer et de filmer ces trois phases (comme nous le verrons, la première phase n’est programmée par aucune des deux dyades).

(iii) Un autre élément à souligner concerne le dispositif institutionnel qui régit le travail des enseignants. A Genève, l’avancement chronologique du temps didactique est sous la responsabilité des MG et des MS qui se chargent de dispenser, en alternance, les leçons d’EP.

Comprendre l’action conjointe enseignant-élèves in situ demande, comme nous l’avons dit déjà plus haut, de prendre en considération les trois systèmes : deux d’enseignement (chaque maître – MG et MS, avec leurs élèves) et un d’aide ou de formation (le travail conjoint MG-MS). Pour cela, il est nécessaire de trouver non seulement des méthodes permettant de récolter les données, mais également des échelles d’analyse rendant visibles aussi bien les phénomènes intra-systèmes que les rapports qu’entretiennent les systèmes entre eux.

(iiii) L’analyse de l’action de l’enseignant demande aussi à prendre en considération l’agencement des différentes parties du dispositif type qui structure les leçons d’éducation physique. Trois d’entre elles sont considérées comme emblématiques : l’échauffement, la partie principale et le retour au calme. En ce que nous concerne, les contenus en lien avec le basketball pouvaient être « concentrés » dans la partie principale de la séance ou apparaître aussi dans les deux autres. Ceci demandait d’inclure, dans notre description et dans notre analyse, des données pouvant provenir des moments de la séance bien distincts (à titre d’exemple, le moment de discussion à la fin des leçons est souvent utilisé par les enseignants pour faire un bilan de la séance et pour instituer certains contenus).

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