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Le basketball, pratique culturelle et scolaire : quelques repères à propos de ses origines et des enjeux d’enseignement

2. Eléments d’analyse épistémologique sur l’enseignement du basketball et du streetball

Les données présentées précédemment ont montré, dans leurs grands traits, comment le basketball s’est construit et a évolué durant ses plus de 120 ans d’existence. Si les principales règles qui constituent l’ossature du jeu original sont toujours présentes, fort est de constater les différences entre le jeu pratiqué en 1891 au Massachusetts et celui qu’on observe aujourd’hui dans les compétitions officielles. Cependant, les changements réalisés n’ont pas pour autant modifié substantiellement les principaux éléments constitutifs du jeu. Il est toujours question, par exemple, de la gestion individuelle et collective du rapport de force vis-à-vis d’un/des adversaires afin de viser/défendre une cible placée en hauteur.

Dans ce qui suit, nous rendons compte des éléments permettant de caractériser et de comprendre le basketball culturel, celui qui est considéré comme la référence aux pratiques scolaires. Ceci doit nous permettre, entre autres, de définir les éléments essentiels qui composent et font partie de la logique interne de cette pratique.

Pour pouvoir considérer telle ou telle activité humaine comme « authentique » vis-à-vis du basketball, il est donc nécessaire qu’elle soit en correspondance avec son essence, c’est-à-dire avec ce qui la définit et la distingue, en même temps, d’autres productions humaines. Dans notre travail de thèse, ces repères nous permettront de comprendre à la fois les documents officiels destinés aux enseignants (les Manuels fédéraux) et les propositions des maîtres généralistes et spécialistes qui participent à notre recherche.

C’est donc à partir de l’analyse du basketball et du streetball en tant que jeux sportifs collectifs qu’il nous sera possible de considérer que certaines productions sont

« contextualisées », c’est-à-dire en phase avec la logique interne de la pratique sportive, et que d’autres s’en éloignent, sont « décontextualisées ». Ce qui a des incidences sur l’activité de l’élève et détermine, en tout cas en partie, les savoirs mis à l’étude. Selon la présence, la récurrence, l’importance, etc. de ces formes d’activité en classe, il est ainsi possible de déceler des manières différentes de penser l’enseignement et l’apprentissage.

2.1. Les jeux collectifs et le basketball : des objets d’enseignement de l’EP Depuis les année 80, une perspective rénovée (Bouthier 1986, Gréhaigne et al., 1999, Marsenach, 1991, Mérand, 1990) de l’enseignement des jeux sportifs collectifs (JSC) à l’école essaie de se positionner par rapport aux pratiques traditionnelles qui régissent ce domaine. Il est reproché à ces dernières, nommées « technicistes », « mécanistes » ou

« associationnistes » leur « analycité » (Brechbuhl et al., 1988, p. 30) et le peu de place qui est laissé aux conditions de production de l’action (Gréhaigne et al., 1999)179. C’est la prise en compte, en classe, plus holistique et systémique des éléments constitutifs des différentes pratiques des sports collectifs qui se trouve au fondement des tentatives de renouvellement des contenus et des dispositifs d’enseignement dans le domaine des jeux collectifs sportifs au sein de l’école.

179 Il est mis en avant l’importance pour les enseignants de s’appuyer sur ce que font les élèves et non sur une progression d’exercices préétablis (Gréhaigne et al., 1999).

Mérand (1989) apparaît comme l’un des principaux « leaders d’opinion » (Robin, 2003) ayant œuvré à ce processus. Les propositions de cet auteur reposent sur trois options fondamentales (Vandevelde, 2006) :

- Philosophique : en rapport au matérialisme dialectique, qui conduit l’auteur à considérer le rapport de force qui relie les joueurs comme un élément central dans l’analyse des situations de jeu. Le basketball est ainsi une « unité des contradictoires » (équipes antagonistes) qui

« exige l’identification de phénomènes constitutifs de l’inter-actionnisme caractéristique du match » (Mérand, 1989, p. 12).

- Epistémologique : en considérant la nécessité d’un même outil d’observation et d’interprétation de l’activité du joueur portant sur des problèmes qui se posent à lui (Vandevelde, 2011), cette démarche se distingue d’une transposition didactique qui consisterait à faire copier par les élèves les modèles gestuels des joueurs experts et envisage comme semblables, chez l’expert et le débutant, les problématiques se rapportant au déplacement/organisation des joueurs, aux postures, et à la structuration de l’espace de jeu.

