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Une étude centrée sur le fonctionnement de systèmes didactiques interconnectés

1. Transposition didactique et construction de la référence

1.2. La question de la référence concernant l’enseignement

Ce qui différencie principalement un système didactique d’un système qui ne le serait pas, est la présence de savoirs à enseigner/apprendre, qui constituent le motif de l’interaction qu’entretiennent ses acteurs. En même temps, eu égard aux processus de transposition, d’une part ce motif constitue davantage un horizon d’attentes qu’une présence immédiate et, d’autre part, il est soumis à des dynamiques de re-construction externes (les curriculums et programmes) et internes (les planifications et mises en œuvre en classe) qui reconfigurent les savoirs en jeux et leurs rapports écologiques aux différents environnements dans lesquels ils fonctionnent (Chevallard, 1994).

C’est par rapport à ces processus dynamiques de transposition interne des savoirs disciplinaires que notre travail entend contribuer à partir de l’étude d’un contexte particulier dans lequel l’intervention de deux types d’enseignants peut, a priori, constituer une variable influant de manière particulière sur la manière dont des savoirs en EP sont re-construits à travers les pratiques de classe.

75 Voir, à titre d’exemple, l’importance qu’a pris, depuis plus de 20 ans, la question de la professionnalisation du métier d’enseignant : le « modèle à compétence minimale » versus « modèle à professionnalisme ouvert » de Vonk (1992, cité par Perrenoud, 1993) ou la tension entre la prolétarisation ou professionnalisation du métier proposée par Perrenoud (1993).

D’un point de vue théorique, ce sont les processus de « construction de la référence » (Schubauer-Leoni, 2008) qui seront particulièrement ciblés dans cette recherche dans la mesure où ils rendent compte de cette dimension de la transposition didactique qui est liée aux processus émergents faisant vivre et évoluer les disciplines scolaires. En effet, dans une perspective anthropologique qui prend en compte l’écologie didactique des savoirs, l’étude des déterminants socio-institutionnels de l’action enseignante doit aussi prendre en compte leur re-construction dans l’action. Même si la référence se veut toujours construite par rapport à des pratiques de savoirs cristallisées et légitimées socialement, la manière dont celles-ci sont convoquées et déployées en classe aura des effets majeurs en termes de cohérence et de pertinence relativement au projet scolaire de développement des élèves.

Or, en ce qui concerne les systèmes didactiques que nous investiguons dans notre recherche, il ressort qu’ils sont extrêmement contrastés du point de vue des enseignants qui en assurent le pilotage et dont on a vu, dans le chapitre 1, que la formation, le statut institutionnel et les modalités de répartition des responsabilités dans l’enseignement conjoint sont susceptibles de créer des conditions d’interventions didactiques très différentes.

Ainsi, d’une part, nous avons mis en évidence que les généralistes et les spécialistes chargés de l’EP à l’école primaire dans le canton de Genève ont suivi des formations différentes et occupent des fonctions et des rôles distincts au sein de l’école. Nous pouvons dès lors nous demander dans quelle mesure la référence construite dans chaque sous-système didactique (SDMS et SDMG) est effectivement la même, ceci notamment dans le cas d’un fonctionnement MG-MS sous forme de « partenariat » (Devos-Prieur, 2006) et ceci malgré les précautions institutionnelles dont nous avons rendu compte ci-dessus (réunions collectives et individuelles, planifications). Autrement dit, et selon les déterminants de l’action des enseignants, que nous appelons les référents, nous nous demandons dans quelle mesure les

« histoires didactiques » (Schubauer-Leoni, 2006) co-construites en classe sont communes et de quelles manières elles sont articulées dans les deux systèmes didactiques.

Une telle interrogation met en lumière l’interdépendance de trois niveaux de construction

« d’objets » d’enseignement :

(i) La référence sociale, qui se manifeste à travers les lois, le fonctionnement sociétal, les valeurs et les savoirs véhiculés, les pratiques courantes ou confinées, etc. Ici, le « référent » se rapporte à une construction collective, partagée et reconnue par un ensemble d’individus, et à laquelle l’on peut accoler l’attribut « d’œuvre » en tant que construit historico-culturel. C’est le cas des pratiques physiques que l’on peu appréhender, par exemple, dans les clubs, dans les espaces de jeu ou dans les manifestations sportives, et qui renvoient au concept de Pratiques sociales de référence tel que développé par Martinand (1989). Nous y reviendrons dans une des sections suivantes.

