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La mise en forme scolaire du basketball au travers les manuels scolaires

2. Résultats de l’analyse documentaire

2.1. L’origine de l’éducation physique et les prescriptions concernant les premiers jeux scolaires (1874-1900)

Dans cette partie, nous aborderons les faits les plus significatifs de la situation scolaire de cette période durant laquelle deux manuels fédéraux ont été édités (1876 et 1898).

2.1.1. La prégnance des finalités militaires à l’origine de la gymnastique : une conception qui délaisse la pratique des jeux collectifs à l’école

Les pratiques physiques proposées aux élèves sont bien plus anciennes que l’émergence d’une discipline chargée de s’en occuper, en particulier dans les écoles suisses. Un certain nombre d’ouvrages, suisses et étrangers existaient et pouvaient être consultés par les enseignants depuis la moitié du XVIIIème siècle, afin de les aider à organiser et à donner l’éducation physique. Ils ont été, il faut le dire, peu ou pas pris en considération par les auteurs des premiers manuels.

Pour Brussard (2007) l’application de la loi fédérale de 1874, qui légifère sur l’obligation de la pratique de la gymnastique à l’école, a été précédée de deux périodes qui éclairent les enjeux sociopolitiques et pédagogiques de la naissance de cette discipline : les réalisations privées du mouvement philanthropique (1770-1830) et les initiatives communales et cantonales (1830-1874). Bien que le point de vue militaire ait fini par s’imposer, les débats qui traversent ces années montrent que d’autres arguments étaient aussi avancés pour penser et justifier la nécessité d’effectuer des pratiques physiques à l’école. Parmi eux, les visées hygiéniques (ex. : éducation du corps sain, de la souplesse, de l’agilité) et l’utilisation du corps et des activités physiques pour la formation des jeunes aux valeurs de la nation. Citons, à titre d’exemple, Rousseau (1762), qui recommandait des exercices corporels, de la formation des sens, de l’hygiène et des jeux. Il considérait l’éducation corporelle à la base de l’éducation morale, intégrée à l’éducation générale et préparant et accompagnant la formation

intellectuelle. Ou Pestalozzi (1887), qui encourageait aussi une culture physique afin « de sauver le peuple qui s’affaiblit et se ruine de corps et d’esprit » (p. 32).

C’est sous le terme de « gymnastique » que les enseignants vont proposer ce qui était, à son origine, une gymnastique censée préparer la jeunesse à la défense de la patrie. Cette préoccupation se trouve à l’origine des premiers « Corps de cadets » (1758) qui réunissaient enfants et jeunes pour effectuer des exercices militaires, avec uniformes et armes. C’est ce modèle qui sera implanté à l’école186. La gymnastique scolaire dériva directement de ces préoccupations, bien présentes aussi dans la gymnastique pratiquée par les sociétés de gymnastique (Manuel fédéral de 1927, p. 28). Dans un tel contexte, ce sont tout naturellement ces instructeurs (militaires, de gymnastique) qui sont chargés, à l’approbation de la loi militaire de 1874187, de former les enseignants. La gymnastique militaire sera ainsi donnée par les maîtres d’école188, ce qui ne se fera pas sans soulever, dans la corporation, un certain mécontentement, entre autres, par la confusion qui s’installera entre l’école et les casernes.

L’exigence de deux leçons de gymnastique par semaine et par élève comme « un minimum indispensable » (p. 8) apparaît déjà dans le manuel de 1898. A côté du caractère rigide du programme militaire, le manuel souligne l’importance d’organiser la gymnastique de « façon à ce que la jeunesse y trouve délassement et plaisir » (p. 14).

2.1.2. Les jeux scolaires dans les premiers manuels scolaires de gymnastique 2.1.2.1. Le manuel fédéral de 1876

Le premier manuel de gymnastique189 apparaît en 1876 sous un titre révélateur en ce qui concerne son contenu : « L’école de gymnastique pour l’instruction militaire préparatoire de la jeunesse suisse dès l’âge de 10 à 20 ans ».