- Didactique : A partir de ces deux options, Mérand (1991) propose une démarche didactique dont le point fondamental réside dans le développement de l’activité perceptive et décisionnelle des joueurs (savoir ce qu’il faut regarder pour bien percevoir et agir). Le contenu d’enseignement à aborder à l’école, c’est une « langue du jeu » (ibid.), un système de signes qui doit permettre la communication entre les partenaires d’une même équipe en donnant du sens aux déplacements et aux actions des joueurs, en rendant leurs choix intelligibles et en réduisant le temps d’analyse et d’évaluation du contexte informationnel (Vandevelde, 2006).

En favorisant un système de repères topologiques du point de vue du joueur, l’enseignant peut amener les élèves à identifier des « configurations d’indices pertinents caractéristiques » (Paillard, 1897, cité par Mérand, 1989, p. 13) présentant une certaine régularité. Etre un bon joueur c’est donc bien plus qu’être capable d’habileté avec le ballon ou de se centrer sur l’échange de balle. Pour savoir ce qu’il faut faire dans une situation objective pour proposer des alternatives dans le contexte de confrontation, le sens de l’action du joueur doit être intégré « dans un enchaînement coordonné d’interactions, cet enchaînement formant une unité dans le déroulement d’une phase de jeu » (ex. : passe et va, passe et suit, relais, appui-soutien, etc., Mérand, 1989, p. 14). Cela signifie, pour l’élève, être confronté à des situations de jeu afin d’apprendre à identifier des signes objectifs lui permettant de prévoir et d’anticiper le déroulement des actions. Quant au rôle de l’enseignant, il consiste principalement à proposer des situations-problèmes et à penser ses interventions en s’appuyant sur l’activité adaptative de l’élève. En privilégiant une observation centrée sur les trajets des joueurs en relation avec le porteur du ballon (PDB), l’enseignant devrait repérer/valoriser, toujours pour le même auteur, les comportements prometteurs des élèves en situation de jeu et favoriser, grâce aux verbalisations (ce qu’ils disent de ce qu’ils font), leur prise de conscience et la construction des projets d’action.

La prise en compte du contexte de confrontation et du développement des capacités décisionnelles pour comprendre et enseigner les jeux sportifs se retrouve dans les travaux d’autres experts. Deleplace (1979) considère que les aspects tactiques sont premiers dans tout travail de formation et le jeu « le point de départ et le point de retour de tout l’effort de transformation de l’activité » (p. 10). La situation d’opposition constitue ainsi une source de

progrès qui permet la construction d’un « référentiel commun » (ibid., p. 17) aux joueurs pour caractériser des situations momentanées afin de prendre des décisions individuelles comprises par chacun des partenaires (Bouthier, 2008 ; Poussin, 1997). Bouthier (1986), dans sa

« pédagogie des modèles de décision », postule que les processus cognitifs sont décisifs dans l’orientation et le contrôle moteur des actions (p. 85). La formation du joueur suppose la

« présentation des repères perceptifs significatifs et des principes rationnels de choix tactiques » (p. 85). Gréhaigne et al. (1999), dans une perspective socio-constructiviste de l’enseignement des sports collectifs à l’école, proposent un modèle didactique où les situations d’action motrice sont combinées avec l’observation réalisée par des élèves non-joueurs. Les moments de verbalisation ou de « débat d’idées » (Gréhaigne & Dériaz, 2007) qui en découlent supposent la mise en commun de l’explicitation par les joueurs de l’expérience réalisée durant la situation d’action motrice et les informations récoltées par les observateurs sur la base de critères formulés par l’enseignant (grille d’observation du jeu).

Ces différents moments ou phases visent la construction par les élèves de savoirs en action qui se déclinent en 4 catégories : - les règles d’action (conditions et éléments à prendre en compte pour que l’action soit efficace), - les règles de gestion de l’organisation du jeu (élaboration de stratégies en fonction de la logique de l’activité), - les compétences motrices (ressources motrices du joueur du point de vue de l’exécution), - les principes d’action (construction théorique et instrument opératoire qui orientent certaines actions et « permettent d’agir sur le réel » (Gréhaigne et al., 1993). Ici aussi, dans une approche systémique du jeu, le rapport d’opposition est considéré comme source de progrès, autant pour la compréhension du jeu que pour l’exécution (Gréhaigne, 1999, p. 28). En se confrontant à des situations authentiques, l’élève rencontrerait la nécessité de modifier/enrichir ses « pouvoirs moteurs », ce qui se traduit par l’émergence de réponses innovantes au regard de l’adaptation spontanée initiale (Dhellemmes, 2001). Si la référence au technicisme est absente chez ces auteurs, ne sont pas pour autant écartées les propositions relevant d’un travail technique180. Loin de s’exclure, l’approche tactique et le développement d’habiletés techniques restent fondamentalement liés, dans un modèle didactique où ils ne prennent cependant sens qu’en rapport avec les conditions du jeu qui leur ont permis d’émerger.

