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Notre travail de thèse vise à investiguer et à comprendre, dans le contexte de l’éducation physique à l’école primaire genevoise, l’enseignement en alternance et en co-responsabilité des maîtres généralistes et spécialistes qui s’en chargent. Ceci à l’aune de la construction didactique de la référence (Amade-Escot, 2007, Ligozat & Leutenegger, 2008, Schubauer-Leoni, 2008) dans l’action conjointe enseignant-élèves (Sensevy & Mercier, 2007) en rapport avec un objet culturel bien précis : le basketball.

Conformément à la réflexion menée en termes de systèmes dans le chapitre 2, nous considérons le contexte d’enseignement de l’EP à Genève comme un système complexe de relations entre les différents acteurs.

Figure 1 : Articulation des systèmes didactiques

Nous nous intéresserons au fonctionnement de ce partenariat scolaire particulier qui est le

« système dyade » et à l’articulation des systèmes didactiques qui le composent : le système didactique MG (SDMG) et le système didactique MS (SDMS), systèmes qui partagent le même objet d’enseignement et s’adressent aux mêmes élèves. Comme le montre la figure 1, les enseignants de la dyade interagissent en présence des élèves, lorsque le MS donne la leçon (la MG observe/participe), mais aussi sans la présence des élèves. Ceci a lieu au moment où ces derniers sont aux vestiaires ainsi qu’au cours des réunions d’école consacrées au travail collectif.

Un tel projet demande à investiguer les déterminants de l’action enseignante au cœur des processus transpositifs qui se construisent par rapport à des pratiques de référence dans lesquelles des savoirs sont historiquement et culturellement cristallisés. Au regard de ce qui a été dit dans la première partie de ce travail, le basketball scolaire actuel résulte de la transposition d’une pratique culturelle variée dont il est nécessaire d’interroger les processus à l’œuvre. En effet, au niveau de la transposition didactique externe, la noosphère a opéré des choix et des transformations qui se cristallisent dans les Manuels fédéraux. Pour comprendre l’action des enseignants aux prises avec la réalité de la classe, l’étude détaillée de manuels est essentielle, ce que nous réalisons dans le chapitre 6.

Cependant, comme le soulignent les chercheurs s’inscrivant dans une perspective anthropologique du didactique (Sensevy, 1998), mettre au jour les phénomènes transpositifs suppose aussi d’analyser les pratiques telles qu’elles se donnent à voir, selon une démarche ascendante (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2005). Dans cet ordre d’idée, comme nous le soulignons dans le chapitre 3, de nombreuses recherches montrent que les processus institutionnels font partie des déterminants de l’action enseignante, mais également que ceux-ci sont dynamiques et évoluent aussi selon la contingence de la classe. Ils peuvent être saisi à partir de l’étude de la transposition didactique interne (Chevallard, 1985/1991).

En conséquence, outre l’étude de la transposition externe des objets culturels, notre projet de recherche privilégie l’étude de la transposition didactique interne, pour rendre compte de ce que les enseignants font des objets d’enseignement dans leurs pratiques effectives. C’est bien une perspective d’analyse ascendante des phénomènes didactiques qui guide le regard posé sur la classe et sur la transformation de savoirs mis à l’étude.

Nous faisons l’hypothèse, à la suite de Devos-Prieur (2006), que l’inscription institutionnelle première des enseignants (notamment, leur formation en tant que MG ou MS) implique la mobilisation de référentiels professionnels contrastés. Ils entretiennent des rapports différenciés aux objets et pratiques socioculturelles de référence de l’activité didactique, qu’ils sont amenés à conduire en coopération. Le cadre théorique présenté plus haut montre également que ce contraste est à son tour déterminé par les processus de transposition propres à l’évolution de la discipline et de sa « forme scolaire » (Thévenaz, 2005), ce qui joue un rôle central dans les choix didactiques de planification des objets à enseigner et de gestion des situations effectives.

Concernant les référentiels professionnels contrastés, trois dimensions peuvent être soulignées.

Une première dimension qui peut être relevée est celle de la formation initiale. Nous avons vu que les MS suivent un parcours de formation plus long, ce qui leur permet d’avoir une connaissance des objets d’enseignement plus aboutie. Cependant, au regard de la complexité qui couvre la discipline, les spécialistes ne peuvent pas pour autant avoir la même expertise dans l’ensemble des domaines d’activité et par rapport à la multiplicité des genres de pratique.

Si la formation initiale des MS vise à qu’ils soient experts de la discipline, le rapport aux objets d’enseignement et à leur traitement didactique peut être cependant plus ou moins distancé (par exemple, un ancien basketteur peut se considérer expert en jeux collectifs et penser qu’il l’est moins en natation ou en gymnastique au sol).