(ii) La référence scolaire, celle qui prend forme dans les programmes, les manuels ou les directives qui régissent l’école. Dans l’enseignement de l’éducation physique en Suisse, il s’agit principalement des Manuels fédéraux destinés aux MG et aux MS.

(iii) La référence in situ, celle qui se construit en classe, lors des interactions enseignant-élèves au sein des dispositifs d’enseignement.

La relation attendue/souhaitée/possible entre ces différents lieux de réalité (ex. : sens à donner à ce qui est fait/appris en classe par rapport à son utilité sociale) questionne la nature des

objets dont ils sont porteurs (par exemple, certains didacticiens se demandent si, en EP, on enseigne des savoirs ou des pratiques), mais aussi la manière dont ils se déterminent.

Schubauer-Leoni (2008a) affirme que

…sans poser la question de la genèse socio-historique et institutionnelle des œuvres, et donc des pratiques sociales et culturelles qu’elles comportent, on ne peut ni penser une genèse “artificielle” à travers laquelle des élèves pourraient redécouvrir des éléments essentiels des œuvres, ni comprendre ce qui se passe et se joue dans le didactique ordinaire. Dans une classe “quelconque”, il s’agit en effet d’élucider, à partir des systèmes de tâches proposés aux élèves, dans quelles pratiques scolaires effectives ils sont engagés, avec quels effets sur le plan des connaissances et avec quel lien de légitimité à l’égard des pratiques de référence » (p. 132).

D’après Schubauer-Leoni et Leutenegger (2005), l’étude des processus transpositifs peut alors emprunter une perspective « descendante », lorsqu’elle s’intéresse à l’adaptation que subissent les référents sociaux qui ont été choisis pour être enseignés à l’école, ou une perspective « ascendante ». Cette dernière impliquerait, dans un premier temps, la description et compréhension de la référence construite en classe et, dans un deuxième temps, ses rapports avec les référents que la référence in situ convoque. Pour appréhender cette dernière, les même auteures disent que l’investigation des phénomènes transpositifs ne peut être ni (que) dans les savoirs, ni (que) dans les sujets – enseignant et apprenants – mais dans leur action conjointe.

Autrement dit, le curriculum de telle ou telle discipline expliciterait alors ce qui serait nécessaire de faire acquérir aux élèves afin qu’ils puissent s’approprier les outils nécessaires à leur vie en société. Cela veut dire que, au sein de chaque classe et au détour de chaque discipline et leçon, ce qui est travaillé est porteur, lors de son intériorisation par l’élève, de ses usages sociaux. En ce sens, « toute situation d’enseignement est l’occasion de donner vie à des pratiques de savoir en référence à des pratiques socio-historiquement cristallisée en activités. Le processus d’enseignement est dès lors censé recréer certaines conditions à même de permettre l’émergence d’expériences jugées compatibles avec les pratiques de références qui sont à l’œuvre dans la culture humaine » (Schubauer-Leoni et al., 2007, p. 53). Ceci constitue la problématique de la transposition didactique entre le système éducatif scolaire et la société telle que Chevallard (1988) la met en évidence.

Ce processus d’adéquation attendu/souhaité ne semble pas, pour autant, aller de soi. Chervel (1988), dans ses travaux portant sur le français à l’école, se demande, par exemple, si la culture scolaire est celle que l’on acquiert à l’école ou celle que l’on n’acquiert qu’à l’école.

En filigrane, il met en discussion l’existence des apprentissages qui auraient une fonction à usage uniquement scolaire ou, au contraire, des apprentissages dont la fonction serait plus large et en lien direct avec un usage futur, hors école.

Dans quelle mesure les apprentissages réalisés en classe par tel groupe-classe vont permettre aux élèves d’accéder aux pratiques sportives telles qu’elles fonctionnent en dehors du cadre scolaire, aussi bien en tant que joueur que spectateur averti ? Autrement dit, est-ce que ce qui est construit en classe a-t-il une valeur de référence locale (Schubauer-Leoni, 2008) ou constitue-t-il une référence plus générale davantage en accord avec les attentes/nécessités/fonctionnement de la société ?

Adossée aux questions sur la nature des référents mobilisés par les enseignants, c’est la démarche d’étude de la transposition didactique interne qui est discutée. En effet, en nous plaçant délibérément dans une démarche d’étude ascendante de la transposition didactique, c’est-à-dire dans la manière dont les contenus émergent dans les transactions didactiques in

situ au regard de l’épistémologie des savoirs légitimés par l’institution, nous avons décidé de nous inscrire dans la perspective de l’Action Conjointe en Didactique, que nous discuterons aussi plus loin.

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