Par rapport à ce dernier point, et dans une perspective de « technologie culturelle » (Bonnefoy, 2001 ; Goirand, 1996 ; Metzler, 1996 ; Vigarello 1988), Legrand (2005) montre, à travers l’exemple du « pied de pivot », la dépendance et la corrélation de la technique (et son évolution) avec les contraintes propres au jeu. Dans la perspective développée par l’auteur, l’objet technique est considéré ainsi comme une réponse aux questions « posées dans un contexte et un milieu déterminés » (Desforges, 1993).

En guise de conclusion

Les données présentées dans cette section donnent des éléments pour comprendre comment le basketball, à son origine une pratique scolaire, est devenu un « fait social » (dans le sens de Mauss, 1950) soumis à des demandes et des attentes diverses, en essayant de sauvegarder, tout au long de son histoire, les principes qui ont guidé sa création.

180 En rapport avec le « technicisme » et avec la « technique », voir Amade-Escot et al., 1994 ; Cam, 2007 ; Garassino, 1980 ; Lafont, 2002 ; Vigarello, 1988.

Nous avons également montré les spécificités de la pratique du basketball et ce qu’elles peuvent représenter, du point de vue tactique et technique, pour l’agir des équipes et des joueurs.

Quelles sont les composantes de logique interne du basketball ? Nous pouvons dire que le basketball, qui fait partie d’un domaine ou genre de pratique regroupant la diversité des jeux collectifs avec ballon181, est un jeu de balle de coopération et d’opposition collective fortement institutionnalisé, de petit terrain, à espaces de jeu opposés et interpénétrés. En situation de match, le joueur est obligé de développer une activité adaptative sollicitant fortement sa capacité perceptive et ses habiletés motrices afin de gérer de multiples contraintes et incertitudes (temporelles, événementielles, spatiales) dans un espace orienté (cible en hauteur à attaquer/défendre) tout en respectant le règlement, paramètre qui conditionne de facto, l’agir technico-tactique des acteurs. Le statut qui découle de la possession ou non du ballon (joueurs en attaque ou en défense) se décline dans une diversité de rôles et de sous-rôles et dans des configurations de jeux « originales » mais souvent modélisables (voir par exemple Gréhaigne et al. 1999 ; Mérand, 1990). Pour le joueur et pour l’équipe, il s’agit toujours de s’organiser pour gérer le rapport de force créé par la présence d’un/des joueurs (équipe) adverses. Cette dimension est aussi présente dans le streetball, modalité de pratique du basketball dans la période contemporaine.

Sur le terrain scolaire, les modèles didactiques des jeux collectifs sportifs des enseignants apparaissent comme composites (Brau-Antony, 1999), ce qui suppose des compréhensions diverses de l’essence de la pratique sportive et des manières particulières de penser son appropriation par les élèves.

Les travaux de Mérand (1989, 1990), Brau-Antony (1999) et ceux du GRIAPS182 qui s’appuient et poursuivent les propositions élaborées antérieurement par des auteurs comme Bayer (1995), Burker et Thorne (1982), Deleplace (1979), Mahlo (1974), Teodorescu (1977), font état des modélisations didactiques du jeu et des conceptions pédagogiques de l’enseignement des sports collectifs à l’école. A la suite de ces travaux, il est possible de regrouper les démarches d’enseignement des sports collectifs en trois grandes catégories ou conceptions :

- La conception techniciste, qui s’organise sur un découpage du geste et du modèle à imiter.

L’enseignement repose sur une fragmentation du jeu en éléments isolables qui sont travaillés séparément, sous forme de « tranches gestuelles ». Les tâches concernent principalement la relation joueur – ballon et se caractérisent par le peu de rapport avec la complexité du jeu réel.

Les contenus d’apprentissage sont souvent constitués par des gestes à exécuter par imitation, avec une stratégie d’apprentissage basée sur la répétition qui permettrait de stabiliser les réponses et d’inscrire les nouvelles traces motrices chez les élèves. Les repères techniques sont ceux des champions, qui constituent le modèle pour lire et interpréter la conduite du joueur. Dans cette conception, l’équipe est assimilée à une somme de compétences techniques individuelles et le match n’est pas considéré comme une source de réflexion en tant que confrontation entre deux équipes : il est placé en fin de leçon avec l’hypothèse qu’il permet

« d’assembler » les gestes abordés et entraînés séparément durant les séances.