Concernant les MG, qu’ils aient suivis les anciennes études pédagogiques ou la formation LME, la part du programme consacrée à la didactique de l’éducation physique reste moins

importante si on la compare à celle des MS. Le contenu de la formation est moins technique et moins axé sur la maîtrise personnelle des objets disciplinaires (par exemple, peu ou pas de place accordée dans le cursus de formation pour apprendre à jouer au volley-ball ou pour arriver à mieux danser). Chez les généralistes, la discipline éducation physique est souvent perçue selon une dimension « utilitaire » et « adisciplinaire » : équilibrage du temps scolaire, faire autre chose qu’apprendre en salle de classe, se défouler, un moment de « plaisir », etc.

(Cordoba, 2002). Le rapport à la discipline est plutôt « instrumental », conduisant à l’appropriation des outils qui fonctionnent (par exemple un jeu) et ayant peu besoin de connaître les enjeux en termes de contenus. Ce qui prévaut c’est la dimension « être en activité » et moins celle des apprentissages. Chez les étudiants en formation111, la perception qu’ils ont de l’EP renvoie assez fortement aux pratiques vécues en tant qu’écoliers. S’ils ont choisi de devenir des maîtres polyvalents, l’enseignement de l’EP apparaît comme secondaire par rapport aux disciplines scolaires dites « principales » (mathématiques, français). Les étudiants sont très nombreux à dire qu’ils découvrent que l’éducation physique poursuit aussi des objectifs en lien à des apprentissages pouvant être évalués et contribuant au développement des élèves.

Nous pouvons dire que les deux formations initiales préparent les maîtres généralistes et spécialistes à l’enseignement de l’éducation physique, mais pas de la même manière. Le profil des étudiants et le rapport à la discipline et aux savoirs disciplinaires, diffèrent également. Ces considérations peuvent constituer des points d’achoppement à la mise en place concertée et à la gestion partagée de la progression de l’enseignement et à celle des apprentissages chez les élèves.

La deuxième dimension relève du contraste en rapport avec les fonctions institutionnelles des deux enseignants. Comme nous l’avons développé au chapitre 1, les rôles et les responsabilités des MS et des MG au sein de l’école se distinguent sur plusieurs aspects.

Tandis que le maître généraliste assume le suivi des élèves pour l’ensemble des disciplines, se charge de leur évaluation, est la personne de référence vis-à-vis des parents ainsi que l’interlocuteur principal des responsables et collègues en ce qui concerne le groupe classe, le spécialiste intervient ponctuellement. Si la place qu’occupe ce dernier le conduit à construire une pratique professionnelle très marquée par la logique disciplinaire, en ce qui concerne l’enseignement de l’EP, le MG est plus ancré dans une logique d’instruction au sens large. Ce qui pose la question de la/des référence/s construite/s en classe durant le cycle d’enseignement.

Enfin, la troisième dimension a trait aux rapports statutaires des maîtres qui composent la dyade. Comme nous l’avons mis en évidence précédemment, l’institution scolaire (DEP, 2005) crée un rapport hiérarchique entre les enseignants en attribuant au MS le rôle de

« méthodologue » (p. 2). Si le MG est le garant du fonctionnement de la classe, en ce qui concerne l’EP il est tenu non seulement de partager la responsabilité de l’enseignement de cette discipline, mais aussi de s’inscrire dans la programmation du spécialiste.

Du point de vue des savoirs disciplinaires, tels qu’ils apparaissent dans les textes officiels, le MS semblerait dans un rapport d’une plus ample expertise, institutionnellement reconnue à travers le rôle de méthodologue. Eu égard aux points énoncés plus haut, mais également à la

111 Nous faisons référence ici aux constats réalisés depuis 1997 avec les étudiants des différentes volées du cours « Didactique de l’éducation physique » (FPSE – Genève).

répartition des différentes responsabilités entre des apprentissages disciplinaires (MS) et de ceux concernant l’ensemble de la vie scolaire (MG), l’on peut émettre l’hypothèse que ce rapport hiérarchique peut générer des tensions entre les deux catégories d’enseignants.

Dans le cadre de la pratique effective, et dans un contexte institutionnel comme celui de Genève, où les deux catégories de maîtres sont amenées à conduire ensemble, en co-responsabilité et en alternance, des cycles d’enseignement, nous nous demandons quels sont les effets de ces contrastes dans la construction des objets effectivement enseignés ?

En partant de l’idée que les référentiels et les contraintes institutionnelles des maîtres spécialistes et généralistes sont différents, nous pouvons faire aussi l’hypothèse que les transpositions internes risquent d’être également marquées par ces différences. Ce qui constitue, du point de vue didactique, de possibles sources de tension que ce soit au regard des contenus d’enseignement du cycle, de sa programmation, mais aussi des milieux pour l’étude et de la manière de les faire évoluer dans le temps.