On y retrouve des « exercices d’ordre » (ex. : alignement, ouvrir et serrer les rangs, conversions), des « exercices libres » (marches, sautillement, sauts) et des « exercices aux engins » (ex. : saut à la corde, grimper, cannes, mouton, poutre). La gymnastique apparaît souvent peu distrayante pour les élèves et elle est conduite sous l’autorité ferme du responsable (cours magistral, groupes ordonnés, alignés, discipline, ordre, silence, rectitude, immobilité). Les auteurs donnent des indications concernant la mise en place des propositions du manuel. Par exemple, les « exercices gymnastiques sont des exercices d’ensemble » (p. 2) et leur exécution doit être simultanée par tous les élèves ; ils évoquent l’intérêt pour l’enseignant de varier les exercices proposés aux élèves. Pour la conduite de la classe, l’enseignant doit utiliser « deux espèces de commandements » (p. 2), afin atteindre

« l’uniformité nécessaire dans les mouvements » (ibid.) : le commandement préparatoire ou

186 Il est important de rappeler que plusieurs guerres et conflits internationaux guettent la Suisse à l’époque. La victoire de la Prusse conduit plusieurs pays d’Europe, dont la Suisse, à prendre comme modèle, à l’école, la gymnastique militaire (« il revenait à l’instituteur prussien d’avoir gagné la guerre »). L’éducation est subordonnée aux intérêts de la patrie et aux enjeux militaires (Bussard, 2007).

187 En se référant à cette période, les concepteurs du Manuel fédéral de 1927 disent que pour « des raisons constitutionnelles, les exercices corporels sont régis dans notre pays par les lois militaires. Le législateur a voulu montrer par là qu’il était conscient de l’importance des exercices physiques, qu’il voyait en eux un moyen d’éducation du peuple, un facteur hygiénique et pédagogique susceptible d’accroître la vigueur du peuple, ainsi que la puissance de l’armée » (p. 51).

188 La formation des enseignants se réalisera dans les écoles de recrues qui sont spécialement mises en place. La formation à la gymnastique va compter pour l’obtention du brevet pédagogique. Concernant les élèves, l’obligation concerne les garçons de dix ans jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire.

189 Nous rappelons que c’est sous le terme de « gymnastique » que la discipline, aujourd’hui nommée éducation physique, apparaît dans les documents officiels.

d’avertissement (indiquer brièvement et aussi exactement que possible l’exercice à exécuter) et le commandement d’exécution (bref et d’une voix forte pour que les élèves fassent le mouvement).

La « gymnastique » étant associée à la notion « d’utilité » sociale190, il n’est pas étonnant de constater le peu de place que les auteurs attribuent au jeu. Le manuel procède uniquement à l’énumération, pour les deux premiers degrés, des noms de jeux à faire et renvoie le lecteur, pour leur description, aux ouvrages de Niggeler (1866) et à La Gymnastique en jouant, de Koloss (cités dans le Manuel de 1876, p. 53). Selon le degré, les jeux sont différents : au premier degré (10-12 ans), il est proposé des jeux de poursuite : « Le chat et la souris. Le renard hors de son trou. Deux c’est assez, trois c’est trop. L’homme noir. Le capitaine » (p.

53). Au deuxième degré (13-15 ans) les jeux se complexifient, notamment par la notion d’équipe : « L’ours ou la chaîne. La roue ou le moulin. Jeux de balle. Les barres » (p. 92).

Aucun jeu n’est proposé pour le troisième degré (16-20 ans). Notons que le ballon n’est intégré à aucun exercice ou jeu pour la période qui nous concerne (10-12 ans). Si pour le 2ème degré des jeux avec balle sont possibles, le manuel n’en mentionne aucun.

Concernant la séance, le manuel ne donne aucune indication quant à son organisation (parties, temps, etc.), et reste très vague à propos de l’articulation des exercices entre eux. Trois indications sont cependant données : il est nécessaire de choisir les exercices de telle sorte que le corps soit exercé « aussi complètement que possible » (p. 4) ; l’enseignant doit alterner fréquemment les exercices pendant la leçon et il ne doit pas les faire répéter jusqu’à ce que tous les élèves « l’exécutent d’une manière satisfaisante » (ibid.). Pour entretenir l’intérêt et sauvegarder le goût et le plaisir des élèves, les auteurs proposent aussi de reprendre l’exercice dans les leçons suivantes.