181 Les classifications des jeux collectifs sont nombreuses. Voir par exemple : Bouet, 1968 ; Bouthier, 1988 ; Gréhaigne, 1992 ; Jeu, 1977 ; Manuels fédéraux suisses, 1999 ; Metzler, 1987 ; Parlebas, 1981..

182 Groupe sports collectifs de l’Académie de Dijon (voir le Dossier 17 de la Revue EPS ou les travaux de J.F. Gréhaigne).

- La conception structuraliste cherche à favoriser, quant à elle, le développement de la dimension sociomotrice inhérente à la relation interindividuelle des joueurs (Parlebas, 1981).

L’équipe est ainsi considérée comme un réseau de communications significatives et le bon joueur est celui qui est capable de prélever et d’interpréter des informations en situation et d’agir en conséquence. C’est la maîtrise par les pratiquants des différents codes de communication organisant l’équipe qui est visée. L’apprentissage est supposé se réaliser par auto-adaptation et dans des situations de jeu total ou partiel. Les contenus abordés répondent à une logique de transversalité et les principes d’action sont considérés communs à l’ensemble des jeux d’une même catégorie. Ici, il s’agit de faire apprendre des invariants opératoires qui transcendent la logique propre de chaque sport collectif, et non des modèles spécifiques à chaque jeu.

- Finalement, la conception dialectique, dans laquelle les relations des joueurs sont également basées sur des rapports sémiotiques interindividuels, mais organisées par la poursuite d’un but commun : la gestion du rapport de force en faveur de son équipe. Ce dernier est considéré comme un « système d’initiatives individuelles coordonnées dans l’action collective » (Brau-Antony, 2003), ce qui implique l’enchaînement et la synchronisation des actions. L’approche est systémique et « permet à “l’intelligence tactique” de s’exprimer pleinement et ainsi de gérer l’ensemble des paramètres du jeu » (Gréhaigne et al., 1989). Cette conception vise la compréhension des mécanismes et principes du jeu pour permettre au joueur la construction d’alternatives décisionnelles afin de faire des choix tactiques pertinents dans des situations de coopération/opposition (Gréhaigne, 2007). L’apprentissage se réalise par résolution de problèmes dans des tâches se situant sur différents « plans du jeu » (total, réduit, homme à homme). L’évolution du jeu est considérée comme indissociable de l’évolution des joueurs.

C’est le rapport de force entre les équipes qui est la source des « problèmes à traiter » et c’est à partir de ces derniers que l’enseignant organise ses interventions.

Les données « historiques » que nous avons exposées font du basketball, par les règles et les contraintes imposées aux joueurs, un jeu régit continuellement par l’interdépendance des actions des individus qui y participent. Si des savoirs techniques sont nécessaires pour jouer, ils s’inscrivent toujours dans la logique systémique propre au jeu de coopération et d’opposition. C’est-à-dire, dans des actions motrices dites « ouvertes » (Poulton, 1957), difficilement planifiables et demandant des capacités adaptatives et de gestion des imprévus importantes. Ces caractéristiques correspondent à la dernière conception à laquelle nous venons de faire rapidement mention. Ceci voudrait dire que les maîtres, s’ils veulent préparer au mieux les élèves à gérer les multiples configurations de jeu qui se produisent lors d’un match, devraient organiser l’enseignement du basketball en confrontant principalement les élèves à des situations d’apprentissage qui respectent les contraintes du jeu réel. Par exemple, placer le joueur dans une situation où l’action à faire implique de prendre en considération la gestion du rapport de force vis-à-vis d’un ou de plusieurs adversaires. Ceci implique la construction d’une réponse à une situation de jeu comportant plusieurs alternatives.

Cette première section nous a permis de donner un aperçu de la situation du basketball en tant que référence culturelle et d’aborder les formes nouvelles de sa pratique, comme le streetball qui peuvent aussi être prise en référence pour les activités scolaires. Ces repères nous paraissent nécessaires, mais pas suffisants, pour saisir ce qui se passe en classe d’éducation

physique lorsque les maîtres programment un cycle d’enseignement dont l’objet d’étude traite de ces pratiques sportives.

Un deuxième élément à investiguer, qui se trouve lui aussi en dehors de la contingence des situations de classe, est la forme qu’a prise cette même pratique sportive, le basketball, dans l’institution scolaire. Nous pensons, tout particulièrement, au contenu des manuels scolaires qui constituent le texte de savoir censé guider la programmation des leçons et l’action des enseignants en classe.

Dans la deuxième section, nous nous intéresserons à ces prescriptions : décrire et étudier l’objet d’étude « le basketball » et ses évolutions tels que la noosphère l’expose dans les documents qui régissent la discipline EP : les Manuels fédéraux de l’éducation physique.

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