Questions de recherche

L’ambition principale de cette recherche est de décrire, de comprendre et de rendre intelligibles les processus de transposition didactique tels qu’ils sont à l’œuvre au sein des deux systèmes didactiques interconnectés. Ceci dans une perspective d’articulation de l’étude descendante de la transposition externe avec celle ascendante qui émerge de leur fonctionnement effectif (transposition interne).

Comme nous l’avons mis en évidence dans le chapitre 3, la perspective descendante dans l’étude des processus transpositifs rend compte, certes, d’une importante série d’éléments qui agissent sur l’action enseignante. Cependant, il y a également une partie « émergente » des pratiques effectives (Schubaueur-Leoni & Leutenegger, 2005) qu’il est nécessaire de prendre en considération pour pouvoir rendre compte de la manière dont les enseignants assument, interprètent et modifient les déterminants socio-institutionnels dans leur agir professionnel. En ce sens, les travaux réalisés dans la perspective de la TACD montrent que les objets effectivement enseignés sont des bons descripteurs pour l’étude des processus transpositifs et des multiples enjeux de l’EP comme discipline scolaire.

Parallèlement à ce projet, et considérant les directives institutionnelles, le regard est aussi posé sur le système d’aide ou de formation112 prévu par le fonctionnement de l’EP à Genève, raison pour laquelle nous avons mis en place un protocole de recherche expérimental pour l’une des dyades participant à notre étude. Nous y reviendrons précisément dans notre chapitre méthodologique.

Nous serons alors amené à traiter deux dimensions :

(i) L’une concerne la pratique effective des enseignants qui participent à la recherche. Nos interrogations portent, d’une part, sur le système didactique enseignant–élèves–basketball, d’autre part, sur les relations qu’entretiennent les deux systèmes didactiques au sein du dispositif institutionnel (SDMG – SDMS).

Ces deux systèmes didactiques sont reliés par un dispositif de collaboration pensé par

112 Le rôle de méthodologue que l’institution scolaire demande de jouer au MS s’organise selon des injonctions qui peuvent renvoyer à une relation d’aide ou de formation. Dans l’état actuel de notre étude, la manière de nommer la relation qu’entretien le MS avec le MG reste, pour le moment, provisoire.

l’institution. Durant le cycle d’enseignement, cette dernière prévoit l’espace/temps de la leçon donnée par le spécialiste comme le principal lieu d’échange entre le MG et le MS. Il revient alors aux maîtres de trouver leurs modalités de discussion, ce qui s’actualise par des formes de communication et de collaboration variables selon les dyades.

Pour cette raison, nous avons proposé à l’une des dyades observées, un dispositif expérimental qui donne forme à cette collaboration (l’organisation de « moments d’échange » après chaque leçon), ce qui devrait nous permettre de mieux saisir la manière dont les enseignants s’organisent pour mener à deux un même cycle d’enseignement. Ce dispositif permet d’accéder à la manière dont le système d’aide (méthodologue) influence les modalités de connexité didactique des systèmes.

Dans l’optique d’une « clinique des systèmes didactiques » (Leutegegger, 2009) adoptée dans ce travail, la description ascendante des processus d’articulation de l’action du MS et du MG (Cf. figure 1) passe aussi par une analyse de demandes et attentes institutionnelles.

(ii) Pour traiter de cette deuxième dimension, qui concerne les prescriptions institutionnelles de l’EP en tant que discipline scolaire à l’école primaire dans le canton de Genève, nous tenterons de décrire et d’identifier, dans l’étude du curriculum de formation des enseignants (formation des spécialistes en EP et des généralistes), dans le cadre institutionnel (lois, directives…) et curriculaire de l’école (finalités, objectifs, manuels…) quels sont les déterminants potentiels ou probables de l’action des enseignants. Nous en ajoutons les diverses formes et conceptions qui sont rattachées à l’objet d’enseignement basketball.

Les deux dimensions que nous venons d’évoquer pourraient à certains égards être comprises comme enchâssées l’une dans l’autre, la démarche d’analyse consistant alors à pousser un peu plus loin, avec l’analyse de la sphère interne à l’activité en classe (1ère dimension), la focale d’une analyse descendante qui démarrerait dans la sphère des déterminants socio-institutionnels (2ème dimension). Mais, comme nous l’avons souligné dans le chapitre 3, le propre de l’analyse ascendante, telle qu’abordée dans les démarches cliniques en didactique, ne vise pas à constater et à vérifier que les construits socio-institutionnels ont effectivement un fonctionnement au niveau local. Il s’agit plutôt d’identifier et de décrire des processus émergents comme