2.1.2.2. Le manuel fédéral de 1898

Les critiques et demandes de révision faites au premier manuel par les « milieux militaires, gymniques et pédagogiques » (Bussard, 2007, p. 106) conduisent les autorités à éditer le manuel de 1898 et justifient l’introduction d’une « méthode d’enseignement »191 (Manuel Fédéral, 1898, p. 8). Ceci étant, la gymnastique reste fortement orientée par des préoccupations militaires192, comme le montre d’ailleurs le titre de l’ouvrage : « Manuel de gymnastique pour l’instruction miliaire préparatoire de la jeunesse suisse de 10 à 16 ans ».

On y retrouve pourtant moins d’exercices d’ordre193, une description plus détaillée des

190 Si la finalité concerne principalement la préparation militaire, la pratique corporelle prépare aussi aux métiers (ex. : exercices pour la main, qui serviront au peintre, au sculpteur).

191 Par exemple, outre les conseils par rapport à l’organisation des séances, à la gestion du groupe classe, etc., le manuel décrit comment enseigner : « l’explication doit toujours être suivie de la démonstration ; c’est ainsi que les élèves comprennent le mieux et le plus rapidement. », le « maître doit être en mesure de pouvoir exécuter lui-même et d’une manière correcte les préliminaires libres… » (ibid.), « les élèves doivent avoir du plaisir à travailler… » ; « Lorsque le travail des élèves ne satisfait pas les espérances du maître, celui-ci doit rechercher tout d’abord s’il n’en est pas lui-même la cause principale. » ; « il faut alterner très fréquemment les différents genres d’exercices… » (pp. 12-13).

192 « Le jeune garçon a le désir d’apprendre quelque chose dans la leçon de gymnastique, il veut mettre à l’épreuve sa force physique, son agilité, sa persévérance et son initiative. Il a le bon sens assez développé pour comprendre qu’il ne peut ni progresser dans cette voie ni donner satisfaction à ses désirs s’il ne suit pas dans son travail un certain ordre établi avec discernement. Il s’attend aussi, et avec raison, à recevoir de son maître des leçons données avec plaisir et dans lesquelles il trouvera, suivant les saisons, des nouveautés qui, loin d’entraver la préparation au service militaire, ne feront que la favoriser. (Manuel fédéral de 1898, pp. 17-18)

193 « Les exercices d’ordre, très nombreux dans le manuel précédent, ont été réduits dans une forte proportion. A cet effet, on a adopté le nouveau règlement d’exercice de l’infanterie suisse, parce qu’il est à la portée de tout le monde » (ibid., p. 4)

exercices aux engins et une place plus importante donnée aux jeux traditionnels. Comme dans le manuel précédent, les exercices spécifiques avec ballon (ex. : lancer) sont absents.

Pour les auteurs, le programme de gymnastique doit être adapté aux écoles (leçons durant toute l’année ou seulement pendant quelques mois, ressources matérielles, etc.) et aux caractéristiques des élèves. Par exemple, il « faut avoir soin de ne pas exiger trop ni trop peu.

De trop grandes exigences découragent ; des exercices trop faciles indisposent les élèves habiles (…), il faut satisfaire leur désir d’apprendre et d’avancer » (p. 11). Le manuel donne des indications pour préparer et donner les leçons (proposition aussi de leçons types) : (a) dans chaque leçon, les différentes parties du corps, en particulier « des organes de la respiration et de la circulation » (p. 14) doivent être mis en activité, actionnés par tous les muscles en alternant les exercices faciles avec ceux qui demandent davantage de dépense de force, des exercices pour le bas et le haut du torse ; (b) la moitié de la leçon doit être consacrée à des « mouvements d’ensemble effectués simultanément par tous les élèves ».

Pendant l’autre moitié, il est proposé des exercices faisant appel « plus spécialement à l’individualité » (p. 15), des exercices aux engins, des jeux ou des concours.