« constitution de l’action dans le temps » (Schutz, 1998) et non pas seulement d’identifier en quoi les dimensions socio-institutionnelles, en tant qu’« objets transvasés » des textes normatifs vers une réalité, s’éloignerait. Nous nous attacherons donc à les considérer comment des préconstruits culturels (Bronckart, 2001) mobilisés par les agents comme des outils ou des instruments pour produire l’activité. Autrement dit, la dimension clinique de la recherche part d’une perspective non-causaliste dans laquelle les déterminants de l’action sont considérés comme des éléments producteurs d’une activité dans laquelle le sujet est également la source d’interprétations, de choix, d’intentionnalités, etc. En ce sens, l’action enseignante que nous nous proposons d’étudier est également le résultat de toute une série de phénomènes émergeants de la dimension locale et située des situations dont la description fine peut conduire à mieux comprendre les manières qui transforment la donnée socio-institutionnelle à travers l’analyse des usages en contexte de ces préconstruits.

Pour synthétiser, notre recherche tente de répondre à une question principale :

• De quelle manière et avec quels effets sur la co-responsabilité de l’enseignement de l’éducation physique les systèmes didactiques MS et MG s’articulent-ils et construisent-ils l’histoire didactique en classe ?

Pour traiter cette question, nous tenterons de répondre à plusieurs questions emboîtées : • Quelle chronogenèse des savoirs en basketball peut-on observer dans les situations

étudiées ? De quelle manière rend-elle compte des référentiels professionnels mobilisés par les enseignants ?

• Comment s’articulent les organisations chronogénétiques de chaque maître dans leurs interventions spécifiques et avec quels effets sur la construction des objets effectivement enseignés ?

Comme nous l’avons présenté auparavant, les MS et les MG sont amenés à travailler un seul cycle d’enseignement autour du « même » objet et avec les mêmes élèves. Ce point nous amène à formuler les questions suivantes, d’autant que nous considérons que la mésogenèse au niveau de l’ensemble du cycle mais aussi à l’intérieur de chacun des deux systèmes, peut constituer un bon descripteur permettant de répondre à la question de la connexité des systèmes didactiques :

• Ce travail collaboratif se reflète-t-il dans les tâches qui sont réalisées en classe, dans les contenus effectivement abordés, et dans la ou les références co-construites avec les élèves ?

• Au regard de l’expertise et des fonctions des enseignants, peut-on observer dans le cadre des leçons dont ils ont en charge, des mésogenèses spécifiques aux MG et aux MS ?

• Peut-on observer des topogenèses spécifiques selon les contextes d’enseignement relevant de la responsabilité du MG ou du MS?

En lien avec le cadre théorique que nous avons présenté et nos questions de recherche, nous formulons plusieurs hypothèses de travail qui pourraient permettre de rendre compte de la l’articulation des analyses descendante et ascendante qui guident notre recherche :

En fonction des éléments mis en évidence dans les chapitres précédents, on pourrait considérer que les rapports MS-MG s’organisent essentiellement en fonction de déterminants institutionnels. Cependant, ces derniers - qui relèvent d’une analyse descendante - sont à confronter avec des phénomènes mis en évidence par le biais d’analyses ascendantes de la transposition didactique, qui peuvent en modifier sensiblement la compréhension. Par ailleurs, le rapport personnel de l’enseignant au savoir à enseigner peut aussi constituer une variable remettant en question les rapports institutionnalisés ; autant ceux liés aux injonctions curriculaires que ceux donnant lieu à la coexistence de deux statuts différents pour l’enseignement de l’EP. Le rapport au savoir didactique pour enseigner peut également constituer une variable pouvant modifier les rapports MG-MS mais aussi les effets de leurs interventions auprès des élèves en termes de chronogenèse, d’épaisseur épistémique des objets abordés et de cohérence dans l’articulation des deux systèmes didactiques dans lesquels ils sont invités à évoluer.

Finalement, la co-présence des enseignants dans un certain nombre de leçons d’un cycle peut conduire à des topogenèses qui ne reflètent pas nécessairement de manière évidente le rapport hiérarchique MS-MG. C’est ainsi que des décisions concernant la conduite des leçons pourraient « masquer » ce rapport hiérarchique pour les élèves. De même, les leçons en

« autonomie » des MG sont susceptibles de ne pas suivre forcement la programmation telle qu’imaginée par les MS. Ces hypothèses nous invitent donc à nous rendre attentifs, tout au long du travail empirique, à la variabilité des modes d’articulation entre leçons.

Armés de ce questionnement et de ces hypothèses, nous envisageons dans le chapitre qui suit, selon quels dispositifs méthodologiques nous allons organiser notre rencontre avec l’empirie.

CHAPITRE 5

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