Le manuel propose un « plan normal d’une leçon » (p. 16), tout en envisageant une certaine souplesse dans son utilisation (voir « Plan de la leçon », annexe 4.1). Dans ce plan, le « jeu » apparaît à la fin de la leçon, après des exercices d’appui, de saut ou d’équilibre. Nous pensons que le choix des concepteurs constitue la première pierre d’une structure qui perdurera, sous des intentions diverses, jusqu’à maintenant. C’est ainsi que, après « avoir travaillé » ce qu’il est essentiel de traiter durant la leçon, un temps plus récréatif et libre est laissé aux élèves, ceci sous forme de jeu.

Concernant les jeux, pour les concepteurs il est nécessaire de leur donner « une place plus importante non seulement à cause de leur valeur au point de vue du développement des qualités viriles de l’enfant et du jeune homme, mais aussi à cause de leur influence sur les organes de la respiration et de la circulation » (p. 2). De même, et en référence à leur absence dans le premier manuel, sont ici décrites « les règles des jeux, la manière de les pratiquer et les considérations qui doivent prévaloir dans leur choix » (p. 5). Cette manière de procéder sera d’ailleurs reprise par les manuels suivants.

Les jeux apparaissent ainsi investis d’autres motifs que les visées militaires : « Les jeux représentent une forme de la gymnastique qui répond à deux exigences hygiéniques également urgentes chez l’écolier : le besoin de mouvement et le besoin de plaisir » (p. 215).

Cette demande d’intégrer la dimension « plaisir » est la première pierre d’une composante qui deviendra inhérente aux leçons d’EP. Les jeux proposés sont, dans leur majorité, des jeux traditionnels » : des jeux de poursuite (Le chat, La poursuite traversée, L’homme noir, Deux c’est assez), des jeux de lutte (La lutte libre, Les luttes de traction) et des jeux avec ballon (La balle au chasseur194, La balle lancée195, La palette196, La Passe balle197). Ces derniers jeux peuvent être considérés comme des « précurseurs » des jeux sportifs collectifs à l’école.

194 Aujourd’hui « La balle assise » (le joueur en possession de la balle tire sur un élève en essayant de le toucher).

195 Proche du Gagne-terrain (en lançant, arriver à passer le ballon entre deux piquets situés sur la ligne de but de l’équipe adverse.

196 Proche de la « Balle brûlée », du « softball ».

197 Proche du jeu qu’on connaît aujourd’hui sous le nom « La mouche » (des élèves en cercle se font des passes et un joueur au milieu essaie de toucher la balle).

Un seul jeu sportif collectif est présenté : le football198. Le manuel donne des indications pour sa mise en place dans les écoles. Sont décrits : le matériel (dimensions du ballon, du terrain, buts…), le nombre de joueurs (entre 16 et 40, mais lors d’un match il est conseillé de placer 11 joueurs de chaque côté), les règles (interdiction de toucher la balle des mains, sauf pour le

« garde camp », les sorties latérales du ballon, les fautes sur l’adversaire). Le football est destiné aux enfants de 2ème degré199, c’est-à-dire, ceux qui ont entre 13 et 16 ans. Pour répandre de plus en plus la pratique du jeu et entretenir l’émulation chez les élèves, le manuel propose l’organisation de concours « entre classes d’un même établissement d’instruction ou entre écoles de localités différentes » (p. 263). Aucune indication concernant les objectifs et les apprentissages à construire à partir de ce jeu sportif n’est explicitée, une manière de procéder que l’on retrouve dans les Manuels suivants.

Ce qui nous paraît tout particulièrement important de souligner par rapport à la pratique sportive qui nous intéresse en particulier, est la note de bas de page qui est accolée au titre

« Foot-ball ». Elle fait référence à une « variante du jeu » qui rappelle des caractéristiques du basketball :

Ce jeu peut être fait aussi en lançant la balle avec la main au lieu de la rouler ou de la lancer avec le pied.

Les joueurs d’un camp se passent la balle depuis le point où ils l’on reçue : ils n’ont pas le droit de courir en la tenant en main. Si la balle est touchée ou lancée avec le pied, le parti adverse obtient le droit de donner un coup franc de l’endroit où elle a été touchée (p. 257).

On y retrouve l’interdiction de marcher ballon en main et le tir franc sans opposition suite à une faute. Ces éléments de la pratique font partie des premières règles éditées pour jouer au basketball.

2.2. Les finalités de l’EP dans la première moitié du 20ème siècle et l’apparition

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